2003. Le dortoir était trop rempli, pour la troisième fois ce mois-ci l'orphelinat débordait de gamins paumés. Wade avait neuf ans, dont cinq années passées au foyer ; il commençait à avoir l'habitude. Ça durerait le temps que certains nouveaux arrivants soient transférés, en attendant ils devaient s'entasser dans les petites chambres passées de mode mais en bon état. Ca ne le dérangeait pas, le gamin. Il avait quatre quand il a perdu ses parents, sa vie d'avant il ne s'en rappelle que vaguement. Il ne sait plus ce que ça fait d'avoir sa chambre, de pas devoir faire la queue pour aller aux toilettes, d'avoir quelqu'un pour le border le soir. Tout ça, c'était un étrange concept pour Wade qui s'était vite habitué à cet environnement pas si désagréable. Ce soir pourtant, il n'arrivait pas à dormir. Il y avait de l'orage au loin, et le garçon avait peur des orage. Le Rosenbach attendait patiemment, sachant qu'il ne resterait pas seul longtemps seul. Dans le couloir, il entendit des bruits discrets de pas approcher de sa chambre, et un large sourire s'étira sur ses traits enfantins. Quelques secondes plus tard, la silhouette fluette de la blonde montait les barreaux de son lit superposé pour venir se blottir contre lui. Daria. Sa petite sœur, sa princesse. C'était la première personne avec qui il s'était lié d'amitié en arrivant au foyer, et depuis ils ne se lâchaient plus ; ils s'étaient adoptés l'un et l'autre. La vie leur avait enlevé leur famille, alors ils avaient construit la leur. « J'arrive pas à dormir. » souffla-t-elle doucement, pour ne pas réveiller les autres. « Moi non plus. Pas avec l'orage. » Les deux enfants se cachèrent sous la couverture, comme pour se protéger de la menace qui les effrayait. « J'ai entendu les adultes parler tout à l'heure, ils ont dit qu'on allait déménager. » murmura-t-elle, soucieuse. Le ventre de Wade se serra ; il était bien ici, c'est tout ce qu'il avait connu. « Tant qu'on est ensemble, ça va être marrant. Une nouvelle maison, des nouveaux enfants à embêter. » Le garçon avait toujours été comme ça, ressentant le besoin de rassurer les gens autour de lui. C'était un gamin gentil -turbulent mais gentil, qu'on disait. « Ils savaient pas quoi mettre comme nom de famille dans mon dossier. » Elle avait cette tristesse dans sa voix, devenue l'une des grandes faiblesses du Rosenbach. « C'est nul, que tu aies pas de nom. Tu devrais prendre le mien, j'te le donne si tu veux. » La fillette laissa échapper un gloussement. « Comme si on était marié ? » souffla-t-elle, une grimace déformant ses traits angéliques. Wade commença à rire à son tour, arborant la même grimace. « Beuurk, non ! Non, comme si tu étais ma soeur. Ma jumelle ! Tu veux ? » Inséparable, on les prenait souvent pour tel. Autant officialiser la chose au lieu de laisser un blanc après le prénom de la belle. Vivement, la fillette acquiesça ; elle n'aurait pu rêver mieux. « On ira demander aux adultes demain alors, sœurette. » Les gloussements recommencèrent, vite réprimandé par une voix grave au fond du couloir. Les deux enfants baissèrent d'un ton, ne réussissant pourtant pas à fermer l’œil de la nuit.

2013. Le garçon commençait à reprendre doucement conscience, sortant tout juste des bras de Morphée. Dans la petite chambre d'hôpital, le bip régulier de la machine l'avait sortit de son sommeil, l'arrachant à ses cauchemars au plus grand soulagement de Wade. Cela faisait trois jour qu'il était revenu d'Irak, trois jours depuis son opération. Le Rosenbach n'avait que très peu de souvenirs des quelques jours passés, de son rapatriement d'urgence après l'accident et des rencontres médicales qu'il avait enchaîné depuis son arrivée à l'hôpital. Le soldat était conscient, mais pas totalement ; il avait l'impression d'être ailleurs, son esprit refusant de s’éclaircir. C'était surement la faute des anti-douleurs qui l’assommaient. Heureusement, elle était là pour gérer tout les papiers. Sa sœur, sa Daria. Wade sentait le poids de sa tête contre ses jambes, et sa mains glissées dans la sienne. La belle n'avait pas quitté ses côtés depuis son retour, refusant de le laisser tout seul. Wade se sentait coupable, de l'arracher ainsi à sa vie quotidienne ; pourtant, il était terrifiée. Même maintenant, même en sécurité. Tout ce qui s'était passé durant la dernière semaine le hantait, l'empêchant de fermer l’œil sans médicaments, le secouant de cauchemars et d'hallucinations. Il avait peur aussi du futur. De ce qu'il allait faire, maintenant qu'il ne pouvait plus se battre. Maintenant qu'il ne pourrait plus marcher, courir ou même danser. Maintenant qu'on lui avait retiré la moitié de sa jambe gauche. Ca lui paraissait encore surréel, trop affreux pour être vrai. Wade n'avait pas encore saisi toute l'horreur de sa situation. Il ouvrit ses yeux encore lourds pourtant, difficilement. Daria était là, endormis à moitié sur une chaise, à moitié sur lui. Sa longues chevelure blonde se perdait sur les draps, et la main libre de Wade vint se poser sur le haut de son crâne. Doucement, il lui caressa les cheveux, laissant ses doigts s'égarer entre les mèches dorées. La belle émergea aussitôt, n'ayant pas réellement réussie à dormir depuis trois jours. Elle releva son regard hagard vers le soldat rescapé. « Salut Princesse. » souffla doucement Wade, un mince sourire déformant ses traits fatigués. Malgré tout ce qu'il endurait -la peur, la douleur, le traumatisme-, le garçon ne pouvait s'empêcher de vouloir la rassurer. Il avait passé sa vie à faire ça, c'était une seconde nature chez lui. « Hey. Comment tu te sens ? » dit-elle en se relevant, s'étirant pour faire passer le mal de dos qui ne voulait plus la quitter. « Mieux. » se força-t-il à avouer. Mensonge. Plus le temps avançait, plus il prenait conscience de sa nouvelle condition ; il voulait crier, s'en prendre au monde entier. Mais il voulait surtout rassurer sa jumelle, ne voulant pas lui confier à quel point il avait été touché émotionnellement et physiquement. A son tour, Daria sourit, visiblement soulagée.  Wade se rendait finalement compte, après toutes ces années, de la chance qu'il avait d'avoir rencontré Daria ; sans elle, il n'aurait personne.  

2015. Dans la nuit noire, Wade suivait son mentor sans un mot. Le silence commençait à devenir pesant pour l'anxieux Rosenbach, qui s'impatientait de plus en plus. Caïn n'avait pas voulu lui expliquer pour quelle raison il l'avait fait sortir aussi tard, ni même pourquoi il se dirigeait vers la banlieue résidentielle de Radcliff ; mais il le suivait sagement. Depuis que son ancien instructeur l'avait recontacté et l'avait invité à se joindre aux hunters, le garçon obéissait sagement, ne voulant pas mettre en danger sa couverture. Alors il s'était habillé, et avait sauté dans la voiture du chasseur qui l'attendait devant chez lui. Il s'était garé quelques mètres plus loin, et ils avaient marché ensemble vers le bout de l'allée sombre, où Caïn s'arrêta brusquement. En face d'eux, une maison coquette ; toutes les lumières étaient éteintes, mais les jouets des enfants laissés dans le jardin laissaient entendre qu'elle était habitée. « Qu'est ce qu'on fout ici Caïn ? » s'impatienta Wade en attendant finalement des explications de son mentor. « C'est là où tu aurais pu grandir, tu sais ? » lança le chasseur pour toute réponse, le regard plongé dans la contemplation de la maison baignée dans l'obscurité. Wade lui lança un regard confus. « Comment ça ? » « C'est là que tu habitait Wade, avec tes parents. Avant l'accident. » Silence. Wade ne répondit pas, se contentant de fixer son mentor avec des yeux ronds. Ses parents ? Rare étaient les personnes qui lui parlaient de ses parents, ils avaient toujours été discret, même à Radcliff. Comment Caïn pouvait-il les connaître ? Que savait-il sur eux ? « Tu connaissais mes parents ? » Face à la confusion de son apprenti, le militaire se retourna vers Wade, plongea un regard compatissant dans ses yeux perdus. Il acquiesça doucement. « Tu t'es déjà demandé comment ils sont mort ? » Wade lâcha un rire mi nerveux, mi moqueur. On lui avait toujours dit qu'il s'agissait d'une fuite de gaz mais il n'y avait jamais cru ; toute cette histoire ne semblait pas nette. « Seulement tous les jours depuis qu'ils sont partis. » souffla le garçon, moqueur, la gorge nouée par l'émotion. Caïn esquissa un sourire, amusé par la réaction du garçon. Cette conversation, il voulait l'avoir depuis qu'il l'avait rencontré ; pourtant Wade n'était pas encore prêt pour ça. Le chasseur savait qu'il n'aurait qu'une et unique chance d'attirer réellement le garçon vers le côté des chasseurs. Et que l'argument qu'il allait délivrer allait être fatidique. « Tes parents étaient de vieux amis à moi, Wade. Deux chasseurs -deux bons chasseurs. » précisa-t-il, attendant la réaction de Wade. Le soldat ne dit rien, se contentant de fixer Cain avec ses yeux ronds. Des chasseurs ? De tout ce qu'il avait pu imaginer, Wade n'aurait jamais pensé une telle chose. Ca lui brisait le cœur, dans un sens. « Cette fameuse nuit, un petit groupe de mutant que tes parents chassaient depuis quelques temps s'est introduit dans cette maison. » Il pointa la maison devant laquelle ils se tenaient toujours, immobile. « Ta maison. Ils ont tués Daisy et Steve de sang froid ; y'en avait un qui pouvait créer des explosions. Ca vient d'là, cette histoire de fuite de gaz. Mais t'es intelligent comme gamin, j'suis sur que tu avais deviné qu'il y avait quelque chose qui clochait. » Caïn marqua une pause. Devant lui, Wade semblait avoir du mal à digérer toute ces informations ; dans la tête du garçon, tout se mélangeait. Ses parents, les hunters, les mutants, l'accident -pas l'accident, le meurtre. Ses parents avaient été tué. Par des mutants. Soudainement, tout ce passé si flou semblait prendre forme, toute les pièces du puzzle s'assemblaient. Il ne savait pas ce qui lui retournait le plus l’estomac, que ses parents soient chasseurs ou que les mutants les aient tués. Lui qui avait toujours soutenu les dégénéré, tout semblait se dérober sous ses pieds ; ils étaient dangereux, plus qu'il ne l'avait pensé. Tous n'étaient pas si gentil que Daria. Tous ne méritaient pas d'être défendu ; certains méritaient même d'être surveillé. Comment tant de pouvoir pouvait être laissé aux mains de personnes si impulsives, des personnes qui pouvait décider de la vie ou de la mort de quelqu'un. Caïn observait les différentes vagues d'émotions déferler sur le visage du Rosenbach : la surprise, la colère, la haine. Un sourire discret étira ses traits sanguins. Il savait que cet argument ferait mouche, il savait que grâce à cela, il allait pouvoir influencer le garçon comme il voulait.