There's a first time for everything

Theodora & William

La situation avait pris un tournant pour le moins fâcheux.
En quittant l’Angleterre, Theo s’était naïvement cru à l’abri des anciens membres du réseau de James. Elle avait pris soin de laisser des éléments les compromettant grandement derrière elle avant de s’envoler en effaçant toute trace de son existence, vidant les comptes au passage. Elle avait pensé pouvoir échapper au destin et, surtout, à l’acharnement compulsif de grands bandits en colère. Après la mort de monsieur Brook, il n’avait pas fallu longtemps avant que les vautours ne se mettent à se disputer les ruines de son empire. Ne supportant pas de voir des hommes de moindre valeur se déchirer sur un réseau qui ne tenait que grâce au génie et à la poigne de fer impitoyable de son créateur, la jeune femme avait fait de son mieux pour que personne à part elle ne profite des restes. Elle avait plutôt bien réussi son coup, forte des enseignements de feu son compagnon, et elle aurait mis sa main à couper que rien ni personne n’aurait pu retrouver sa trace dans cette petite ville du fond du Kentucky où elle avait trouvé refuge, profitant d’un pied-à-terre acheté et oublié depuis longtemps.
Enfin, ça, c’était jusqu’à ce qu’elle tombe sur ce drôle et un peu inquiétant homme tatoué visiblement très motivé à la faire chanter sous peine de révéler sa présence à ceux qui avaient mis sa tête à prix. De mauvaise grâce, elle avait dû consentir à un bon nombre de compromis – beaucoup trop à son goût – pour garantir sa sécurité. Sécurité qui se trouvait menacée une nouvelle fois. Si elle avait su, elle aurait fui sur un autre continent, ou bien elle se serait fait bonne sœur dans un couvent perdu au fond d’un pays d’Amérique du Sud, là où personne n’aurait pu remonter jusqu’à elle. Elle n’en avait encore rien dit à Eddie mais elle ne pourrait pas cacher très longtemps ce genre de désagrément à son meilleur ami. Et lorsqu’il faudrait lui en parler, nul doute qu’il y aurait quelques cris bien sentis et un plan audacieux pour se débarrasser de l’importun sans éveiller les soupçons.

Ses petits talons faisant crisser le fin gravier sous ses pieds, Theo se promenait du côté du jardin des plantes dans le parc de Radcliff, ruminant ses pensées et les évènements des derniers mois. Elle ne pourrait pas continuer à fuir les problèmes comme elle l’avait si bien fait jusqu’à présent, mais elle n’avait pas encore trouvé d’alternative satisfaisante à ses ennuis. Elle ne voulait pas d’effusion de sang pour éviter d’attirer l’attention sur sa personne ou sur son colocataire si cher à son cœur, mais il était hors de question qu’elle se plie au bon vouloir d’un lunatique à la solde d’hommes revanchards qui se feraient un plaisir de lui faire payer au centuple ce qu’elle leur avait fait. Elle n’avait pas abandonné son passé d’escort-girl, toute de luxe eut-elle été, pour devenir l’esclave d’une seule personne – sa peur et son amour pour James Brook l’avaient changé en un être docile, mais seulement pour lui, et seulement jusqu’à ce que les premiers changements finissent par s’opérer. Maintenant, elle était coincée dans un drôle d’entre-deux qui ne lui offrait pas spécialement plus de solutions à ses tracas. Elle avait beau faire marcher son cerveau à plein régime, il lui manquait un petit quelque chose qui lui aurait offert la résolution qu’elle cherchait si ardemment.
Perdue dans ses réflexions, debout devant un rhododendron gigantesque qui exhalait un parfum puissant, elle sentit à peine le choc d’un petit ballon contre son escarpin. Cela suffit cependant et elle revint à la réalité de l’instant présent. Tournant la tête, l’Anglaise se retrouva nez à nez avec une petite fille ; baissant les yeux, elle remarqua ce qui se trouvait à côté de son pied et elle s’accroupit pour le ramasser avant de le tendre à la fillette en souriant.

- Fais attention, ne le perd pas.

Il y avait quelque chose de doux sur son visage, un calme dans sa voix où perçait son puissant accent londonien dont elle n’avait jamais cherché à se débarrasser. A croire qu’elle était bien plus tolérante avec les enfants qu’avec le reste de l’humanité.