Fuir n’était pas une solution ? Bien sûr que si c’en était une. Ivory faisait d’ailleurs ça très bien depuis la veille alors que son père était venu la trouver chez elle. Père... géniteur, ordure... des qualificatifs qui lui allait nettement mieux que ce titre. Au fond, il avait fait quoi au juste à part foutre le bordel dans sa vie avec sa mère ? Puisqu’elle ne supportait plus d’être chez elle, elle était sortie, jugeant que c’était la meilleure idée qu’elle pouvait avoir. Jusqu’à se rendre compte qu’elle ne se sentait pas en sécurité sans sa mutation. Que si un fêlé voulait la tuer, il le pouvait. Alors progressivement, elle s’était éloignée du centre-ville, encore et encore jusqu’à arriver dans les coins paumés. Pas franchement mieux mais, moins de bruit, moins de gens. Elle ne pouvait pas sortir tranquillement cela dit, personne ne pouvait. Elle n’avait pas particulièrement envie d’aller dans les bois mais, maintenant qu’elle était là... Bob s’y sentait bien lui. Plus en sécurité qu’en ville en tout cas. Mais elle ne pouvait pas aller le voir. Elle lui aurait dit quoi ? « Coucou c’est moi ! Je pars en couille total, ça va toi ? » Non, pas possible. En plus, si Bob s’était exilé dans son coin, c’était pas pour rien. C’était bien parce qu’il voulait être tranquille et loin de ça, autant que faire se peut.

Bien décidée à ne pas interférer avec la tranquillité de son presque ami, elle opta pour la balade dans les bois et puis au pire, si elle se perdait et bien aucun chasseur -ou même son père- ne pourrait la retrouver, c’était tout bénéf. Y avait une faille dans son super plan du moment mais franchement, elle n’était plus vraiment en état de penser de façon cohérente. Pas tout le temps en tout cas.
Elle marcha un long moment, tranquillement, suivant d’abord les chemins et puis plus du tout, elle se laissa juste guider. Seulement, son esprit lui, il n’était pas décidé à la laisser faire ce qu’elle voulait. Lentement mais sûrement, sans qu’elle s’en rende compte, elle était sur le chemin de chez Bob. Constatant trop tard où elle était, elle fronça le nez et fit demi-tour, sans franchement s’éloigner. Elle ne risquait rien ici après tout. C’était près de chez Bob. Ivory s’installa au pied d’un arbre, rabattit ses genoux contre son torse et y posa le menton. Elle serait probablement dégueulasse en se relevant mais elle s’en fichait. Elle regarda un moment son portable, les photos, les messages, les appels en absence. Elle ne voulait pas les mêler à tout ce bordel, ces gens qu’elle connaissait, ces gens biens ou qui l’étaient sûrement. Nan. Pas question. Elle se débrouillerait, comme elle l’avait toujours fait.

Fatiguée comme elle était, Ivory s’endormit au pied de son arbre. C’était plus reposant que la ville, nettement plus, il lui semblait en tout cas. Ou plutôt, ça semblait, car les cauchemars arrivèrent, comme souvent lorsqu’elle s’endormait enfin. Petite variation dans son paysage de cauchemars cette fois, Seth et Shaun la poursuivaient dans les bois. Ridicule, absurde même puisque l’un et l’autre ne se connaissaient pas et ne s’apprécieraient sans doute pas mais, le cerveau ne demandait pas la permission.
Elle se réveilla en criant alors qu’elle avait l’impression d’étouffer quand elle sentit une main sur son épaule et elle sursauta. Son cœur était en train de faire un marathon et elle ne s’apercevait même pas qu’elle avait pleuré. Génial. Seulement, elle avait d’autres préoccupations. Comme par exemple celui ou celle qui avait une main posée sur son épaule. Elle se dégagea vivement et regarda le responsable. Bob. Elle soupira de soulagement. C’était Bob.

- « Excuse. J’voulais pas réagir comme ça. »

Elle s’empressa d’essuyer ses joues et de retirer la terre de ses vêtements. Pour ne pas déranger Bob, c’était raté.

- « Comment tu vas ? »

Orienter vite fait bien fait la discussion bien loin, ailleurs. Sur elle ne savait pas quoi mais, pas elle. Pas si elle pouvait l’éviter, là, tout de suite. Et puis merde. Il savait pour Seth ? C’était pas franchement le moment de demander au principal intéressé. « J’suis chez ton presque petit-copain, il sait que t’as déraillé ? » Han han... Mauvaise idée.

Depuis sa visite chez Seth, Bob n'était pas sortie de sa forêt. Il avait eu à faire et toutes ses taches ne lui avait laissé que très peu de temps pour quoique ce soit d'autre. Il gardait le téléphone portable que Seth lui avait donné sur lui en permanence, il avait peur de rater un appel. Depuis sa visite, il avait eu le temps de comprendre ce qu'il s'était passé. Un baiser. C'était sérieux un baiser. Pourquoi il trouvait ça important ? C'aurait pu être une nouvelle pitrerie de l'homme. Sur le coup, il l'avait rangé dans une boite, dans un coffre fort, avec des gardes. Malheureusement, c'était si important que l'information était revenu dès qu'il avait regagné sa cabane, depuis il s'occupait. Il avait fait beaucoup des rénovations qu'il repoussait à plus tard, il chassait, posait et relevait ses pièges sans cesse et le soir, il travaillait inlassablement son cuir et créait tout ce qui lui passait par la tête pourvu que ça l'empêche de réfléchir. Ce baiser, ce baiser, ce baiser. Il tournait dans sa tête et dansait la gigue, ébranlant au passage tout ce qu'il avait jamais cru vrai sur les relations, sur la vie, sur le monde.
Ce soir-là, il avait même oublié de manger. Il avait préparer la viande, congelé ce qu'il avait à congeler. Il s'était occupé de traiter les peaux et avait commencé à découper des pièces dans le cuir terminer. Il allait de soit que le cri qui déchira la  nuit le fit sursauter et qu'il rata sa découpe tout en entaillant son doigt. Il grimaça en sentant le venin attaqué la chair à vif et s'empressa de la panser avant de récupérer son arbalète et de se diriger vers la sortie. La nuit n'était pas totalement sombre mais il prit malgré tout une lampe qu'il cala entre ses dents, prêt à laisser partir le carreau si un chasseur venait à sortir. Il n'eut pas  à aller bien loin, des bruits distinctifs de pleurs et de mouvements. Il finit par découvrir, roulée en boule, une demoiselle qu'il ne s'était pas spécialement attendu à voir là. Ivory.... Ivory l'amie de Seth. Ivory qui l'avait mis en boite. Ivory la fière, la joueuse. Recroquevillée contre un arbre, terrifiée dans un cauchemar ? Il se redressa et regarda autour de lui avant de s'agenouiller et de poser la main sur son épaule. Il ne bougea pas en la voyant reculer vivement. Elle transpirait la panique et l'angoisse. Il la détailla un moment, se demandant bien pourquoi elle n'était pas venu le voir au lieu de s'endormir à deux secondes de sa cabane. Il secoua la tête.

- T'en fais pas... Qu'est-ce que tu fous à dormir dehors ?

Il retira sa veste et la posa sur les épaules de la jeune femme. Il l'aida à se relever et la garda contre lui pour la tenir au chaud. Nous étions peut-être en juin mais dans la forêt, l'humidité rafraichissait l'air dès la nuit tombée. Il faisait attention de ne pas la toucher directement.

- T'es au courant que tu peux toquer à ma porte, hein ?

Il la fit asseoir sur le canapé et alla à la cuisine pour attraper deux bières. Il revint et se posa à coté d'Ivory  puis lui tendit l'une des deux bouteilles. Il but une longue goulée avant de la regarder.

-Alors... Qu'est-ce qui va pas ? Qu'est-ce que tu viens faire dans le coin ?

Le but d’Ivory n’avait pas été de s’endormir dans la forêt, au pied d’un arbre. Loin de là. Non seulement c’était inconfortable mais en plus, le soir, il faisait quand même relativement froid. Ça aussi d’ailleurs, c’était quelque chose qu’elle n’avait jamais trop remarqué. À croire que ça mutation, en lui permettant de... ressentir, lui permettait d’avoir un peu moins froid. Ou alors, elle se faisait des idées et elle commençait juste à vraiment douiller à cause du manque de sommeil et de tout le reste. Tout ce qu’elle savait, c’était que sur le moment, elle avait juste voulu s’éloigner, fuir, se perdre dans l’espoir qu’on ne la retrouve pas. Il n’était d’ailleurs pas impossible que si elle avait réussi à sortir de la ville par mégarde, qu’elle y serait revenue. Radcliff, à ses yeux, ressemblait en ce moment à un champ de bataille immense et plus à rien d’autres. Un foyer ? Tu parles. Seulement, elle ne s’était pas perdue, ses pas l’avaient ramené près de chez Bob, Bob, cette petite grenouille avec ses airs bourrus mais qui était juste adorable. Il était parfois à côté de ses pompes mais, qui ne le serait pas vu la situation et surtout avec une mutation aussi compliquée ? Elle n’avait juste pas voulu le déranger. Elle savait qu’il aimait sa tranquillité et elle ne l’en aurait pas privé. Elle était juste restée là et puis avait sombré, avait cauchemardé et Bob l’avait réveillée. Elle espérait juste que ça n’était pas parce qu’un cauchemar l’avait fait crier qu’il l’avait trouvée, c’aurait été très gênant.

- « Bonne question Bob... De base, j’voulais juste... me promener. J’ai dû m’endormir quand j’me suis posée. »

Se promener... Elle avait surtout voulu s’éloigner, vraiment. Maintenant qu’elle était debout, il serait peut-être judicieux de. Merde, le couvre-feu. Le temps de rentrer à Radcliff et elle l’aurait dépassé. Elle n’avait plus de mutation pour se protéger. Plus rien. Mais apparemment, Bob en avait décidé autrement. Il lui mit sa veste sur le dos, sans lui demander son avis. C’est sûr que c’était bien plus chaud que sa petite veste et mine de rien, elle resserra un peu les pans du manteau. Elle prit garde à ne pas le toucher, plus encore que d’habitude.

- « J’avais pas envie de te déranger, j’sais que t’aimes être pénard dans ton coin de forêt et t’as bien raison. »

Oh ça oui, il avait raison. Elle se serait bien trouver un coin de forêt elle aussi même si c’était pas son truc. Franchement, c’était tellement le bordel dans sa vie pour le moment qu’elle préférait encore s’exiler au fin fond d’un bois plutôt qu’affronter le monde.
Un peu dans le brouillard, elle le suivit et se posa dans le canapé, lui rendant son manteau. Elle retira ses chaussures pour ramener ses jambes sous elle et se caler bien comme il faut. Sans rechigner, elle prit la bouteille et en fit tout autant que lui. Franchement, elle ne savait pas si elle devait dire à Bob que son crétin de petit ami, crush, quoi que ce soit avait déraillé.

- « La poisse a retrouvé le chemin de ma vie. J’aurais préféré qu’elle m’oublie pour de bon mais, pas de bol. J’ai voulu... m’éloigner. J’pense que même si j’m’étais paumée au milieu de nulle part, ben j’aurais été contente. »

Ce qui était presque entièrement vrai. Elle but une nouvelle gorgée et soupira. Il avait raison Lemmy dans le fond. « Don’t screan. Don’t shout. Three strikes and you be out. » Elle en était bien à ça non ? Trois coups... Elle ne risquait vraiment plus d’oublier que la vie était une pute, encore moins oublier que crier ou demander de l’aide ne servait à rien. Promis, elle se trouverait bien un super flag à mettre dans son salon, comme un mémo géant. Elle n’irait pas jusqu’à se faire macérer dans le whisky à raison d’une bouteille de Jack par jour mais pourtant, Jack, il était tentant en ce moment.

- « J’me suis prise quelques vérités et quelques claques de trop dans la tronche Bob. Rien d’exceptionnel dans cette ville de malades quoi. Ça passera ou plutôt... ça reviendra. »

Elle n’était pas vraiment sûre de comment et de si elle arrivait à pardonner Seth, pareil pour Charlie. Pour son père, elle ne se posait même pas la question, le pardon lui était inaccessible. Il en avait trop fait ou pas assez. Ça dépendait de quel point de vue on se plaçait.

- « Ce serait... fais gaffe si tu vas en ville ok ? Genre vraiment. Surtout si tu... » Elle hésita vraiment à un moment, se mordilla la lèvre et puis se décida. « Surtout si tu vois Seth. »

Elle n’avait pas pu prévenir tout le monde, elle avait surtout prévenu Pietra parce qu’elle vivait avec lui et Malachi parce qu’il y avait Peter. Elle ne doutait pas que le motiopathe pourrait se débrouiller mais le petit... Charlie savait mais, bref. Elle ne voulait pas y penser.

Si Bob n'était pas un grand rapide question relation humaine, il comprenait parfaitement que la jeune femme n'allait pas bien. Il n'était pas forcément certain de comprendre pourquoi, quoiqu'il envisageait un peu... Visiblement, en ville, c'était la guerre et s'il avait bien assimilé ce que lui avait expliqué Malachi, les choses n'allaient pas aller en s'arrangeant. Il s'attendait à voir défiler des gens ici. A commencer par Seth... Ivory était une surprise. Il n'aurait pas imaginé la trouver en pleine forêt aussi tard la nuit. Elle n'avait pas forcément le profil et au delà de ça, il n'avait pas imaginé qu'ils aient été assez proches pour ça. Il en était cependant assez touché. Leur débuts avaient, certes, été difficiles : les petites boutades de la jeune femme n'avait pas aidé du tout. Depuis quelques temps cependant, il avait appris à recevoir ces petites pics plus calmement. Il avait fini par comprendre qu'ils n'étaient que ça : de petits pics. Ils faisaient partie de sa personnalité, de sa façon d'être et ils ne signifiaient pas nécessairement qu'elle n'aimait pas le mutant. Il lui en avait fallut du temps pour comprendre ça et arrêter de se vexer à tout bout de champs. Même pour lui, se vexer aussi souvent était complètement épuisant.
Il appréciait la jeune femme et la voir dans cet état  ne le réjouissait pas. C'était pour cette raison qu'il l'avait emmené chez lui sans franchement lui laisser le choix. Il haussa un sourcil en l'entendant parler de sa tranquillité. Oui, il aimait sa tranquillité mais jamais au détriment d'une amie et encore moins lorsqu'elle allait aussi mal. Il soupira et lui lança un coup d’œil.

-Hey... Ouais, j'aime être tranquille mais ma porte t'es ouverte, ok ? Quand t'as besoin.

Il l'écouta parler, ensuite. Calé dans le canapé, il ne comprenait pas exactement de quoi il s'agissait mais il comprenait que ça affectait énormément la jeune femme et pour ça, il se sentait un peu désolé. En terme de poisse, il s'y connaissait et il envisageait parfaitement les dégâts que pouvait causer la poisse. Il en était le parfait exemple. Il finit par vraiment compatir à ce que lui disait Ivory. Il but une nouvelle fois au goulot de sa bière avant de se lever. Il s'arrêta un moment pour regarder son portable quand Ivory mentionna Seth. Qu'est-ce qu'il se passait encore ? Pourquoi  fallait-il qu'il se méfie ? Pourquoi particulièrement avec Seth. Il lança un coup d’œil à la jeune femme. Elle avait l'air mal de lui dire. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il s'était passé en si peu de temps ? Il se dirigea, pensif, vers le placard et en sortit une couverture. Il revint vers Ivory et l'enveloppa dans la couverture avant de la prendre dans ses bras.
Étonnant, hein.
Pour être parfaitement honnête, c'était le premier étonné. Il avait un peu agi sous l'impulsion et se demandait ce qu'était son problème. Depuis quand l'ermite Robert Baxter était aussi... Aussi... Guimauve ? Il renifla en réalisant que la réponse se tenait en un seul nom. Prénom qui venait d'être mentionné dans une phrase qui ne lui plaisait qu'à moitié. Il n'y reviendrait qu'après, pour le moment la mutante allait mal.

- Tu sais quoi ? T'as qu'à rester ici. Aussi longtemps que tu veux. Moi ça me dérange pas. T'as pas l'air de quelqu'un qu'a envie de retourner en ville. Bon, c'est pas le luxe ici mais au moins tu seras tranquille.

Bob laissa le silence s'installer. Il essayait de comprendre ce qui avait pu faire passer Seth d'allié à menace. La mort de Moira l'avait affecté, c'était sur, mais il n'avait pas eu l'impression que c'était au point de devenir un monstre de violence. La question lui brûlait les lèvres mais il hésitait à renter dans les détails avec Ivory. Il resserra son étreinte tout en vérifiant qu'il ne la toucherait pas par mégarde. Il finit par se lancer, presque à contre cœur.

-Dis... Pourquoi je devrais faire gaffe si j'vois Seth ? Qu'est-ce qu'il s'est passé, putain ? J'suis passé avant l'enterrement...

Il ferma les yeux.

-Quelle ville de merde...

À aucun moment, Ivory n’avait voulu inquiéter Bob ou quoi que ce soit de ce genre. C’était un peu marqué sur sa tête qu’elle n’allait pas bien mais, si elle avait pu éviter de déranger l’homme grenouille, elle l’aurait fait. Elle en était vaguement revenue à ses vieux comportements, ne pas parler de ce qui n’allait pas, de toute façon, tout le monde s’en fichait. Ça n’était pas comme si ses emmerdes intéressaient quelqu’un, tout le monde en avait des emmerdes. Supporter celle des autres... les gens n’en avaient pas envie après tout. En plus, elle avait mis suffisamment de temps comme ça à ne plus vexer Bob et à lui faire comprendre que ce qu’elle disait n’était jamais méchant pour ruiner ses efforts. Franchement, c’était mal venu de se plaindre, surtout à lui dont la vie n’avait sûrement jamais dû être facile. En bref, il était hors de questions qu’elle l’inquiète plus, à son sujet à elle du moins, tant que c’était possible.

- « Oui, d’accord. Merci Bob. »

Elle était pourtant bien décidée à ne pas abuser de l’invitation. La tranquillité était pour lui ce que la fête avait été pour elle jusqu’à il y a peu. Que lui restait-il au fond d’ailleurs ? Pas grand-chose. Fatiguée comme elle était, elle ratait sa nourriture souvent trop cuite, elle bousillait ses toiles plus qu’elle ne peignait et elle démolissait irrémédiablement les projets de sculptures dans lesquels elle se lançait. Ils étaient loin les beaux rêves, vraiment très loin aujourd’hui. Alors oui, sans entrer dans les détails, elle lui livra en substance le boxon de sa vie. Il n’avait pas besoin de connaître les détails et de s’inquiéter pour rien. De toute façon, ça n’était pas comme si il pouvait y faire quelque chose de concret.
Surprise par son geste et surtout le connaissant de part Seth et de par sa propre expérience, elle ne s’était pas attendue à se faire envelopper par une couverture et avoir droit à un câlin. Bêtement, elle lutta contre les larmes mais profita de l’étreinte. Elle ferma les yeux un moment pour éviter de se mettre à pleurer et inspira un bon coup. Bob faisait des progrès... sacré Seth. Seth... Pas maintenant. Trop tôt. À nouveau surprise, elle dévisagea carrément cette grenouille beaucoup trop mignonne dans ses rapports à l’autre. Elle espéra intérieurement que plus rien ne viendrait lui foutre sa vie en l’air. Il méritait d’être heureux.

- « J’veux... j’veux pas abuser Bob. Je sais que j’ai une sale tête mais t’es pas obligé tu sais. Puis franchement, le luxe, c’est surfait. » Surtout si elle restait loin de la ville pour le moment. « Je resterai pas trop longtemps et... si tu m’entends remuer ou j’sais pas, fais pas attention. Je dors pas super en ce moment. En plus, j’peux même plus te faire de câlin surprise quand tu fais à manger, c’est con hein ? »

C’était une façon comme une autre de lui dire qu’elle était vaccinée, qu’elle le pourrait pas l’ennuyer comme d’habitude, qu’elle ne pouvait même plus se protéger. Elle n’avait pas trop envie de lui dire de but en blanc qu’elle avait été vaccinée. La réalité ne lui plaisait pas le moins du monde, le fait de savoir que Seth avait pété les plombs à cause de la même chose n’aidait pas forcément à digérer ce qui était arrivé même si... et bien même si ça n’était pas sa faute.

- « Il... a été vacciné par je ne sais qui. Tout ce que je sais, c’est que pour le moment, ça n’est plus mon meilleur ami, pas non plus l’homme que tu connais. Il disjoncte. C’est pas sa faute, c’est le vaccin mais, c’est pas forcément plus simple à encaisser. Il est dangereux, ses réactions sont imprévisibles, franchement, il fait peur. Il peut être simplement sarcastique pour ensuite être blessant, sourire ou te pointer son arme dessus. C’est lui mais ça n’est pas lui. J’ai pu prévenir Pietra et Malachi mais... pas toi. Faudrait que tu pense à acheter un téléphone un jour. Ou qu’on t’en achète un. Pour pouvoir te dire de faire gaffe. »

Elle ne pensait même pas à l’ennuyer avec des sms inutiles, non, elle voulait juste pouvoir lui dire si ça dérapait en ville. Ça dérapait toujours pour quelqu’un bien sûr mais, elle trouvait ça nécessaire. Encore une fois, elle avait pris soin de ne pas mentionner que Seth lui avait tiré dessus et elle avait surtout insisté sur le fait qu’il n’était pas lui. Franchement, elle n’avait pas envie de rompre la relation de confiance entre eux. Elle savait à quel point c’était dur avec Bob, encore plus quand on s’appelait Seth et qu’on faisait craquer le semi-batracien le plus mignon mais empoté de la ville. Et puis, il fallait l’avouer, elle voulait préserver Bob, autant que possible.

Bob la garda dans ses bras un moment. Il était parfaitement attentif à ce que sa peau ne touche pas Ivory. Elle était l'une des rares à pouvoir le toucher, peau contre peau, mais par les temps qui courraient, il n'était pas persuadé qu'elle avait encore sa mutation. Il n'avait pas la moindre idée de si c'était le cas ou non mais il ne prenait plus de risque avec ces trucs là. Il avait été vacciné une fois. On lui avait expliqué qu'il avait eu de la chance, il n'avait pas bien compris pourquoi. Il avait halluciné son frère à s'en battre contre l'air, il avait fini à demi nu en pleine ville exposé à tous. Certes, sa peau était alors vierge de tout venin mais il n'osait pas imaginer ce qu'il se serait passé si ça avait été le cas. Il ne voulait pas mettre Ivory inutilement en danger. Il voulait simplement la rassurer et lui faire savoir qu'elle n'était pas seule. Il sourit un peu en l'écoutant et réfléchit un peu avant de lui tapoter le sommet du crane avec sa main gantée.

-Ben, c'est moi qui vais abusé. J'ai besoin d'aide. Donc ça sera donnant donnant, j'te loge aussi longtemps que tu veux, tu m'aides avec ma baraque. Ok ? Et t'en fais pas pour les câlins surprise. Moi j'ferais plus de crises cardiaques à chaque fois et pis ça va revenir, tu vas voir.

Il soupira, il avait toujours du mal à être positif. Il voulait la faire rire mais il n'était pas aussi doué que Seth pour ce genre de chose. Il pencha la tête et ferma les yeux, simplement désolé pour elle.

-Ca m'fait chier pour toi...

Vint alors le moment où elle lui parla de Seth... Une boule creusa son trou au fond de son estomac, mélange d'inquiétude, de colère et de peur sourde, elle lui murmurait des paroles qu'il voulait ignorer de toutes ses forces. Elle grignotait ses espoirs et proliférait à chaque mot d'Ivory. Sa prise sur la jeune femme s'était raffermi, il se tendait. Si on le regardait comme ça, on aurait pu croire qu'il n'était pas plus tendu qu'avant mais tout son corps était en tension, chaque muscle contracté. C'était un retour très désagréable en arrière : il était de nouveau sur le qui-vive. Bordel de merde, c'était quoi le délire avec ces vaccins. La conversation qu'il avait eu avec Malachi lui revenait en tête et ça n'était pas avec plaisir. L'inquiétude le bouffait. Une chose était sûre, il tenterait sa chance. Il irait voir Seth, il l'observerait de loin avant, il apprendrait à prévoir un minimum. Il n'était pas question qu'il finissent sur le tableau de victime de Seth. Quoiqu'il arrive, il le savait, il le pardonnerait. Il  réalisa soudainement qu'il était tendu, qu'il serrait Ivory trop fort, trop près. Elle n'avait pas émis le moindre son... Il espérait ne pas lui avoir fait mal. Il inspira profondément et expira pour relâcher ses muscles. Il se redressa, soulevant légèrement Ivory pour la recaler dans le canapé. Il s'accouda sur ses genoux et passa les mains dans ses cheveux avant de regarder autour de lui.

- C'est un putain de cauchemar...

La conversation, la mort de sa pote... C'était arrivé quand... ? Il pouvait se passer autant de chose en si peu de temps ? Bordel. Tout tournoyait dans sa tête, des paroles prononcées dont il ne comprenait pas l'impact, des mots qui s'étaient  ancrés à des endroits bien particuliers de son cœur et de son ame... Au regard de la situation, ils en venaient presque à être douloureux. Malgré tout, Bob savait que c'était provisoire mais il imaginait déjà les repercussions que ça aurait sur le vrai Seth, il imaginait déjà à quel point ses actes allaient le hanter.

-Il va pas s'en remettre.

Il regarda Ivory et soupira en sortant le téléphone de sa poche. Il le lui tendit.

-Met ton truc dedans, j'sais pas comment ça marche ce bidule de l'enfer là.

Il la détailla un moment et vida sa bouteille de bière.

-Merci d'm'avoir prévenu en tout cas... Ces putains de vaccins, c'est vraiment la misère.

Il hésita un moment avant de dire.

-Moi j'ai halluciné pendant tout un mois, pire que sous meth, c'était la mort, sérieusement.

Il se sentait stupide tout à coup, c'était bien sorti tout seul ça pour le coup. Il plissa les yeux et ses striures pulsèrent plus vite. Ca, il l'avait dit à personne.... C'était jamais sortie...

C’était un peu bizarre pour Ivory de devoir faire attention avec Bob. Bon, ça n’était pas vrai, elle devait faire attention quand elle n’était pas changée aussi mais, là, elle ne pouvait pas se changer et il ne valait donc mieux pas tenter le diable. Elle sourit bien malgré elle quand il lui tapa le sur le haut de la tête comme on tapote celle d’un animal. Ça n’était pas vexant, c’était juste Bob. Bob et son incapacité notoire à agir comme tout le monde. Au fond, elle vivait entourée de gens aussi peu conventionnels qu’elle. Et encore, elle était vachement normale comme nana finalement.

Il avait besoin d’aide ? Alors ça, c’était une grande première. Ça, elle pouvait largement faire. L’aider et ainsi de suite, ce ne serait pas la mort et puis de toute façon, ça l’occuperait. Elle ne savait pas trop ce qu’il voulait faire chez lui mais, elle pourrait toujours lui demander le lendemain après tout.

- « Nan mais... les câlins surprises, ça t’entraîne. » Même mal, elle trouvait le moyen de dire des bêtises. Au moins, ça la détendait. « Ouais, ça va revenir. Le plus moche, c’est que c’est quelqu’un que j’aime bien qui m’a fait ça. Sûrement pour me protéger... j’sais pas. J’ai pas encore osé demander. Enfin bref, ouais, j’peux faire deux ou trois trucs pour ta baraque, y a pas de soucis. » Elle haussa les épaules en soupirant. « C’est pas comme si t’y pouvais grand-chose Bob. »

Même elle n’y pouvait rien. Franchement, même si elle était énervée contre Charlie, elle savait que quand elle la verrait, elle serait probablement prête à laisser tomber alors... ça n’était pas comme si c’était dramatique même si elle le vivait vraiment très mal. En attendant, elle en connaissait un autre qui vivrait mal les choses et un autre qui les vivrait mal dans pas longtemps. Bob devait savoir ce qui se passait avec Seth parce que c’était lui le plus susceptible de tomber dessus à un moment ou un autre. Elle le pouvait pas le laisser dans l’ignorance de l’état de son cher et tendre même s’il n’en savait encore rien. C’est deux là s’attiraient comme des aimants, quoi qu’il arrive. Elle espérait que Bob ferait juste très attention s’il devait le croiser pendant le pétage de plomb de son homme des sables.

- « J’aurais pas mieux dit. » Mais Bob avait raison, elle avait pensé à la même chose. « Si, il s’en remettra. Avec toi, avec moi, avec nous tous. Faudra juste pas le laisser tomber. Il aura besoin de nous. »

Malgré tout, pour le moment, il hantait encore ses rêves, tout comme Charlie, tout comme l’autre taré du musée et encore un tas d’autres gens. C’en était presque ridicule quand on y pensait mais voilà, Ivo ne fonctionnait pas franchement sur un modèle standard.
Surprise que Bob ait un téléphone, elle le réceptionna et haussa un sourcil. Ça, c’était certainement pas un achat de l’homme grenouille, il y avait du Seth là-dessous. Du génie.

- « Ce serait pas mal que t’apprennes à l’utiliser aussi ma petite grenouille, tu vas en avoir besoin. »

Continuer à parler avec Bob en buvant sa bière l’aidait au moins à reprendre pied et à se comporter normalement -pour ses standards à elle en tout cas- et ça, même si elle restait obstinément enroulée dans la couverture et qu’elle avait toujours l’air d’un panda dépressif qui avait pris l’eau.
Elle entra son numéro dans le téléphone et mis son nom normalement, elle n’allait pas le perturber en mettant un surnom débile. Elle évita quand même d’y joindre une photo, c’était pas le moment de faire un selfie vu la tronche qu’elle avait.

- « J’t’épargne la photo, j’ai pas trop la tronche pour en ce moment. »

Ivory était à peu près sûre que Bob ne savait même pas qu’il avait une option de ce genre dans son téléphone. Seth aurait quand même pu lui apprendre à l’utiliser au lieu de juste lui montrer comme appeler et décrocher. Elle le reposa ensuite sous la table et sourit quand il lui raconta son expérience vaccinatoire.

- « Pas génial... Moi j’dors quasi pas et quand j’arrive à fermer l’œil, j’fais des cauchemars plus vrai que nature. C’est la joie. Même les somnifères y changent rien, si j’arrive à faire une vraie nuit, c’est miraculeux. C’est même pas arrivé encore depuis que ça m’est tombé dessus. »

Elle ne fit volontairement pas attention au stress visible de Bob pour ne pas en rajouter une couche. Il avait pris de la meth ? Et alors... elle fumait la meilleure herbe de Radcliff en se fournissant directement chez son meilleur pote. Ok, la meth, c’était pas exactement inoffensif mais, chacun ses merdes et ses tuiles après tout. Elle n’allait pas juger.

- « Bon, dis-moi ce qu’il y a à faire dans ta baraque. C’est bien joli de vouloir que je t’aide mais faudrait me dire ce que tu veux. »

Parler de tout et de rien, relaxer Bob, se relaxer. Oublier le bordel qu’était sa vie, au moins provisoirement, pendant qu’elle était au fin fond des bois, loin de Charlie, loin de Seth, loin de la ville.

Bob n'y pouvait pas grand chose, il le savait. Simplement, il appréciait la jeune femme et ça l'emmerdait d'autant plus qu'elle ai été vacciné par quelqu'un qui voulait la protéger. Il savait ce que c'était, les gens persuadés de faire ce qu'il fallait pour vous alors que ça vous détruisait tout simplement, tentatives après tentatives. Il ne savait pas vraiment qui avait fait ça et pour le moment, il lui importait simplement que la jeune femme aille mieux. Il l'avait connue beaucoup plus expansive, pétillante voir même un peu chiante sur les bords mais Bob devait bien reconnaître que ça lui manquait de ne pas voir Ivory aussi enjouée et chiante qu'elle pouvait parfois l'être. Ce côté un peu trop enjoué faisait son charme et Bob, bien qu'il eut du mal à l'admettre, trouvait que c'était le bien le plus précieux de la jeune femme. Elle était fantasque et ça, Bob l'admirait. Il haussa les épaules et fit tourner sa capsule entre ses doigts.

-Ouais, j'y peux rien. Ca m'fait quand même chier pour toi. Mais le seul truc que j'peux faire, c'est t'aider à retrouver le moral et à redevenir aussi chiante avec moi qu'avant. Ca serait un bon début. Donc, j'propose qu'on en parle plus et qu'on pense à d'autres trucs... Genre... J'sais pas. Le temps de merde. C'est un début.

Il plissa les yeux, parfaitement conscient qu'il avait dit beaucoup de connerie en quelques phrases et que ça ne le ressemblait pas. Il se demandait si, pour remotiver la jeune femme, il n'essayait pas de la singer un peu. Il se sentit un peu honteux et rougit probablement un peu mais Ivory lui parla de Seth, de ce qu'il faudrait faire pour que ça aille mieux, pour que tout s'arrange. Il faudrait être tous là. Tous. C'était un genre de concept, ça. Déjà, Ivory, Malachi, Marius, Daniel et Seth, ça faisait beaucoup de gens à connaître. Que ça soit en mal ou en bien. C'était terrifiant de voir à quel vitesse on pouvait se faire des amis. Il s'était fait avoir en beauté mais ne le regrettait que très rarement. Son coté misanthrope s'estompait à grands coups de générosités et d'entraide. Honnêtement, il ne s'était pas attendu à ça du tout.

-Ben on s'ra là. J'vois pas trop où on s'ra d'autre.

Bob lui tendit son téléphone pour qu'elle y rentre son numéro par il ne savait quel miracle. Il haussa les épaules quand elle mentionna qu'il devrait apprendre à s'en servir.  Oui, ça serait pratique. Sauf que se servir de ces bidules quand on était pas foutu de lire plus vite qu'une tortue tetraplégique, ben c'était pas facile, voir – quand on constatait l'argot de certains – carrément impossible pour l'homme grenouille. Tout ce qui importait à Bob c'était de pouvoir répondre quand on appelait aussi fut-il très surpris d'apprendre que son téléphone était capable de faire appareil photo. Ca faisait longtemps que les téléphone faisaient appareils photos ? Les appareils photos faisaient aussi téléphone ou c'était que dans un sens ? Il plissa les yeux à la nouvelle et pencha la tête.

-Il sait faire ça, ce machin ? J'ai pas besoin de tout les trucs sur ce bidule. C'est juste pour être contactable. C'est déjà assez chiant de le balader partout.

Oui. Bon. Bob n'était pas spécialement un gros aficionado de la technologie, lui, son truc à lui, c'était la nature, les p'tits oiseaux, la chasse, sa cabane au fond des bois et c'était déjà bien. Il ne fit pas d'allusion à l'apparence de la jeune femme qu'il trouvait encore bien. Il se demandait parfois à quoi il pouvait ressembler parce qu'il était mille fois moins bien habillé que n'importe laquelle de ses connaissances...
Il fut ensuite question de sa vaccination et il s'attrista d'entendre que la jeune femme avait des symptômes qui, si ils ne menaçaient pas sa vie immédiatement, étaient quand même assez lourds pour avoir des conséquences sur le long terme. Il fut reconnaissant à Ivory de ne pas rebondir sur cette histoire de meth'.

-Pas génial non plus...

Dans la tête de Bob, il fut claire qu'elle prendrait son lit, au moins ce soir. En réalité, il espérait lui faire comprendre qu'elle prendrait sa chambre tout les soirs. En partie parce qu'il se levait aux aurores voir quand il faisait encore nuit. Cela devait correspondre à cinq ou six heures du matin. Autant dire qu'il allait réveiller Ivory super tôt tout les matins. Il posa ses pieds sur la table et regarda autour de lui. Il en avait des choses à faire dans cet endroit. Ca n'était pas les modifications et les réparations qui manquaient sans compté sur le fait qu'il fallait chasser...

-Ben y a pas mal de truc à faire... Faut que faire un poulailler. Ca s'rait pas mal... Y a l'abris à bois qui prend la flotte... Des trucs à faire sur le cuir pour vendre aussi. J'chasserai sauf si tu veux m'accompagner... Faut commencer à planter certains trucs dans le potager si j'veux avoir de quoi tenir. La toiture a besoin de nouvelles tuiles... Tout ce coté là, c'est fait. » dit-il en montrant au dessus de lui. « Puis des rangements pour l'intérieur. Ca veut dire qu'il va falloir aller couper du bois. Y a des beaux arbres au Sud d'ici... Y a beaucoup de boulot encore donc c'est pas trop le choix qui manque. On pourra aller pecher pour changer de la viande, ça peut être une idée. Bref... »

Bob occupait beaucoup de son temps à retaper sa cabane dans les bois. Il l'appréciait beaucoup, c'était son sanctuaire, son premier goût de la liberté et il avait l'intention de le rendre aussi chouette que possible. Il regarda Ivory, pas sur qu'elle se sentait prête à faire quoique ce soit de tout ça.

-Tu t'sens de faire ce genre de truc ?

Pour être parfaitement honnête, il doutait que n'importe qui vivant en ville soit capable d'abattre le tiers de ce qu'il y avait à faire sur son terrain. Ca n'était pas de la condescendance de sa part mais il avait du mal à envisager que des personnes si habitués au confort soient capables de faire ce genre de chose. Il y avait des gens pour ça. Par contre, il ne doutait pas un seul instant que certains le faisaient et que Ivory pouvait en être capable. Il ne voulait pas non plus la forcer à faire des choses qui auraient pu lui faire peur ou l'inquiéter.

À aucun moment, le but de la manœuvre n’avait été d’arriver jusqu’à chez Bob et se faire recueillir comme un chaton abandonné. Ce qui facilitait la chose, c’était qu’Ivory savait qu’il ne pensait pas à ça et encore moins à mal. On parlait de Bob, le mec le plus adorable de la terre quand on passait par-dessus l’image de planqué bourru en forêt. Il avait un grand cœur et n’avait juste pas eu de bol, du moins, elle supposait. Elle n’avait jamais cherché à fouiller. Si les gens ne voulaient pas parler, elle ne poussait pas, sauf certaines circonstances et ça se jouait au cas par cas. Bob s’inquiétait et c’était très gentil de sa part mais, il y pouvait rien, à tout ce merdier. Elle était vaccinée et ça ne changerait pas tout de suite. Il n’était pas responsable de la succession de tuiles qui lui étaient tombée dessus. Elle sourit légèrement aux remarques de Bob. Ouais, elle aimerait redevenir aussi chiante que d’habitude, ça, c’était sûr.

- « Pour être aussi chiante qu’avant, faut que je puisse te faire des câlins surprises et là, j’peux pas sans ma mutation. Mais ouais, ça me va, faisons comme t’as dit, ce sera mieux que maintenant, ça, c’est pas dur. »

Après tout, pour qu’elle en arrive à s’endormir en pleine forêt et à faire des cauchemars, c’était qu’elle était pas franchement dans le meilleur état du monde. C’était très mignon de la part de l’homme-grenouille d’être aussi causant, c’était même carrément craquant de le voir rougir mais, elle savait qu’il faisait quand même pas mal d’efforts pour parler autant. Cela dit, il parlait de plus en plus depuis qu’elle le connaissait. Bob avait progressé, indéniablement.

- « Va savoir... J’peux pardonner n’importe quoi à Seth mais c’peut-être pas le cas de tout le monde. J’te jure, il est flippant. »

Une fois son numéro enregistré, elle sourit, tentée de rire même devant l’air dépité de Bob qui venait d’apprendre que son téléphone faisait des photos. Il était peut-être temps de lui apprendre comment se servir de la technologie. Pour les ordinateurs, il faudrait peut-être attendre, à moins qu’ils se démerdent pour lui refiler le wi-fi mais, franchement, elle ne se voyait pas expliquer tout de suite à sa cutefrog préférée comment passer par le réseau internet de son téléphone pour avoir une connexion, encore moins lui expliquer le fonctionnement du matériel. Sacré Bob.

- « Ouais et un tas d’autres trucs mais déjà t’apprendre à l’utiliser pour téléphoner et écrire des messages, ce sera bien pour un début. Après, t’es pas obligé de décrocher non plus si t’as pas envie. C’est juste pratique pour les urgences quoi. »

Genre un ami en train de disjoncter, par exemple. Mais, elle ne ferait pas de Bob un génie du téléphone alors, autant ne pas se lancer là-dedans tout de suite. Elle aurait tout le temps de lui montrer comment s’en servir, surtout si elle restait squatter, ce qu’elle ferait sûrement.

- « Non. Pas génial comme tu dis. »

Elle s’en passerait, c’est sûr. Les cauchemars, le manque de sommeil, l’envie de dormir sans y parvenir vraiment, la concentration réduite à néant. Elle perdait souvent le fil des conversations sans parler des bâillements. C’était chiant, handicapant même par moment. Ça n’était pas le plus grave, c’est sûr mais, ça n’en était pas moins chiant et ça n’était pas fini... Elle préféré se concentrer sur des choses qu’elle pouvait faire plutôt que de penser à tout ça, même si elle avait tendance à détruire son travail ces temps-ci. Elle ne le ferait pas pour Bob bien entendu, du moins, elle essaierait de ne pas s’emporter de frustration. Elle l’écouta donc lui dire ce qu’il fallait faire, perplexe.

- « Des rangements, ça, je peux faire... Le cuir aussi j’pense. J’ai pas la main super verte mais, ça, j’peux aider aussi. Par contre, la chasse et la pêche, j’vais passer. J’m’en fous de les préparer, de vider les bêtes mais si tu veux pas te prendre un hameçon dans l’oreille ou une flèche dans le cul, vaut mieux éviter. »

Ivory n’était pas sensible au point de ne pas se rendre compte que ce qu’elle mangeait avait été vivant. Ça ne lui faisait rien pour la bonne et simple raison qu’elle ne surconsommait pas. Pas la nourriture en tout cas. Elle collectionnait un tas de trucs dont tout le monde se foutait, ça oui mais, les animaux, ça ne lui faisait rien de les tuer pour manger et de les préparer, même si elle devait les écorcher, les déplumer ou les écailler. Paradoxal pour une petite chose comme elle, considérée comme fragile.

- « De toute façon, j’ai besoin de m’occuper, ça me fera pas de mal de faire ça, de changer d’air. Au pire, j’me ferai des petits bobos. Va savoir, j’réussirai même peut-être à dormir. Il a l’air bien ton canap’ en plus. »

En ce moment, de toute façon, tout semblait confortable ou presque, ce qui n’empêchait pas les insomnies et les cauchemars, la joie.

Bob se sentait mal pour la jeune femme. Même s'il n'y était pour rien et qu'il faisait ce qu'il pouvait pour aider sa situation, il n'aimait pas la voir comme ça. Cela étant dit, il espérait  améliorer la situation en la gardant avec lui, loin du tumulte. L'idée semblait plaire à Ivory et c'était tout ce qu'il demandait dans l'immédiat. Il la regarda mettre son numéro dans son téléphone, lui expliquant que ça serait bien d'apprendre ceci ou cela. La vérité, c'était que recevoir des messages était une source de stress pour le mutant. Certes, il était parfaitement capable de décrocher le téléphone et les leçons de Malachi portaient leur fruits plus rapidement que Bob l'aurait cru mais lire ces petits messages plein d'abréviations lui donnait de bonnes grosses poussées de boutons et une envie d'éclater le petit appareil contre un mur. Il ne savait pas quel était l'esprit pervers qui avait créé le texto, mais si il venait à le croiser un jour, il lui ferait savoir sa façon de penser. Il finit par hausser les épaules pour dire.

-J'préfère encore qu'on m'appelle. Ou que moi j'le fasse. Les messages, très peu pour moi. 

Il n'allait pas avouer à la jeune femme son illettrisme, il ne l'avait avoué qu'à Malachi, faute d'avoir eu le choix et à Seth parce que lui aussi l'avait pris sur le fait. Les deux réactions avaient été gentilles et compréhensive mais il n'avait pas voulu que tout le monde soit au courant. Il avait bien trop honte pour ça. S'il arrivait à lire les phrases construites et écrites normalement, tout ce qui relevait du patois, slang et autre couillonnerie modernes lui donnaient de l'urticaire tellement il n'arrivait pas à les lire.
Une fois tout ceci éclairci, il lista les choses qu'il restait à faire dans la cabane. C'était sans compté ce qu'il souhaitait faire sur l'ensemble de la propriété qui s'étendait sur des hectares et des hectares et qui comprenait un grand étang où il aimait aller l'été pour pécher et l'hiver pour patiner et poser quelques lignes.. Il écouta ce que Ivory pensait pouvoir faire et fut étonné de constater qu'elle pensait pouvoir faire un sacré paquet de choses. Il hocha doucement la tête et fit jouer l'articulation de ses doigts gantés.

-Ben ça fait déjà pas mal de truc. C'est cool et si tu veux, j't'apprendrai à tirer. Enfin, si ça t'intéresse. C'est pas aussi dure que tu crois. Pour les préparations, j'te montrerai comment j'fais. Pas que j'ai pas confiance, mais la peau, c'est un peu avec ça que je rentre de l'argent donc j'ai tendance à être maniaque, tu comprends.

Il eut une ébauche de sourire et secoua doucement la tête.

-Tu dormiras pas sur le canapé. C'est moi qui le prendrai et pas la peine de discuter à moins que tu tiennes vraiment à être réveillée à 4h du mat. Non, ça me dérange pas, le canapé est au moins aussi confortable que le lit et toi tu s'ras tranquille quand t'arrivera à dormir.

Il se leva et lui fit signe de se lever aussi. Il n'avait jamais fait visité les lieux à la jeune femme et maintenant qu'elle allait habiter là pendant quelques temps, l'heure était venue de faire le tour du propriétaire afin qu'elle sache où aller pour faire quoi et comment se servir de certaines choses qui ne marchaient pas forcément comme à la ville.

-Viens, j'te fais visiter. Ca s'ra plus simple pour toi. 

Il avança tranquillement avec elle, ouvrant la première porte dans le salon qui donnait sur sa chambre. Elle était assez simple et rudimentaire, comportant un lit deux places, une commode et une armoire, la plupart des meubles avaient été fait mains et s'ils avait été repris par Bob, mis à part le lit, tout avait été conçu par son oncle avec le bois trouver dans la forêt. Un ratelier rempli de couteaux divers, grande passion de Bob, trônait sur un mur entre l'armoir et la fenetre. Il constituait la seule décoration présente dans la chambre.

- C'est là qu'tu vas dormir. Ah ouais... Pour les toilettes... Pour le moment c'est dehors... Attend... 

Il ouvrit la fenetre et lui montra un cabane un peu à l'écart.

- C'est là. Y a tout le confort, hein, c'est juste pas dans la maison pour le moment. Les tuyaux et tout ça coute la peau du cul. Donc c'est pas pour toute suite encore, mais ça viendra.

Il referma la fenêtre et l'emmena jusqu'à la  cuisine, ne prenant pas la peine d'expliquer que c'était la cuisine. Il ouvrit les placards pour qu'elle repère où se trouvait quoi et lui montra le congélateur.

-Là, y a surtout de la viande. J'évite de taper dedans, c'est surtout pour l'hiver, vu la saison, j'préfère aller chasser un peu tout les jours.

Il continua sa route jusqu'à son atelier et ouvrit la porte. C'est là que se trouvait les peaux mais aussi les créations que Bob faisaient assez souvent. A force de travailler la peau et de la tanner pour en faire du cuir, il avait également appris à y faire des sacs, des bracelets et autres accessoires qui pouvaient s'avérer utile ou simplement joli.

-C'est là que j'travaille les peaux par contre pour dépecer les bêtes, tout se passe dans la cuisine, pour pas gater la viande avec certains des produits et tout...

Il ne savait pas bien quoi dire de plus.

-Dehors, y a aussi un potager, derrière la maison... Une vieille scierie et une distillerie clandestine.... J'm'en sers pas et franchement, rentre pas dedans, elle est en train de se peter la gueule doucement.

Il resta silencieux un moment avant de dire.

-Voilà, voilà... Ah si. Si t'as besoin d'aller la nuit aux toilettes, tu prends une lampe, même si il fait clair ou quoi et tu prends une arme. C'est pas que je sois parano mais y a des loups et d'autres trucs dans la régions et un petit coup en l'air ça leur fait peur. ok?

Ici, c’était clair qu’elle aurait la paix, un minimum. Elle était très loin de son confort habituel mais, elle n’avait pas vécu à l’aise dans son appart tout de suite. Elle n’avait pas oublié les nuits sur le matelas à même le sol, pas plus que celles passées sur le canapé à cause de problèmes divers et variés. Ivo n’avait pas toujours eu une belle vie matérielle mais, elle ne se voyait pas la ramener à ce sujet. Bob était assez gentil pour l’héberger, elle n’allait pas se la jouer cool. Elle n’était de toute façon pas en état de la jouer cool, tout simplement. Forcément, c’était naturellement qu’ils en étaient venus à parler téléphone. Il fallait bien parler de quelque chose. Elle aurait pu ricaner en entendant l’homme-grenouille protester pour les messages. Définitivement, il allait falloir investir dans l’apprentissage de Bob concernant les téléphones. Elle ne savait juste pas quand, elle faisait au moins trois millions de fautes en écrivant ces temps-ci tant elle n’avait plus vraiment les yeux en face des trous. Elle était forcément très loin qu’imaginer que le proprio de son squat actuel ne savait pas très bien lire et écrire. Pas du genre à juger, elle n’aurait même pas relevé et ce serait même proposée de l’aider. Faute de l’aider de cette façon, au moins, elle pouvait l’aider autrement, autant qu’il l’aidait en ce moment, elle l’espérait.

- « Hey, j’suis une artiste mais aussi une manuelle. J’ai vécu seule longtemps et j’ai dû me débrouiller. Je manie super bien le marteau et le crayon à bois. » Et tout un tas d’autres outils, elle n’avait pas deux main gauche quand il s’agissait de créer avec ses mains. Inutile de dire qu’elle ne disait pas ça pour culpabiliser Bob. « Ce serait pas de refus pour le tir mais, j’crois que ce serait mieux d’attendre que j’sois… pas dans cet état. J’suis pas certaine que laisser une arme dans les mains de quelqu’un qui dort pas soit un bon plan. » Question de sécurité. Un peu. « Et ça me va, c’toi le chef. »

Elle leva les yeux au ciel en soupirant concernant le lit. Franchement, elle n’était pas d’accord du tout de jeter Bob hors de son plumard, c’était le sien, à lui, il était chez lui. Pour elle, ça semblait évident, d’autant qu’elle était là en tant que pure squatteuse pique-assiette et qu’elle n’aimait pas beaucoup ça. Elle médita quand même sur ce qu’il venait de dire quelques secondes et finit par céder avec une moue.

- « Ouais, bon. T’as pas tort. On fait comme ça alors. Mais j’aime pas te mettre sur le canap’ alors que t’es chez toi quoi. Ça se fait pas ces trucs-là. »

Puisqu’il voulait la faire visiter, elle se leva, toujours enveloppée dans la couverture et le suivit. C’était un peu bizarre de rentrer dans l’intimité du foyer de Bob, un peu comme une super expédition. Elle se sentait d’ailleurs pas vraiment à l’aise avec le concept. Elle était l’intruse, clairement. Et lui, il lui dévoilait tranquillement son quotidien et elle réalisa. Il lui faisait vraiment confiance maintenant. Ça la touchait beaucoup, vraiment.

- « J’vais pas mourir parce que j’dois aller au petit coin dehors tu sais. Déjà que tu me refiles ton lit. J’vais pas me plaindre de devoir sortir pour ça. »

Après tout, pourquoi pas. C’était classe même quelque part. Un petit bout de nature pour des besoins naturels. Quoi de plus logique et cohérent. Bon, elle n’allait pas lui dire ça comme ça, voire elle n’allait rien dire du tout. Son cerveau s’égarait à cause de la fatigue et mieux valait que tout ne sorte pas comme elle le pensait. Elle continua donc à le suivre en se taisant pour admirer l’atelier. Ça, c’était du meuble massif et solide. Bien brut. Pendant un moment encore, elle l’écouta lui faire découvrir son chez lui et sourit un peu.

- « C’est impressionnant. Tu sais que t’es mieux logé que pas mal de gens en ville ? Mais ça marche, je ferai attention en sortant la nuit, lumière et lampe. Pigé. J’ai pas envie de me faire manger par une bestiole. »

D’autant qu’elle était vulnérable sans sa mutation à présent, elle n’allait prendre aucun risque. Enfin, pas volontairement. Le séjour allait lui faire du bien, de ça, elle était convaincue. Elle ne serait peut-être pas retapée à cent pour cent mais, grâce à Bob, elle irait mieux. Et peut-être qu’elle aurait un effet positif sur lui aussi.

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