Les uns après les autres, les invités étaient partis. Laissant peu à peu le silence reprendre ses droits dans la petite maison, située au cœur de la ville d’Aberdeen. Fermant la porte sur la dernière personne étant venue leur présenté leurs condoléances et déposer un énième plat de macaronis au fromage sur la table de la cuisine, Ciàran laissa échapper un long soupire. Il ne savait même pas pourquoi il avait accepté se recevoir tout ce monde chez lui. Il s’agit d’une coutume ou une connerie de ce genre. Comme si voir quelques visages familiers, quelques sourire rassurant et recevoir suffisamment de plats pour ne plus avoir besoin de faire les courses jusqu’à la saison prochaine, ça pouvait servir à quelque chose. Rien n’atténuerait la peine qui avait pris place dans son cœur au moment où il avait trouvé le corps de sa sœur cadette. Là, sur la moquette d’un appartement dans lequel il avait vécu pendant de nombreuses années, avec elle et leur frère. Rien n’effacerait cette colère qu’il ressentait pour la personne qui était venue jusque dans cet appartement pour poignarder la jeune femme à plusieurs reprises. Lyanna était bien la dernière personne au monde à mériter ça. Elle était innocente, elle était la gentillesse incarnée. Elle était étudiante en médecine. Elle avait toujours voulu vouer sa vie à ça, soigner les gens. On l’avait tuée pour une raison qu’il ignorait, mais qui n’était certainement pas valable. C’était une enfant, rien qu’une enfant qui n’avait jamais fait de mal à personne. Elle en aurait été incapable. Trop souvent quand il posait ses yeux sur ses mains, il avait l’impression qu’elles étaient toujours tachées par son sang. Il avait trouvé le corps, il s’était précipité vers elle comme s’il avait eu une chance de la sauver, mais ça avait été impossible, elle était déjà morte quand il était arrivé, elle avait été sauvagement assassinée. Il l’avait compris bien vite, alors il était resté là, assis à côté d’elle, espérant qu’un miracle n’arrive et qu’elle ouvre à nouveau les yeux. Malheureusement elle n’avait pas ce don. La nature qui avait transformé ses gènes ne lui avait pas offert la possibilité de guérir. Elle lui avait donné le don de guérir les autres. N’importe qui, mais pas elle-même. La vie était particulièrement injuste. Appuyé contre la porte d’entrée, il luttait pour ne pas bouger, s’il faisait le moindre mouvement, il savait qu’il finirait par démolir chaque objet se trouvant à portée de main tant il se sentait énervé, triste, frustré et bien d’autre sentiments qui pourraient presque avoir le même effet qu’un cocktail Molotov s’il ne s’appliquait pas à rester aussi calme que possible. Il suffisait pourtant d’une goutte en cet instant précis pour faire déborder le vase. Ne plus faire le moindre geste, c’était d’après lui le meilleur moyen de ne pas ajouter cette maudite goutte. Les yeux clos, il essayait même de se vider l’esprit, mais ça semblait parfaitement impossible. Il ne pensait plus qu’à elle, morte sur le sol de cet appartement. Rien d’autre ne revenait à son esprit, tous les bons moments, les souvenirs agréable, tout ça, ça semblait complètement bloqué, il n’y avait plus que sa mort qui s’imposait durement à son esprit, retournant inlassablement le couteau dans une plaie grande ouverte. « Ciaràn ? » Enfin, il ouvrit les yeux. Il n’en n’avait pas eu besoin pour reconnaitre qui s’adressait à lui, il connaissait sa voix par cœur. Il l’avait entendue pour la première fois bien des années plus tôt, elle était devenue son quotidien, sa petite amie, puis sa fiancée. La femme qu’il aimait, peut-être la personne la mieux placée pour le comprendre en cet instant. Elle avait perdu sa mère quelques années plus tôt. Il s’efforça de lui adresser un très léger sourire, sans pour autant bouger de là où il était. « Je suis vraiment désolée. » Il haussa légèrement les épaules, il avait entendu cette phrase toute la journée. Les gens étaient tous vraiment désolés, mais ce n’était pas ça qui allait ramener Lyanna. « Merci. » C’était ce qu’il s’était efforcé de répondre durant toute cette journée, même s’il se fichait bien de leurs excuses, de leur pseudo-compassion et tout ce qui allait avec. « Non, c’était pas vraiment ce que je voulais dire. Enfin si, mais pas comme ils l’ont tous dit toute la journée. » Il arqua un sourcil, il ne voyait pas vraiment où elle venait en venir et il n’avait définitivement pas envie de jouer aux devinettes ce soir. « Alors qu’est-ce que ça voulait dire ? » Elle baissa les yeux vers le sol, de cette façon qui voulait dire qu’elle avait une mauvaise nouvelle à lui annoncer. Il laissa échapper un soupire avant de détourner le regard, il ne voulait pas entendre de mauvaise nouvelle, pas ce soir, pas demain, jamais. Il en avait assez eues pour toute sa vie là. « J’avais peur, il faut que tu comprennes, ils ont tué ma mère. Vous êtes probablement dangereux. » Il reposa à nouveau les yeux sur elle, il n’était pas sûr de comprendre ce qu’elle voulait dire, mais ce vous accusateur, il comprenait à qui il s’adressait. Eux, les transmutants. « Qu’est-ce que tu as fait ? » Il s’en fichait que tu jour au lendemain sa fiancée lui annonce qu’elle avait peur de lui, dans le contexte, ça n’avait plus aucune importance. « J’en ai parlé à quelqu’un. De toi, de Loeven, de Lyanna. » Lyanna. Morte assassinée quelques temps plus tôt. Ce type dont elle parlait, est-ce qu’il l’avait tuée ? « Il l’a tuée ? » Il était devenu froid, glacial même, même lui il ignorait qu’il était capable d’employer un tel ton pour s’adresser à quelqu’un. « Je crois, oui. » Il serra les poings, fort, très fort, il sentait ses ongles entrer dans sa peau. La goutte qu’il redoutait venait de lui tomber dessus et le vase était vraiment en train de déborder. « Comment tu as pu faire une chose pareille ? Est-ce que je t’ai déjà donné une seule bonne raison d’avoir peur de moi ? D’avoir peur de Lyanna ? Lyanna bordel ! » La jeune femme recula d’un pas alors que le timbre de la voix de Ciaràn se faisait de plus en plus menaçant. Si elle voulait avoir peur de lui, c’était le moment là. « Je n’ai jamais voulu ça. » Heureusement, qu’est-ce que ce serait sinon. Il s’en fichait de ce qu’elle voulait. Lyanna était morte à cause d’elle. Il avait envie de l’étriper, pourtant, il n’en ferait rien, parce que lui, aussi effrayant pouvait-il être à cause d’un gène muté, il n’était pas un psychopathe. Il bougea enfin, se décollant de la porte, elle recula encore comme si elle craignait le pire pour sa vie. D’un geste colérique il ouvrit la porte. « Dégage. Sors d’ici, maintenant. Tu es celle de qui il faut avoir peur, alors je ne veux plus te voir. » Il pensait qu’au moins ne plus la voir réussirait à apaiser l’envie qu’il avait de la tuer, elle le méritait tellement, mais il ne le ferait pas. « Mais … » Mais quoi ? Elle l’aimait, ils devaient se marier, ils étaient ensemble depuis des années, et ? Elle avait tué sa sœur, indirectement, mais c’était du pareil au même à ses yeux. « Fous-moi le camp ! » La fureur fit résonner sa voix à travers la pièce, elle sursauta légèrement avant de s’avancer avec prudence de la porte dont il tenait encore la poignée. « Regarde toi, peut-être que j’ai raison d’avoir peur. Tu ferais mieux de partir aussi. N’oublie pas que je n’ai pas parlé que de Lyanna. » Elle quitta la maison d’un air presque hautain, comme pour masquer cette peur qui était née au fond de ses tripes. Il referma la porte derrière elle, sans la ménager, si bien que le verre dont elle était décorée explosa. Maintenant, il pouvait bien casser tout ce qui lui passerait sous la main, ça n’avait plus d’importance, très vite, il quitterait cette maison, la ville et probablement même, le pays.

Eremon Moriarty. C’était celui qu’il était devenu en s’installant dans cette ville pourrie. Il ne savait plus combien de fois il avait changé d’identité depuis qu’il avait quitté son écosse natale, à contre cœur en compagnie de son frère cadet. Ils avaient voyagé, beaucoup voyagé. Ils avaient découvert le monde bien loin de cette grande ville Écossaise dans laquelle ils avaient grandi. Maintenant ils étaient là, dans un coin paumé au fin fond du Kentucky, aux Etats-Unis. Il y avait mieux comme endroit pour s’installer il devait bien l’admettre. Mais elle était là quelque part et il était grand temps qu’elle et son nouvel ami paient pour la mort de Lyanna. Après tout, la justice punissait d’elle-même les assassins, même quand ils avaient tués de ‘dégénérés’ alors ils paieront, pour Lyanna et sans doute tous les autres cadavres qu’ils trainaient dans leur sillage. Il laissa échapper un soupire avant d’avaler le contenu de son verre, qu’il fixait depuis de nombreuses longues minutes, perdu dans d’innombrables pensées. Les plus nombreuses d’entre elles allaient vers Talisa Lancaster. Il avait passé beaucoup de temps à discuter avec elle. Suffisamment de temps pour s’attacher à elle plus qu’il ne le devrait. Il avait cru comprendre par le passé que s’attacher à une femme c’était la plus stupide des choses à faire. Ça avait couté la vie Lyanna. Mais Talisa, elle était différente. C’est ce que n’importe quel abrutit aurait pensé. Il était un abrutit, c’était indéniable. Il ne savait pas pourquoi mais il l’aimait bien. Aimait bien. Ça faisait toujours rire son frère quand il disait ça. Il ne voyait pas ce qu’il y avait de drôle et il n’avait pas envie d’analyser ce rire moqueur qu’il lui servait à chaque fois qu’il parlait de cette Talisa. De toute façon, ça n’avait plus d’importance maintenant. Peut-être qu’il ne la reverrait plus jamais. Il avait l’habitude maintenant. Elle s’était enfuie, elle avait certainement eu peur de lui. Toujours le même refrain. La dernière qu’il avait été confronté à son ex-fiancée, il l’avait bien comprise. Quoi qu’il puisse décider de faire, il serait toujours le monstre. Les gens comme lui étaient assassinés. Lyanna n’était pas la seule et depuis quelques temps déjà on parlait de ‘hunters’. Il n’avait jamais tué personne, il n’avait même jamais agressé personne. Eux, ils tuaient sans remords et c’était de lui que Talisa avait eu peur. L’ironie voulait qu’elle aurait ignorait ce qu’il était si jamais il n’avait pas été forcé de lui sauver la vie. Aujourd’hui, elle préférait sûrement boire un verre avec ceux qui l’avait attaquée plutôt qu’avec lui. Parce qu’il n’était pas normal. Son indignation face à cette pensée le poussa à remplir à nouveau le verre qu’il avait terminé quelques temps plus tôt. La porte d’entrée claqua avec violence alors qu’il s’apprêtait à porter son verre à ses lèvres. « Ton ex-fiancée et son pote psychopathe son en ville. Ils ont du nous retrouver, il faut qu’on parte. » Tu parles. Ils n’en avaient plus rien à foutre d’eux deux. Ils n’étaient que deux péquenots qui s’étaient barrés d’écosse sous leur nez, deux péquenots parmi tant d’autres. Ils n’avaient retrouvé personne, c’était plutôt l’inverse, mais il avait légèrement oublié (volontairement) de le dire à son cadet. Il laissa échapper un soupire avant d’avaler cul-sec le contenu de son verre, il savait qu’il en aurait bien besoin. « Tu devrais t’assoir et prendre un verre toi aussi. » Il paraissait sans doute trop décontracté, il était probablement plus bourré que décontracté mais pas assez pour que la différence soit vraiment notable. Il ne savait plus combien de fois il avait rempli ce verre, mais il l’avait fait au moins une fois de trop et pourtant, ça ne l’empêcha pas de recommencer encore. « Je ne suis pas sûr qu’on ait le temps. » Eremon haussa les épaules. Ils l’avaient à ses yeux. « Ils ne nous ont pas retrouvés, je les ai retrouvé. » Évidemment, il n’avait pas eu soudainement envie de s’enterrer au fond de la ville la plus pourrie du Kentucky et sûrement des États-Unis eux-mêmes sans raison. Certainement pas pour devenir barman dans un bar miteux ou pour côtoyer des abrutis qui semblaient ne jurer que par Dieu. Encore moins pour rencontrer Talisa Lancaster. Il n’était même pas assez bourré pour l’insulter dans son propre esprit cela-dit, dommage, il en aurait presque besoin. Lancaster. Un nom qu’il entendait un peu trop souvent que ce soit sur Talisa ou sur ce mec qui se présentait à la présidence du comté. Il avait en revanche bu assez de verre pour se dire qu’avec un nom pareil, il avait plus de chance de réussir dans la maroquinerie que dans la politique, en témoignent les français. Nom de merde. « Est-ce qu’il y a une quelconque logique autre qu’une poussée suicidaire dans ta façon de penser ? » Il lui accorda un énième haussement d’épaules. Il y avait bien une logique, celle qu’il aurait du partager avec lui, mais apparemment, ce n’était pas le cas. « Ils doivent payer. » C’était un fait. Peut-être même que s’il en avait l’occasion il les tuerait de ses mains tiens, au lieu de laisser faire cette fichue justice qui ne servait à rien. Au moins comme ça Talisa aura une véritable raison de le fuir. « Qu’est-ce que tu comptes faire ? » Le regard posé sur son verre, comme absorbé par le liquide dedans, il aurait presque pu hausser une nouvelle fois les épaules. Il n’en savait rien, alors ça aurait été la réponse idéale. « Jsais pas. » Il avala encore son verre pour le remplir à nouveau, après quoi son frère attrapa la bouteille pour la maintenir hors de portée. « Tu es bourré en plus. Brillant. » Il leva les yeux au ciel, comme si c’était le moment de picoler. Il ne pouvait pas comprendre, il n’avait pas sauvé la vie d’une nana pour la voir s’enfuir comme une voleuse après comme si elle avait eu Jason Voorhees en face d’elle. « Absolument pas. » c’était le propre du mec bourré cependant de nier qu’il était bourré. Enfin, il faisait ce qu’il voulait, il avait vingt-six ans, il était majeur et vacciné, largement en âge de boire si ça lui faisait plaisir. « Je ne sais pas ce que tu as l’intention de faire, mais ce sera sans moi, je me casse de cette ville. » Il avait toujours été le plus raisonnable des deux, le plus malin. Pas celui qui avait était à deux doigts d’épouser la personne ayant causé la mort de leur petite sœur. Il le lui avait souvent reproché ça d’ailleurs. Dans ses excès de colères toutes les fois où ils avaient pu se disputer. Ça arrivait plus souvent qu’ils ne l’auraient souhaité, depuis la mort de Lyanna en tous cas. Il s’excusait tout le temps, mais sans doute qu’une partie de lui le pensait vraiment au final, sinon il ne l’aurait pas répété tant de fois. « Tu t’enfuies aussi ? Est-ce que je te fais peur ? » Il leva les yeux vers son frère pour la première fois depuis qu’il était entré dans la pièce. Un silence un peu trop long à son gout s’installa avant que son cadet ne prenne enfin la parole. « Quand tu es bourré, un peu oui. Quand tu as des idées aussi stupides que de venir retrouver des timbrés, carrément ouais. » Il commençait à s’énerver. Tout ce qu’Eremon trouva à faire, c’était de rire comme un imbécile comme si ça pouvait avoir quelque chose de drôle. « On avait dit qu’on resterait ensemble. Parce qu’on est tout ce qui reste de la famille. » Leurs parents étaient morts dans un accident bien des années plus tôt, Lyanna était encore vivante à cette époque. Lui, il était le seul à être majeur, celui qui s’était retrouvé responsable de ses frangins. Il n’avait pas beaucoup assuré. « On restera pas ensemble si on se fait tuer. Alors fait ce que tu veux, je m’en vais. » En un rien de temps, il avait rassemblé ses affaires, prêt à quitter la ville, laissant son frère là, avec comme seule compagnie, celle de cette bouteille qu’il avait quand même daigné lui rendre. C’était peut-être mieux comme ça, de toute façon, ils n’arrêtaient pas de s’engueuler.