- On s’est fait doubler, boss.

Seth lança un regard noir à son homme de main qui s’empressa de tourner la tête et de s’intéresser au mur en face de lui plutôt qu’à son patron. Patron qui n’était pas forcément de très bonne humeur – on pouvait même dire qu’il était assez fâché.
Il avait repéré l’appartement d’un collectionneur invétéré de statuettes. L’homme ne regardait pas à la dépense et achetait tout ce qui pouvait lui passer sous la main du moment qu’elles venaient enrichir sa collection impressionnante. Bien sûr, il y avait énormément de faux parmi ses acquisitions, mais il avait aussi eu suffisamment de nez pour repérer quelques pièces rares, quelques objets qu’il avait acheté cher, mais que le Calédonien pourrait revendre plus cher encore.
Il avait patiemment étudié les allées et venues de sa cible, puis avait embarqué l’un de ses sbires avec lui et s’était introduit dans l’habitation déserte dès que le soleil s’était couché. Il avait très précisément en tête l’image de la précieuse figurine qu’il voulait récupérer. C’était un plan simple, rapide et efficace.
Enfin, ça l’aurait été si, une fois arrivé sur les lieux, il ne s’était pas rendu compte que l’objet de ses désirs s’était volatilisé. Sur l’étagère où aurait dû trôner ce qu’il venait chercher, il n’y avait qu’une place vide entre deux amas de pierres grotesques que leur propriétaire avait dû prendre pour des artefacts d’un ancien temps, alors que selon toute vraisemblance, il s’agissait de quelques pauvres galets grossièrement taillés et soudés à la colle forte.
Le mutant était relativement fâché de cette déconvenue. Il était donc reparti bredouille, à l’exception d’une figurine particulièrement moche pour étoffer sa propre collection de babioles ridicules. C’était une sorte de pauvre vengeance contre le destin ainsi qu’un petit plaisir coupable qui ne le faisait plus culpabiliser depuis longtemps.
Cependant, fier comme un coq, il refusait de rester sur un échec ; aussi avait-il fait sa petite enquête jusqu’à retrouver la trace du voleur qui l’avait doublé.

Il était un peu plus de vingt-et-une heures lorsque Seth entreprit de crocheter la serrure d’une fenêtre donnant sur un petit appartement discret dans le quartier sud de la ville. Il était passé par les escaliers de secours, préférant jouer la sécurité, ne sachant pas du tout à quoi s’attendre. Il pouvait tomber sur un voleur du dimanche comme sur un énervé de la gâchette, et il aurait bien voulu s’éviter une balle cette fois.
Se faufilant à l’intérieur de l’appartement, il atterrit en douceur sur la moquette, assez content que le bruit de sa chute soit en partie étouffé. Se relevant, il avança sur la pointe des pieds, essayant d’habituer ses yeux à la pénombre de la pièce. Regardant autour de lui, il cherchait des yeux la statuette qui l’intéressait, décidé à la récupérer. Ce ne fut que lorsqu’il passa dans la pièce suivant qu’il la vit. Cependant, à peine eut-il fait un pas dans sa direction qu’il sentit quelque chose de froid se poser dans sa nuque, suivit du cliquetis caractéristique de la sécurité d’une arme qu’on enlève. Le Calédonien plissa les yeux en soupirant et leva légèrement les deux mains.
Sans déconner … pensa-t-il, déjà agacé.

- Qui êtes-vous ?

Il haussa un sourcil, surpris du timbre de la voix. A dire vrai, il s’était plutôt attendu à trouver un homme. Mais que son voleur inconnu soit en réalité une femme ne changeait pas grand’ chose. Il avait un plan et il s’arrangerait pour qu’il se déroule sans accroc, cette fois.

- Le Père Noël, j’arrive en avance.

Il réalisa que, quitte à raconter n’importe quoi, autant s’assurer de ne pas se faire tirer dessus. La partie de sa peau sous le canon du pistolet se changea en sable ; les minuscules grains s’infiltrèrent entre toutes les pièces de l’arme, enrayant le canon et bloquant le mécanisme de tir.

- Si vous vous aventuriez dans les appartements pour le plaisir, vous êtes tombé au mauvais endroit. Je vous conseille vivement de partir et rien ne vous arrivera.

Seth haussa les épaules et se retourna.

- Ou sinon quoi ? Tu vas me tirer dessus ?

Il haussa plusieurs fois les sourcils, moqueur et un brin provocateur. Il voulait la pousser à appuyer sur la détente, juste pour le plaisir de voir l’expression sur son visage lorsque le coup ne partirait pas.

- Ben vas-y, tire. Quitte à jouer les dures, autant l’être jusqu’au bout.

Il planta son regard dans le sien et attendit. Il espérait juste pouvoir récupérer tous les grains de sable qu’il avait glissé dans le pistolet de la jeune femme, sinon, ça allait encore lui laisser une plaie, et il en avait un peu marre d’être recousu tous les deux jours.

Seth se disait parfois que s’il n’avait pas eu son pouvoir, il serait mort depuis longtemps.
Plus d’une fois son don lui avait permis de se tirer d’un très mauvais pas qui aurait pu lui coûter beaucoup trop cher. Que ce soit pour s’enfuir, pour se défendre ou pour tuer, il ne comptait plus les fois où son corps de sable avait été la clé de son salut. Ceci étant dit, il ne l’utilisait pas toujours pour les bonnes choses et, arrogant comme il l’était, il avait quelques fois tendance à oublier qu’il n’était pas tout puissant et invincible. La jeune femme face à lui ne tarderait pas à le lui rappeler. Pour le moment, il se contenta de la voir baisser son pistolet en visant son pied et d’appuyer sur la détente – une fois, deux fois, trois fois. La détente cliquait systématiquement dans le vide, l’intérieur du mécanisme de l’arme enrayé par les grains de sable que le mutant y avait glissé. Il attendit que sa propriétaire l’ait rangé avant de les récupérer, profitant de l’obscurité pour garder sa mutation discrète.

-  Bon bon bon. Tu ne veux pas me dire qui tu es, mais tu peux au moins me dire ce que tu fous chez moi.

Le trafiquant sourit et haussa les épaules. Il se voyait mal lui dire qu’il venait lui voler quelque chose qu’elle avait eu le culot – et le bon réflexe – de voler avant lui. C’était un coup à ce qu’elle sorte un autre pistolet qu’il n’aurait pas le temps de bloquer cette fois. Alors il se contenta d’un mensonge, comme il avait l’habitude d’en dire.

- La vue avait l’air sympa, je voulais voir ce que ça donnait de l’intérieur.

Il connaissait très bien le quartier pour y vivre-lui-même, à quelques rues de cet appartement-ci. Il n’avait pas besoin de s’introduire chez les gens pour savoir à quoi ressemblait le panorama depuis la fenêtre de leur chambre. Il n’avait qu’à se percher sur les toits des immeubles et regarder la ville qui s’étendait tout autour de lui, cette petite cité du Kentucky où il se passait beaucoup plus de choses que les habitants n’en donnaient l’impression. Il n’y avait qu’à voir les batailles perpétuelles entre les hunters et leurs proies, ou l’explosion de l’hôtel de ville quelques semaines auparavant. Pour un coin perdu, Radcliff était un endroit particulièrement dynamique.

- Y a rien à voler ici, tu peux tracer ton chemin.

Seth la regarda en souriant toujours et haussa un sourcil.

- Tu sais que c’est exactement le genre de truc que disent les gens qui ont des choses à voler, hein ?

C’était une technique un peu maladroite pour dissuader un éventuel agresseur ou cambrioleur de mettre la main sur les quelques objets un peu précieux que l’on pouvait posséder, même si certains n’avaient que de la valeur émotionnelle. Il doutait que ce soit le cas de la jeune femme cependant : dans la pénombre de la pièce, il n’avait réussi qu’à repérer ce qu’il était venu reprendre, et rien de plus. Peut-être cachait-elle des choses un peu chères quelque part, comme des armes ou de l’argent liquide, mais pour une fois, ce n’était pas ça qui l’intéressait.
Lorsqu’elle recula un peu, il entama un geste pour se retourner mais n’eut jamais le temps de terminer sa manœuvre : le pied de la demoiselle vint s’écraser à l’arrière de sa jambe tandis que la sienne venait le bloquer. Déséquilibré, Seth ne trouva rien à quoi se retenir et n’arriva pas à attraper la très rapide et souple inconnue. Il s’attendait à se retrouver immobilisé par un bras qui serait venu enserrer son cou, mais finalement, il se retrouva à terre en même temps que la jeune femme qu’il entendit grogner de douleur avant qu’elle ne touche le sol. Le trafiquant s’étala de tout son long et gronda à son tour. Quant à elle, elle se mit à ricaner doucement.

- Putain de merde.
- J’te l’fais pas dire, connasse.

Il avait très envie de lui refaire le portrait, mais il n’était pas du genre à achever quelqu’un à terre sauf si la situation l’exigeait. Et il doutait que lui éclater la tête contre le parquet lui soit d’une très grande utilité.
Le Calédonien se releva, remettant sa veste en cuir en place.

-  Joli crête. Je l’ai déjà vue se balader en ville.

Le tatoué haussa un sourcil et regarda la silhouette au sol, se demandant dans quelle partie de la ville elle avait pu l’apercevoir. Lui aussi avait une vague impression de déjà-vu, mais il avait été incapable de comprendre d’où elle pouvait bien venir.
Alors, sans plus attendre, il tendit la main vers le mur et appuya sur l’interrupteur.
Il plissa les yeux lorsque la lumière s’alluma, la transition avec l’obscurité étant relativement violente, et il détailla rapidement la jeune femme au sol. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaître celle qui l’avait aidé à s’occuper d’un Bob délirant au milieu du chaos de la fête des fondateurs lorsque la bombe de l’hôtel de ville avait explosée. Elle n’était plus dans sa queue-de-pie, mais il ne pouvait pas se tromper sur la personne, malgré la couleur de ses cheveux qui avait changé depuis leur dernière entrevue. Ce détail lui fit à nouveau hausser un sourcil et lui arracha un sourire en coin.

- Sympa la couleur. T’as fait le bas aussi pour être assortie ?

Il profitait du fait qu’elle soit à terre pour gentiment se venger de l’avoir fait tomber. Cela dit, il se souvenait d’elle comme étant quelqu’un de relativement nerveux et sur ses gardes – en tout cas, c’était comme ça qu’il l’avait vue un mois plus tôt, alors finalement, il n’y avait rien de très surprenant à ce qu’elle l’agresse comme ça.
Le Calédonien la laissa se débattre toute seule pour se relever, plus parce qu’il ne savait pas quelle type de blessure l’avait fait basculer que par réelle envie de la voir se démener dans son coin.

- Tu galères un peu, nan ? Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

Plus que par politesse, il posait surtout la question par curiosité. Vu l’agilité de l’inconnue et la rapidité avec laquelle elle l’avait mis à terre, il fallait vraiment que quelque chose cloche pour qu’elle s’écroule comme ça et lutte autant pour se relever. En attendant qu’elle y arrive, il jeta un coup d’œil à la pièce maintenant qu’il y avait assez de lumière pour y voir parfaitement.

- C’est marrant, avec ta queue-de-pie, je t’imaginais un peu plus du genre, je sais pas, cambrioleuse chic.

Il finit par poser les yeux sur la statuette qu’il avait aperçue en rentrant et qui était la raison de son intrusion spontanée dans l’appartement. Il s’approcha de l’étagère où elle se trouvait et la prit entre ses doigts, la faisant tourner doucement pour vérifier qu’elle n’était pas abîmée.

- C’est sympa, ça. Tu l’as trouvée où ?

Il fit mine de ne pas connaître la véritable valeur de l’objet. Il voulait savoir si la blondinette l’avait volé au hasard ou si elle avait choisi sa cible à dessein. Quoi qu’il en soit, il était curieux de savoir comment elle avait réussi à se faufiler dans une maison si protégée et à en ressortir sans encombres.