La vie n’est jamais simple. C’est une chose que l’on entend souvent. Beaucoup de choix, certains plus simples que d’autres mais, tous à assumer. Seulement, quand ces choix vous sont arraché, il ne vous reste qu’une vie dont vous n’êtes pas responsable, une vie que vous n’avez pas choisi, une vie à regretter.
C’était précisément le problème de Duke. Quelque part en route, il s’était rendu compte qu’à aucun moment, il n’avait fait ses propres choix, il n’avait cherché à vivre pour lui-même et pas pour les autres. Ces autres, c’était ses parents. Aussi loin qu’il se souvienne, il avait toujours été poussé à faire tout un tas d’activités qu’ils avaient choisies. Ses études ? Ils l’avaient orienté de façon plus ou moins flagrante. Sa vie privée ? Ils avaient tellement bien réussi leur coup qu’il réfléchissait de lui-même à faire les choses bien. Pas comme lui le voulait. Non, il voulait rendre fier papa et maman. Mais... papa et maman lui empoisonnait la vie.
C’était devenu presque un réflexe de faire ce que l’on attendait de lui. Il n’était pas seul à l’encaisser cette pression parentale pourtant, Alfie aussi. Il était plus jeune mais c’était exactement la même chose finalement. Du moins jusqu’à ce jour dans le courant de sa quatorzième année. Comme souvent, Duke l’avait accroché, le retenant par une prise à peine maîtrisée. Jamais il n’aurait blessé son frère et tous le deux le savaient. Ce qui se passa à ce moment-là, ce fut l’inverse. Une chose que personne n’aurait pu voir venir se produisit. Quelque chose se mit attaquer les tissues de son épaule, les chairs et même les ligaments. La douleur eut à peine le temps d’arriver qu’elle disparut en partie. Par réflexe, et heureusement, Duke relâcha Alfie et le phénomène cessa, le laissant avec une plaie qui n’avait rien d’agréable à regarder. Les soins furent coûteux, douloureux et l’accident, dur à justifier. La mobilité de sa main en prit un sacré coup mais, ça reviendrait, d’après les médecins, en attendant, il lui fallait apprendre à utiliser l’autre. Jamais il n’en voulut à son petit frère, ça n’était pas sa faute, c’était... comme ça. Personne n’y pouvait rien.

Obligé de retourner à l’université, il fut coupé de son frère, n’en reçut aucune nouvelle. Sa vie prenait un autre tournant et il ne subit que davantage de pression. Logique au fond, son frère ne répondait plus aux exigences de ses parents. Il l’ignorait bien sûr, trop pris par cet engrenage qui détruisait sa vie tout en l’assurant ironiquement. Il apprit à faire avec son épaule capricieuse, à écrire de l’autre main, à dissimuler la cicatrice. Doué sans particulièrement apprécier ses études, il fit toujours de son mieux, assumant rapidement le prêt de ses parents pour le soigner en faisant des petits boulots, il en fit autant avec son prêt étudiant.
Celle qui deviendrait sa femme, il la rencontra alors que ses parents lui annonçaient qu’Alfie était parti sans un au revoir. S’il était déçu ? Bien sûr. Mais il ne pouvait pas tout abandonner pour aller demander des comptes à son frère. Il vivait sa vie sans même s’apercevoir que ça n’était pas la sienne. Amoureux, il ne tarda qu’un peu à faire sa demande, une demande que celle qui serait sa future femme accepta. Elle oubliait -juste en cet instant- de révéler à Duke dans quel type de famille elle avait grandi. Son idylle, il l’a vécu tranquillement jusqu’à ce que son mariage, progressivement, ne se disloque. Pas assez là, elle non plus, ils ne se voyaient presque pas sauf qu’il ignorait les raisons de ces absences.

Ses réponses, il les reçut un jour ou plutôt un soir. Elle l’avait emmené chez des amis, les lui présentant comme étant de vieilles connaissances de sa famille. Ce soir-là, Duke sut et il dut faire un choix. On y revenait, à cette histoire de choix... sauf que depuis longtemps, ses choix étaient dictés par une pensée qui n’était pas la sienne. Il fit ce qu’il fallait pour sauver son mariage, persuadé que de suivre sa femme dans son devoir, l’aiderait à comprendre, à la garder. Il était celui qui faisait des efforts, elle était celle qui l’enfonçait inexorablement plus profondément. Par amour on tue, par amour on fait des choses ignobles. Et il le fit. Convaincu pendant un temps du bien-fondé de ce qu’il faisait, que tuer certains mutants étaient sécuritaire. Pourtant, il n’avait jamais réussi à haïr son frère. Sa femme avait essayé pourtant, longtemps.
Les convictions finirent pas s’effilocher et la vérité de ses actes le rattraper. Il avait tué, peut-être même des innocents. Mais cette fois, dans ce mariage qui ne tenait à rien, ce fut elle qui le retint. Elle était enceinte. Alors pour l’enfant il resta. Parce que c’était la chose à faire, parce qu’il était le père. Du moins, il le crut un temps. Certains détails ne collaient pas, les cheveux, les yeux, le dessin du visage qui s’affinait et il finit par se poser les bonnes questions. Il la mit devant le fait accompli et elle avoua après un certain temps, avec réticence. Il était le père d’un enfant qui n’était pas le sien, il avait donné son nom à un enfant dont il n’était pas le père. Ce fut la première fois qu’il rentra dans une colère noir, une colère qui lui fit comprendre qu’il devait partir. Ce jour-là, il n’avait pas été loin de frapper sa femme. Un acte pour lequel il se serait véritablement détesté. Il comprit également que ses colères pouvaient être dangereuses, trop patient qu’il était.
Duke se réfugia à l’hôtel et le lendemain, reçut un coup de fil. Elle voulait le divorce. Elle n’aurait aucun mal à l’obtenir. Brave imbécile, il accepta de payer une pension alimentaire pour l’enfant à condition qu’elle change le nom de la gamine. Hors de question qu’il continue de porter son nom. Il paierait jusqu’à ce qu’elle entre à l’université, pas plus, pas moins. Seul dans cette chambre d’hôtel, il fit le point sur sa vie, il n’avait que ça à faire. Et il comprit. Sa vie n’était pas la sienne, il ne l’avait pas choisie, pas vécue, il en était prisonnier.

En instance de divorce, il se mit à sortir avec ses collègues, tenter de vivre ce qu’il pouvait vivre. Rattraper ce qu’il n’avait pas pu faire, pas voulu pour des raisons évidentes. Presque par réflexe, il devint sarcastique, vexant, parfois même un véritable connard. Lui-même ne se rendit jamais compte qu’avec cette attitude, il se protégeait. Personne n’attend rien d’un connard. C’était plus facile comme ça. Nettement plus. Par la même, il lui était plus facile de digérer son divorce, cette fille qui n’était pas la sienne mais à laquelle il s’était attaché pour se forcer à s’en détacher, ses meurtres... Pour son plus grand bonheur et sans doute sa plus grande perte, il découvrit les joies de l’héroïne. Une récréation qu’il se força à ne pas s’offrir trop souvent. Il était intelligent, il savait ce que ça faisait mais, même en sachant, le piège s’était lentement refermé.
Le pire, c’était sans doute que les découvertes qu’il avait faites n’étaient pas les dernières. Il fut surpris un beau jour de recevoir un coup de fil de ses parents qui lui demandaient de passer le voir. Ce qu’il fit. De cette visite, il fut à nouveau forcé de faire quelques constats. Son frère n’était pas parti, ses parents l’avaient jeté dehors. Ces même parents qui savaient désormais qu’il était hunter et voulaient qu’il lui rende un service. Un service altruiste... Mettre fin aux jours de son frère qui souffrait certainement de tout ce qu’il avait pu faire avec sa mutation, cette monstruosité. À une époque, la demande aurait pu marcher, il aurait pu le faire et c’est sans doute ce qui termina de lui ouvrir les yeux. Il refusa tout net, ne discuta même pas. Soudain inquiet pour une autre vie que la sienne, il s’organisa et se fit transférer. Il retourna dans la ville qui l’avait vue grandir. Cette ville dans laquelle il ne serait jamais retourné si ça n’avait été que de lui. Pour la première fois de sa vie, Duke venait de faire un choix qui n’était dicté que par lui, que par ce qu’il désirait accomplir ou non. C’était peut-être pour quelqu’un d’autre mais il pouvait bien faire ça. Il devait bien ça à Alfie. Après tout, sa propre vie n’était qu’une construction qu’il louait, une construction dans laquelle il ne se sentait pas chez lui... Autant la mettre à profit.