« Enfin tu es rentré ! Je commençais à… » Elle s’arrêta brusquement, à quelques mètres de son mari qui venait tout juste de passer la porte d’entrée. Elle n’avait pas eu de nouvelles de lui depuis plusieurs heures, le sachant en service, dans une affaire de meurtre qui, d’après ce qu’elle avait compris au journal télévisé, relevait du bain de sang. Après plusieurs secondes de silence, d’incompréhension face à son homme trempé jusqu’aux os par la pluie torrentielle accompagnant l’orage qui tonnait dehors, elle quitta l’extrémité du couloir pour voir de plus près ce qu’il tenait dans ses bras, enroulé dans sa veste. «  J-Jack… Qu’est-ce que… A qui est cet enfant ? » L’homme affichait un sourire béat. « Oh Meg’, ce petit ange est notre enfant ! N’es-tu pas heureuse ? » Alors qu’elle s’était penchée pour apercevoir le visage du nouveau-né, aux mots de son mari, elle porta un regard noir sur lui. Comment pourrait-elle être heureuse ? A ce moment-là, elle ne pouvait que s’imaginer le pire. Elle se souvenait de la tristesse qu’il avait éprouvé lorsque les médecins leurs avaient dits qu’ils ne pourraient jamais avoir d’enfant : cette nouvelle les avait dévastés l’un comme l’autre et elle n’avait pu se sortir de la dépression qui avait suivi que parce que son époux se montrait fort. « D’où est-ce qu’il vient ? Mais bon sang ! Qu’est-ce qu’il t’ait passé par la tête ? » Ses joues prenaient feu. Etait-il devenu fou ? N’était-il donc pas conscient des conséquences de son acte ? Ils allaient finir en prison, il fallait à tout prix qu’il rende ce bébé à ses parents. « Meg’ écoute-moi, j’étais à la recherche de potentielles preuves lorsque je l’ai trouvé dans une benne derrière l’immeuble où s’est déroulé le carnage. Il a été abandonné Meg’, je n’allais tout de même pas le laisser là-bas. » Elevant la voix, elle rebondit. « Tu aurais pu l’emmener à tes supérieurs, à une assistante sociale, merde ! Comment tu comptes t’en sortir maintenant ? » Avant de répondre, il se déchaussa tant bien que mal, ne se servant que de ses pieds pour accomplir la tâche puis demanda à sa femme de le suivre au salon. Délicatement, il déposa l’enfant sur le canapé en prenant soin de le border de coussins pour ne pas qu’il tombe. Il s’éloigna de quelques pas et chuchota afin de ne pas réveiller leur « invité ». « L’as-tu bien regardé ? Il n’a que quelques jours, on peut très bien le déclarer comme notre bébé, celui que tu as porté pendant neuf mois. Tu n’aurais accouché que ce soir, tard dans la nuit ou bien au petit matin. » Portant ses mains à sa tête comme pour l’aider à réfléchir, elle tourna le dos à son homme, sortit de la pièce un moment et revint en soufflant. « Personne ne m’a vu enceinte, personne ne nous a entendu parler de grossesse ! Ça ne tient pas la route ! » Il lui prit la main comme pour la rassurer. « Tu as fait un déni de grossesse. Nous n’étions pas au courant, ça ne se voyait pas. » Elle observa, par-dessus l’épaule de Jack, l’être qui dormait sur son canapé, elle ne pouvait plus le quitter du regard, déchirée par son envie refoulée d’être mère et sa morale. « Ce n’est pas bien… J-j’ai peur… » Il attrapa son menton et lui fit pivoter la tête pour croiser son regard. « Ne voulais-tu pas un petit Ian ? » Elle sourit, se remémorant les nuits passées à éplucher les sites internet recensant les prénoms les plus courants, les plus rares, toutes origines confondues, de toutes longueurs, composés ou non. Ian était le prénom de son frère décédé à l’âge de trois ans alors qu’elle n’avait que le double. « Es-tu sûr que ce soit un garçon au moins ? » Surpris, il haussa les sourcils un moment, jetant un œil sur le bébé. Il ne s’était pas posé la question, peut-être qu’une vérification s’imposait. Il s’avança, découvrit l’enfant de sa veste, puis de sa couche avant de s’apercevoir de l’erreur commise depuis le début. Il se tourna vers sa femme, un plus grand sourire aux lèvres que lorsqu’il était rentré chez lui, plus tôt. « Je te présente alors notre petite Gracy. » Elle continua. « Grace Daria Jenkins. »

« On ne pourra jamais être ensemble tant qu’elle restera vivante, tu le sais ? » Je caressais sa joue du revers de ma main, sentant sa pilosité griffer lentement ma peau, une sensation qui m’était plus qu’agréable. J’aimais la facilité avec laquelle je manipulais ces êtres frêles qu’étaient les hommes, eux qui nous étaient présentés depuis le plus jeune âge comme des princes, des sauveurs, eux qui semblaient avoir tous les droits sur nous, les femmes, étant donné qu’ils avaient la gentillesse de nous porter de l’intérêt. Au final, que sont-ils d’autres que des poupées avec lesquelles les femmes pouvaient jouer ? Leur appétit sexuel guide chacun de leur pas, se retournant au moindre cul plus bombé que celui de leur compagne. Et ce sont eux qui dirigent la plupart de nos pays ? Ce sont eux qui sont bien mieux rémunérés ? Pitié, nous avons le pouvoir de les faire chavirer, de les faire exécuter tous nos désirs. Il tenta de m’embrasser, mon doigt s’interposa et je lâchai un « ah, ah » en guise de mise en garde. Ce n’était pas encore le moment, il devait tout d’abord me satisfaire. Derrière lui se trouvait sa femme, assise sur une chaise, pieds et poings liés, bâillonnée, saignant déjà de l’arcade sourcilière suite à un violent coup qui avait eu pour conséquence de l’assommer. J’approchai ma bouche de l’oreille de l’homme afin de lui susurrer « Pourquoi porte-t-elle mon alliance ? » Je reculai la tête, affichant une légère moue de contrariété. « L’aimerais-tu plus que moi ? » Il attrapa le couteau en céramique se trouvant sur le plan de travail et se dirigea vers sa femme. Je m’assis alors en tailleur juste en face d’elle, afin de ne rater aucun instant de la scène, aucune expression sur le visage de cette jolie blonde, mes coudes sur mes genoux, mes doigts croisés soutenant ma tête penchée, illuminée par mon fameux sourire narquois. Elle me regardait avec horreur, les yeux gonflés et humidifiés par les larmes qui y découlaient. Rien n’avait d’égal que ce sentiment de toute puissance lorsque nous pouvons décider de la vie ou de la mort d’une personne, lorsque son destin nous appartient. J’observai allègrement l’homme lui sectionner l’annulaire gauche, les hurlements, étouffés par le tissu, de la femme sonnaient comme une douce mélodie. Je me laissais bercer par ces sons, lâchant un léger gémissement de satisfaction. L’homme envoûté m’apporta le doigt coupé que je balançai alors par-dessus mon épaule. Je tendis le bras en l’air, aussitôt il l’attrapa et m’aida à me relever comme le gentleman qu’il était. Tranquillement je me baladais dans la pièce, laissant mes ongles glisser sur les meubles. « Tu dois sûrement te demander ‘’Pourquoi l’avocate de mon mari m’inflige cela ?’’ » J’arrêtai ma marche, me mis à rire aux éclats sans réellement savoir pourquoi, sûrement pour me donner une image encore plus diabolique. Après quelques secondes, je pris dans les mains une photo encadrée du couple heureux devant ce qui devait être leur toute première maison. « Comment peut-on rester avec un homme qui a violé et tué des femmes ? » Mes traits se durcirent, la rage me faisait bouillir. La photographie ne tarda pas à s’éclater au sol après avoir percuté l’homme qui ne recula pas d’un pas, trop occupé à nous imaginer, lui et moi vivre un parfait amour. « Tu n’as donc aucun respect pour toi-même ? » Je vins me placer derrière elle, tira ses cheveux, les tenant fermement dans ma main. « Comment as-tu pu fermer les yeux sur ses crimes ? » Repoussant violemment sa tête vers l’avant, elle se remit à sangloter. Mon visage s’adoucit à nouveau pour mieux charmer son mari qui, dès que nos regards se croisèrent, me rejoignit auprès de sa charmante femme. Un sourire et des battements de cils, son esprit était entièrement à moi. « Je suis jalouse de ses yeux, ils sont bien plus beaux que les miens… » Il empoigna rapidement un ustensile doté d’une lame plus fine que celui qu’il tenait déjà et l’inséra délicatement dans les orbites de la demoiselle. Mes mains courraient sur le dos et les épaules de l’homme. Il suffit d’un tout dernier mot pour qu’il lui porte le coup de grâce. Je tremblais d’excitation face à la scène. J’avais certes défendu cet homme au tribunal, lui permettant d’être reconnu innocent faute de preuves, cependant il n’était pour moi ni plus ni moins coupable. S’il n’avait pas payé pour les crimes qu’il avait commis quelques semaines plus tôt, il paierait pour celui perpétré ce soir. Je décrochai ma veste, prête à retrouver mon lit. Afin que le meurtrier reste encore quelques temps sous mon emprise avant que la police ne surgisse, une dernière caresse était de mise. Il ne me restait plus qu’appeler depuis une cabine téléphonique me faisant passer pour une voisine ayant entendu de violentes disputes et le tour était joué. L’homme n’aurait aucun souvenir de la soirée.