i. êtes-vous originaire de radcliff ?

“born and raised” comme on dit. je n’ai pas l’intention de vous mentir en vous sortant la vieille rengaine sur à quel point j’ai toujours haï ce bled pourri et que j’ai bien hâte de me tirer. la vérité c’est que j’aime bien radcliff, c’est comme une vieille pantoufle pour moi, qui gardera toujours une belle place dans mon coeur. mais que voulez-vous? une future étoile comme moi doit se lancer dans le ciel, et ce, sans pantoufles. je sais bien qu’un jour je devrai suivre mon destin, probablement incroyablement prometteur, ailleurs mais pas question de renier cet endroit, je suis trop intègre pour ça. oui j’ai dit intègre, ça vous fait rire? Eh puis de toute façon, il viendra un temps où les affaires n'iront plus aussi bien, il y a quand même une limite aux personnes âgées crédules et aux touristes perdus dans cette ville.


ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?

pas personnellement, je suis bien trop malin, voyez? enfin, c’est peut-être parce qu’il n’y a pas grand monde qui me prête attention pour l’instant. j’espère ne pas avoir à m’y frotter avant d’être richissime et célèbre. ils n’oseraient pas descendre une star… n’est-ce pas?  ouais bon, en tout cas, j’espère ne pas avoir affaire à eux avant de pouvoir engager des balourds pour me protéger. si j’en croise avant ça, ils n’auront jamais quelqu’un courir aussi vite pour sauver ses fesses.  


iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?

pfff, tout le temps, je peux pas m’en passer, c’est comme une drogue. ça me met dans des ennuis pas possibles, mais ça me tire de beaucoup de fâcheuses en même temps. ça ne me complexe pas, c’est une partie de moi au même titre que la couleur de mes cheveux ou le poil sur mon gros orteil, ça plaît pas à tout le monde mais tant pis pour eux. ce pouvoir va m’emmener à de hauteurs que j’aurais jamais imaginées, ça vaut bien la peine de se casser quelques os et de réduire son espérance de vie de quelques semaines. après tout, c’est pas pire que fumer en fait.


iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisante ?

franchement, je ne m’intéresse pas vraiment à ce qui se passe par-là. moi et la politique. tant que ça ne me concerne pas, ça ne m’intéresse pas, et même encore. ouais bon, c’est jamais bien de tuer des gens, encore moins parce qu’ils sont différents. mais suffit d’être un minimum futé et on a pas d’ennuis (enfin, pas de trop gros). je me tiens loin de ce genre de trucs, j’ai assez d’affaires à régler de mon côté pour m'inquiéter de telle ou telle loi et tout ce blabla.

Le sang pompait dans ses oreilles comme si son coeur avait la grandeur d’une cloche d’église. Il entendit en sourdine derrière lui les cris et le menaces de la petite bande qui le poursuivait, rien de très édifiant. C’était Buzz et sa bande qui venaient de se rendre compte que non seulement les “cigarettes spéciales du Mexique” que Dalton venaient de leur vendre n’étaient que du gazon enroulé dans du papier, et sans aucun lien avec le Mexique, mais aussi que de le payer d’avance avait été une très mauvaise idée. La chasse à l’homme avait commencé à la sortie de l’école, dans un couloir et continuait depuis de longues minutes. Ses assaillants, plus vieux, plus grands et plus forts pensaient avoir une proie facile, mais étaient tous restés un peu coi en voyant le jeune Walker (qui ne portait pas bien son nom ce jour-là) détaler comme s’il avait des fusées aux baskets. Ce don, il l’avait découvert tout jeune, il connaissait très bien la sensation de ce soudain regain d’énergie, le sentiment de puissance de voir tout autour de soi ralentir, la lucidité incroyable de ces moments. Il avait bien vite appris à le contrôler, comme il était toujours en train de courir, de grimper, d’être là où ne devait pas. Bref, si ce gros lourdaud de Buzz voulait l’attraper, il avait intérêt à s’entraîner. C’était ce que Dalton se disait avant de tomber nez à nez avec une clôture en plein milieu d’une ruelle. Le grillage était bien trop haut pour penser passer par-dessus, enfin, pour un humain normal. Le garçon mit plein gaz, il sentit ses muscles se contracter, ses entrailles se nouer, il bondit sur le clôture s’y accrochant avant d’entamer son ascension à une vitesse impressionnante. Une fois rendu en haut, il prit même une pause pour saluer Buzz et ses sous-fifres d’un beau doigt d’honneur, grave erreur, car un énorme étourdissement le prit à ce moment-là. Il avait abusé, et ça c’était une mauvaise nouvelle. Il tenta de se hisser de l’autre côté mais il était trop tard, ses membres étaient réduits à l’état de nouilles molles. Il lâcha et tomba… du mauvais côté.


Lorsqu’il ouvrit les yeux, il remarqua le ciel qui a changé de couleur, puis, la douleur cuisante émanant de son crâne, de son ventre… De son à peu près tout en fait.  Et cette fois, c’était beaucoup plus que les effets secondaires de l’utilisation abusive de ses rush d’adrénaline. Un visage familier fit alors apparition dans son champs de vision.
“C’est la troisième fois ce mois-ci, Dalton”.

Cette personne, comptant les fois où elle l’a trouvé évanoui dans une ruelle alors qu’une bande d’adolescent donne des coups de pied dans son corps sans défense, c’était Ridley. Il tenta de lui sourire et se rendit compte que c’était peut-être trop demander à sa lèvre fendue.
“T’aurais du voir ça, je les ai presque eus.”

“Je vois ça”, répondit son amie d’enfance avec une pointe de sarcasme.

Puis ils reprirent leurs vieilles habitudes, elle le hissa sur son épaule et ils allèrent, claudiquant, jusqu’à la clinique la plus proche. De retour chez les Walker, ce fut bien parce que son amie témoigna pour lui que ses parents gobèrent l’histoire un peu pré-mâchée que leur servit leur fils.

“J’te jure, j’essayais d’aller chercher un frisbee sur le toit de l’école et j’suis tombé, M’man.”

Il commençait sérieusement à manquer d’excuse pour expliquer ses diverses entorses, fractures, contusions, mais ses parents ne pouvaient pas y faire grand-chose. Ils se consolaient en se disant que leur presque-fille était un enfant modèle, un bel exemple de responsabilité et de altruisme. Dalton était bien au courant qu’il serait déjà probablement paralysé à vie ou mort sans l’aide de celle-ci. Les parents de Ridley travaillaient beaucoup trop, alors celle-ci finissait toujours par aboutir chez des amis de ceux-ci, en l'occurrence, les parents de notre protagoniste. Il passaient depuis leur soirées ensemble à chercher des images de mnaoir sur Google images.

“Celle-là”, pointait Dalton en attendant l’approbation de Ridley assise derrière lui. “Quand je serai riche, j’achète cette maison, et on ira vivre là, toi et moi.”

Son plan ne changeait pas, peut-être que  son choix s’arrêtait de temps en temps sur des demeures luxueuses différentes, mais l’objectif restait le même. D’un père contremaître en assainissement de l’eau et d’une mère au foyer, Dalton ne pouvait pas se plaindre de la pauvreté, ils habitaient une maison tout à fait respectable de Radcliff que le couple avait achetée à leur mariage, rien d’extraordinaire mais tout à fait confortable. Cependant, leur garçon avait toujours cette lubie d’être destiné à quelque chose de plus grand. On ne pouvait pas dire qu’il n’était pas futé. Pour chaque tricherie ou coup fumant qui méritait un appel du directeur chez ses parents, il en avait fait 2 ou 3 autres sans se faire prendre. Ridley lui disait parfois: “Je pense que de temps en temps, tu t’ennuies, t’as envie de courir. Alors, tu fais exprès de te faire prendre pour pouvoir t’amuser un peu.”
Elle n’avait probablement pas tort.


Lorsque le temps de la petite école fut terminée, Dalton décida de passer au niveau supérieur, il passait beaucoup plus de temps à échafauder des plans astucieux que d’étudier, la tricherie l’avait bien aidé jusque là. Il se découvrit un talent de charmeur émérite, il se faisait un plaisir d’afficher son plus beau sourire pour qu’une fille le laisse recopier ses notes. Ses parents souhaitaient qu’il fasse l’université, mais il savait trop bien qu’il n’y avait rien pour lui là-bas. Rester assis dans une classe pleine à craquer à lire des diapositives projetées? Très peu pour lui. Les vraies affaires commencèrent lorsqu’il économisa assez pour se louer un petit appartement (il aimait dire que cet argent provenait simplement de ses magouilles, mais en fait, il venait plus d’heure humiliantes passées au fast-food du coin et de quelques cadeaux de sa grand-mère). Il avait pensé à se lancer dans le monde de la drogue, mais prit peur à l’idée de se faire tirer au gros calibre dans les genoux. Non, il était plus noble et futé que ça, il allait faire les choses à sa façon. Il comprit rapidement que son meilleur “public” serait les personnes âgées isolées. Il n’avait aucun remord à les arnaquer, se disant que leurs proches ne méritaient pas cet héritage, de toute façon, à voir la façon dont ils traitaient leurs vénérables ancêtres. Il essaya même une tentative de faire de lui un gigolo avec une certaine Ruth Sinclair, 84 ans, de 66 ans son aînée, qui mourrut hélas quelques mois plus tard. Trop tôt, mais pas assez pour empêcher la vieille dame de l’ajouter dans son testament. Comme la famille ne voulut jamais d’un tel arrangement et embarquèrent dans une traversée du désert avec le notaire pour faire radier cette dernière modification, Dalton ne reçut rien de cette entreprise (à part des très bons muffins aux carottes et les conseils d’une femme d’expérience).

Il sillonna les endroit plus cachés de la ville, s’occupant de paris avec lesquels ils prenaient la fuite, ou à encourager les gens beaucoup trop en état d’ébriété d’investir dans une entreprise bidon qu’il créait sur le coups. Comme d’habitude, cela lui créa beaucoup d’ennemis, mais aussi, une réputation. On commença alors à faire appel à lui pour effectuer des livraisons peu orthodoxes, connaissant son talent pour éviter de mourir jusque-là. Les choses allaient pour le mieux, il avait même réussi à amasser une coquette petite somme, jusqu’à ce qu’il pousse sa chance trop loin une fois de plus. Il était au volant d’une camionnette, ses réflexes décuplés lui permettant de se faufiler à contresens dans le trafic, alors qu’il était poursuivi par il ne savait plus trop lequel de ses ennemis. Il ne s’attendait certainement pas à s’évanouir sur le volant et de faire un face à face avec un lampadaire. Une fois de plus à l’hôpital, les nouvelles n’étaient guère réjouissante, en plus des habituels bleus et commotion cérébrale légère, on l’informa que les tendons de ses genoux étaient usés à un point critique et qu’il fallait l’opérer. Tout ce qu’il avait bâti durant les dernières années s’envola dans une procédure chirurgicale pour laquelle il n’avait pas l’assurance. Après une telle déconfiture, tout autre aurait probablement renoncé aux magouilles et aux aventures, mais pas Dalton. L’action était quelque chose dont il ne pouvait se passer désormais, c’était ce qui le rendait heureux, et pour rien au monde, il n’aurait renoncé à trouver des excuses pour utiliser son don. Sans trop se soucier du monde qui changeait autour de lui, des rumeurs d’extermination, de dépistage, il continuait à faire ses affaires de son côté, sans penser le moins du monde que la réalité le rattraperait un jour.