– castle of glass –

JANIS ET JOREN / And you were there at the turn, Caught in the burning glow. And I was there at the turn, Waiting to let you know. We're building it up, To break it back down. We're building it up, To burn it down. We can't wait To burn it to the ground. – LINKIN PARK.

Ce type la suivait. Ça faisait quelques minutes qu’elle s’interrogeait sur la question, et quelques minutes de plus que son instinct avait commencé à lui soumettre l’idée. Mais maintenant, elle en était pratiquement persuadé : ce type la suivait.

Elle l’avait remarqué du coin de l’œil, alors qu’elle était partie se prendre un verre au bar d’à côté. Il était alors pourtant dans un coin, loin de l’attention et des regards des passants ; mais pas assez loin pour ses yeux à elle, entraînés à remarquer tout et tout le monde, à prévoir au moins deux issues à chaque situation, et à évaluer toutes les menaces potentielles qui pourraient se dresser entre elle et la sortie. C’était un calcul complètement inconscient, mais profondément ancré dans ses habitudes de vie depuis une petite vingtaine d’années maintenant. Et des manies du genre, c’était trop implanté pour qu’on puisse souffler dessus et les faire disparaître comme si de rien n’était.

Elle l’avait aperçu à nouveau en sortant du bar. Et maintenant qu’elle prenait une petite marche, profitant du calme de la soirée et de la tranquillité des rues, elle était pratiquement sûre qu’il la suivait. Elle avait changé l’itinéraire qu’elle avait au départ prévu d’emprunter, avait senti qu’il hésitait à lui emboîter le pas — mais finalement, il l’avait fait. Un agresseur déterminé n’aurait pas eu ce genre d’attitude ; ce type ne lui voulait probablement pas de mal, donc. Pourtant, il était grand. Visiblement plus d’un mètre quatre-vingt, et les épaules larges avec ça. Le genre de type qui avait l’air d’être capable de foutre une dérouillée à un gars sans trop mouiller son t-shirt. Le genre de type qui pouvait se la jouer assuré, mais que la petite McLeod avait très vite appris à ne pas craindre plus que les gringalets. La technique pour les envoyer au tapis était simplement à adapter. Mais ce type-là… Ce type-là, il n’avait pas l’air de lui vouloir de mal. Et bien qu’elle se sentît profondément irritée à l’idée d’être filée par quelqu’un dont elle ignorait l’identité, elle tentait par tous les moyens de ne pas s’emporter. Il ne servait à rien de virer à la folie furieuse — pas tant qu’il n’avait rien tenté.

Elle tourna au coin de la rue. Le petit jeu ne durait pas depuis assez longtemps pour devenir effrayant, et il était fort probable que l’autre soit en train de se demander si la pister était une bonne idée. Peut-être voulait-il simplement lui rendre la carte de bus qu’elle avait égarée un peu plus tôt dans la journée — après tout, qu’est-ce qu’elle en savait ? Mais la patience de la blondinette était, dans ce genre de situation, malheureusement assez limitée. On l’avait éduquée à survivre, on l’avait éduquée à flairer le danger. Ce type n’avait pas l’air d’en être un, mais il se comportait tout comme. Et dans sa tête, les choses étaient arrêtées : fallait tirer tout ça au clair.

Elle l’attend, dressée à quelques mètres du coin de rue, solidement campée sur ses pieds. Les poings et la mâchoire desserrés, mais pourtant prête à réagir en cas de danger. Et lorsqu’il tourne, c’est pour se retrouver presque nez à nez avec elle. Elle ne le plaque pas contre le mur, ne l’attrape pas par le col. Elle ne le menace pas, ne le brusque pas — rien. Elle ne ressent pas l’instinct animal qui la prévient du danger ; il n’y a rien pour l’alarmer. Pourtant, aucun doute à avoir : elle l’attendait. Et elle se contente de vriller ses yeux dans les siens, la teigneuse ; déterminée. « Pourquoi tu me suis ? » Son ton est plat, complètement neutre. La question est claire, et elle entend bien obtenir une réponse rapidement. Jouer, ça n’avait jamais été son passe-temps préféré.

Rien ne laissait présager que ce type puisse lui vouloir du mal. Son instinct ne lui soufflait d’ailleurs pas que ç’aurait pu être le cas, et elle n’avait aucune intention de se jeter à la gorge d’un gars innocent. La suivre n’était pas un crime, tant qu’aucun geste déplacé n’était commis, et que ça s’arrêtait à un moment donné. Alors elle s’était contentée de l’attendre, et se satisfaisait désormais de le fixer. S’il refusait de parler, alors seulement se mettrait-elle à potentiellement le brutaliser. Mais il n’avait pas l’air des plus réticents à coopérer, et il se défendit bien vite d’être un quelconque pervers ou psychopathe. Les propos l’auraient presque fait sourire, la petite blonde — si seulement sourire avait fait partie de ses attributs naturels. Elle n’aurait jamais fait l’erreur de sous-estimer le sacré morceau qui lui faisait face, mais elle était suffisamment grande et entraîner pour savoir se défendre face à un psychopathe. Elle tut bien ce détail, ne voyant nullement l’intérêt de le ramener dans la conversation, préférant écouter les explications qu’il pourrait lui fournir.

Mais contre toute attente, il ne dit rien, suggérant simplement qu’elle ne le croirait jamais. Une moue passa sur les lèvres de la blondinette, alors qu’elle enfonçait les mains dans la poche de sa veste, dévisageant son vis-à-vis. « Essaie toujours. » Elle était curieuse, et ça se sentait : une légère petite flamme dans la voix, une étincelle dans les yeux. Son instinct ne l’avait pas trompée : ce type avait réellement un motif dans sa démarche plutôt étrange, et elle avait envie de savoir ce que c’était. Elle ne craignait pas la menace, ne craignait pas ce que tout le monde désignait comme des chasseurs. De toute manière, cette saloperie de don avait disparu depuis quelque temps déjà, lui ôtant toute crainte à avoir de ces êtres qui traquaient ceux comme elles. Et le cas échéant, si ç’avait un quelque rapport avec ça, elle était bien placée pour savoir que tous les chasseurs n’étaient pas foncièrement méchants. Pour l’heure, la question ne semblait pas se poser, et elle aurait mis sa main à couper que ce type ne la suivait pas pour ça. La question restait cependant : si c’était pas pour ça, alors pourquoi ?