Elle avait tout claqué. Des années maintenant qu'elle n'avait pas mis les pieds à la Nouvelle-Orléans. Passant de partenaires de voyage à d'autres aussi vite qu'elle changeait de chemises et ne restant jamais au même endroit bien longtemps ; ça faisait un moment qu'elle ne s'était pas arrêtée. Pour souffler. Se poser. Assise devant l'écran d'ordinateur piqué à un client du café où elle travaillait depuis deux semaines, Nyreen était piégée devant une page blanche. Tout ce qu'il y avait d'écrit dans le email c'était un Bonjour Léda... Bien maladroit, ouais. Il y avait tant à dire pourtant, le flot d'histoires ne manquait pas cependant, elle restait figée. Incapable de faire bouger ses doigts sur le clavier. Pourtant, elle voit l'heure avancer et elle sait que le client risquait de réclamer son portable d'un moment à l"autre. Elle pouvait bien demander comment se portait la famille, ce qu'elle faisait de bon de son côté. Elle pouvait raconter toutes les emmerdes qu'elle avait rencontré depuis qu'elle avait quitté le sol américain. Finalement, elle ne savait pas par où commencer. La jeune femme finit par inspirer et se lancer.

" Bonjour Léda.

J'espère que tu te portes bien. Je sais que ça fait un moment que je t'avais pas écrit mais tu le devines, j'ai pas accès bien souvent à des moyens de t'écrire. T'inquiètes pas pour moi, je vais bien. Je suis présentement sur le point de partir pour le Mexique avec cette nouvelle fille que j'ai rencontré. Reese. Je pense bien que j'vais me balader avec elle pour un temps. T'y croiras pas mais j'ai rencontré un mutant qui avait presque le même pouvoir que toi. Sauf qu'il s'est fait buter il y a quelques jours... Pas la peine de dire que je m'inquiètes pour toi, hein ! Tu seras sûrement heureuse de savoir qu'il y a des tarés partout. Je t'assure, j'en vois de toutes les couleurs ses dernières années.

J'essaie de t'écrire plus souvent promis.
Tu me manques. Nyreen. "

Obligée de terminer son message abruptement, elle remit l'ordinateur au client qui revenait vers elle. Le café était autrement vide puisque l'heure de la fermeture approchait. Deux semaines à travailler là... c'était pratiquement un record pour la métisse vivant comme une fugitive alors que la seule chose qu'elle fuyait vraiment, c'était son reflet dans le miroir. Assurée, fière, ce n'était qu'une façade pour cacher un mal de vivre si profond... Elle qui ne trouvait sa place nulle part. Âme errante ne sachant pas trop ce qu'elle cherchait au juste.


Radcliff. Léda était venue se perdre dans ce trou à rats sans nom. Les années de fuite, de vagabondage derrière elle sans qu'on ne lui ait laissé vraiment le choix. Il lui suffit d'un instant pour venir trouver sa soeur à son insu pour se retrouver coincée là. Les semaines, les mois ont beau passé, la liberté lui manque. Ayant voulu faire une surprise à Léda, c'était elle maintenant qui tombait des nus à ne pas pouvoir quitter la ville. Jours après jours, elle se voyait obligée d'essayer d'avoir une vie normale. Faut bien s'adapter, faut bien s'y faire. Faut bien trouver son bonheur là où elle peut à défaut de savoir vraiment ce qu'elle veut. Parce que les années ont beau avoir passé, elle est toujours aussi perdue la belle. Elle a son appartement, un boulot qu'elle garde depuis des mois maintenant. Elle a des amis, des proches autour d'elle qui pourrait presque lui donner l'impression que Radcliff est devenu sa maison. Parce qu'au fond, c'est ce qu'elle veut. Trouver un endroit où elle peut appartenir, qui lui ressemble et où elle peut se poser sans avoir peur de perdre pied. Insurgency, Léda. Peut-être bien qu'elle a trouvé ce qu'elle cherche depuis qu'elle est gamine. Là, juste sous son nez... Mais encore une fois, son reflet dans le miroir l'écoeure alors qu'elle essaie de nettoyer le sang qui souille ses doigts fins. Son coeur est toujours aussi affolé qu'au moment où elle a fait glisser la lame dans les entrailles du mutant.

J'avais pas le choix... C'est pour le plus grand bien. Pour garder les apparences. Elle tente de se répéter ses mots en boucle mais ça sonne faux. Et elle tremble la belle, perturbée par le geste qu'elle venait de commettre. La nausée menaçant de la faire vomir, elle essaie de se reprendre. C'est pas la première fois qu'elle tue. Elle n'avait pas poussé son premier cri qu'elle avait fait sa première victime le jour de sa naissance ; sa mère. Elle est déjà une meurtrière, alors pourquoi avoir honte...

Une petite voix dans son dos la fait sursauter. Elle tourne la tête et aperçoit Evey qui entre dans la salle de bain comme si elle est la reine de l'endroit. « Evey, bordel, qu'est-ce que tu fais ici ? » La brune oubliait parfois de faire attention à son langage, même quand la petite fille de Reese était dans les parages... Elle n'ose même pas imaginer le genre d'exemple qu'elle pouvait donner. Sans parler du carmin qui tâche encore ses ongles... « Et comment t'es entrée ? » Alarmée d'être ainsi surprise par la gamine, elle s'approche d'elle en essuyant le plus possible ses mains. Elle prend Evey dans ses bras et l'amène au salon où elle garde quelques jouets pour elle. « La porte était ouverte, Tati. J'ai fait un dessin que je voulais te montrer ! » Bien sûr... elle avait pas pris le temps de la fermer... Pourtant il est tard, Reese doit s'inquiéter... Ce n'est pas la première fois qu'Evey s'évade comme ça juste pour venir voir sa tante mais elle la surprend à un bien mauvais moment... Tout de même attendrie par l'enfant, Nyreen la voit sortir un papier froissé de sa minuscule poche et de lui tendre. Un gribouillis sans aucun sens mais la métisse trouve le moyen d'être abasourdie par son talent d'enfant. Ou parce que c'est Evey tout simplement. Nyreen passe une main dans ses cheveux en la remerciant en louangeant ses talents. « Je peux dormir ici ? » Ce regard que la petite lui lance, c'est carrément impossible de résister et la jeune femme finit par céder et l'installer avec elle dans son lit. Et ce n'est que grâce à la petite qu'elle réussit à fermer l'oeil sans penser à la mort qu'elle sentait encore sous ses doigts...