Ce jour là, Annaliese était sortie flâner en ville. Cela faisait longtemps qu'elle ne s'était pas fait plaisir et les derniers jours, relativement intenses en émotions, l'avaient laissée fatiguée. Il était temps de faire attention à elle. Elle était passée d'abord dans une petite boutique de vêtements qu'elle affectionnait beaucoup. l'ambiance y était très douce et elle aurait pu rester des heures à flâner entre les décors baroques en contreplaqué, à admirer, toucher et sentir les tissus. Après un long moment d'hésitation, elle avait fini par ressortir avec une jolie combinaison en coton bleu ciel, agrémentée de fines rayures blanches. Le haut, à bretelles, était cintré et épousait la forme menue de son buste alors que les jambes étaient très larges, ce qui la grandissait davantage.
Plus que satisfaite de son acquisition, elle s'était ensuite dirigée dans un autre magasin, qui vendait des fournitures pour artistes. Elle était plus qu'une habituée des lieux et le vieil homme qui tenait la caisse lui faisait presque toujours une ristourne en la gratifiant d'un sourire bienveillant. Il allait lui manquer, quand il prendrait sa retraite.
Avec un plaisir certain, elle choisit de nouveaux carnets de croquis. Elle avait toujours du mal à se décider, entre l'épaisseur graineuse du papier d'aquarelle, la rusticité sensible du kraft ou la finesse veloutée du papier à calligraphie. Finalement, elle repartit avec un de chaque, en format de poche. Elle aimait pouvoir dessiner partout, et un format A3 n'était pas l'idéal à glisser dans un sac à main.
La jeune femme termina son petit circuit par un saut dans une librairie assez intime, dans laquelle elle se fournissait parfois. Entre les rayonnages, dans l'ambiance feutrée, elle écoutait distraitement la musique en baladant son doigt sur les tranches des ouvrages. Tant de choses l'intéressaient, des essais, aux thèses scientifiques, en passant par le simple roman d'aventure. Elle aimait tout.
Son regard s'arrêta finalement sur une ré-édition du livre de Stephen Hawking, Une Brève Histoire du Temps. Elle l'avait lu il y avait bien longtemps mais l'ouvrage appartenait à la bibliothèque de son université.
Ses achats sur un bras, le livre sous l'autre, elle se dirigea vers la caisse. La file était plutôt importante mais elle avait tout son temps. Elle allait s'avancer quand un homme plutôt grand la doubla. Un peu gênée, plutôt discrète, elle n'osa rien dire. Mais il se rendit compte de lui-même et s'excusa. Rougissant de gêne, la jeune suédoise inclina la tête en balbutiant un "
merci" avant de reprendre sa place.
Il semblait aussi gêné qu'elle et lui accorda quelques mots pour dissiper ce malaise. La jeune laborantine lui sourit gentiment et hocha la tête en regardant la queue qui avançait doucement.
-
Oui, vous avez raison. Mais cela me rend plutôt heureuse. Il me semble que c'est encore la seule librairie du centre qui ne soit pas dirigée par un grand groupe.Elle avisa la couverture du livre que son interlocuteur avait choisi. Un instant, ses yeux brillèrent et elle le reconnut. Une flopée de souvenirs heureux semblèrent l'envahir alors que ses yeux océans scrutaient le banc de la couverture. D'un air enthousiaste, elle reprit la parole.
-
Oh je connais ce livre ! Il me semble qu'il est assez ancien... L'auteur a vécu au siècle dernier. Ma mère me le lisait souvent le soir pour que je m'endorme, c'était mon histoire préférée.Une ombre, partagée de mélancolie mais aussi d'heureuse nostalgie, passa sur son visage à l'évocation de sa mère. Elle se demanda pourquoi cet homme s'intéressait à la littérature enfantine. Peut-être voulait-il en faire cadeau à un enfant ? Il avait l'air en âge d'avoir une famille... Mais cela ne la regardait pas, elle n'osa pas poser la question.
-
L'histoire est assez simple pour un enfant, mais lorsqu'on le relit, adulte, elle prend tellement plus de profondeur... Je ne le garde jamais loin de ma table de chevet.Tout à son enthousiasme, elle se rendit soudain compte que l'homme en face d'elle n'avait peut-être pas envie de lui parler. Peut-être sa tentative de discussion n'avait été qu'une politesse et qu'elle le mettait mal à l'aise avec ses élucubrations dignes d'une adolescente. Soudain gênée, elle se mordit la lèvre inférieure en regardant la lumière reflétée sur ses chaussures blanches vernies.
-
Excusez-moi, je vous dérange sans doute. Généralement, les gens sont dans une file d'attente pour régler leurs achats et pas pour faire la conversation avec des inconnues. J'ai tendance à oublier ce genre de détails conventionnels.Elle serra son livre contre sa poitrine alors que la file avançait un peu. La femme qui passait à la caisse était entourée de trois joyeux bambins qui accaparaient son attention et ralentissaient le règlement de ses achats par leurs cabrioles et leurs babils incessants.