Ma démarche allait être brute, sans douceur et très directe. Peu de personnes voyait en moi ce côté de ma personnalité. Tout le monde avait tendance à me prendre pour une pacifiste, sans force, faible ou avec un minimum de piquant pour rester en vie. En vérité, j’avais une carapace bien dure, parfois je me montrais presque cruelle avec mes amis en les taquinant et ces derniers jours, je n’étais qu’une ombre parmi les ombres. Pourtant, comme une flamme sur le point d’être soufflée, j’avais un regain d’énergie, mais d’énergie mauvaise. Ma cible serait sûrement contrariée de me voir, mais à vrai dire, j’avais déjà l’équivalent d’une bouteille de rhum dans l’estomac. Alors je n’avais plus toute ma tête. J’avais même hésitée à appeler ce psychologue ou psychanalyste aux yeux d’un bleu envoutant… Mais les touches de mon téléphone dansaient devant mes yeux. Tant pis pour lui… Enfin, j’imagine.

Persuadée que j’allais enfin parvenir à composer correctement un numéro, j’apercevais le prénom d’un homme que je n’avais pas vu depuis très longtemps. Seth, je me suis toujours demandé si c’était dur de draguer avec un prénom qui parait atypique ou si au contraire, ça aide. Qu’importe, la cible était toute trouvée et au moins, si je tombais à ses pieds, il aurait assez de force pour me relever. A moins que ses muscles soient des ballons ?... Il fallait avouer que je n’avais jamais eu l’occasion de le vérifier par moi-même. Je déambulais dans les rues, fixant alors les numéros, sachant qu'elle était l'adresse du mutant. En réalité, j'espérais surtout ne pas rentrer chez n'importe qui, mais il me semblait que je reconnaissais l'endroit ! Alors, prenant une profonde inspiration, je tentais de marcher droit devant la porte. Manquant de tituber à la porte d’entrée, je réussi malgré tout à me manger la poignée de la porte en tentant de me rattraper dessus. D’un regard de défi, je fixais cette sonnette en me mordant allégrement la lèvre. J’y arriverai ! Une fois l’index posé sur le bouton, je ne lâchais pas prise, convaincue que la sonnette faisait une musique mélodieuse avec son son strident.

« Pas trop tôt ! » Chantonnais-je en profitant de l’ouverture de la porte pour m’engouffrer sans même dire bonjour. Je regardais de haut en bas le mutant qui me faisait face et mes pensées fusaient à voix haute. « C’est comme ça que tu t’habits quand t’es chez toi ? Ok. » Je sortais de mon sac à main de la poudre blanche avant de coller le petit sachet contre le torse de Seth et de me rapprocher de lui, comme si j’allais lui délivrer le message le plus important de toute l’humanité. « Donne là à un copain qui n’arrive pas à soulever des filles, je suis sûre qu’il arrivera à se faire un bon tripe… J’en ai encore deux sachets dans mon sac, mais je sais pas si je dois les utiliser pour moi… » Mon regard se posa soudainement sur le plafond, comme si j’étais face à la toile d’un grand maître.  « Whoa, ton plafond est … Je sais pas …. Grand ? Espacé ? Les deux. Bref, on s’en fiche. » Descendant progressivement mes yeux, je croisais ceux de mon ami et je fis une moue contrariée. « Tu l’es, hein ? Amoureux ?... J’aurai dû frapper à la porte d’un mec qui se fiche pas mal de coucher à droite, à gauche, avec une amie, ou non. Sorry, dude. » Prenant mes aises en m’asseyant par terre, je déposais mes bouteilles d’alcool à côté de moi. Oui, ce début de soirée avait été très dur. « J’ai fait une connerie je crois… Mais c’est pas dû à ce que tu crois. » Hochant la tête d’un geste mécanique, je pensais évidemment qu’il penserait au fait que j’étais… Légèrement alcoolisée. Pourtant, mon visage grave pouvait donner l’impression que je prenais le contrôle de moi-même. Sans doute que dans deux heures, si je ne touchais à rien, ce serait le cas… Mais là, ce n’était pas gagné. « Tu sais pourquoi je suis ici toi ? Non ? Moi je le sais, personne d’autre ne devait le savoir… Je crois que j’ai fait une connerie. » Répétais-je, me parlant à moi-même ou me confiant à un ami qui ne m’avait rien demandé. Je n'en sais rien. J’avais pourtant réussi à me taire pendant deux ans, et maintenant j’avais l’impression d’exposer ma vie à beaucoup trop de personnes.

Répondre vite était normalement l’un de mes traits de caractère, mais l’alcool détruit pas mal de choses et ma capacité de réflexion s’en trouvait totalement diminuée. L’écoutant d’une oreille attentive bien que je semblais ailleurs, j’attendais qu’il me rejoigne pour le regarder dans le fond des yeux, comme si je cherchais quelque chose dedans. De toute évidence, je ne l’avais pas trouvé, parce que soudain, j’observais le chat comme si je n’en avais jamais vu de ma vie. Un mélange d’émerveillement et de stupéfaction allumait mon regard.

« Un chat ! Seth, tu as un chat ! Il est troooop chou. Moi je ne prends pas d’animaux parce que je trouve que chez moi, c’est déjà trop petit pour moi… Et puis les poils sur mes fringues, ce n’est pas mon truc. Ah oui ! La poudre ! » Lançais-je soudainement, comme s’il venait à peine de me questionner. « Ba j’étais serveuse de bar, c’est pour ça que tu m’as dragué il y a lonnnngtemps. Et ba, j’ai demandé à un mec qui a demandé à un pote. J’ai vu un autre mec, il m’a donné ça et je lui ai donné des billets. Mais c’est logique, non ? Je ne comprends pas pourquoi tu poses la question. »

Le regardant faussement de haut en bas, j’étais malgré tout vexée. Il avait été un ancien coureur et il avait même tenté sa chance avec moi, enfin c’est ce qu’il me semblait. « Je trouve ça super vexant que tu ais l’air aussi insensible au fait que j’étais prête à coucher avec toi ! Bon, ok, j’ai carrément bu, mais ce n’est pas une raison… Je suis jolie et tu aurais eu beaucoup de chance si tu n’avais pas été en couple, je tiens à te le dire… Tu as du whisky ? » Cherchant du regard sans pour autant me lever, le sol était confortable après tout… Je me rembobinais ce que Seth avait dit, mais à mesure que je perdais le fil, je soufflais de façon exagérée.

« Ah oui ! » Je me tapais le front, réalisant pourquoi j’étais vraiment là. « On est bien d’accord que l’amour c’est merdique ?... » Plissant le regard, le regardant longtemps, je faisais la moue, réalisant ce que j’avais dit plus tôt à son égard. « Bon, oublie, je parle à ton ancien toi ! Donc, l’amour c’est merdique. » Mettant mon index sur le sol comme un point d’honneur, j’exigeais que cette variante ne soit pas remise en doute. « Alors je couche à droite et à gauche… Je tombe souvent sur des chasseurs et j’ai pas de chances et voilà… Il y en a peut-être un que je vois… un peu trop. » J’appuyais ces derniers mots, mimant d’un geste mon index et mon pouce qui écraserait un raisin imaginaire. « Je crois qu’il me prends pour une pute, tu sais… Comme avant. En fait, quand je suis sobre, je pense qu’il a des sentiments… Mais c’est un mec, un mec riche, alors je redescends sur Terre quand j’ai plus d’alcool que de sang dans mes veines. » Je fronçais les sourcils, accompagnant un nouveau passage de silence, comme si je ne faisais que reprendre ma respiration. « J’ai dit à cet homme pourquoi je tenais à Radcliffe. Je n’aurais pas dû… J’ai un mauvais pressentiment. Personne ne savait avant. Personne sauf elle et maintenant… Je crois que j’ai mis en danger la seule personne qui compte plus que ma vie, plus que la vie de quiconque. »

Le plus triste dans cette histoire, c’est que j’étais tellement attachée à ma sœur que l’on aurait presque pu penser que j’étais une jeune mère qui cherchait à défendre son enfant. Mais c’était vrai, tout était vrai, j’avais plié bagages pour elle. J’avais laissé mon grand-père et mon ex, qui était pas mon ex… Bref, je m’étais comportée comme la reine des garces pour un lien de sang. Pour une personne que je ne connaissais pas vraiment. Mais un lien unique s’était créé et c’était plus fort que moi, plus que tout, il fallait que je la protège elle. Peu importe si cela devait me coûter la vie, peu importe si c’était un acte égoïste. Elle était ma pierre précieuse. Une famille que je souhaitais mais qui ne voudrait jamais de moi.

Seth n’était pas forcément la première personne à laquelle je pensais quand ça n’allait pas. Mais force était de constater que je ne pensais à personne quand ça n’allait pas de toute façon. J’étais celle qui voulait écouter et non être entendu. Il y avait un côté narcissique dans le fait de se confier, du moins, c’est toujours comme cela que je craignais que l’on me perçoive. Ou encore pire, une assistée, une personne incapable de réfléchir par elle-même pour régler ses propres problèmes qui ne concerne qu’elle. Alors que pourtant, jamais je ne portais de jugement sur les personnes qui venaient s’ouvrir à moi. J’aimais pouvoir aider mon prochain, ami ou juste simple connaissance. Je n’aimais peut-être tout simplement pas reconnaitre que je m’étais perdue moi-même. Pourtant c’était bien le cas, là, assise à même le sol chez un homme qui autrefois avait essayé de me séduire pour sans doute le coup d’une nuit. J’avais bu, j’étais complètement perdue et je jouais les mortes depuis quelques mois déjà. Je n’avais plus aucun rayon de lumière qui traversait mes fenêtres. Sauf un homme et une sœur. L’homme était charmant, mais peut-être trop et la question se posait, est-il un ange ou le diable personnifié ? La sœur était le lien du sang, le tout pour lequel je voulais rester dans cette ville même si en cette période, je dépérissais et pourtant cette dernière serait prête à louer le ciel pour que je m’en aille et ne plus croiser mon chemin. J’avais fait des choix et je ne les regrettais pas, sauf un, celui d’avoir révélé à l’homme l’existence de la sœur. Alors Seth était devenu l’ami tout trouvé, celui qui au fond, devrait se moquer pas mal des tournants que prenait ma vie et de quelle façon je la menais. J’avais creusé un fossé autour de moi, il fallait se l’avouer et ne plus se voiler la face. J’étais sans doute entièrement responsable de ma chute au septième sous-sol.

Et pourtant, au bord du gouffre sans fond, plus d’alcool que de sang qui brûle dans mes veines, je ne pouvais qu’exploser de rire à sa remarque, me moquant sans vergogne de sa réflexion. « Dit le mec qui m’a pratiquement mis une main aux fesses alors que j’étais en couple ! » Je reprenais mon souffle avant de m’étouffer. « Ce n’est pas de ma faute, c’est celui du destin, peut-être que si on couchait ensemble, le monde exploserait. » Et oui, cette pensée me semblait parfaitement logique et indiscutable. Le suivant du regard presque en bougeant tout mon corps, comme si c’était réellement nécessaire, je le regardais revenir avec des verres et les remplir avant de me saisir de l’un d’eux du bout de l’index et du pouce. J’avais entendu sa question, mais autre chose me taraudait, et vu mon état, je me préoccupais plus de mon cerveau que de ce que je pouvais entendre autour de moi. « Si tu étais venu chez moi dans l’état où je suis, j’aurai été beaucoup moins sympa sur la boisson, t’es cool, merci ! » Concluais-je comme si j’allais pleurer face à sa gentillesse de me servir encore de l’alcool. « Oui, mais je couche avec un paquet de mecs en fait… Chose que je ne faisais pas du tout avant, j’étais plutôt la spécialiste des claques. Force est de constater quand génééééral, ce sont des putains de chasseurs qui couche à droite et à gauche. Voilà… Alors j’avoue que je m’inquiète par rapport à un où je sais pas… » Ma situation était grave et pourtant, l’entendre de la bouche de Seth ne me fit que l’effet contraire. Au lieu de pleurer, je n’arrêtais pas de glousser dans une sorte de fou rire incontrôlable. « Je ne suis sûre de rien ! C’est peut-être le lapin blanc d’Alice… C’est peut-être un lemming… Je ne sais pas s’il chasse, mais quand je suis plus à côté de lui, je sais pas pourquoi mais j’ai des doutes sur lui… Alors j’en sais rien, je m’inquiète trooop pour quedal. » Alors qu’en il suggéra de prévenir Faith, mes yeux s’embuèrent de larmes. « Ma sœur me déteste déjà… Si elle apprends que j’ai évoqué son existence au détour d’une conversation, plus jamais je ne pourrais espérer qu’elle finisse par s’entendre avec moi. » Personne n’était au courant, aucun proche tout du moins, à part Joachim. Les rares personnes qui savaient que j’étais venu dans cette ville pour chercher Faith ignorait même le pourquoi. Tout le monde pensait que j’étais fille unique. Paradoxalement, même Joachim ignorait jusqu’au nom de ma sœur, mais ça ne m’empêchait pas d’être morte d’inquiétude pour elle.

Finalement, ce qui me rapprochait le plus de Seth, c’était le fait que certains sujets ne pouvaient pas être abordés parce que nous gardions jalousement certains secrets pour nous. Pourtant, cette nuit, c’était pour me délivrer de ces secrets que je mettais permise de m’inviter chez lui, légèrement alcoolisée. Certainement que je regretterais mon geste plus tard, mais toujours est-il qu’il y a un moment où n’importe quel être humain craque et a besoin de dire ce qu’il a sur le cœur, même ce qu’il s’était juré de garder pour lui jusqu’à la tombe et même au-delà. Je mimais un merci quand ce dernier m’invita à boire mon verre sans que je ne puisse avoir de regrets, de toute façon, vu mon état, les regrets ne viendraient que bien plus tard et avec un mal de tête en prime. Sinon, où serait le plaisir de boire ? « La justice humaine me fait rire au fond… Tu sais, pour l’argent tout ça. Les riches ne sont jamais inquiétés de ce qu’ils ont ou presque. Les moins aisés on les traite de voleurs quand ils ont quelque chose qui semble être au-dessus de leur moyen. Les politiciens sont les vrais voleurs ! » Concluais-je dans une logique alcoolisée n’appartenant qu’à moi, avant de boire une gorgée du verre que j’avais attrapé du bout des doigts.

Le sujet portant encore et trop souvent sur les chasseurs semblait me faire réfléchir et ce qui allait sortir de ma bouche allait être énorme. « C’est vraiment des rats de la pire espèce si en plus de tuer ils s’amusent à faire la tournée des plumards. » Que cela vienne de moi était complètement risible vu que c’était exactement ce que je faisais depuis quelques mois. C’était encore plus risible si on prenait le fait que je le disais à Seth qui avait eu une période à sauter d’un lit à l’autre, lui aussi. « Remarque, s’ils avaient des gosses ce serait pire… » Argumentais-je finalement, les yeux plissés, réfléchissant soudainement à ce que pourrait être l’éducation que donnerait un chasseur. Après tout, j’étais une bâtarde venant d’un chasseur, cela ne devrait pas m’étonner plus que de raison.

Finalement, même sous l’emprise de l’alcool, je sentais les regrets arriver quand Seth me demanda des informations sur celui qui partageait bien plus que de raisons ma couche. « Non… C’est mal, je l’aime je crois… Je ne veux pas qu’il ait de problèmes non plus. » Parce que bien que j’aimais énormément Seth, je ne devinais pas toujours quelle était son type de fréquentation et je craignais pour Joachim. « Tout ce que je peux dire, c’est qu’il tient une galerie d’art… On est gentil quand on aime l’Art, hein ? Diiiis oui. » Bon, l’alcool reprenait le dessus et j’espérais que quelque part, ce genre de questions idiotes s’effaceraient d’elles-mêmes. « Son nom de famille… Je sais qu’à un moment je l’ai lu et que ça m’a perturbé. » Pour cause, le nom de famille était le même que mon paternel. Mais c’était un nom de famille très répandu et ce coin de la famille, avait, fort heureusement, été calcinés. Seulement, quand on ne veut pas voir quelque chose, on ne le voit pas, alors j’avais totalement oublié que Joachim portait exactement le même nom que ma sœur. Sans doute avais-je peur qu’en le gardant en mémoire, je me rendrais compte qu’il y avait un véritable problème. Ce problème, s’il existait, jamais je ne pourrais l’encaisser.

Revenir au sujet de ma sœur était un peu le coup de grâce. Déjà qu’elle ne m’aimait pas, si en plus je lui amenais un problème alors qu’au contraire je voulais l’aider, c’était fini. Je n’avais plus qu’à me couper les veines, ce serait sans doute moins douloureux que d’avoir donné sa vie à quelqu’un qui vous mépriserait. Je n’étais pas mère, mais je compatissais soudainement aux malheurs des parents qui connaissaient la période adolescente de leurs enfants. Mais Seth vient me soutenir et me rassurer, bien qu’il ne connaisse pas le phénomène. Même si je comprenais le point de vue de ma sœur, elle était dure, bien plus que moi en tout cas. « J’en sais rien… » Commençais-je par répondre quand je m’étais suffisamment calmée, tout en commençant à retirer mes talons. « J’ai changé de vie il y a un peu plus de deux ans quand mes recherches semblaient indiquer que ma sœur habitait peut-être par là… Elle a changé d’identité et je la comprends. C’est ma demi-sœur et notre père était un sacré enfoiré dans tous les sens du terme… Si je vis ici, c’est seulement pour être là si jamais elle a besoin de moi, un jour. Mais elle ignorait mon existence avant que je n’arrive alors je peux comprendre qu’elle me déteste… » Laissant tomber ma tête sur l’épaule de Seth à la manière d’un chat plus que de celle d’un être humain, je lui posais enfin la question, bien qu’elle tombait un peu comme un cheveu sur la soupe. « Et toi ? Ça va ? »

Infligé cela à un ami ne faisait pas parti de mes habitudes. Plutôt secrète et plongée dans le mystère, j’aimais percer ceux des autres. Jamais je ne m’étais confiée comme cela à un ami, seul Will, mon ex petit ami que j’avais presque abandonné sur la route. Mais parce que je savais qu’il n’avait pas besoin de moi pour continuer à avancer et vu l’épave que j’étais, sans doute avais-je besoin de lui, mais je n’en avais fait qu’à ma tête. Faith était devenu mon essentiel alors qu’elle n’était qu’un visage lointain d’un poupon blond en compagnie de notre père, de son grand frère et de sa mère, qui de loin, semblaient tous l’aimer. Pourtant, je le savais encore aujourd’hui, ce n’était pas de la jalousie que j’avais ressenti ou que je ressentais maintenant à l’évocation de ce souvenir. Non, c’était le besoin de faire partie de ce tout, de trouver ma place aussi, mais j’avais pensé à tort, à l’époque, que Faith était heureuse. Personne n’entendait ou comprenait sa complainte vis-à-vis de l’attitude de son père qui sauvait les apparences en public. Seth était un ami, il aurait pu être plus si nos chemins s’étaient croisés autrement, pas à la même date. Mais c’était mieux ainsi. Seul Joachim était l’exception, les personnes avec qui je couchais finissaient bien souvent par n’être qu’un visage qui avait croisé ma route, sans plus. Pour la première fois, je commençais à comprendre ce qui pouvait paraitre libérateur, mais à la fois terrifiant dans le fait de se confier. On donne sa confiance à quelqu’un et cette personne est libre d’en être digne ou au contraire de vous plonger encore plus dans le désarroi et le désespoir. Sans le savoir ou le comprendre maintenant, je rendais mon amitié avec Seth bien plus réelle et significative. Je lui ouvrais mon cœur et seulement ce qu’il en ferait déterminerait s’il allait être un ami précieux ou une simple connaissance.
Dans mon plus grand malheur, j’avais toujours été attirée par tout ce qui brille et sans doute que dans une autre vie, j’avais été une pie. Alors il ne fallait pas que Seth se sente offusqué par mes paroles, si je le pouvais, je me roulerais dans l’or. Ce que je voulais spécifier, c’est que certaines personnes seraient capables de le regarder de travers en lui demandant comment il avait fait pour se procurer un tel nectar. Quoi qu’il en soit, n’ayant pas toute ma tête, le changement de sujet était facile, tout aussi facile que d’oublier le sujet précédent.

« Peut-être que je deviens chasseuse sans le savoir… » Réflexion totalement dépourvue de sens d’une alcoolique sous l’emprise du liquide. Comme si coucher à droite et à gauche allait me donner le goût et l’envie de tuer, mais après tout, allez savoir.

Sans doute m’étais-je fais mal comprendre. Mais quoi de plus normal vu mon état d’ébriété ? Je plaignais les enfants des chasseurs, qui eux, ni étaient pour rien. Or Seth semblait penser que j’imaginais que chaque enfant serait chasseur à leur tour. Posant mon index sur la bouche de Seth, je secouais la tête en signe de négation. « C’est pas ce que j’ai voulu dire ! Je les plains et j’en sais quelque chose… Mon père était chasseur et c’était un enfoiré qui a tué ma mère, pensant que c’était elle la mutante. En plus il n’était même pas bon… » Ou il avait une furieuse envie de se débarrasser des preuves de son infidélité à sa femme légitime qui avait péri dans les flammes avec lui. Pour quel péché cette femme brûlait en enfer avec les membres de sa famille pourri jusqu’à l’os ?  Sans doute pour avoir fermé les yeux trop longtemps sur l’activité familiale qui consistait à tuer tout ce qui n’est pas… eux. « Je trouve ça dur pour des enfants… Être élevé par des personnes qui ne voient que mort et désolation, qui prennent du plaisir à traquer des personnes non pour leurs actes, mais pour leur nature. Je plains les enfants de chasseurs, je ne les condamne pas, bien au contraire, je compatis à leur douleur… Alors j’espère qu’ils se protègent quand ils jouent à saute-mouton ces tueurs crétins. »

La question me vint directement en bouche, beaucoup trop mûre pour réussir à la garder dans la tête et y répondre moi-même. « Pourquoi ? » Et puis en me rappelant mes mots précédents, je comprenais que Seth insinuait que peu importe ses goûts, Joachim pouvaient très bien être une mauvaise personne. « Mais non je panique c’est tout… Je n’ai plus jamais fait confiance à personne et je fais encore moins confiance aux hommes quand je repense à ce visage… » Celui de mon père, ce regard froid et droit à la fois et cette satisfaction du bout des lèvres d’avoir éteint le seul être qui avait su me bercer d’amour depuis la naissance. Le seul pour qui je comptais vraiment. Le seul qui avait réellement besoin de moi. « Joachim n’est pas comme lui, j’ai envie de croire qu’il est différent et qu’il est bien pour moi. » Son prénom m’avait échappé, mais qu’est-ce qui ne m’échappaient pas ces derniers temps ?... Pas grand-chose finalement.

Le sujet Faith était douloureux, aimer à sens unique était douloureux et il me semblait qu’à part ma mère et mon grand-père, je n’avais connu que cela dans ma vie. Aimer à sens unique. Même Will qui pensait m’aimer ne m’a pas retenu. C’était égoïste de penser de cette façon, mais c’était pourtant vrai. Personne ne m’aimait vraiment pour ce que j’étais et sans doute étais-je une grosse boule anxiogène pour les personnes qui étaient victime de mon affection, attendant sans vraiment le comprendre, une certaine réciprocité. « Non elle a raison… Qu’est-ce qui l’obligerait à m’accepter ? Je ne suis personne pour elle. » Je les sentais monter, ces larmes, ce désarroi, et pourtant je restais là, à contrôler mon souffle, ne souhaitant pas montrer à quel point je pouvais être une ratée sur ce domaine. Les émotions étaient compliquées à gérer, pour tout le monde et j’aurai aimé, rien qu’une fois, avoir quelqu’un qui tenait vraiment à moi et m’épaulait, tout en ayant aussi besoin de moi en retour. La vérité, c’est que je n’étais indispensable à personne.

Attrapant dans ma main droite le visage de Seth, lui pinçant les joues par la même occasion, je le tournais vers le mien. « Quoi ? Tu joues à ça ?  Qu’est-ce que tu t’en fiches de me dire ce qui ne va pas, dans la mesure où mon taux d’alcool est tellement élevé que je ne pourrais jamais jurer que ce que tu me dis est réel ou non. » Il suffisait de voir à quel point j’étais crédible moi-même avec mon ça va depuis plusieurs mois pour comprendre que non, Seth n’allait pas bien et risquait de faire une chute en enfer comme je le faisais présentement.