I WANNA HIDE THE TRUTH, I WANNA SHELTER YOU

but with the beast inside, there’s nowhere we can hide

YOUR EYES, THEY SHINE SO BRIGHT

« Jayce, fait quand même un peu attention à ta sœur s’il-te-plaît ! Tu vas la faire pleurer. » La voix retentit dans la chambre, tandis qu’à l’opposé de la pièce un Jay miniature s’amusait à balancer d’avant en arrière le berceau de sa sœur. De plus en plus fort et avec entrain, tant et si bien qu’on s’attendait à tout moment à voir la petite passer par-dessus bord. Cela n’avait cependant pas l’air de la déranger plus que ça puisque le bébé laissait éclater son amusement à gorge déployée. « Mais non, Maman, regarde, elle est contente Lissa ! » L’adulte hocha la tête d’un air légèrement las et posa son livre sur l’appui de son fauteuil, ouvert sur la bonne page. « Alicia, chéri. C’est Alicia. » qu’elle soupira, sa mère. Il pouvait enfin aligner plus de cinq mots sensés d’affilée à présent, mais pour ce qui était des prénoms, ce n’était pas encore ça. Il ne fallait pas lui demander d’épeler celui du maire de la ville ni celui de son cousin Syracuse. Docilement, le brun essaya d'assimiler les quelques syllabes. « A… Li… Ssa ! » La femme soupira encore, mais elle avait un faible sourire, attendrie par les difficultés de son fils. Évidemment, elle ne se doutait pas qu’il utiliserait ce surnom encore bien des années après, même quand il comprendrait qu’il y avait un i avant le a final. « Allez, viens, les cookies devraient être prêts maintenant. » Le garçon se détourna instantanément du berceau malmené, ce qui eut pour effet immédiat de calmer l’enfant. « Oh oui ! » L’exclamation avait été à la limite du cri perçant et surexcité. Jayce se propulsa à travers la pièce pour foncer à la cuisine, bataillant avec ses jambes trop courtes pour ses pas trop rapides. Il manqua de tomber plusieurs fois sur le chemin mais ne tint absolument pas compte de ses limites physiques. Rien ne valait l’appel des biscuits, n’est-ce pas ? N'est-ce pas?

I WANNA SAVE THEIR LIGHT

« Eh ! Vous avez entendu parler de ça à la TV ? » Dans la cours, les élèves se rassemblaient en paquets et le brouhaha général se dispersait dans l’air frais d’avril. Jayce, quant à lui, était comme d’habitude avec sa bande d’amis. Tout le monde approuva avec enthousiasme sauf lui, qui avait redouté la matinée entière cette question. Sous le coup, il n’avait pas réagi et son silence attira les regards. « Quoi ? » Il jouait l’innocent mais savait pertinemment de quoi on parlait. Tout le monde le savait, c’était passé dans chaque poste de télévision. Si avant ce n’étaient que des rumeurs insistantes, plus moyen de les démentir dorénavant. « Bah, de l’annonce du Président tiens ! Les mutants existent. » Jayce fit de gros yeux, presque crédibles. Ils rigolèrent de son ignorance qui ne les étonnait cependant pas. C’était pas vraiment une lumière, leur Jay. Ce dernier pourtant se sentait mal.
Évidemment qu’il l’avait entendu la nouvelle. Chez eux, ils étaient restés consternés devant leur écran, même quand celui-ci avait repris la routine habituelle des pubs. Ça faisait presque cinq ans qu’ils gardaient précautionneusement le secret de sa mutation, cinq ans qu’ils couvraient les drôles d’explosions par mille excuses. Ou n’en parlaient tout bonnement pas. Encore une chance que la victime la plus importante de Jayce n’ait été qu’un vieux fauteuil cabossé. Encore une chance qu’ils connaissaient déjà le gène, pour l’avoir vu à l’œuvre dans la famille. Quand l'oncle murmurait aux chevaux, quand le parrain devinait le passé des choses du bout des doigts, et que son filleul transformait en cendres ces mêmes objets. Mais avec l’annonce qui tombait, les secrets ne pourraient plus être gardés au cœur de la famille. Ils se répandraient à la vitesse des murmures dans la ville, et Dieu sait qu'ils étaient rapides… Non. Il ne le permettrait pas.

L’adolescent se contraignit en un sourire qui fendit son visage en deux. « P'tain, sans déconner ? Genre avec les mutants et cetera, comme dans les BD ? Genre ils existent réellement ? » Le cercle d’ami rigola encore une fois de la candeur du brun. Il fallait qu’il donne le change, parce qu’un écolier qui faisait sauter des assiettes et des pelles toutes les deux semaines, ça allait rapidement faire peur dans le voisinage.
« Eh, Jay ! Paraît même que ta voisine elle peut faire du feu rien qu’en y pensant. C'est une putain de… pyrokinésiste. » Le garçon avait hésité avant de prononcer le mot, ce qui avait détruit son petit effet, mais Jayce se força à paraître émerveillé. Un petit frisson lui parcourut le dos brièvement, durant les deux secondes où il crut son ami. Mais il se détendit rapidement. Rigola. « Nan, certainement pas, je l’ai vue l’autre jour qui essayait d’allumer son barbecue. Elle est restée pendant des heures à se demander comment elle pouvait le faire sans allumettes. » « Ouais, mais elle a peut-être fait ça pour endormir les soupçons ! » Il prit le temps d’y réfléchir quelques secondes. « Non, Miss Stork n’est pas aussi intelligente pour ça. » Le plus large des garçon siffla sa méchanceté gratuite et inaccoutumée, et Jay rosit jusqu’à la racine.
La sonnerie retentit et, sauvé par le gong, le brun se dépêcha de retourner chercher son sac et fausser compagnie à ses potes. Il fixait son regard sur le sol, gratta sa nuque, faillit emboutir son titulaire. Le mutant bredouilla de vagues excuses et disparut dans les couloirs de son école. Il y avait fort à parier que ce n’était que le début de tout. Même lui pouvait le sentir. Que se passerait-il lorsque les cris succéderaient aux boutades ? Quand ses explosions ébranleraient des inconnus ?

I CAN’T ESCAPE THIS NOW

« Monsieur ? Monsieur, vous êtes blessé, est-ce que vous avez mal ? » Le regard vitreux de Jayce resta encore dans le flou pendant un moment avant qu’il n’ose le porter sur la secouriste, qui l’observait d’une manière insistante. Quoi, qu’avait-t-elle dit ? Blessé ? Avoir mal ? Il hocha la tête, négativement. Tout son bras gauche le lançait. Le sang s’écoulait à flots irréguliers, dégoulinant sur son bras nu, sur sa peau éraflée. Sur le haut de son biceps, la plaie était béante. Il sentait vaguement, en se mordillant l’intérieur de la joue, que des éclats de je-ne-sais-quoi avaient dû lui entailler la pommette. Il aurait dû avoir mal, et pourtant le choc l’anesthésiait plus sûrement que n’importe quelle dose de morphine. « Monsieur, venez, on va vous soigner. » La femme le prenait doucement par son bras intact, et il se laissa faire sans dire un mot. Ses mains tremblaient. La clameur de la ville résonnait autour de lui. Cependant, dès qu’il se fut retourné pour avoir dans son champ de vision le lieu de l’accident à proprement parlé, il pila net.
À moins de trois mètres, les restes noirâtres de la voiture fumaient encore. On venait de désincarcérer le conducteur. La conductrice ? Il ne savait pas trop, les policiers tournaient autour comme un nuage danse de mouches grasses et bleues. De toute manière, le grand sac noir réservé aux morts venait d'engloutir le cadavre – le type qui gisait à côté aurait bientôt le même sort. À la vue de cet homme disloqué par l’explosion, Jayce eut un mouvement de recul, où se mêlaient diffusément peur, panique, dégoût et honte. Il ne le connaissait pas.
Ou si peu.
Ils ne s’étaient jamais vus auparavant, jamais parlé, et l’essentiel de leur rencontre avait été une course poursuite à travers la ville, plus ou moins discrète. Le premier, un mutant qui fuyait à tout prix  les ruelles désaffectées. Le deuxième, un hunter qui cherchait à tout prix à l'y entraîner. Ils avaient quand même fini par échouer sur un boulevard plus fréquenté et le chasseur avait été dans l’obligation de ranger son arme. Après… après, tout s’était enchaîné très vite. La peur qui donnait un nouveau coup d’adrénaline à l’adolescent, le fourmillement familier dans le bout des doigts, son pouvoir qui lui échappait brusquement… et le moteur d’une voiture qui explosait, à moins de cinquante centimètres de son ennemi. La déflagration en elle-même n’avait pas été cataclysmique mais un souffle important avait balayé tout le monde, et Jayce s’était retrouvé tête la première sur les dalles grisâtres.
Black out, bref.
Réveil, hébété.
Prise de conscience, douloureuse.

« Monsieur ? Monsieur, suivez-moi. » On l’emportait de force, maintenant. Le brun revint sur terre et découvrit le visage de l’urgentiste sérieusement touché par l’anxiété. Il se laissa faire et sentit vaguement qu’il pleurait. Les rumeurs circulaient déjà, on les entendait comme un chant d’oiseaux moqueurs se disperse dans les branchages de la forêt. Mais une litanie lourde, houleuse, grondante. La conductrice était une alcoolique notoire qui n’avait jamais été très prudente. Le véhicule était vieux comme le monde. On mettrait l’explosion sur une négligence affreuse de la femme, qui avait poussé trop loin les limites de son tacot. Il n’y avait là qu’un terrible accident qui avait fait deux morts. Paix à leurs âmes.
Paix à leurs âmes.
Jayce les laissa parler, en rentrant la tête dans ses épaules pendant qu’on lui procurait les premiers soins. Non, il ne démentirait pas ces choses-là. Ni maintenant, ni quand le moment serait venu de retourner manger à la maison. À Radcliff, dans cette ville où il mieux valait être une personne banale. Une personne sans histoire. Une personne sans tare génétique.

UNLESS YOU SHOW ME HOW

Malgré l’heure propice aux balades, il n’y avait ce jour-là pas grand monde au parc. À vrai dire, juste quelques enfants gardés par leurs grands-parents qui les laissaient s’acharner sur l’aire de jeu. Jayce, lui, ne faisait que passer. Il aperçut Alicia quelques mètres plus loin et se décida à la rattraper. En quelques enjambées rapides, il sautait sur le dos de la fille. Elle poussa un petit cri et lui adressa un coup de coude dans le ventre, énervée de s’être fait surprendre. « Imbécile ! Grandis un peu toi. » Mais l’amusant suivait l’étonnement et il n’y avait aucun reproche dans sa voix. « Moi ? Jamais. Ça ferait trop plaisir à Papa. » Ça ferait trop plaisir à Papa. Un des grands tourments familiaux entre son paternel et lui, si on peut dire. Sans que cela ne ternisse sérieusement leur relation, Maximilien Stillford aurait apprécié que son fils prenne exemple sur lui – notamment dans ses études.
Jayce se détacha de son dos et recommença à avancer, à pas un peu oscillants. « Ça va ta joue ? » L’adolescent porta une main à sa pommette, là où l’accident avait laissé sa marque. Il n’y avaient plus que des éraflures maintenant, qui s'effaçeraient dans quelques jours. Son bras, quant à lui, demanderait plus de temps. Jay hocha pourtant la tête. « Nickel. Ça a presque disparu, t’as vu ? » La blonde eut une moue dubitative mais n’ajouta rien. Quelques secondes passèrent sans qu’aucun des deux ne parle et l’ado sentit vaguement l’euphorie retomber, pour faire place à la fatigue devenue coutumière ces derniers temps. « T’es sûr que tout va bien ? T’as l’air exténué. » Le brun tourna la tête vers sa petite sœur et il se pinça la lèvre. Il vit l’inquiétude au fond de ses yeux, cette lueur, ce petit froncement de sourcils. Elle n’était pas stupide, Lissa. Jayce tenta de la rassurer par un petit sourire qui se voulait confiant, mais qui n’eut guère d’autre mérite que de lui étirer les lèvres d’un demi-centimètre. « Ouais, t’inquiète. J’ai juste passé une nuit de merde, la faute à la chaleur. » La chaleur. Les cauchemars, plutôt. La Stillford avait lâché un petit rire gêné mais n’avait pas cherché à aller plus loin. Ils savaient pourtant tous deux que des nuits de merde, ça faisait des semaines qu’elles s’accumulaient. Mais ça le rassurait un peu tout de même qu’il n’ait pas à lui expliquer plus que ça. Il ne voulait pas parler de l’accident, de ses répercussions, du vaccin, du hunter. Il voulait juste oublier.
Il fourra ses mains dans ses poches, de peur qu’elle voie ses doigts trembler. De fatigue. D’anxiété. De tristesse. De tout un tas de sentiments que le brun n’arrivait pas à démêler. Il n’avait jamais vraiment été doué pour ça de toute manière, ça avait toujours été le genre à se laisser crouler sous les émotions plutôt qu’à les fuir à tout prix. Et plus par paresse qu’autre chose. Ça avait pour habitude de l’amuser de toute manière – sauf qu’en ce moment-même, il enviait fortement les armoires à glace insensibles. « Ah, toi aussi ? J’ai cru mourir, j'ai pas pu fermer l'œil de la nuit. Franchement, ils auraient pas pu isoler mieux la maison ? Ou juste acheter des couvertures moins épaisses, j’ai toujours l’impression d’étouffer sous des tonnes de tissus et de plumes… » La blondinette avait ouvert le robinet, et ses paroles se déversaient maintenant entre eux deux dans un flot abondant. Jayce la laissait faire, se bornant vaguement l’écouter et fixer ses chaussures en avançant. D’habitude il lui aurait répondu avec entrain, mais il n’avait pas la tête à ça pour le moment.
Essayer de faire comme si de rien n’était ne signifiait en aucun cas qu’il n’y avait rien sous les manières fausses, celles-là même qui lui laissaient un goût amer dans la bouche. Se concentrer à agir normalement n’était pas vraiment aisé, même si vraisemblablement sa Lissa avait beaucoup moins de mal que lui à occulter les derniers événements de sa mémoire. Enfin, elle n’était pas au courant de tout aussi, donc c’était  facile pour elle de cacher que son frère avait été pendant un temps capables de choses extraordinaires, mais plus maintenant. Oublier d’avoir tué deux personnes, c’était plus délicat.

Le monde tangua d’un coup et il s’arrêta brusquement, en voyant le décorum se lancer dans une valse impromptue. Il voulut faire un pas mais la jambe de Jayce céda et il s'écroula au sol, hébété. Qu’est-ce qu’il s’était passé ? Il secoua la tête ; mauvaise idée, l’herbe tourbillonna d’autant plus. « Hey, Jay, ça va ? » Il leva les yeux vers elle, en plissant les paupières sous le soleil. Un visage le surplombait en contre-jour, auréolé d’une aura blanche. Il hocha la tête et se força à rire de sa maladresse. Il se remit sur ses pieds avec l’aide de sa sœur, étonné de pouvoir se tenir debout avec autant de facilités vu son vertige soudain. Mais apparemment, il avait disparu aussi brusquement qu’il n’était venu.
Le garçon n’eut pas à se creuser la tête bien longtemps pour en trouver la cause, principalement parce que ce n’était pas la première fois. Fichu vaccin. Encore une autre de ses répercussions, qu’il n’avait absolument pas calculées lorsqu’il s’était injecté le sérum liquide. Ça, et les insomnies qui avaient commencé une grosse semaine après. Ça, et les cauchemars qui s’intensifiaient lorsqu’il parvenait à sauver quelques heures de sommeil. Et l’impression d’être épié partout, qui lui collait à la peau comme une huile poisseuse. Ce hunter avait beau être mort et la tête arrachée par l’explosion, il lui avait ravi son impression de sécurité. L’adolescent frissonna rien que d’y penser et jeta un coup d’œil méfiant aux environs, par réflexe. Mais il n’y avait personne, sinon eux et une poignée de vieilles personnes à une vingtaine de mètres.
Ça devait faire deux semaines maintenant qu’il avait pris son premier vaccin – la seringue vide traînait d’ailleurs toujours dans les fonds abyssaux de son bordel personnel. Jayce avait du mal à se faire aux effets secondaires, et le manque de sommeil troublait profondément l’ancienne marmotte en lui. Etre éveillé presque constamment augmentait considérablement le temps où il pensait à l’accident, et il était devenu légèrement susceptible. Pourtant d’un autre côté, il n’hésiterait pas à reprendre une deuxième dose du NH24 dans une semaine. Le risque inverse était beaucoup trop important.
C’étaient ses parents qui l’avaient incité à étouffer sa mutation mais il les avait suivis de plein gré. La décision avait été prise au cours d’une discussion dans la sécurité relative de la nuit et de leur salon, le lendemain même de l'explosion. Même si ça coûtait cher, même si le père faire des heures sup’ pour lui assurer une dose mensuelle… c’était la meilleure chose à faire. Pour sa sécurité.
Pour leur sécurité à tous.

FÉLICITATIONS JEUNE MUTANT

tu es validé, tu pues la classe, vas-y sors tes lunettes de soleil.