Recroquevillée au bout de son canapé, à moitié cachée derrière un oreiller, Gene regardait tant bien que mal un film que, décidément, elle n’aurait pas dû visionner aussi tard. Elle n’avait pas cours le lendemain et c’était une bonne chose : avec son idée assez stupide de voir ce film d’horreur qui avait pourtant l’air intéressant alors que minuit était passé, elle ne dormirait sûrement pas avant les premières lueurs de l’aube. Et même la grande créature étalée contre elle ne suffisait pas à la rassurer. Pourtant, la jeune femme passait nerveusement une main dans la fourrure noire de la panthère étrange qu’elle avait matérialisée lorsqu’elle avait senti les premiers frissons d’angoisse dégringoler le long de son dos. Impressionnable, ça, elle l’était, et plutôt deux fois qu’une. Dès que son imagination pouvait se mettre en marche, elle le faisait, et il était très difficile pour elle d’endiguer la mer d’idées qui déferlaient sur elle à la seconde. Et si ces fantômes existaient réellement ? S’il y avait vraiment une force surnaturelle à l’œuvre capable d’ébranler même les esprits les plus rationnels ? C’est que les témoignages concernant des évènements paranormaux ne manquaient pas, loin de là, et de penser que ces esprits frappeurs terrifiants pouvaient visiter n’importe qui à n’importe quel moment filait des sueurs froides à la jeune mutante. Cette peur que beaucoup jugeaient irrationnelle, elle la trainait depuis qu’elle était toute petite – depuis qu’elle avait commencé à lire et à s’intéresser à des sujets qui sortaient un peu des sentiers battus. Curieuse, elle s’était goinfré tous les petits manuels de mythologies et de folklores aussi divers que variés, tout ça pour, au final, se donner encore plus peur du noir. Fallait-il qu’elle se fasse violence parfois pour ne pas dormir la lumière allumée ; la faute à un caractère trop impressionnable et naïf, sans aucun doute, mais le monde lui semblait plus extraordinaire vu de cette façon. Elle ne savait pas réagir à moitié de toute façon, et s’il lui arrivait parfois – à sa plus grande honte – d’être surprise par sa propre ombre, elle ne manquait pas non plus de s’extasier devant toutes les petites choses qui pouvaient détonner dans ce monde étrange et dangereux dans lequel elle vivait.
Mais pour l’heure, Gene ne s’occupait pas de réfléchir à l’origine de ces émotions qui, probablement, avaient quelque chose à voir avec les illusions qu’elle pouvait invoquer en une pensée à peine. Elle était bien plus préoccupée par les images terrifiantes qui défilaient sur l’écran de son ordinateur et sur la silhouette famélique d’elle ne savait quel esprit frappeur venu tourmenter les protagonistes de son film. Captivée bien malgré elle, comme un animal face aux phares d’une voiture, elle se pencha légèrement, serrant son coussin contre elle, s’attendant au pire …
… Et son téléphone se mit brutalement à sonner, annonçant qu’elle venait de recevoir un message. La jeune femme sursauta, la panthère sursauta, et tout un tas de petits points multicolores apparurent durant la brève seconde où une peur panique envahit la mutante. Attrapant son portable d’une main tremblante, elle se calma en réalisant qu’il ne s’agissait que d’un message de son meilleur ami – et grand’ frère de substitution, mais en tout cas, ce n’était pas un fantôme ni un tueur en série qui venait la prévenir de sa mort imminente et douloureuse.

« Toujours debout ? J’ai du thé glacé et une nouvelle série qui devrait te plaire »

Gene sourit un peu et lâcha la fourrure de l’illusion allongée contre elle pour pouvoir répondre plus rapidement. D’ordinaire, elle lui aurait probablement dit qu’elle ne tarderait pas à aller se coucher, mais ce soir, elle ne dirait certainement pas non à sa compagnie.

« Toujours debout, tu sais où j’habite »

Coupant son film pour mettre quelque chose de plus léger à la place, elle se leva finalement de son canapé et ralluma la lumière. Elle débarrassa ses cours, les rangea dans son sac et alla le déposer dans sa chambre, puis referma son carnet de croquis et mit son matériel de dessin là où il ne gênerait pas. Son appartement n’était pas très grand, aussi faisait-elle attention à le garder rangé. Pas de papier qui traîne, pas de vêtement mal rangé, pas de nourriture oubliée sur le comptoir de la cuisine ; si elle n’était pas non plus une fée du logis, tout avait une place, d’autant plus lorsque quelqu’un venait lui rendre visite.
Et puis, si elle pouvait effacer les preuves qu’elle venait de passer deux heures roulée en boule à se faire peur toute seule comme une grande, autant le faire aussi bien que possible.

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