date of birth
« Ayden... » Un cri déchire la nuit étoilée. Une enfant gigote dans son berceau en riant, une femme pleure son désespoir auprès de son mari. Elle s'effondre sur son épaule et désigne sa propre progéniture du doigt. Ses yeux n'osent même plus se poser sur sa minuscule silhouette.
Ce n'est qu'une enfant, se répète-t-elle.
Mon enfant. Rien à faire, elle ne peut plus la regarder sans se sentir envahie par l'horreur et la panique.
« C... C'est encore arrivé, Den. Elle l'a refait. » Ayden s'approche d'un pas pressé, poussant avec douceur sa femme sur le côté. Il fait quelques pas en direction du berceau et s'arrête net. Ana ne lui avait pas menti. Juste au-dessus de là où sa petite fille est posée, une peluche en forme de loup tourbillonne incessamment à plusieurs centimètres de ses petites mains tendues. Le loup n'a aucune attache, il ne fait pas partie du mobile qui tourne en rond et émet de la musique, personne ne le tient. Ayden arrache rageusement le loup en pleine lévitation et le remet au creux des bras du bébé. Mais l'enfant ne voit pas les choses de cette façon ; elle lève le loup à hauteur de sa tête et d'un geste maladroit, le jette hors du berceau. Avant qu'il n'atteigne le sol, le phénomène se reproduit. La peluche ne s'écrasera jamais sur le parquet, une force invisible le tire vers le haut et le ramène près du plafond.
« Nora, arrête ça immédiatement. » La voix d'Ayden se veut ferme et autoritaire, mais tout ce qui en transparaît, est de l'angoisse. De la peur. Pourtant, il n'a encore rien vu. Dès l'instant où il hausse le ton, ses pieds décollent du parquet ciré. Il se retrouve en position allongée à deux mètres du sol, s'époumonant pour demander à sa femme de faire quelque chose. Paniquée, Ana attrape le biberon resté sur le table à langer et vient l'agiter sous les yeux de sa fille. Dès lors, les événements s'enchaînent. Enora relâche son attention pour se concentrer sur le lait qu'on lui propose, son père cesse de léviter et retombe en chute libre, n'ayant que ses bras pour se protéger de l'impact imminent avec la commode. Son buste s'écrase dessus dans un fracas épouvantable tandis que ses jambes tapent le sol avec la force de son poids.
« AYDEN ! » Tout se précipite ; les gyrophares clignotants d'un camion de pompiers, de nouveaux cris paniqués et huit jours plus tard, deux jours après qu'Ayden soit sorti lourdement du coma dans lequel il était plongé, des mots tranchants.
« J'ai récupéré les papiers pour renoncer à tous nos droits sur Nora. Je veux que tu les signes, Den. Je ne veux plus d'elle. » Ayden est confus et reste interdit un instant. Au fil de la discussion, la peur qu'un événement similaire ne se reproduise, l'emporte sur l'amour qu'un parent éprouve pour son enfant. Sa femme lui tend un stylo, il signe sur les pointillés sans flancher. Enora rejoint alors ces milliers d'autres enfants qu'on qualifie d'abandonnés.
acceptance of a somber life
« Ne t'approche pas d'elle surtout, elle est dangereuse. » Assise sur son lit, les pieds ballants, Nora écoute cette conversation visée à être entendue, une boule dans la gorge. C'est le sixième enfant qui débarque dans sa famille depuis qu'elle y est. Le sixième qui est briefé par le garçon qui a neuf ans, comme elle. Chaque fois, c'est la même chose. Un enfant arrive, on lui souffle qu'Enora est dangereuse et jamais, il ne lui adressera un mot. Cette situation lui pèse, mais au fond, elle préfère être seule et délaissée, plutôt qu'être en permanence heurtée par les autres. Jamais elle n'aurait pensé dire ça en partant, mais son temps à l'orphelinat lui manque. Là-bas, elle n'était qu'une enfant parmi des dizaines d'autres, une bouche de plus à nourrir. Certes, quelques petits incidents se sont produits pendant son enfance. Son don était en particulier difficile à maîtriser lorsqu'elle se mettait en colère. C'est d'ailleurs ce qui lui pose problème, aujourd'hui. Ici, elle n'est qu'un protagoniste serviable et qui permet de récupérer un peu plus d'argent à la fin du mois. Son état de colère est permanent. La veille, elle a pincé les doigts de Luke dans la porte en la faisant claquer à distance pour lui faire comprendre de la laisser tranquille. Luke est l'enfant de son âge, le seul qui prend le risque de l'approcher pour la tourmenter. Il ne semble pas effrayé par son pouvoir, malgré le bandage qui entoure sa main aujourd'hui.
« Couvre-feu, Nora. » Le visage de Nicolas se faufile dans l'encadrement de la porte, orné d'un sourire. Il entre et referme le panneau de bois dans son dos, venant s'installer en tailleur sur le lit de la jeune fille. Elle connaît le rituel sur le bout des doigts. De sa poche, Nicolas sort une boîte à bijoux carrée. Il la pose devant elle, mais elle secoue la tête.
« Je vais finir par me faire prendre, Nick. » « Fais-le, s'il te plaît. » Avoir l'attention d'un garçon de quatorze ans quand on en a neuf et que toute votre famille vous ignore, pourrait déstabiliser n'importe qui. Dans un soupir, elle se met en tailleur face à lui et ferme les yeux un instant. Il attend avec impatience, une émotion étrange lui tordant l'estomac. Il ressent un besoin viscéral d'observer ce phénomène une fois par jour, de l'étudier. Au bout de trois minutes, rien ne s'est encore produit. Enora rouvre les yeux, défaitiste.
« Je te l'ai dit, j'y arrive que quand je suis énervée. » Nicolas soupire, déçu, puis cherche une solution en se rongeant l'ongle du pouce. Il ne voit qu'un seul moyen et il ne recule devant rien pour déclencher cette colère chez elle.
« Tu es seule. » « Q...quoi ? » « Personne ne t'aime, ici. Tes vrais parents n'ont pas voulu de toi. » Nora pose ses mains sur ses oreilles, le supplie d'arrêter. Mais rien n'y fait. Il abaisse les mains de la fillette et continue sur sa lancée. »
« Nos parents t'ont recueillie seulement parce qu'ils avaient besoin d'argent. « TAIS TOI ! » Automatiquement, l'objet se met à léviter à un mètre du matelas. Nicolas lève la tête, fasciné et observe ce phénomène étrange sans rien dire. Le mal est déjà fait et sa technique a fonctionné à la perfection. Tandis que la petit boîte continue de tournoyer au-dessus de leur tête, Nora jette un regard assassin à son frère adoptif, celui qu'elle croyait avoir de son côté coûte que coûte. Il perçoit sa fureur et se rapproche d'elle, passant un bras sur ses épaules sans quitter l'objet des yeux.
« Désolé, Nora, mais tu m'as dit que c'était le seul moyen. Je ne pensais pas ce que j'ai dit. » Au fond d'elle, Nora sait qu'il est en train de lui mentir. Mais il s'agit de son seul ami, de la seule personne qui fait un peu attention à elle depuis qu'elle est arrivée. Alors, le cœur chargé d'amertume, elle acquiesce et clôt silencieusement le sujet.
a stinging betrayal
C'est une main sur son épaule qui la réveille, huit ans plus tard. Alors que ses yeux s'entrouvrent, son corps est pris d'un sursaut et elle a beau tenter de se raccrocher aux parois qu'elle ne trouve pas, elle tombe. Ça lui arrive souvent depuis quelques années. Depuis qu'elle a appris à contrôler son don, en fait. Après des heures passées seule à tenter de gérer ses émotions et de forcer son pouvoir à s'activer même lorsqu'elle se sent calme, elle y est finalement parvenue à l'âge de quinze ans. Plus aucun incident ne s'est produit depuis et son état de colère constant s'en est trouvé amélioré. Avec cette sérénité, est arrivée cette faculté étrange à léviter dans son sommeil. Dès que ses muscles se détendent et qu'elle n'a plus de contrôle sur son corps, celui-ci se soulève à environ un mètre de la surface où elle est posée. Son corps rebondit donc contre le matelas et elle soupire d'exaspération avant de sentir un bras s'enrouler autour de sa taille.
« Demain, je t'achète un cercueil pour t'enfermer la nuit, » murmure Nicolas d'une voix un peu trop éveillée. Ils sont ensemble depuis sept mois, depuis qu'il est revenu à Londres après avoir passé trois ans en Italie. Bizarrement, sa petite blague ne la fait pas rire. Lorsqu'il est parti, elle a pris conscience d'à quel point leur relation avait été malsaine depuis leur enfance. Il avait toujours eu une fascination étrange pour tout ce qui tournait autour de son pouvoir et l'avait souvent manipulée pour s'en servir à son avantage. Elle avait cru être enfin libérée de son emprise quand il avait quitté le pays. Pourtant, dès qu'il était revenu, elle avait à nouveau senti cette force invisible qui la tirait vers lui et elle n'avait rien pu faire. Impuissante face à sa propre volonté, son cerveau lui assurant que c'était une issue inéluctable tandis que ses entrailles lui contaient une autre histoire. Jamais elle ne s'était sentie en sécurité avec lui, mais ça ne l'avait pas empêchée de tomber rapidement dans la spirale infernale des sentiments qu'elle croyait posséder. Fébrile, elle tend un bras dans le vide et intime au verre d'eau posé sur son bureau, de venir au creux de sa main. Deux secondes plus tard, elle porte le verre à ses lèvres et le renvoie de la même façon à sa place. Le lit bouge dans son dos et elle voit Nicolas se lever et se vêtir d'un jean et d'un tee-shirt.
« Habille-toi, Nora. Il faut que je te montre quelque chose. » Elle reste interdite un moment, lançant un bref coup d’œil à son réveil, qui indique 5h06. Où veut-il aller à une heure pareille ? Dès qu'il remarque qu'elle ne bouge pas, il lance quelques vêtements à elle au pied de son lit et lui intime de se dépêcher. Hésitante, elle finit par s'exécuter et le suivre. Le soleil n'est pas encore levé mais l'aube a déjà entamé son ascension. Il ne fait plus aussi noir qu'il y a une heure. Malgré ça, quand Nick l'entraîne à la lisière d'une forêt après être descendus de la voiture, son cerveau s'alarme directement.
« Où est-ce que tu vas ? Nick, je... je ne veux pas aller là-dedans. » Hautain, il se tourne vers elle et met en évidence les clés de la voiture, qu'il tient.
« Tu n'as pas le choix, Enora. On est à des kilomètres de la première habitation et tu n'as pas de voiture. Avance, arrête de faire l'enfant. » Ses jambes ne la portent plus et s'il n'avait pas agrippé son bras, elle aurait été incapable de faire le moindre pas. Il marche longtemps, sans rien dire, fixant un point devant lui. Rien ne semble le perturber, pas même le fait qu'elle gémisse de douleur juste à côté de lui. Dès qu'elle recommence à le questionner, il s'arrête enfin et la pousse violemment à plusieurs mètres de lui. Le sol terreux accueille sa chute, l'air froid battant contre son visage.
« Mais qu'est-ce que tu fous ? » s’époumone-t-elle en se retournant pour lui faire face. Elle ne reconnaît plus l'homme qui se tient face à elle. Ça fait longtemps qu'il n'est plus le même, mais aujourd'hui, elle a l'impression que c'est amplifié. Il ricane et remet ses manches naturellement, l'allure assurée.
« J'ai appris des choses très intéressantes pendant mon séjour en Italie. Il y a une organisation secrète qui s'occupe des gens comme toi. Ils ont su par je ne sais quels moyens que j'étais en contact avec une... comment vous appellent-ils, déjà ? » Deux hommes sortent alors d'entre les arbres et s'approchent d'eux. Ils sont vêtus d'une étrange manière et portent la même expression robotique que Nicolas depuis qu'il est revenu.
« Des mutants. » « C'est ça, des mutants. Je n'étais pas vraiment d'accord avec leurs pratiques au début, mais je dois avouer qu'avec le temps, ils ont réussi à me convaincre. » Tremblante mais le visage fermé, Enora se recule légèrement en rampant sur le sol. Les trois hommes font un pas en avant, son cœur se met à battre à une telle force qu'elle pense qu'il va imploser sous peu. Elle a du mal à trouver sa voix ; sa gorge est sèche et ses poumons refusent de coopérer.
« Te convaincre de quoi ? » Sans flancher, il sort une arme de la ceinture de son jean et les deux autres suivent le mouvement. Elle comprend maintenant pourquoi ils sont plusieurs, pourquoi Nicolas n'a pas voulu agir seul. Focalisant son esprit au maximum, elle se concentre et cherche à réussir quelque chose qu'elle ne maîtrise pas encore.
« Que votre espèce doit être exterminée. » Sans attendre, la détente est déclenchée et trois coups retentissent.
alive with a side of death
Nora ouvre les yeux, le cœur battant avec force contre sa cage thoracique. Ses tympans sont assourdis par la force du son qui vient d'être émis, mais sa vue est nette. Elle voit alors trois silhouettes affalées sur le sol, inertes. Cette fois, ça a marché. Avant, elle n'avait jamais réussi à se concentrer sur plusieurs choses en même temps. Mais sous la panique, la pression et le fait que ce soit sa seule chance de rester en vie, sa concentration a suffi à intercepter trois objets mouvants d'un seul coup. Sa vie est sauve, mais elle n'en est pas pour autant moins paniquée. Elle vient d'abattre trois hommes. Trois vies ont été retirées par sa faute. Si ça n'avait pas été dans ce sens, ça aurait été elle qui aurait péri, mais elle ne s'en sent pas mieux pour autant. Son corps tout entier tremble tandis qu'elle se redresse sur ses jambes. La peur entretient tout son être mais elle s'approche de Nicolas pour la dernière fois et lui retire ses clés d'un geste délicat, craignant qu'il ne soit pas réellement mort. Elle quitte les lieux sans se retourner et sait que désormais, elle ne sera jamais plus en sécurité.
a new beginning
« Nouvelle attaque terroriste à Sacramento. Neuf transmutants ont été abattus hier soir, dont une enfant de six ans, pourtant détentrice d'un don de régénérescence. Ce geste, d'une rare violence, a été revendiqué par le groupe extrémiste des Hunters, qui vise à, selon leurs propos, éradiquer les dégénérés de la planète. Nous retrouvons notre envoyé spécial sur les lieux de l'attentat. » Je change de chaîne, passant mes mains sur mon visage. C'est une mauvaise nouvelle. Une très mauvaise nouvelle. Nous n'étions déjà pas en sécurité avant, mais depuis que l'information de notre existence a été rendue publique, les choses se sont empirées. Les terroristes qui travaillaient à couvert avant, revendiquent désormais leurs actes avec fierté et la traque n'a jamais été aussi acharnée. Quand j'ai débarqué à Radcliff, il y a bientôt cinq ans, c'était pour m'éloigner le plus possible de là où je savais se trouver cette 'organisation secrète'. Mais désormais, ils sont partout. Nous sommes tous en danger.
« Rylie ? Ça va ? » Vanessa, une amie, me regarde avec une lueur étrange. Je ne suis pas étonnée, je dois être encore plus pâle que d'habitude. D'un hochement de tête, je la rassure, mais je mens. Rien ne va plus.