“ No one will ever change this animal I have become ”

L'adolescente recouverte de vêtements sales et déchirés était installée dans la ruelle et mangeait un peu de pain qu'elle avait trouvé dans un restaurant non loin de là. La tête levée sur les immeubles touchant pratiquement le ciel, elle était fascinée. Alors c'était ça les États-Unis ? Des grattes-ciel et des habitants trop occupés à vivre leur petite vie sans faire attention à la gamine des rues. Pourtant, elle se contentait du peu qu'elle avait. La Hawke avait quitté le Canada depuis plusieurs mois déjà et découvrait un nouveau monde. Loin de la nature et des arbres. La civilisation. Elle avait bien vécu les dix premières années de sa vie comme une enfant des plus normales mais désormais, toute cela lui paraissait si lointain. Vivre une décennie dans la peau d'animaux l'avait éloigné de son humanité lentement. Pourtant, elle était là, au milieu des rues de New York à découvrir ce nouveau monde. Les gens avec leurs valises, leurs journaux. Les taxis jaunes qui faisaient un bruit de fou. Cette vie commençait à lui manquer. Vivre sous la peau d'une bête était libérateur. Plaisant. Les soucis et les souvenirs s'envolaient le temps de quelques battements d'ailes. Mais elle ne pouvait pas rester un animal toute sa vie. Elle était humaine... Toujours, ses pensées revenaient à cette nature profonde en elle. Alors l'adolescente passait de plus en plus de temps en ville. Une à l'autre. D'abord Washington, maintenant New York. Déjà, elle se demandait où elle irait ensuite. Un vieux plan crasseux entre les doigts, elle regardait le territoire américain dessiné sur le papier. Glissant son doigt, elle finit par s'arrêter sur un point vers le sud. Atlanta. D'accord, c'était décidé, sa prochaine destination serait Atlanta. Elle ne connaissait rien de l'histoire de cette ville. Rien des alentours non plus. Même New York, elle commençait à peine à découvrir l'endroit. Parfois, elle s'amusait à se transformer en aigle, voler jusqu'au sommet de l'Empire State Building qu'ils l'appelaient les touristes et elle reprenait sa forme humaine pour balancer ses pieds dans le vide, assise sur le bord du précipice. Et elle regardait les petites silhouettes et elle savait... Un jour, elle allait être comme eux.

“ Take These Broken Wings And Learn To Fly ”

Genoux repliés vers elle sur lesquels la mutante appuyait son carnet à dessins, elle se laissait emporter par l'inspiration. Quelques traits, quelques coups de mine par ci, et par là. Parfois, elle levait le nez pour détailler les traits du jeune homme occupé à lire des papiers dont elle ignorait la nature. C'était un cobaye parfait à rendre en portrait puisqu'il était pratiquement immobile. Les minutes puis les heures passèrent pendant lesquelles la belle continuait son dessin en silence et que lui corrigeait les devoirs de ses élèves. Après un moment, elle l'entendit soupirer et porta son attention sur le professeur. Elle comprit bien vite qu'il venait de terminer puisqu'il se levait pour venir la rejoindre sur le divan. « Alors, qu'est-ce que tu dessines ? » Cassandra eut d'abord le réflexe de lui cacher son carnet mais elle n'en fit rien. Elle resta figée et il s'installa à côté d'elle sur le sofa en jetant un coup d'oeil à sa feuille sur laquelle la jeune femme venait de retranscrire chacun de ses traits à lui. Clark parut tout de suite surpris, fasciné. « Je peux ? » Elle lui tendit le carnet en se mordant la lèvre. Mal à l'aise qu'il puisse voir ce côté si... artistique d'elle. « Tu sais, tu devrais exposer. » Cassie pouffa un peu de rire mais reprit son sérieux en voyant qu'il ne rigolait pas. Elle marqua un silence à le regarder dans les yeux avant de nier d'un hochement de tête. « Non, faut avoir plus d'expérience que quelques croquis du genre. J'suis pas une artiste. » Elle lui suivit du regard alors qu'il posait ses dessins sur la table basse du salon et reprenait place pour lui faire face. Surprise, elle le vit attraper doucement son poignet, et son avant-bras sur lequel trônait ses premiers tatouages qu'elle venait de se faire graver quelques semaines auparavant. « Dans ce cas, tu pourrais essayer de devenir tatoueuse, tu serais très douée, j'en suis sûr. » Elle garda le silence. Ça faisait peu de temps qu'elle avait recommencé à vivre sa vie humaine. À abandonner les bois pour une vie de société. Une vie normale. Elle n'avait jamais fait d'études, ne savait pas ce qui la passionnait dans la vie. Clark lui offrait sa protection et son toit sans rien demander en échange alors qu'elle n'était qu'une inconnue pour lui un an plus tôt. Elle lui avait fait part de son désir de travailler, trouver un emploi et tout cela. C'était lui qui lui avait offert le carnet à dessin et les crayons. Il voyait quelque chose en elle que Cassie ne voyait pas. Pourtant, ses mots se faufilaient lentement jusqu'à son esprit sauvage et lentement, elle se disait qu'il avait probablement raison. Elle aimerait bien être tatoueuse. Ce serait... différent. « Oui, peut-être... J'vais voir. Merci. » Un sourire coincé, son bras qu'elle ramena jusqu'à elle et déjà, elle bondissait hors du divan pour aller à sa chambre et s'y enfermer. La proximité avec le jeune homme la gênant soudain. La gênait déjà depuis un moment...

“ Because nobody loves me, it's true, Not like you do ”

Positif. Le test était positif. Assise au milieu de la salle de bain, Cassie avait les yeux ronds. Des yeux qu'elle porta à son ventre... Elle était... enceinte. Elle ne voulait pas y croire, pas l'accepter. C'était une nouvelle alarmante, qui faisait battre son coeur trop rapide pour le supporter. Elle s'était enfermée, elle n'osait plus bouger. Elle ne pouvait pas devenir mère. Pas après ce qu'elle avait fait à sa propre famille. C'était déjà un miracle qu'elle ait laissé Clark entrer dans sa vie, s'immiscer lentement dans son quotidien, jusqu'à la la chaleur et la tendresse de ses bras, elle ne pouvait pas avoir un enfant en plus. Même avec Clark, elle évitait d'aborder ce qui les unissait. Elle avait fait une erreur à succomber à ses yeux bleus, sa voix envoûtante. Oh qu'elle le détestait à présent. Tout était de sa faute. Elle serra les dents un instant et réussit à se calmer. Bien que non, ce n'était pas sa faute. Mais maintenant, elle n'avait plus le choix, elle allait devoir lui dire, lui annoncer l'horrible nouvelle. Alors, elle quitta le plancher de la salle de bain avec difficulté et se rendit à la cuisine. Elle resta dans l'encadrement de la porte jusqu'à ce qu'il se retourne et la remarque enfin. « Cassie ? Ça va ? T'es pâle... » Elle hésita, joua dans ses cheveux noirs et courts avant d'aller s'asseoir à la table de cuisine les épaules voûtées et évitant son regard. « Je... J'viens de faire un test de grossesse. Il est positif, Clark. Mais j'peux pas. Je peux pas, ok ! » Elle avait relevé les yeux sur lui pour voir son état de choc. Cependant, ça ne dura pas longtemps, il se jetait déjà à genoux devant elle, attrapant ses bras dans ses mains pour attirer toute son attention sur lui. « Hey, arrête avec ça. Ce qui s'est passé autrefois, c'est terminé. Je suis là pour toi, ça ne se reproduira jamais. » Depuis toutes les années qu'ils vivaient ensemble, qu'ils se côtoyaient, s'apprivoisaient - du moins que lui essayait de l'apprivoiser - elle s'était confiée. Il était devenu son meilleur ami, son bienfaiteur, son mentor... Absolument tout pour elle. Il avait raison, elle le savait. Mais alors pourquoi la peur continuait-elle de la poursuivre partout... « Je t'aime Cassie. » Son regard se planta dans le sien, prise au dépourvue. Des mots qu'elle n'avait jamais entendu prononcés pour elle... sauf par ses parents morts et enterrés. « Je t'aime... depuis longtemps maintenant. Je le veux cet enfant avec toi. Et tu le veux aussi, je le sais. » La belle resta bouche bée. Il avait raison. Il avait toujours raison. Elle se sentait idiote, comme une enfant. « Je t'aime aussi. » Depuis qu'il l'avait recueilli, depuis qu'il lui avait tout appris. Depuis qu'il l'avait poussé à vivre de sa passion. Elle en avait marre de fuir, de s'voiler la face. Peut-être bien qu'elle méritait d'être heureuse. Peut-être bien que le passé n'avait plus d'emprise sur elle et qu'elle pouvait commencer à regarder vers l'avenir. Vers eux. Vers cet enfant. Et elle n'arrivait pas à croire que c'était officiel. Clark et elle... contre le monde entier.

“ i can't drown my demons, they know how to swim ”

La petite cabane au fond des bois était bien tranquille. Habitée seulement par l'âme solitaire de la Hawke. Elle ne se sentait pas bien. Un an qu'elle était partie. Un an qu'elle avait repris ses veilles habitudes à préférer la fuite que de se confronter au danger. Un an qu'elle essayait de se convaincre que c'était pour le mieux. Vivre loin des deux hommes de sa vie était la meilleure chose à faire pour ne pas les blesser. Elle avait failli faire du mal à Clark... elle n'osait imaginer ce qui se serait passé si cela avait été son fils. Alors, elle replongeait dans la solitude. Cigarette entre les lèvres, elle observait le petit kit à vaccin étendu sur la table. L’aiguille vide qu'elle avait utilisé la veille traînait encore sur la table. Tremblante, son coeur battait la chamade alors qu'elle n'était qu'en train de penser à son prochain dessin. De plus en plus vite. Elle ne réalisait pas trop ce qui se passait mais une douleur atroce heurta son bras et sa poitrine au niveau du coeur. Elle était couverte de sueur, avait le vertige. La belle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle grinça des dents en plaquant sa main sur sa poitrine pour y mettre une pression. La douleur vive ne faisait qu'empirer et bientôt, elle peinait à respirer. La Hawke se leva d'un bond et attrapa le téléphone en accrochant au passage le kit à vaccin qui s'étala sur le sol. Elle tituba, heurta une chaise mais réussit juste à temps à mettre la main sur son téléphone. 9-1-1. Composer trois petits numéros lui paru être la tâche la plus difficile à faire et quand la voix à l'autre bout du fils s'éleva, elle ne la laissa pas prononcer grand chose, Cassie s'exclama. « À l'aide... J'ai mal... Cabane en bordure... de forêt. » Elle lui donna l'adresse avant de ne plus être capable de prononcer un mot. La dame au téléphone tentait de lui parler, de lui dire de rester calme. Seule sa voix permettait à Cassie de s'accrocher. Et les visages de Clark et Ayden. Par contre, la douleur était trop forte, son coeur s'emballait trop et après plusieurs minutes, il lâcha, n'arrivant plus à suffire à la tâche. La mutante perdit connaissance. Succomba au noir total, ne croyant plus jamais se réveiller et alors qu'elle croyait que s'en était fini de sa vie, elle réalisa une chose... Elle n'avait que des regrets...