28 décembre 1976

« Félicitations, madame Blackwood... C'est une belle petite fille... »

A bout de souffle, les joues ruisselantes de larmes, la jeune femme tendit les bras pour prendre son enfant et la serrer contre elle. La petite cessa soudain de hurler et darda ses grands yeux bleus sur le visage de sa mère, la fixant avec curiosité.

« Coucou ! C'est maman, ma chérie... Et regarde, papa est là aussi ! »

Presque à regret, elle tendit le nourrisson à son époux. A peine avait-elle vu le jour qu'elle était aimée comme aucun autre enfant sur cette Terre, sa mère en était certaine. L'enfant fut prénommée Cecily, sans lien avec une aïeule qui aurait porté le même nom ni une signification particulière. Il leur plaisait, et c'était le prénom auquel ils avaient pensé. Quelques minutes plus tard, la petite s'endormit dans les bras de son père, ignorant totalement que courait déjà dans ses veines ce gêne qui ferait plus tard d'elle quelqu'un de... Différent.


25 novembre 1984

« Lance-moi la balle, Cecily ! »

Emmitouflés dans d'épaisses doudounes en plumes, le bonnet enfoncé sur la tête et les moufles aux mains, Cecily et Nathaniel profitaient d'une belle journées d'automne pour jouer dans la neige, sous le regard bienveillant de leur mère. En cette période, les tempêtes de neige commençaient à arriver, en Alaska, et la jeune femme redoutait les week-end où il fallait garder ses enfants enfermés. C'était souvent le moment que choisissait Nathaniel pour inventer une nouvelle bêtise. Cecily avait lâché de bon cœur ses devoirs pour venir jouer avec son frère, et lui lança le ballon comme il le lui avait demandé.

« Fais attention, Naty ! Ne glisse pas dans la neige ! »

A peine huit ans et la petite prenait déjà son rôle d'aînée très au sérieux. A l'intérieur jouaient Amelia et Adrian, trop petits pour qu'on les laisse sortir par un froid pareil. Téméraire, le petit Nathaniel attrapa le ballon au vol, pris son élan et le lança de toutes ses forces sur sa sœur. Surprise par son geste, Cecily poussa un cri de surprise, se recroquevillant sur elle-même tandis que le ballon fonçait droit sur elle. Alertée par le cri, la mère voulu se précipiter sur sa fille, mais elle et le ballon furent alors violemment projetés au sol par une force invisible.
Tremblante, Cecily n'osait pas relever la tête... Lorsqu'elle le fit, ce fut pour voir sa mère, assise dans la neige, qui se massait le crâne en grognant.

Profondément confuse, la petite blonde fondit en larmes et se répandit en excuses tout en cherchant à aider sa mère à se relever.


« Ce n'est pas grave... Je vais bien... Vas chercher ton frère, on rentre... »

Cecily ne se fit pas prier, attrapa la main de Nathaniel et ignora ses protestations jusqu'à ce qu'ils soient au chaud à l'intérieur. Cecily n'aimait pas lorsque ses parents avaient des discussions d'adulte, car elle n'en comprenait pas tous les mots... Mais cette fois, elle sut qu'il était question d'elle. Avait-elle fait quelque chose de mal ? A quel moment ? Pourquoi sa mère s'était-elle retrouvée projetée au sol ? Il apparut alors que la petite était une mutante.

« C'est quoi un... Mutant, maman ? » demanda la petite lorsque sa main vint la mettre au lit.

La jeune femme s'accroupit prêt du lit et passa affectueusement une main dans les cheveux de sa fille.


« C'est un très vilain mot pour désigner les gens capables de faire des choses extraordinaires... Les gens comme toi... »
« Mais je t'ai fais mal... »
« Tu ne savais pas... Tu verras, avec un peu d'entraînement, tu deviendras encore plus forte, Cecily... »

La petite acquiesça, mais l'idée ne la quitta pas pour autant... Et si elle était véritablement dangereuse ?


16 mars 1992

Durant les années qui suivirent, Cecily passa la majeure partie de son temps à étudier, et le reste à s'assurer qu'elle maîtriserait un jour son don à la perfection. Son parcours fut semé d'embûche et d'échecs, elle passa autant par la haine que l'amour ou le désintérêt pour sa mutation. Elève studieuse et orgueilleuse, elle tolérait difficilement l'échec et préférait le calme de son bureau d'études au brouhaha du salon à l'heure du souper.

Elle était d'ailleurs plongée dans l'étude d'une composition d'anglais, quand s'échoua sur son cahier le cadavre d'une énorme araignée. Prise par surprise, la jeune fille hurla et manqua de tomber de sa chaise. Derrière elle, Nathaniel semblait sur le point de se faire dessus tant il riait.

« Fous le camp, Nathaniel, c'est tout sauf amusant ! »
« Rooo t'as vraiment aucun humour, Cec... »
« J'vais t'en donner, de l'humour, si tu dégages pas d'ici vite fait ! »
« Et tu vas faire quoi ? Me jeter tes cours à la figure ? »
« Non je... »

Elle aurait pu être plus menaçante... Mais dans l’entrebâillement de la porte, elle voyait de grands yeux bleus semblables aux siens la fixer. Elle détestait qu'Adrian ou Amelia soient les témoins de ses nombreuses disputes avec le benjamin de la fratrie, tout comme elle savait qu'il était difficile d'y échapper. Alors la jeune fille soupira, se passa une main dans les cheveux et jeta un regard noir à son frère.

« S'il te plaît, Nathaniel... Vas-t-en... »
« Bah voilà, suffisait de d'mander gentiment ! »

Goguenard, le garçon sortit de la chambre non sans avoir tiré la langue à son aînée. Toujours prêt de la porte, Adrian semblait hésiter entre suivre son frère et franchir les quelques centimètres qui le séparaient de la chambre de sa sœur.

« Je dois travailler, Adrian, retourne jouer avec Amelia... »
« J'veux pas aller jouer, j'veux rester avec toi... »
« Tu sais bien que j'ai des devoirs à rendre, Adri... »
« Oui mais... Je peux rester quand même ? »

Depuis son plus jeune âge, Adrian suivait sa sœur partout où il le pouvait. C'était à se demander parfois s'il ne cherchait pas à marcher exactement là où elle marchait, prenant chacun de ses actes comme modèle et cherchant constamment son approbation et son affection. Seulement, Cecily avait érigé entre eux cette barrière invisible qui s'épaississait d'année en année, rejetant tous les efforts du petit garçon par peur de le blesser lui aussi, mais surtout parce qu'elle était incapable de savoir comment se comporter avec lui. Avec Nathaniel, les choses étaient claires : C'était la guerre ouverte, et ce depuis plusieurs années déjà. Ce fossé, ils l'avaient creusé à deux. Pour Adrian, les choses étaient différentes, et face à son regard de chiot abandonné, elle ne put résister.

« Bon d'accord... Assieds-toi sur le lit mais ne fais pas de bruit, d'accord ! »

Avec un sourire radieux, le petit hocha la tête, grimpa sur le lit et regarda sa sœur travailler jusqu'à ce que la fatigue n'ait raison de lui et qu'il s'endorme là.


8 juillet 2001

« Papa ! Attends ! »

Soupirant, le grand homme se tourna vers sa fille et, croisant son regard de furie, il compris que la discussion serait longue, et reposa sa veste sur la patère.

« Quoi encore ? »
« Tu es vraiment irresponsable, tu le sais ça ? Bon sang mais qu'est ce que tu as dans le crâne, à part du plomb et du sang ? »
« Parle-moi sur un autre ton, Cecily Blackwood ! »
« Oh je t'en prie, papa, je n'ai plus huit ans, j'en ai 24, et je te parlerai sur le ton que j'estime être le bon ! Adrian ne veut pas intégrer l'armée, c'est si difficile à comprendre pour toi ? Tu y as déjà envoyé Nathaniel, et on sait tous à quel point cette une brillante réussite, vraiment ! »
« Adrian est différent, il fera un très bon soldat... »
« Et alors ? Il y en a des milliers d'autres, qui feront de bons soldats ! Adrian ferait un très bon avocat, tu sais qu'il en rêve depuis longtemps, alors pourquoi tu ne le laisses pas faire comme Amelia ? Tu es foutrement buté ! »
« C'est une affaire de famille, et ça ne regarde que lui et moi ! Et si tu te fais du souci pour lui, il ne lui arrivera rien, je peux te le promettre... »
« Mais tu t'écoutes parler, des fois ? Il n'y a pas que ceux qui reviennent enfermés dans une boîte ou ceux qui laissent un bras sur le champ de bataille... Ils sont tous traumatisés, tous... Et tu veux lui imposer ça alors que... Il a tout ce qu'il lui faut, ici ! Il a Evie ! »
« Oh je t'en prie, cette amourette de jeunesse, ça lui passera tôt au tard... »
« Tu as vraiment tout d'un militaire... Tu es con, borné et tu as l'ouverture d'esprit d'une moule... »

Consciente qu'aucun argument ni aucune plaidoirie ne viendrait à bout de l'entêtement de son père, Cecily tourna les talons et retourna à ses ouvrages de droit. Fulminante, elle était incapable de se concentrer sur ce cours de droit civil qui la passionnait tant d'habitude... C'est qu'elle était ambition, l'aînée de la fratrie Blackwood ! Elle avait toujours voulu devenir procureure, et son acharnement ainsi que son caractère studieux lui ouvrait grand les portes du tribunal. Seulement, malgré toutes les armes juridiques qu'elle avait en main, elle était désarmée face à son père... Elle ne voulait pas de cet avenir pour ses frères, pas plus qu'elle ne voulait voir Evelyn se ronger les sang dans l'attente du retour d'Adrian. Car elle y croyait, à cette « amourette de jeunesse », elle y avait toujours cru... Depuis le jour où elle les avait vu ensemble... De toute manière, si Adrian était aller voir ailleurs, Cecily se serait fait un plaisir de le ramener fissa par la peau du cou devant Evelyn. Et même si elle était la seule à y croire, elle n'en démordait pas.


15 septembre 2001

« Maman ! Où est Nathaniel ? Est ce qu'il va bien ? »

Essoufflée, paniquée au possible, Cecily se précipita vers sa mère, les talons de ses escarpins claquant sur le carrelage de l'hôpital. Une coiffure impeccable, un maquillage discret mais soigné, un tailleur sur mesure... Elle sortait tout jours de sa soutenance de thèse, un jour qu'elle avait attendu avec une impatience fébrile et qu'elle pensait pouvoir fêter dignement ce soir-là avec ses amis, dans l'attente des résultats. Seulement, la fête viendrait plus tard... Nathaniel avait été rapatriée d'urgence en Alaska, après un tragique accident en Irak. Posant une main sur l'épaule de sa fille, la mère l'accompagna jusqu'à la chambre du jeune homme, dont l'accès était toujours interdit. Seulement, la grand baie vitrée était suffisante pour constater l'ampleur des dégâts. Avec horreur, la jeune femme fixa son cadet, allongé dans ce lit et couvert de blessures tandis que tout un appareillage lui permettait de rester en vie. Se tournant vers son père, les larmes menaçant de passer le rempart de ses paupières, elle cracha :

« Tout ça c'est de ta faute... »

Puis elle alla s'asseoir un peu plus loin avec sa cadette, Amelia. Les mois qui suivirent firent partie des plus mouvementés de son existence. Entre l'obtention de son diplôme de fin d'études, ses débuts en tant que procureure d'une petite municipalité d'Alaska et le réveil tardif de Nathaniel... Profondément choqué par son expression sur le champ de bataille, il n'en devint que plus violent et agressif, et la jeune femme n'eut d'autre choix que de s'éloigner plus encore de son frère pour leur éviter un affrontement qui ne serait pas sans conséquences.

Même le mariage d'Evelyn et d'Adrian, qu'elle attendait depuis si longtemps lui laissa un goût amer dans la bouche. Comment pouvait-on gâcher un tel bonheur en allant se battre pour des causes qui lui échappaient ? Jamais Cecily ne pardonna à son père ce qu'il avait fait à ses frères. Jamais elle n'accepta l'idée qu'Adrian soit aller se battre sans la moindre envie. Ce fut peut-être cette époque qui contribua à grandement rapprocher Evelyn et Cecily. Consciente que son frère lui manquait et qu'elle ne savait comment le lui montrer, la jeune femme prenait énormément de son temps libre pour parler avec Evelyn, la rassurer tout en se rassurant elle-même... Car au fond, si Cecily semblait imperturbable et droite, elle hurlait intérieurement. Son métier de procureur l'aidait à parfaire son expression de marbre et son indifférence, mais il l'empêchait de pleinement exprimer ses sentiments.


3 octobre 2009

« Il est arrivé quelque chose d'atroce... »

La voix de Cecily se brisa dans un sanglot sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle s'était juré de ne pas craquer, de ne pas montrer le chagrin qui lui enserrait la poitrine... Encore moins face à Adrian. Mais toute cette colère et toute cette tension refoulée eurent raison de ses nerfs. Aussi, incapable d'annoncer la nouvelle à son cadet au téléphone, elle lui demanda simplement de venir la rejoindre et raccrocha. Elle ne céda aux larmes et à l'hystérie que ce soir-là, hurlant en silence dans un oreiller qui n'avait rien demandé à personne. La colère et la haine menait un combat sans merci à l'incompréhension, et sans qu'elle ne cherche à lutter contre, son don si longtemps refoulé envoya valser tous les objets présent dans la pièce. Repoussant tout ce qu'il y avait autour d'elle, Cecily s'enferma dans ce cocon protecteur pour laisser libre cours à sa tristesse.

Amelia, la douce, la gentille petite sœur... Venait d'être sauvagement assassinée par des gens comme elle.


15 octobre 2009

« Je viens voir Adrian Blackwood... »
« Vous savez qu'c'est un dangereux criminel, ma p'tite dame ? »
« Oh ne vous faites pas de souci pour moi... C'est mon frère... »

Haussant un sourcil, le gardien de la prise consentit finalement à ouvrir la porte de la prison, non sans avoir consulté minutieusement les papiers d'identité de la jeune femme. Il l'accompagna jusqu'à la cellule, où elle fixa son cadet avec une froideur jusqu'alors inégalée.

« Tu fais peine à voir, Adrian... Continue à ne pas manger et tu pourras passer à travers les barreaux », cracha-t-elle avec cynisme.

Méritait-il seulement les sacrifices qu'elle avait fait pour lui ? Et Nathaniel ? Méritait-il seulement un dixième de ce que son frère avait fait pour lui ? Tout ce travail envolé... Un beau gâchis ! Tous ces efforts qu'elle avait mis en œuvre pour coincer les assassins de sa petite sœur et les traduire en justice... Tout ça n'aurait servi à rien.

« Je vais être claire, Adrian. Si toi et ton idiot de frère n'aviez pas joué les justiciers du dimanche, j'aurais pu m'assurer que ces monstres finissent leurs jours derrière les barreaux... Les lois et les tribunaux sont faits pour les criminels, seulement toi et Nathaniel vous êtes rendus coupables du même crime que ces monstres... »

Elle marqua une pause, choisissant judicieusement ses mots pour être claire sans pour autant être trop cassante.

« Enlèvement, séquestration, meurtre avec préméditation... Je ne t'apprends rien, tu sais que ce genre de crime est puni bien plus sévèrement que par trois années derrière les barreaux... Qu'elles te servent de leçon, je n'ai pas réussi à t'obtenir moins. Je ne suis de toute manière pas certaine d'avoir envie de t'aider davantage... Tu ne sauveras pas éternellement Nathaniel... »[/color]

Sans attendre de réponse de la part de son frère, Cecily tourna les talons et quitta la prison.

Depuis ce jour, Cecily s'est éloignée encore davantage de ses frères, ne prenant des nouvelles d'Adrian que par l'intermédiaire d'Evelyn. Avec les années, l'expérience et la renommée aidant, elle s'est installée à Chicago, où elle travaille comme procureure. Renfermée et discrète, la jeune femme ne vit plus que pour son travail, dans un appartement bien trop grand pour elle et avec un salaire qui comblerait une famille entière. Les années ont filées, et la voilà qui approche la quarantaine en ayant la désagréable impression de ne pas avoir accompli la moitié de ses objectifs. Fermement opposée à la politique de dépistage et de vaccination des mutants, elle lutte avec ses armes juridiques contre les hunters. Inutile de dire qu'elle voit d'un très mauvais œil la direction qu'on pris ses frères...

Seulement, elle aurait pu rester encore longtemps loin des affaire familial si un nouveau drame ne s'était pas produit... Ce coup de fil d'Evelyn aurait pu ressembler à tous les autres... Mais à peine avait-elle décroché que Cecily se figea, le téléphone dans la main.

Adrian était à l'hôpital, dans un état critique. Il était peut-être temps de renouer avec le reste de la fratrie, avant qu'une autre mort ne vienne assombrir le tableau de la famille Blackwood.