You're special, am I right ?

Ellie & Artur

On reprochait souvent à Artur de ne pas avoir de vie sociale et pour cause : il avait tendance à nettement préférer ses livres à la compagnie humaine. Son lycée, il l’avait passé dans les livres de génétique et de biologie moléculaire avancée, son enfance, il l’avait passée aux quatre coins du monde à suivre ses parents et à ne pouvoir se construire aucune attache dans aucun pays. Sa vie, finalement, était solitaire depuis bien trop longtemps pour qu’il s’en rende compte et c’était certainement pour cette raison qu’il ne s’en apercevait pas vraiment. Et que ça ne le gênait pas. Plongé dans son roman de science-fiction, pour une fois que ce n’était pas de la lecture instructive, il ne voyait pas le temps passer et encore moins les secondes s’égrener entre lui et la fermeture de l’établissement. Pire encore, ses boules quies fonctionnaient avec une efficacité redoutable et l’isolaient du monde extérieur de manière plus efficace que sa concentration. Ca faisait bien trois heures qu’il s’était réfugié au fond de la bibliothèque de la ville, une dizaine de livres devant lui et un ordinateur pour consciencieusement prendre des notes. Un samedi ordinaire à ses yeux, fait de silence, de calme et de sérénité, fait de tranquillité. Fait de…

Un livre percuta l’arrière de son crâne, Artur se retourna brusquement en arrachant ses boules quies. Qui était le petit con à avoir osé… Ses mâchoires se crispèrent, ses muscles hurlèrent de protestation lorsqu’il se leva de sa chaise et récupéra le livre pour aller le rendre, violemment, à son propriétaire. Il avait beau s’entraîner pour devenir un Hunter accompli depuis plus de huit ans maintenant, il sortait toujours courbaturé de ses entraînements et plus encore depuis qu’il était sous la tutelle de Moren. Dont il ne savait pas quoi penser, tiraillé qu’il était entre la fascination et l’admiration pour cet homme d’exception qui était certes un peu psychosé dans son état d’esprit et sa soi-disant mission divine mais qui avait véritablement bien perçu toute la dangerosité qui résidait dans l’essence même des mutants. En quelques pas douloureux, Artur contourna l’étagère d’où venait de chuter le livre et s’apprêta à articuler un sifflant sarcasme lorsqu’il s’aperçut qu’il la connaissait. La. Ses doigts se serrèrent sur la tranche du livre. Artur s’adossa à l’étagère la plus proche, bras croisé, concentré à la regarder fouiller dans les rangées et déplacer les livres. Ce devait être en en remettant elle qu’elle avait poussé le… Artur jeta un coup d’œil à la tranche du volume, traité de musicologie appliquée à la psychologie infantile qui se trouvait de l’autre côté du meuble. Un soupir, pour se faire remarquer. Il lui tendit l’ouvrage dans un petit sourire. « Tu devrais faire plus attention quand tu cherches, tu risques d’assommer quelqu’un par inadvertance… » Le problème qui était le plus courant avec Artur, c’était qu’on ne savait jamais vraiment s’il pensait ce qu’il disait ou s’il disait ce qu’il pensait. Dans tous les cas, sa voix et son ton maîtrisés faisaient de lui un menteur doué et un manipulateur plus doué encore. Et lorsqu’il cherchait à obtenir quelque chose de quelqu’un, ce quelqu’un avait plutôt intérêt à se méfier et à décortiquer chacun de ses propos s’il ne voulait pas tomber dans le panneau. Mais ce qui était étrange dans le cas de la jeune femme face à lui à cet instant, c’était qu’Artur n’essayait pour le moment pas de falsifier la réalité de ses pensées mais se contentait d’essayer de faire de l’humour.

Mal à l’aise, Artur aurait bien aimé mener son plan à terme pour retourner lire. Mais il ne pouvait décemment plus s’énerver contre Ellie puisque de toute évidence, elle n’avait pas cherché à l’assommer et faisait des recherches sur… « Tu cherchais quel livre ? Je peux t’aider… peut être que je l’ai déjà pris ? » La question, posée avec innocence, fut un murmure cordial. Et bel et bien intéressé cette fois : depuis plusieurs jours, voire plusieurs semaines d’ailleurs, ils ne cessaient de se croiser et surtout, de se croiser dans ce coin-là, dans ce coin précis de la bibliothèque. Elle faisait des recherches sur le même domaine que lui. « Comment ça va depuis la dernière fois ? »

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Ellie & Artur

Entre Artur et les bibliothèques, le courant passait depuis toujours. Elevé dans plus de pays que la plupart des gens n’en verrait jamais dans leur vie, il ne trouvait en point de repère que sa famille et ses livres et avait grandi entouré d’histoires, de connaissances, de découvertes et de feuilles blanches. Les bibliothèques, pour Artur, étaient une sorte de jardin secret où il pouvait s’enfermer et disparaître aux yeux du monde pendant plusieurs heures à la suite les unes des autres voire plusieurs jours lorsqu’un livre méritait sa totalement présence. Et avec l’âge, ça n’avait pas changé, bien au contraire : si on souhaitait trouver l’expert scientifique, il fallait la plupart du temps viser le lourd bâtiment de Racliff. Section surnaturel, section astrologie, section physique quantique : dans les sections si rarement fréquentées que la poussière menaçait de s’accumuler sure les rayonnages. Pour sa plus grande joie.

Mais si Artur appréciait la solitude, il appréciait plus encore les discussions pertinentes avec des esprits aussi brillants que le sien, et il appréciait plus encore, parfois, sortir de son livre pour sympathiser éventuellement avec une ou un inconnu le temps d’une semaine, d’un mois et rarement plus. Parce qu’il y avait cela, aussi, comme conséquence de l’errance de ses parents pendant toute son enfance. Artur n’avait pas d’amis d’enfance, n’avait jamais construit d’amitié capable de survivre aux océans et aux continents. Il ne concevait même pas de telles amitiés, d’ailleurs. Enfant solitaire, adulte solitaire. Qui découvrait, par moment, qu’il pouvait être de bon ton de parler. Un sourire maladroit, un petit soupir pour attirer son attention, il lui rendit le livre qu’elle avait fait tomber dans ses recherches. Il n’était pas surpris de la trouver ici : ça semblait être devenu un point de rendez vous implicite entre eux ou quelque chose s’en approchant. Les sections les plus reculées, les plus hétéroclites. Traitant des mutations comme des farfelus histoires de fantômes, adossées à la psychologie. « Oh ! Désolée, Artur. » D’un geste de la main, il balaya ses excuses comme s’il n’en était rien. C’eut été quelqu’un d’autre, Artur n’aurait eu aucun scrupule à rétorquer quelque chose d’acide, mais avec Ellie, le courant passait relativement bien et maître comme il était dans les faux-semblants et les discours hypocrites, il ne pouvait pas se permettre de lui en vouloir au risque de perdre une de ses rares bonnes connaissances. Et puis… ne s’intéressait-elle pas, tout comme lui, à la génétique avancée et aux mutations ? Sa première question, posée sur un ton badin, n’avait rien d’une coïncidence d’ailleurs. Et la seconde, elle, n’était là que pour calmer une éventuellement méfiance de la part de l’autre adulte. S’il s’intéressait réellement à sa santé ? Artur ne savait pas vraiment… oui, bien sûr, mais… était-ce sincère ? « Oui, ça va, mais ça irait encore mieux si je pouvais trouver ce foutu livre. »

Une petite grimace jaillit sur ses lèvres à l’exclamation un peu trop forte d’Ellie, une grimace de mécontentement alors que sa voix avait tranché dans le silence de la bibliothèque. « On n’est pas dans une boite de nuit, tu peux parler normalement » laissa-t-il échapper dans un claquement de langue réprobateur alors qu’elle se faisait déjà foudroyer du regard par une employée du bâtiment. « En effet, tu l'as peut-être vu, c'est le Recueil du changement de chromosome et ses mutations. » Artur ouvrit la bouche, étonné et soudainement… bien plus intrigué. Il savait, bien sûr, qu’elle s’intéressait aux mutations. Mais ce livre… ce livre était trop spécifique pour qu’il ne titille pas son intérêt. « Et toi ? À part un livre sur la tête, est-ce tu vas bien ? » Artur laissa un sourire amusé fleurir sur ses lèvres avant d’ignorer sa dernière question. « Oh, oui, bien sûr que je le connais, ce livre ! Il a même longtemps été mon livre de chevet ! Depuis que cette bibliothèque l’a acquis, pour être plus précis ! » Sa voix enjouée, ses yeux brillants : Artur ne simulait pas puisqu’en effet, il avait déjà feuilleté ce livre et à de nombreuses reprises. Ce qui était bien moins vrai dans son comportement en revanche, c’était cette nonchalance et ce sourire désintéressé. Parce que l’esprit de Hunter de l’Irlandais tourbillonnait à la recherche de réponses possibles. Elle devait connaître un mutant pour s’intéresser à cet ouvrage ou pire encore, elle devait elle-même être une mutante. Lui prenant la main, il la tira vers lui pour l’emmener au milieu de ses piles de livres récemment délaissées et en extraire le plus épais et le faire glisser vers elle. « Tiens, c’est bien celui là ? Qu’est ce que tu cherches exactement ? Je peux t’aider ? Tu... » Il avait besoin d’en avoir le cœur net. Et s’il devait pour cela passer pour un passionné des mutants et bien... ce n'était pas la première fois qu'Artur n'avait aucun scrupule à jouer avec les gens. Il laissa traîner sa syllabe, comme s'il hésitait à se montrer aussi indiscret, comme s'il avait un secret à cacher, comme si poser la question sans le mettre mal à l'aise le gênait. Il abandonna l'ouvrage qu'il feuilletait sans y penser pour se redresser et fixer Ellie. « Tu cherches pour quelqu'un ? » Son chuchotis invitait à la confidence.

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De curieux, il passa directement à intéressé. Parce que le livre qu’elle cherchait, c’était celui qu’il lisait, parce que le livre qu’il lisait, c’était l’un des incontournables sur les mutations, parce que cet incontournable impliquait forcément un intérêt de la part d’Ellie pour les gènes et leurs conséquences et que s’il ne se trompait pas, elle pouvait être un premier maillon pour trouver d’autres dégénérés. L’enthousiasme d’Artur n’était donc pas feint, bien au contraire. Si son origine était bien plus discutable que son existence en revanche, son sourire était si naturel qu’il pouvait en être désarmant, autant pour lui que pour les autres. Une main saisissant dans un picotement électrique celle de la jeune fille, il la guida sans plus tarder vers la table où étaient entreposées ses lectures du jour et il en dégagea rapidement l’énorme volume, le feuilletant sans y penser, s’entendant lui offrir une aide généreuse. Il avait besoin d’en avoir le cœur net, il avait besoin de savoir si elle pouvait lui servir à quelque chose ou, mieux encore, si elle-même pouvait être un trophée à apporter à Kingsley. Artur n’avait aucun scrupule à manipuler les gens, encore moins les inconnus rencontrés aux détours d’étagères poussiéreuses. Certes, Ellie n’était plus réellement une inconnue puisqu’elle avait cessé depuis plusieurs jours d’être un mystère pour devenir progressivement une amie, mais pour une personne comme Artur qui n’avait jamais connue de réelles amitiés… il ne parvenait pas encore à voir la différence. Son sourire se troubla : elle venait de se jeter dans ses bras, le surprenant sans qu’il parvienne à déterminer si c’était plaisant ou particulièrement gênant. Un frisson le parcourut sans attendre, il se sentit maladroitement rougir, il faillit ne pas entendre le « Tu me sauves la vie. Oui c'est bien ça. Je... » enthousiaste dont elle l’assourdit en le relâchant aussi vite qu’elle avait pu le prendre dans ses bras. Artur glissa des doigts nerveux dans sa nuque, essaya de remettre correctement en place ses habits et ses pensées. Lui offrit un sourire sincère et timide comme pour mettre de côté cet épisode… déroutant, et la recentrer sur ce qui lui semblait, à lui, être l’important. Il n’aimait pas perdre le nord, plus encore lorsqu’il avait une idée en tête et un objectif à atteindre. Rigueur, précision, méticulosité, manipulation et faux-semblants, voilà ce qu’il devait conserver à l’esprit maintenant. Sans y penser, comme s’il n’y avait pas cet ouragan dans son crâne qui menaçait de tout faire exploser, il reprit son feuilletage de l’ouvrage, attendant une réponse.

« Je sais pas... C'est pour moi, je... je suis juste curieuse. Si certains types de mutants ont déjà existé... comme la suppression de dons, leur exagération ou... la transmission de pouvoirs par exemple. » Les mouvements d’Artur ralentirent sans qu’il n’y puisse rien faire. Venait-elle réellement de dire ce qu’il pensait avoir entendu ou n’était-ce que son ambition personnelle qui lui jouait des tours ? La suppression de dons, il n’était pas stupide, elle s’était déjà manifestée chez quelqu’un : le vaccin en était la preuve. L’exagération lui faisait froid dans le dos et il s’imaginait déjà comment étrangler l’imbécile qui serait porteur d’une telle monstruosité mais la transmission de pouvoirs… Ses doigts se crispèrent sur le papier, il se contraignit à garder son calme. Rester professionnel, garder dans le viseur son objectif, en savoir plus sans qu’elle ne se doute de rien ou qu’elle se braque d’une manière ou d’une autre. « Et bien… » Une moue hésitante et absolument factice naquit sur ses lèvres, comme s’il était plongé dans ses souvenirs à la recherche de tels symptômes. « Ça te dit quelque chose ? Ils en parlent dans le livre ? » Les yeux d’Artur, plongés dans le vide, l’observèrent remettre une mèche de cheveux derrière son oreille, mouvement certainement machinal. Il ne sentit pas des petits cristaux de glace se former autour de ses ongles, s’accrochant à la page du livre qu’il tenait encore entre ses mains. « Une telle mutation doit exister, forcément. » Qu’il était difficile de contenir son excitation, ne serait-ce qu’à imaginer la portée d’un tel pouvoir. Si en plus il pouvait se coupler à une suppression du pouvoir chez le mutant d’origine, il pourrait s’emparer de la personne porteuse de ce gène et devenir le maître des mutations, ne les réservant qu’à des personnes choisies, élues, sélectionnées… lui le premier. Qu’à des personnes pouvant porter sur leurs épaules un tel fardeau et, plus encore, les utiliser à bon escient. Qu’il était difficile de contenir son excitation, donc : Artur avait envie de secouer Ellie pour savoir si elle ne parlait que d’un cas hypothétique ou si, mieux encore, elle connaissait une personne pouvant être porteuse d’une telle mutation. Seul signe de sa nervosité enfantine face à ce Graal offert : ses doigts pianotaient à présent sur la table, laissant une traînée de flocons, toujours sans qu’il en ait véritablement conscience. Ce n’était que des cristaux éphémères qui redevenaient de minuscules gouttelettes sans tarder. Pour le moment. « Ce serait… juste extraordinaire. Si une personne possède une telle mutation, ce ser… Ellie, dis moi… tu en connais une ? » Sa question jaillit avant même qu’il ne la pense. Elle allait se méfier, se questionner sur de telles demandes. Artur se serait volontiers giflé pour avoir fait preuve d’une telle impatience. Mais… si cette personne existait, il ne fallait surtout pas qu’elle tombe entre les mains de Kingsley ou d’un tout autre Hunter. Artur se saisit des mains d’Ellie, une pellicule de glace se formant sur l’épiderme de la jeune fille. « si tu la connais, je te promets que je ne le répèterai à personne. C’est juste que… c’est une mutation extraordinaire. Une mutation théorique que je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer, c’est… magique et merveilleux. » Pour la première fois depuis longtemps, Artur pensait chacun des mots qu’il prononçait. Certes, peut être pas avec les nobles intentions qu’on pourrait lui donner mais il pensait ce qu’il disait. Pas question d’en toucher deux mots à un autre, il fallait que la personne porteuse de cette mutation devienne son ami, son usine personnelle, qu’elle ne lui confie qu’à lui des mutations puissantes pour qu’Artur cesse d’être différent de sa sœur et qu’il puisse se présenter devant leurs parents avec, lui aussi, quelque chose de spécial. C’était une mutation extraordinaire dont il rêvait depuis des années. C’était même la première des mutations qu’il s’était imaginé rencontrer. Magique, merveilleuse : il voulait s’emparer de cette personne pour ne l’avoir que pour lui et uniquement pour lui. Et Ellie était le moyen le plus direct, si comme le lui hurlait son instinct elle connaissait un dégénéré porteur de ce gène, pour accéder enfin à son rêve. Il ne devait surtout pas la braquer.

« Désolé, je suis un peu trop enthousiaste j’imagine… » Son hésitation factice refit surface, teintée d’excuses toutes aussi factices. Arrondir les angles, étouffer la méfiance potentiellement naissante. Apitoyer, jouer sur la compassion… « C’est que… ma sœur est très malade, et comme j’ai un ami mutant qui peut se soigner, je me disais qu’avec un tel don… on pourrait faire quelque chose… » Un mensonge, bien sûr. Moira avait beau être malade, ce n’était certainement pas une mutation stupide qui pourrait la soigner bien au contraire.

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Des années. Cela faisait des années qu’il en rêvait, de cette mutation. Il l’avait imaginée lorsqu’à quinze ans, il avait compris qu’il n’en aurait pas lui-même et que sa sœur était vouée à être la seule monstre de la famille, aussi effrayante qu’écœurante, comme sa jalousie. De plus en plus dégoûtée, de plus en plus violente. Cette mutation, il l’avait conçue dans son esprit, en avait cherché des traces dans les journaux sans savoir exactement quoi chercher. C’était la mutation parfaite, celle qui ne servait pas les intérêts du mutants lui-même mais de tous ceux qui l’entouraient, voire surtout de celui qui en avait conscience. Des années qu’il la cherchait, des années qu’il l’idéalisait, des années qu’il l’enviait, cette mutation utopique, théoriquement possible, jamais trouvée en pratique. Jusqu’à maintenant. Ellie connaissait elle réellement quelqu’un capable de transmettre des pouvoirs à un simple humain ? La question enflait jusqu’à devenir un besoin pressant de réponse. Il avait envie de la secouer, il avait envie de brusquer Ellie pour qu’elle lui réponde, qu’elle lui dise la vérité et surtout qu’elle accepte de lui certifier que, oui, elle connaissait une personne avec une telle mutation. Et peu importait qu’il se dévoile dans son excitation, Artur n’était plus capable d’accorder la moindre patience à son hypocrisie et à ses faux-semblants : il fallait qu’il sache, et qu’il sache à tout prix. Le silence d’Ellie était de plus en plus pesant, la nervosité d’Artur : visible. Qu’avait-elle donc à garder à ce point le silence ? Etait-elle muette, la pauvre gourde, pour s’enfoncer dans un mutisme exaspérant ? Souhaitait-elle elle aussi garder l’information secrète pour n’exploiter que pour elle seule la mutation de sa connaissance, dans un égoïsme pur et dur qu’Artur était prompt à voir chez les autres mais ne percevait pas chez lui, fort heureusement ?

Stop. Il fallait qu’il se calme. Maintenant. Ne pas tout détruire, ne pas se laisser emporter par de simples hypothèses et un instinct voilé par la subjectivité. Il voulait lui hurler de répondre, il ne devait surtout pas le faire : s’il la braquait maintenant, c’en était fini autant de leur amitié que de son unique piste vers le mutant-hypothétique et il n’en était pas question. Que savait-il d’elle, au final ? Artur passa leurs précédentes rencontres en revue, cherchant non plus de l’amitié mais des indices pour faire ce qu’il savait le mieux faire : mentir. Manipuler. Tourner les choses à son avantage. L’évidence lui sauta aux yeux en quelques fractions de secondes, il créa sur son visage un embarra importun, détourna le regard, baissa la voix comme s’il était brutalement mal à l’aise. Sa sœur. Malade. Qu’il voulait soigner. Il se plaisait à se croire malin, à ainsi transformer une réalité, à ainsi la plier à ses besoins pour attendrir Ellie. S’il en éprouvait le moindre remord ? Bien évidemment que non : il fonctionnait ainsi depuis des années. Et le mensonge, il le maniait comme une façon d’être, sans honte d’en user sur ses proches comme sur ses collègues, d’en user et d’en faire une manière de vivre sans crainte de s’y perdre et de ne plus savoir ne serait-ce qu’être honnête envers lui-même. Quelques mots, quelques suspens, quelques hésitations, ses yeux se glissèrent dans ceux de la jeune fille pour voir, avec un sourire caché, qu’il avait visé juste. Il ne s’était plus question, à présent, que d’une poignée de seconde pour qu’elle parle et lui réponde, volontiers, sans arrière pensée, avec toute la gentillesse dont elle pouvait être capable et dont lui se savait dépourvu. Mais alors qu’elle ouvrait la bouche pour répondre, Artur fronça les sourcils en la voyant baisser les yeux sur les mains toujours serrées. Détachées. Machinalement, il les plia et les regarda à son tour. « Tes mains. Argh, mes mains... » Ce fut un vertige qui lui sauva la mise : son visage se décomposa en quelques secondes et perdit son masque habituel. Sans ce vertige qui le fit tituber en arrière, tirer une chaise pour mieux s’y écrouler et regarder ses mains d’où s’échappaient des volutes de condensation, il aurait explosé de rire et de joie avant d’enlacer Ellie et de commencer à comprendre et à jouer. Au lieu de cela, il resta muet, le souffle court, la respiration brutalement accélérée. Il ne la regardait pas, il ne prêtait même pas attention à sa détresse : il regardait ses mains. Ses mains. Mutantes. Anormales. Monstrueuses. Magnifiques. « Je crois que c'est moi, Artur. » Ah, elle croyait ? Lui, il en était sûr. Parce que cette mutation, à son grand désespoir, ne pouvait pas venir de lui. Il claqua des doigts, de la neige s’émietta devant lui. Et lorsqu’il releva la tête en luttant pour maîtriser son sourire, elle lui jeta un regard paniqué. Comment ça, paniqué ? N’était-elle pas déjà consciente de sa mutation, n’était-elle pas… avait-elle compris qu’il était de ceux qui traquaient ses pairs pour mieux les tuer, les étudier, les faire hurler et leur faire regretter leur anormalité ? Artur ne bougea pas un seul instant lorsqu’elle lui tourna le dos pour s’enfuir, trop hébété pour penser à quelqu’un d’autre que lui. Il était un mutant. Il était devenu, par un miracle génétique, un mutant lui aussi. Il se frotta les mains les unes contre les autres, en jetant des regards anxieux et amusés autour de lui, observant la fine pellicule de glace que chacun de ses touchers délaissaient sur la table. Il était ami avec la mutante la plus extraordinaire de la planète, la seule dont il pouvait éventuellement supporter l’existence à condition qu’il soit le seul à qui profite sa mutation. Il… Où était-elle ?

Artur fronça les sourcils, se souvenant avec un temps de retard de la réaction d’Ellie. Panique, peur, crainte, tout ce qu’il appréciait en général mais qui était contre-productif dans le cas présent. Il devait la trouver, il devait l’aider, il devait se l’approprier. Soufflant sur ses mains avec le sourire d’un enfant devant un présent particulièrement voulu, il contourna les rangées de livres, passa la tête dans quelques rayons, la trouva recroquevillée sur le sol dans le coin de plus reculé du bâtiment, plus encore que leurs points de rendez-vous habituels. « Laisse-moi seule, s'il te plaît. » Non, non, il n’était pas question qu’il la laisse seul, pas alors qu’il avait toutes les cartes en main pour être ce qu’il rêvait d’être… Approchant à pas prudent, il s’assit juste en face d’elle en tailleur, comme s’il avait l’intention de rester là le temps qu’il allait falloir. « Ellie, c’est moi… » Ce n’était guère compliqué après tout, il n’avait qu’à faire comme avec sa sœur : il s’agissait de parler d’une voix douce, d’être attentif, innocent, sympathique, rassurant. Il s’agissait de ne pas la brusquer, comme avec un animal sauvage, pour ensuite lui passer la muselière au bon moment et avoir sa sympathie. Artur n’avait jamais eu de réels amis, et si ça étonnait certains puisqu’il ne se montrait jamais vraiment antipathique, il suffisait d’avoir un bref aperçu de ses pensées pour tout comprendre. Restant à distance, il glissa sur le sol pour s’installer à côté d’elle. Il n’était pas tactile, mais il savait aller contre sa nature lorsque les choses l’exigeaient : il glissa un bras autour de son épaule pour l’attirer vers lui et faire reposer la tête d’Ellie sur son épaule. « Qu’est ce qu’il se passe, Ellie ? Tu… tu ne m’as rien fait de grave, tu sais ? De quoi as-tu peur ? »

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Dans des moments comme celui-là, Artur estimait mériter des félicitations. Déjà, il se souciait de la santé de quelqu’un d’autre que lui. Ensuite, il prenait le temps d’être patient, d’être attentif, d’aller la voir et en plus il entamait la conversation. Certes, ce n’était au final que parce qu’il avait besoin d’elle et de son amitié pour autre chose, mais c’était déjà ça. Et Artur estimait donc recevoir les honneurs mérités pour une telle abnégation, mot dont il avait de toute évidence du mal à se souvenir de la définition. Mais toutes ces félicitations qu’il méritait tant et si bien pouvaient attendre encore quelques heures, il avait une jeune fille à rassurer, une amie à se faire, une mutante à corrompre et un pouvoir à acquérir. Dans cet ordre-là de priorité, les plus importants venant en dernier bien évidemment. Prenant garde à ne rien toucher pour garder pour lui la glace que ses doigts continuaient d’émettre, il s’assit en tailleur devant elle. Avant de se déplacer quelques secondes après, de passer son bras autour de ses épaules pour l’amener à poser sa tête contre son épaule à lui. Comme Moira pouvait faire avec lui lorsqu’il avait besoin de se rassurer. Ce n’était pas vraiment naturel pour lui, mais il fallait qu’il le fasse. Et ce n’était pas si désagréable que ça, il devait en convenir.

De quoi avait-elle peur ? De lui ? D’un côté, il l’espérait. Mais d’un autre, ce serait réellement contre-productif pour ce qu’il voulait et il fallait qu’il soit celui qu’elle espérait et non celui qu’il voulait être. Il prenait sur lui, il prit même davantage sur lui pour raffermir sa prise, voire sa présence. Ses doigts pianotèrent d’impatience sur l’épaule d’Ellie. « Artur, c'est sûr que j'ai peur, voyons. » Bien sûr, voyons ? Etait-ce si évident ? Le soupir qu’elle s’autorisa vibra dans ses tympans, trouva un écho dans celui qu’il s’autorisa après un instant de réflexion. Il fallait qu’il lui laisse un peu de liberté dans ses paroles et ses actes, qu’il se contente de la guider pour qu’elle en vienne au parfait état d’esprit, qu’elle finisse par d’elle-même se confier à lui et lui accorder une confiance tout à fait appréciable. Elle se défila. Artur fronça instinctivement les sourcils, se forçant immédiatement à la relaxation et au calme. Pas tout de suite, il était hors de question de réduire tous ses efforts à néant maintenant. Il fallait qu’il reste l’Artur qu’elle souhaitait, celui dont elle avait besoin, celui qu’elle attendait pour qu’elle lui fasse définitivement confiance. « Avec les Hunters qui tuent tout ce qui bouge d'un peu anormal, je veux même pas imaginer ce qu'il me ferait s'ils découvraient... ça. » Oh, voilà donc la raison de son bien sûr. Pour avoir l’air bien plus crédible, il s’imagina un instant se retrouver face à Kingsley connaissant l’existence d’Ellie et un frisson d’horreur le parcourut sans attendre. « Personne ne le découvrira, je t’en fais la promesse. » Même ses sursauts de sincérité – et il n’y avait cette fois-ci aucun doute à avoir à ce propos – avaient des goûts de mensonge et de malhonnêteté. Personne, strictement personne, que ce soit mutant ou Hunter, n’avait intérêt à découvrir la mutation d’Ellie et Artur y veillerait, dusse-t-il pour cela séquestrer la pauvre fille qui n’avait malheureusement pas demandé à rencontrer l’Irlandais. Trop tard, trop tard Ellie murmura-t-il en pensées en la couvant du regard. « Je ne suis pas idiote. Je sais ce qui arriverait si ça venait à se savoir. Ils me feraient mal, Artur. Se serviraient de moi pour ensuite me jeter une fois inutile... J'en fais des cauchemars depuis des semaines. » Elle n’était pas idiote, ça non, puisque c’était exactement ce qu’il comptait faire. Pas idiote mais pas beaucoup plus maligne pour autant ne put-il s’empêcher de remarquer. Un petit sourire triste aux lèvres, Artur se contenta d’hausser les épaules. « Tu en fais des cauchemars ? J’imagine que c’est normal, vus les temps qui courent…  je n’ai pas de nuits tranquilles non plus, rien que de penser à ces malades qui traînent à l’extérieur… » Les meilleurs mensonges étaient pour la plupart basés sur des faits réels : Artur n’avait que trop compris cette leçon. S’il ne mentait à proprement parlé pas, le fond de ses pensées ne pouvait qu’être contraire à ce qu’elle allait interpréter. Parce que les malades qui erraient dans Radcliff n’étaient pas les Hunters loin de là. Et ces cauchemars qu’Artur faisait presque chaque nuit, ils n’étaient en rien liés à ce qui se passait en ville puisqu’il les avait depuis sa plus tendre enfance. Alors non, ce n’était pas un mensonge, pour une fois, et sa sincérité se lisait sur ses lèvres. Ce qui était bien évidemment le but recherché par la manœuvre, il ne fallait ni se leurrer, ni se voiler la face sur la noblesse des intentions d’Artur. Insensible, le jeune homme devait rivaliser de concentration pour rester attentif à Ellie et à son état. Trop habitué à l’égocentrisme, trop centré sur lui-même et ses propres intérêts, trop imperméable aux autres, il lui était presque contre nature de s’inquiéter pour quelqu’un d’autre que lui et jusque là, la seule personne à avoir eu la chance d’être source pour lui d’inquiétude était sa sœur. Artur manqua donc de percevoir le mal-être d’Ellie. Ce ne fut que la phrase lâchée dans un murmure en se recroquevillant qui lui évita de justesse la catastrophe.

« Je devrais peut-être me faire vacciner. » Sa réaction première fut l’envie de secouer Ellie, de la gifler, de lui hurler qu’il n’en était pas question et qu’il était même hors de question qu’elle y pense à l’avenir. Mais il ne pouvait pas, il n’avait pas le droit de céder à la facilité et à l’impulsivité. Bien au contraire. Devait-il se faire le défenseur des mutations et rejeter en bloc la vaccination ? L’idée même lui laissait un goût amer dans la bouche. Supprimé par la saveur de cette glace émiettée par ses doigts, cette glace qui le rendait aussi spécial qu’avait pu l’être sa sœur pendant leur enfance, aussi spécial que le plus exaspérant des dégénérés, sans pour autant perdre l’intégrité naturelle de son ADN. Il avait besoin d’étudier ça, il avait besoin de comprendre comment fonctionnait la mutation d’Ellie, il avait même besoin de faire des prises de sang, des échantillons d’ADN, pour réussir à reproduire ça en laboratoire et se débarrasser de la jeune fille dès que possible, histoire d’avoir la conscience tranquille vis-à-vis des autres Hunters. Ou peut être se contenterait-il de la vacciner, puisqu’après tout, elle n’avait pour le moment fait de mal à personne bien au contraire. Et il l’aimait bien, elle avait une certaine culture, le même amour que lui pour la lecture, la même patience que lui lorsqu’il s’agissait de faire des recherches… Artur tapota maladroitement l’épaule d’Ellie. « C’est mal, il ne faut pas dire ça Ellie. » Que disait sa sœur, déjà ? « Cette mutation, c’est ce que tu es, c’est toi, tu ne peux pas risquer de te perdre juste parce que certains sont jaloux. Si tu veux, on peut essayer de tester, on peut essayer de comprendre pour que tu puisses maîtriser ça et l’endormir, mais surtout pas la tuer. » Il avait l’impression de cracher des inepties en continu mais c’était tout ce qu’il avait trouvé de valables dans les propos Moira. Le principe même de mutation était une aberration génétique. Et une chance inouïe d’avoir les moyens de rétablir la justice. Et une monstruosité. Mais cette mutation là… elle avait la chance de ne pas être comme les autres et surtout d’être ce dont il rêvait. A première vue. Mais il fallait encore qu’il expérimente, qu’Ellie accepte de son plein gré de devenir son cobaye, qu’elle se plie à ses demandes et surtout qu’elle ne le touche lui et uniquement lui. Et pour ça, il devait encore travailler sur ses capacités de persuasion. Et ne pas vouloir aller trop vite.

Artur se mordilla la lèvre, paraissant incertain quand à l’indiscrétion de ses propos, rajoutant un peu de timidité au personnage qu’il se créait.   « Je… Ne réponds pas si tu n’en as pas envie mais… tu penses que certaines personnes pourraient s’en douter ? Et… » Artur s’interrompit. Et eut brutalement envie de se frapper la tête contre le mur le plus proche. Il allait oublier un détail important : sa sœur, sa stupide sœur, sa sœur malade, l’un des premiers mensonges qu’il avait pu sortir à Ellie. Ne risquait-elle pas de s’étonner qu’il n’en reparle pas ? Maîtrisant son impulsivité, Artur en profita pour s’éclaircir la gorge. Laisser traîner une nouvelle hésitation… se tortiller pour bien se réinstaller, enserrer ses genoux repliés pour les plaquer contre sa poitrine. Une petite voix, bien calibrée. « J’aimerais tant que ma sœur puisse avoir un pouvoir comme le tien pour se soigner, que les gens acceptent ce que les gens comme toi sont et que ça puisse l’aider… Pour le moment, ce serait trop dangereux de t’impliquer j'imagine, les médecins se douteraient de quelque chose… » Il paraissait sincère. Véritablement sincère. Mais alors que jusque là, il voltigeait entre mensonge et semi-réalité, il venait de faire de réels pas dans le mensonge éhonté, pur, l’ironie maîtrisée au point tel que lui-même était menacé par sa force de persuasion.

You're special, am I right ?

Ellie & Artur

Il ne fallait pas s’y méprendre : quelque part, Artur savait bien que son comportement n’avait rien d’exemplaire. Que son hypocrisie était destructrice, qu’un jour ou l’autre il allait payer pour ses mensonges, ses faux-semblants, ce gouffre qu’il creusait systématiquement entre lui et les autres dans cette manipulation orgueilleuse et malsaine qu’il se plaisait à faire de leurs émotions et des siennes. Quelque part, au fond de lui, Artur savait bien que son comportement ne pouvait qu’être mortifère sur la durée. Mais il ne savait plus se comporter autrement. Et il croquait encore la grenade à pleines dents, sentant la senteur du fruit et son goût sucré saturer la moindre ses papilles. Il dégustait encore ce fruit de l’enfer, ignorant qu’à chaque bouchée il se liait davantage à la solitude de la géhenne. Et il n’en récoltait encore que les bienfaits, indifférents aux tempêtes que ces mensonges préparaient patiemment. Comme maintenant. Il y avait quelque chose d’enivrant à manipuler les gens. Quelque chose de jubilatoire dans les regards qu’on lui lançait et qu’il avait cherché à provoquer.

Le sourire qu’Ellie lui offrait était une récompense, son soupir alors qu’Artur s’entendait répéter les dires de sa sœur, lui fit l’effet d’une acclamation admirative. S’il avait conscience que tout ce qu’il créait et provoquait était tout autant artificiel que ses propres réactions, Artur s’en contentait amplement et en savourait les moindres détails gustatifs. C’était un art, en soi. Un art qu’il maîtrisait à la perfection, dont il avait peaufiné la pratique jusqu’à l’excellence au contact permanent de sa sœur, de ses parents, de ses proches. En fait, lorsqu’il se surprenait à y penser, la seule personne face à laquelle Artur était encore pleinement sincère, c’était sa mère, la seule à réellement se soucier de lui en tant qu’être humain, en tant qu’enfant, en tant qu’adulte. Pour le reste et bien… il n’en avait strictement rien à faire. Peu lui en chalait qu’Ellie ne soit confronté qu’à un simulacre de pro-Mutant, peu lui importait que cette amitié synthétisée entre eux n’ait rien de naturel : tant qu’il avait son don, tant qu’il avait sa confiance, tant qu’il avait enfin l’opportunité d’avoir accès à son propre catalyseur de mutation, Artur n’accordait aucune importance aux moyens mis en œuvre pour y parvenir. Mais avant ça, il ne fallait surtout pas qu’elle se mette en tête que la vaccination était la solution idéale. Ca non. Il était hors de question qu’elle prenne cette porte de sortie, qu’elle cède à la facilité et surtout il était hors de question qu’elle risque d’abimer ses précieux gènes, pas tant qu’il ne les aurait pas étudiés, disséqués, compris et reproduits en laboratoire. « Oui je sais, c'est stupide. Ce serait les laisser gagner en quelque sorte. » Oui, voilà. Aux yeux d’Artur, ce qu’elle pouvait penser ou croire n’avait strictement aucune importance tant que les résultats étaient là : elle repoussait son idée ridicule – et dangereuse – loin de son esprit et chancelait un peu plus pour tomber sous sa coupe. Et si au passage ça leur avait permis de consolider leur confiance mutuelle : Artur était un opportuniste. L’un de ses rares véritables talents étaient cette capacité à saisir au vol ces opportunités qui lui permettaient d’atteindre ses buts, d’appuyer sur les exacts leviers pour jouer des émotions de ses interlocuteurs. L’hésitation, les suspens, les trémolos dans la voix, voilà quels étaient ses outils. Lorsqu’il y songeait, Artur se considérait presque comme un artiste. Une autre formulation pouvait faire de lui un enfoiré mais le résultat restait le même : il grappillait les informations qu’il lui fallait, endormait la vigilance, se créait des amis de toute pièce pour les abandonner le moment venu sans l’ombre d’un remord.

« Je l'ignore, peut-être ma colocataire mais c'est tout. » Intéressant. Artur nota l’information dans son esprit, songeant à cette colocataire, probablement mutante elle aussi. Il s’en occuperait en temps voulu, se promettant de lâcher l’information dans l’oreille d’une tierce personne qui pourrait ainsi le dédouaner et le laisser hors de compte. Il serait tout de même dommage qu’Ellie se mette à douter de lui pour une raison aussi stupide. Mais ce n’était pas le moment d’y songer : il avait encore du travail devant lui. En savoir plus, se rapprocher d’Ellie, lui confier des secrets et se montrer vulnérable. D’un mouvement, Artur se réinstalla, se ramassa davantage sur lui-même. Il avait encore une carte dans sa manche, un as déjà mis sur la table, à appuyer maintenant pour guider la jeune dégénérée. Sa sœur. Un mensonge éhonté : il piétinait même tout ce qui composait Moira. Malade, oui, elle avait cette aberration génétique qu’il comptait bien soigner. Mais la voir posséder un pouvoir comme celui d’Ellie, la voir contracter une nouvelle anormalité qui lui octroierait davantage de compétence, agrandirait ce gouffre déjà trop profond entre eux, détruirait les derniers liens qui pouvaient encore exister entre le frère et la sœur… Artur n’en pensait pas un mot. Il voltigeait jusque là entre mensonge et réalité : ses derniers mots n’avaient strictement plus rien de vrai. Ce qui rendait l’ensemble encore plus dangereux pour lui.

Pendant un instant, Artur se demanda même s’il n’était pas allé trop loin. Anxieux, mettant cette anxiété au service de son hypocrisie, il se recroquevilla un peu plus dans l’attente d’une réaction de la part d’Ellie. Ses doigts projetaient encore un peu de glace, il en contemplait les cristaux perdus au niveau de ses ongles. Il attendait : une réaction, un mot, une fuite, il guettait les marques de son excellence ou les conséquences d’une erreur qu’il n’aurait pu prédire. Finalement, le contact de la jeune sembla l’extirper de sa torpeur, se contenta en réalité d’aiguiser davantage encore son attention. Se laissant faire, il l’observa transformer son attitude pour qu’il quitte cette position fœtale dans laquelle il s’était véritablement réfugié. Déjà, Artur commençait à se demander où commençaient ses mensonges, où finissait son hypocrisie, quelle part de sincérité il y avait en lui. « Si j'arrive à contrôler mon pouvoir, ne t'inquiètes pas, j'vais essayer d'aider à la soigner. » Un sourire. Ce fut ce qu’il commence par lui offrir. Un sourire timide, un sourire pour la remercier. Un sourire loin de cette satisfaction qu’il ressentait. Il n’avait fait aucune erreur, de toute évidence. Strictement aucune pour le moment : voilà qui ne pouvait que flatter son orgueil, amplifier sa tendance à l’arrogance. « Je voudrais pas lui transmettre non plus le mauvais pouvoir ou quoi que ce soit. Comme geler sur place ses médecins. » Un petit rire artificiel jaillit des lèvres d’Artur qui se faisait pourtant la remarque qu’elle n’avait pas tort. Et qu’elle mettait le doigt sur le sujet important de leur conversation. D’une voix anxieuse cependant, il s’octroya le droit de murmurer un « tu ne contrôles vraiment pas ton don ? » qui lui écorcha les lèvres. Ce n’était pas un don. C’était une aberration. Une anomalie, une distorsion du possible qu’il fallait éliminer. C’était un outil, un virus parfait pour détruire d’autre virus. Un virus, une bactérie, un parasite qu’il fallait apprivoiser, dompter, qu’il fallait conditionner pour qu’il ne réponde qu’à ses ordres à lui. Pour qu’il n’y ait que lui qui y ait accès. Une petite plaisanterie qui quitta ses lèvres doucement presque dans un murmure. « Ça ne va pas être facile, mais si tu veux m'aider, ensemble on y arrivera peut-être. Après tout, tu sembles connaître pas mal de choses sur les mutations. »

On y était. Ils venaient d’arriver exactement là où Artur souhaitait parvenir depuis qu’il avait compris qu’elle était la mutante qu’il cherchait. On y était. Elle lui demandait de l’aider, elle lui proposait d’elle-même de l’aider, sans qu’il n’ait eu, lui, à faire le premier pas. Et le sourire qu’elle lui offrait faisait pétiller ses pupilles et éclairait son visage dans une confiance qu’Artur appréciait voir chez les autres. Et qu’il se surprit d’apprécier plus encore chez Ellie. Quelque part, même, il se surprenait à l’apprécier elle, pour ce qu’elle était et non seulement pour ce qu’elle pouvait avoir comme utilité. Mais non, ce n’était qu’illusion, ce n’était que les résidus internes de l’illusion externe qu’il créait pour elle. Artur n’appréciait pas les gens, il les utilisait. Artur n’avait même pas envie de chercher autre chose que le profit dans ses relations sociales, préférant de loin la solitude à l’abandon. « Bien sûr que je veux t’aider, attends. » Il énonça ça comme sur le ton de l’évidence, comme s’il était presque blessé qu’elle puisse ainsi remettre en cause son amitié. S’ils ne se connaissaient que depuis peu ? Ce n’était qu’un détail. « On y arrivera, on apprendra les limites de ton don, on découvrira ensemble les possibilités qu’il t’offre. Ce sera notre secret à tous les deux. J’apprendrai à contrôler les mutations que tu m’offriras, tu apprendras à me les donner, à les récupérer. Je sais qu’on va faire un duo de tonnerre, toi et moi. Et on se protégera, d’accord ? » Il étira ses jambes, attrapa la main d’Ellie, tenta maladroitement de suivre son instinct et de se rapprocher pour lui souffler à l’oreille. « Je te protégerai. » Comme une promesse.

Sincère. Honnête. Franche et directe. Dénuée d’hypocrisie. Si nue, même, qu’elle frissonna sous sa langue et se teinta de conviction. Bien sûr qu’il allait la protéger. La séquestrer, la surveiller, l’éloigner des Hunter et ne la garder que pour lui. Elle était à lui, elle était sa dégénérée. Bien sûr qu’il allait la protéger. De tous y compris d’elle-même, de tous sauf de lui-même.

You're special, am I right ?

Ellie & Artur

Ce devait être la première promesse sincère qu’Artur s’entendait faire à quelqu’un depuis une éternité. Ce n’était pas que l’Irlandais était particulièrement malhonnête ou menteur, c’était plutôt qu’Artur ne promettait jamais quelque chose lorsqu’il pouvait juste se contenter de laisser l’autre personne construire tout seul ses propres illusions. Ce devait être la première promesse sincère qu’Artur faisait depuis longtemps et en plus de cela, il comptait l’honorer. Vraiment. Parce qu’une mutation comme celle qu’avait Ellie était non seulement rare voire unique, elle était en plus une aubaine pour un jaloux comme savait si bien l’être le cadet Kovalainen. Sa jalousie le rongeait depuis des années, torturait ses nuits, biaisait son regard, viciait l’air qu’il respirait. Elle acidifiait ses veines, usait sa patience, se glissait dans son dos pour frapper lorsqu’il s’y attendait le moins. Et Ellie était son remède, sa récompense, son trophée qu’il pourrait bientôt brandir comme un vulgaire objet lui permettant de nettoyer de ses veines cette jalousie maladive charriée par son sang et la remplacer par une sensation de pouvoir inhumaine qui le placerait sans nul doute au dessus de Moira. Qui possédait Ellie possédait le pouvoir, qui possédait Ellie avait dans ses mains une porte ouverte à toutes les mutations connues.

Je te protègerai. Oh, oui. Il comptait la protéger, autant d’elle-même que des autres, autant d’elle-même que des Hunters qui pourraient la traquer. Il la protégerait aussi longtemps que nécessaire, quitte à ce qu’il se mette lui-même en danger pour elle, tant que son intégrité physique ne se trouverait pas durablement menacée. Artur avait une notion assez abstraite des limites de ses promesses, aussi sincères et uniques qu’elles soient. Un petit sourire, ses yeux croisèrent les iris d’Ellie, il se mordilla la lèvre. Spontanément. « Ne va pas te mettre dans la merde à cause de moi, non plus. Je ne me pardonnerais pas. » Un sourire, sincère encore une fois. Artur ne voyait de toute manière aucun intérêt à le falsifier, ce sourire, au risque de le dénaturer. Le plus beau et le plus solide des mensonges commençait par la vérité. Détourner le vrai pour le vicier et le faire devenir hypocrisie était un art que le petit frère Kovalainen maîtrisait presque à la perfection à présent. Et son sourire, spontané, se teinta lentement d’assurance, comme s’il voulait la rassurer, comme s’il comprenait son inquiétude, comme s’il voulait lui dire qu’elle n’avait pas à s’en faire. Foutaises, vérités, promesses et faux-semblants, tout était entremêlé. Autant dans ses pensées que dans ses actes, autant dans ses jeux d’apparence que dans ses réelles convictions. Artur ne savait plus en quoi il croyait, il ne savait que ce qu’il voulait et faire croire. « Ne t’inquiète pas pour moi, Ellie. » se contenta-t-il de lui souffler pour clore la conversation à ce propos. Il voulait bien se plier à ces petits jeux stupides de prends soin de toi, non toi prends soin de toi mais il n’allait pas non plus s’y traîner trop longtemps, il avait bien trop peur de devenir aussi ridicule que les personnes comme Ellie qui pensaient pouvoir sauver le monde. Quelque part, aussi, peut être Artur avait-il peur de s’apercevoir qu’il commençait à se prendre un peu trop au jeu de ces amitiés indistinctes qu’il créait de toutes pièces comme des relations jetables dont il pouvait user et se défaire.

Un soupir. Un silence aussi. Reposant. Calme. Ereintant. Artur se rendit brutalement compte en goûtant à ce silence de tout ce qu’il venait de se dire. Il avait trouvé la mutation qu’il cherchait mais mieux encore, il avait gagné la confiance de la dégénérée qui la transportait, allait travailler avec elle pour percevoir les limites de ce don, l’utilité qu’il pourrait en avoir, il allait pouvoir l’étudier, l’analyser, la disséquer à volonté pour décrypter l’entièreté de son génome et comprendre non seulement ce qui la rendait unique mais plus encore comment devenir lui-même unique. Plongé dans ses pensées, il ne vit que trop tard Ellie se déplacer. Ellie se glisser entre ses bras pour se lover contre lui. Artur avait beau faire, avait beau dire, avait beau savoir simuler et camoufler ses véritables pensées pour les maintenir hors de portée du premier venu, s’il y avait quelque chose qui le mettait inévitablement mal à l’aise, c’était le contact physique, surtout de ce genre. Figé, sans savoir comment réagir, il ne trouva sur le moment pas d’autre solution que de laisser la jeune fille s’installer de la sorte contre lui et lover sa tête dans le creux de son cou. « Mais merci, t'as aucune idée à quel point j'ai peur en ce moment. Je ne pense pas que je pourrais faire ça toute seule. » Pendant une fraction de seconde, Artur envisagea la possibilité de plaquer ses mains glacées sur le visage d’Ellie pour mieux la repousser et l’envoyer se fracasser contre l’étagère la plus proche. La fraction de seconde suivante, il parvint à se raisonner et à se faire la remarque que tout cela ne pourrait que faire désordre dans la bibliothèque. Il se contenta donc de s’imaginer se débarrasser d’une sangsue pareille en rétorquant d’une voix acide qu’elle ne pourrait en effet pas faire ça toute seule, quelque soit ce ça d’ailleurs, mais qu’elle se débrouillait très bien en revanche lorsqu’il s’agissait de réduire à néant l’espace vital propre à chaque individu. Enfin, un battement de cœur passé sans rien faire, Artur se rendit compte d’une chose étrange.

Il avait juste envie de rester comme ça, finalement. A sentir Ellie se réfugier contre lui, à respirer le parfum discret de la jeune fille qui n’avait rien de désagréable. Avec une moue dubitative qu’il offrit à la rangée de livres face à lui, il laissa une main qui commençait déjà à se réchauffer retomber sur l’épaule d’Ellie sans savoir quel était l’intérêt de la chose. Avant de repousser Ellie. Peu importait, bon sang, peu importait qu’il se sente étrangement à l’aise dans un contact comme celui là, ce n’était pas une raison pour traîner et se comporter comme de vulgaires flemmards. S’il n’avait pas perdu de temps jusque là, posant ses pions avec réflexion, ce n’était pas le moment pour tout foutre en l’air juste pour une raison idiote. « C’est normal d’avoir peur, Ellie, mais ça ne sert à rien de rester en plan. Allez, viens, on va commencer à chercher des renseignements sur tout ça. » Sans attendre, il bondit sur ses pieds. En pleine forme. Ou presque. Ils avaient des recherches à faire, une dégénérescence à comprendre, un pouvoir à acquérir. Et lui, il avait en parallèle un ADN à comprendre pour mieux se débarrasser de ce poids qu’il risquait de se traîner longtemps sinon.