i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
  La réponse est contenue dans la question : ce sont des terroristes. Et en tant que tels, ils sont nuisibles, devraient être arrêtés, jugés et mis hors d’état de nuire. Maiken a été atterrée d’apprendre l’apparition de ce groupe, à travers les journaux et les informations télévisées, la liste de leurs crimes s’allonge jour après jour et il semblerait que personne n’est capable de faire quoi que ce soit pour les arrêter. Comme tous les terroristes et les fanatiques religieux avant eux, ils sont terrifiants par les certitudes absurdes qu’ils brandissent comme des étendards, et qu’aucun argument ne pourra ébranler. Ils sont convaincus de faire le bien en répandant la mort, et ils doivent être arrêtés avant de rallier trop de faibles esprits à leur cause.

ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
Tout comme l’apparition des hunters, l’apparition des transmutants a quelque chose d’effrayant pour Maiken. Comme beaucoup de gens, elle a découvert leur existence de façon brutale, passant d’une ignorance parfaite à cette réalisation soudaine que les transmutants sont partout. Leurs capacités sont énormes, et sans doute impossibles à réaliser pleinement, même pour eux. Certains sont sans aucun doute des menaces, comme tous les hommes, ils n’ont besoin que de se savoir en possession d’une arme pour avoir envie de tirer, et si l’arme est en eux, qui les en empêchera ? Mais Maiken veut croire que ceux-là ne sont qu’une minorité. Le reste sont des gens normaux qui veulent juste vivre leur vie sans encombres. Comment considérer qu’ils puissent tous être des monstres à abattre, quand sa propre fille, une enfant innocente qui commence à peine à savoir nouer ses lacets toute seule, fait partie de cette catégorie ?

iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
Elle en a sans doute fréquenté plus qu’elle ne le pense, vu qu’ils sont partout et que la plupart ont assez de jugeote pour ne pas crier sur tous les toits qu’ils sont transmutants. Mais ses relations ne se sont jamais centrées là-dessus, alors Maiken serait bien incapable de compter le nombre de mutants qu’elle a réellement fréquenté. Ce qui est certain, c’est qu’elle en a rencontré pas mal lors de la campagne de dépistage, bien qu’elle n’ait pas effectué les prélèvements elle-même, il lui est arrivé de discuter avec certains dans les couloirs du laboratoire. Et bien entendu, il y a sa fille, qui est une mutante avérée, et qu’elle aime par-dessus tout.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
Son opinion est mitigée. Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’avait pas voté pour lui. Elle sait que c’est un homme aux idées frôlant les extrêmes, et elle ne serait pas étonnée qu’il fréquente assidûment les hunters de Radcliff, mais elle espère de tout cœur qu’il sera assez intelligent pour ne pas détruire les efforts du gouvernement pour bâtir une paix avec les mutants. Il semble être un homme de confiance, on ne peut pas le nier, et il fera sans doute de très bonnes choses pour la ville, mais elle craint grandement ses décisions vis-à-vis des mutants.

Mami.
« Maiken, Maiken ! Regarde ! Papi a ramené des poissons ! » Papi ramenait toujours des poissons, mais ce qui fascinait le plus Maiken, c’était de regarder Mami qui les vidait d’un geste assuré, en tirant son couteau tout le long du poisson, puis en glissant son index à l’intérieur. Les organes gluants en ressortaient d’un seul paquet, et Maiken battait des mains, toute contente. Ils allaient ensuite fumer les poissons, tous ensemble, dans le grand fumoir au fond du jardin, et ils les dégustaient quelques jours plus tard, autour de la vieille table en bois qui trônait dans la cuisine. Mami en profitait souvent pour raconter des histoires, et Maiken l’écoutait avec des yeux aussi ronds que des billes, son imagination voguant avec les princes et les princesses des histoires fantastiques de sa grand-mère. Quelquefois, les histoires n’étaient pas si fantastiques que ça, elles parlaient alors de la guerre, des soldats qui étaient venus, de la faim et de la peur, mais tout finissait toujours très bien dans les histoires de Mami, et Maiken ne craignait jamais d’en découvrir la fin. Après le repas, Maiken allait se blottir sous ses draps, dans la chambre tout au fond du couloir. Elle adorait sa chambre, parce qu’elle était située tout à côté de la grange et qu’elle pouvait entendre les chevaux qui renâclaient, la nuit. Elle dormait beaucoup mieux ici, dans cette grande bâtisse paysanne emplie de bruits étranges, que dans sa véritable maison, là où ses parents la ramenaient de temps en temps. Mais Maiken préférait croire qu’elle vivait ici, à la ferme de ses grands-parents avec ses frères et sœurs. Elle connaissait chaque pièce par cœur, ici, et elle pouvait aider dans toutes les taches ménagères sans avoir besoin de chercher quoi que ce soit. Dans la maison de ses parents, elle devenait une empotée, qui ne devait pas trop bouger, pas trop crier, et surtout, ne rien toucher. Mais ses parents avaient peu de temps à lui accorder, quand ils n’étaient pas dans leur bureau à Copenhague ils filaient entre les différentes usines de la filiale qui les employait, entre Tokyo, Londres et New York. Maiken était leur petite étrangère qu’ils embrassaient le dimanche et qu’ils couvraient de cadeau, mais plus les années passaient, et moins elle attendait leur retour avec impatience. C’était des histoires de Mami et de la rudesse de Papi dont elle avait besoin, pas de cadeaux de haute technologie offerts dans des papiers glacés, emballés par des hôtesses dans des aéroports qu’elle ne pouvait même pas situer sur des cartes.

Lykke.
« Maiken, on se fait un ciné avec Anders, tu viens avec nous ? » « Mmmh non, je vais voir Peter ce soir. » Lykke eut l’air déçue, et Maiken lui fit un sourire moqueur. Lykke et Maiken étaient inséparables, mais Lykke avait cette affreuse manie de vouloir pousser Maiken dans les bras de son petit frère Anders, ce qui agaçait beaucoup Maiken. Cette dernière n’avait pas de temps à consacrer à un garçon effacé qui parvenait à peine à lui adresser deux mots sans rougir jusqu’à la racine des cheveux. Elle voulait des garçons qui la fassent rêver, des hommes qui aient de l’expérience. Elle voulait Peter, Frederik ou Herman, mais elle ne voulait pas d’Anders. Alors, elle eut Peter, Frederik et Herman. Et Ingvar et Jonas. Et Mads, quand elle parvint enfin à attirer son attention. Elle passa d’un homme à l’autre, elle papillonna pendant trois ans en goûtant les plaisirs d’une vie facile. Elle était de retour chez ses parents, elle avait quitté la ferme de Mami et Papi quand elle avait du entrer au lycée. Finie la belle vie dans les champs, les poissons qu’on faisait fumer au fond du jardin et les belles histoires pour s’endormir. Ici, il n’y avait pas le bruit des chevaux dans la grange, mais le vacarme incessant des voitures sous sa fenêtre, pourtant au septième étage d’un luxueux immeuble du centre ville. Elle avait du mal à trouver le sommeil, elle se sentait perdue dans une ville qui n’était pas la sienne, mais elle comprenait le langage des hommes, et elle en profitait tant qu’elle le pouvait encore. Ses parents ne voyaient rien, ses professeurs ne disaient rien, et ses amis n’avaient pas assez de recul pour se rendre compte qu’elle aurait sans doute du prendre un autre chemin. Mais après trois ans de ce doux traitement, Maiken appris que Mami était décédée. Papi vendait la ferme pour prendre une petite chambre dans une maison de retraite. Il n’y avait plus que la ville devant Maiken, cette ville pleine d’étrangers qu’elle n’avait jamais compris, et cette angoisse terrifiante d’avoir perdu le refuge sur lequel elle avait compté toute sa vue. « Il faut qu’on s’en aille, Lykke. » Alors elles étaient parties. Très loin, le plus loin possible : aux Etats-Unis. Lykke avait été acceptée dans une université prestigieuse, et Maiken s’était contentée d’un établissement moins renommé – mais elle ne pouvait prétendre à beaucoup plus, vu les efforts qu’elle avait fournis lors de sa scolarité au Danemark. Mais c’était une nouvelle vie, un nouveau départ. Maiken avait envie de reprendre les choses à zéro, et cette fois, elle laissa de côté les hommes et les distractions faciles, pour se concentrer sur ses études de Biologie.

Anders.
« Tu es la plus magnifique créature que je connaisse, Maiken. » Il avait des mots d’amour sur les lèvres, chacune de ses caresses la transperçait de plaisir, elle découvrait enfin l’homme qu’elle avait attendu toute sa vie. Il n’était plus l’adolescent boutonneux et maladroit qu’elle avait repoussé des années plus tôt, il était grand, assuré, intelligent et drôle. Il était venu jusqu’aux Etats-Unis pour la rejoindre, elle était tombée sous le charme de ce sacrifice envers leur pays natal. Il n’avait pas cillé quand elle lui avait dit qu’elle ne retournerait jamais au Danemark, il avait souri quand elle avait décidé de poursuivre ses études au lieu d’accepter le job en or que Lykke et lui-même lui offraient dans leur immense laboratoire familial. Elle voulait rester indépendante, elle voulait mériter le poste qu’on lui offrait, et il comprenait tout à fait son ambition. Il avait attendu qu’elle obtienne son diplôme et ils étaient partis ensemble, parcourir la côte Ouest en Harley Davidson pendant six mois en profitant de leur jeunesse et de leur liberté, avant de retourner au Kentucky pour s’installer ensemble définitivement. Elle avait accepté le job en or qu’ils lui avaient offert, mais cette fois elle savait qu’elle avait le diplôme et les compétences pour relever le défi la tête haute. Et ils avaient vécu des années parfaites ensemble, elle était plus heureuse qu’elle ne l’avait jamais été depuis qu’elle avait quitté la ferme de ses grands-parents. Et puis, elle avait eu Sigrid. Leur petit bout de fille avait vu le jour un soir d’automne, pour devenir leur princesse, la plus importante personne de leur petit monde. Maiken chérissait plus que tout les moments où ils étaient tous les trois, qu’elle regardait Anders attraper les petites mains potelées de Sigrid en lui chantant des comptines, assis sur le tapis du salon, au milieu de tous les doudous et jouets que la petite semait un peu partout. « C’est un monstre. » Il avait fallu que Sigrid développe ces dons étranges. Il avait fallu qu’elle tombe, qu’elle s’écorche les genoux et qu’elle se mette à pleurer, avant que ses pleurs ne se tarissent brusquement et qu’Anders et Maiken ne s’en inquiètent. Mais si elle ne pleurait plus, c’est qu’elle n’avait plus mal : les écorchures avaient disparu, quelques minutes à peine après qu’elle se soit blessée. Maiken s’était affolée, cherchant à comprendre, mais Anders était allé directement chercher sur internet une explication, comme il le faisait souvent quand il se trouvait devant un problème insoluble. « Une dégénérée. C’est comme ça qu’ils s’appellent, Mai. Des putains de monstres. » Un seul petit mot, et tout s’était soudain effondré. La vie paisible et heureuse qu’ils avaient se délita en quelques mois, sous les regards glacés d’Anders qui refusait la mutation de sa fille.

Sigrid.
« C’est ma fille. Vous ne toucherez pas à ma fille ! » Maiken avait répété ça au juge, lors du divorce, mais elle n’avait pas eu beaucoup d’efforts à faire pour obtenir la garde complète de sa fille : Anders ne pouvait plus supporter le petit monstre qu’il avait engendré, et il était plus qu’heureux de s’en débarrasser. Maiken avait ensuite répété cette phrase à ses ex-beaux-parents, pour leur passer toute envie de lui dicter sa conduite, ou pour qu’ils restent à distance de leur petite-fille. Ils ne savaient pas la raison du divorce, bien peu de gens la connaissaient, et Maiken était bien décidée à laisser le maximum de gens en-dehors de tout ça. Elle voulait gérer sa vie et celle de sa fille seule, elle ne voulait plus l’aide de personne. La déception de voir Anders passer de prince charmant à la pire des ordures l’avait vaccinée contre la race humaine. Et puis … Elle avait répété ça aux hunters. Elle ignorait leur existence avant de les voir apparaître dans les médias, et elle n’aurait jamais pu croire, même une seule seconde, qu’ils se tourneraient vers elle. Intéressés par sa fille, sa petite Sigrid qui réussissait à soigner des plaies en les touchant du doigt sans même y penser, mais qui était également bien incapable de faire le moindre miracle quand on le lui demandait. Ils voulaient l’étudier, disaient-ils. Ils allaient la dépecer, avait-elle compris. Elle se démena, elle pesta, elle menaça, mais elle était seule et ils étaient une armée. Oh, elle ne voyait jamais qu’une seule personne parmi les hunters, une jolie demoiselle qui devait avoir son âge et à qui Maiken aurait donné le bon dieu sans confession si elle l’avait croisée dans la rue, mais ses menaces étaient les plus efficaces qui soient. Maiken n’y avait pas cru la première fois, mais elle avait du se rendre rapidement à l’évidence : les hunters n’étaient pas qu’un mot creux qu’on pouvait lancer pour lui faire peur. Elle n’avait qu’à allumer la télé pour savoir que ces terroristes qui faisaient planer une menace sur sa tête et celle de sa fille étaient bien concrets, et que la menace deviendrait réalité si elle n’obtempérait pas. Alors, elle obtempéra … Elle avait obtenu depuis quelques mois la direction du laboratoire où elle travaillait, et ce laboratoire était un centre de rassemblement de données sur les mutants, obtenus par le gouvernement lors des dépistages. Maiken n’avait qu’à taper un mot de passe sur son ordinateur pour voir défiler des dizaines de noms, des centaines de résultats positifs. Et d’un clic, elle pouvait les imprimer et les transmettre à qui de droit. Pour protéger sa fille, elle devint la traîtresse de l’ombre, celle que personne ne soupçonnait mais qui livrait des noms d’inconnus aux hunters. Des inconnus qui verraient bientôt débarquer chez eux des hommes armés, qui leur mettraient un canon de revolver contre la tempe, avant de leur faire exploser la cervelle … Et c’était elle, Maiken Holst, qui en serait la responsable. Mais Sigrid était sauve. C’était la seule pensée qui lui permettait de retourner à son travail, jour après jour.