( noé ) L'astre vient effleurer ses cils blonds, et le sort d'un sommeil invariablement léger. Perturbé. Comme tous les jours il se lève, se prépare. Un bras après l’autre. Pourtant, on peut voir à l’expression de son visage qu’il se passe quelque chose. Et en cette matinée de Juin, il le sait. Il n’y reviendra pas. L'écossais est dans l’oeil de la tempête, le fond du gouffre comme disent souvent ses proches les plus détachés. L'écossais laisse derrière lui sa mère et son propre fils, qu’il n’a plus le courage de regarder en face depuis plusieurs jours. La douleur lui enserre la gorge, l’étrangle à chaque instant. Il a pris peur à l’annonce horrible que lui a fait le médecin. Âgé de trente-sept ans, Enoch affiche toujours le visage poupin d’un homme dans sa vingtaine. Le syndrôme de Peter Pan, voilà les mots fleuris qu’on a utilisé à son égard, et qui ont ébranlé son monde. Ce qui était au départ une plaisanterie qu’on lui rabâchait autour d’un café a pris la forme d’une réalité ; Atteint d’une anomalie génétique rare, il ne vieillira jamais. Prisonnier de ce corps dont il ne veut pas, son front ne connaitra pas les effets du temps. Son crâne ne sera jamais dégarni, et plus encore ; il ne mourra pas. Du moins pas de façon naturelle, comme le reste de l’humanité. La perspective de devoir se justifier voire pire, d’être considéré comme un rat de laboratoire le paralyse autant qu’elle le pousse à fuir.

Un dernier regard à Noé, qui, paradoxallement, est tout pour lui. Il ne lui laisse qu’une lettre, sur laquelle on peut lire : “Mon Noé, si tu lis cette lettre, ton père ne reviendra pas. D’avance, je m’excuse pour la douleur et le manque d’explications. Je m'excuse pour être incapable de te donner la vie que tu mérites à mes côtés.
Je t'en prie, n’essaie pas de me retrouver. Je te demande simplement d’être fort, et de ne pas oublier que je t'aime, et que je t'ai toujours aimé. On fait parfois des choix étranges, dont on ne peut pas se défaire.
Profite de chaque instants que t’offrira la vie en mon absence, et prends grand soin de Leda.
Tu resteras à jamais ma plus grande fierté.
Ton père, Enoch."

( lliago ) Un sourire lointain quitte ses lèvres, au moment où il éloigne l'oeil du microscope. Le NH24, ce serum qui l'obsède depuis plus de trois ans nait sous ses yeux écarquillés. C’est l’espoir de mener une existence qui vaille la peine d’être vécue qui se dessine devant lui. C’est la promesse silencieuse faite à Lliago, le brillant psychologue avec lequel il a partagé ses dernières années à UCLA, et qui fait étrangement battre son coeur. C’est la perspective de pouvoir enfin se projeter dans le futur, et de faire face au temps qui passe sans peur. L’idée d’arrêter de mentir aux autres, et surtout de se mentir à soi-même. De s'imaginer à un âge avancé, le visage parsemé de rides, et la main fermement tenue par une autre. C’est ce dont il rêve depuis plus de trente ans, et qu’il aimerait partager avec quelqu’un. Avec Lliago, pourquoi pas. Le brun dont le regard suffit à embraser son coeur. Il n’a à présent qu’une hâte, s’administrer le vaccin et faire tomber ces barrières qu’il a créées entre eux. Des éléments nécessaires à celui qu’il est avant l’injection et qui, il l’ignore, le sera toujours. Ce n'est pas par haine des mutants qu'il a mis au point le sérum. Et s'il hésite à l'avouer, il a quelque part honte de sa démarche. À son âge, et au vu du reflet dans le miroir, il la sait pourtant indispensable au restant de ses jours. Parce que la folie qui le guette ne le manquera pas au tournant, et surtout parce qu'il souhaite être libre de trouver un jour la mort, ce tabou affreux qui donne néanmoins tout son sens à la vie.

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