Ils l’avaient mérité, que répétait la petite voix au fond de sa tête. Ils lui avaient tout pris, alors pourquoi est-ce qu’ils auraient dû continuer à vivre ? Ils l’avaient mérité. Il ne reviendrait jamais là-dessus. Jamais pendant son procès, il n’avait cherché à nier les faits. A quoi bon ? Il ne regrettait pas ses actions. Il n’y avait rien à regretter. Leurs familles demandait-on, est-ce que tu penses à leurs familles ? Ils n’avaient pas pensé à la sienne. Ce soir-là, sans raison, ou parce qu’ils étaient défoncés, la folie leur était passé par la tête et ils avaient tués une petite fille et sa mère. Y avait pas de raison. Ils n’étaient pas maitres de leurs actions, alors est-ce qu’ils étaient responsables ? La réponse pour Barclay, c’était oui. Y avait pas d’excuse. Défoncés ou pas, c’était sur son épouse et sur sa fille qu’ils étaient tombés, ce soir-là, sur ce parking. Elles avaient été innocentes. Il se souvenait bien de cette journée. Maysie, sa cadette était malade, alors il était resté avec elle, c’était le gala de danse de Lucy, la plus vieille, mais il était resté avec la petite, alors, c’était son épouse, Elizabeth, qui y était allée. Elles étaient partie tard, son épouse c’était une femme bavarde et elle avait passé un temps à discuter avec le professeur de danse. C’est ce qu’il avait raconté le professeur en question, quand on l’avait interrogé. Il se souvenait de leur avoir longtemps parlé avant qu’elles ne partent. Y avait plus de place sur le parking de devant, sans doute, parce qu’elle avait été obligée de se garer un peu plus loin, sur un petit parking. Le mauvais parking. C’était là qu’on avait retrouvé leur corps, mutilés par tellement de coup de couteaux qu’il aurait été facile d’en perdre le compte. Vingt-trois dans le corps encore tout petit de Lucy. Quarante-et-un dans celui d’Elizabeth. Tellement d’acharnement et tout ça pour quoi ? Parce qu’ils avaient été sous l’influence de la drogue. Ce n’était pas une excuse. Il les avait traqués. Il les avait retrouvés et il les avait tués. Vingt-trois coups de couteaux pour l’un, quarante-et-un pour l’autre. Ça n’avait été que justice. On l’avait rapidement arrêté. Il ne s’était pas défendu, à quoi bon, il était coupable et il assumait parfaitement. La seule chose qui pouvait lui faire regretter ses actes à présent, c’était Maysie. Où est-ce qu’elle était à présent ? Maintenant que lui, il était là en prison. Fils unique, ses parents étaient trop vieux pour s’occuper de la gamine. Alors qui est-ce qui avait pu arriver à sa petite Maysie. Il était tellement désolé pour elle. Il écrivait souvent, mais n’envoyait pas ses lettres. Il ne savait pas où les envoyer. Peut-être qu’un jour il pourrait les lui donner en mains propres. Dans vingt-cinq ans, puisque c’était le nombre d’années de prison auxquelles il était condamné. Où qu’elle soit, il espérait qu’elle soit heureuse. Loin des histoires de sa famille, loin du sang et de la violence qui avait pu la briser. Elle n’avait qu’une toute petite fille et elle avait déjà tout perdu. Il ne regrettait pas son geste, il ne le regretterait jamais. Il était là au fond de sa cellule avec cet air assuré et son indifférence la plus totale. En prison ou ailleurs, ça n’avait pas d’importance de toute façon. Sa vie était fichue et y avait même pas de raison à ça, même pas d’explication. C’était le hasard sans doute, la malchance du moment, parce qu’Elizabeth et Lucy avaient été au mauvais endroit au mauvais moment. Parce que de mecs avaient un peu trop abusé de la drogue ce soir-là, sur ce parking-là. Ce n’était que des coïncidences, rien de logique, rien de censé. Il avait tout perdu et y aurait jamais rien pour expliquer ça.

« Pourquoi est-ce que tu m’as sauvée ? » Il haussa les épaules avant de tirer son paquet de cigarette de sa poche pour s’en allumer une. Qu’est-ce qu’il en savait lui, pourquoi est-ce qu’il l’avait sauvée ? Ça lui avait pris comme ça, élan de bonté ou une connerie du genre.  Qu’elle arrête d’essayer de comprendre et qu’elle aille voir ailleurs s’il n’y était pas. « Pourquoi des hunters essaie de tuer une hunter ? » Y avait ce regard noir dans le fond des prunelles de la gamine, comme si elle allait le frapper pour avoir posé la question. Elle n’avait pas besoin de répondre. Il savait. Il avait vu le monde et ce qu’il était devenu, alors il savait pourquoi des hunters s’en prenaient à l’une d’eux. Un secret dévoilé qui coutait cher. Une mutation qui en effrayé plus d’un. Lui il avait appris à la savourer cette mutation. C’était en prison qu’il avait commencé à en abuser. Chaque petit con qui lui cherchait des noises, ils y avaient eu le droit. Y avait pas de preuve que c’était lui, il ne touchait personne. Fallait croire que les objets se mettaient à attaquer des types tous seuls. C’était facile dans se défendre quand y avait pas de preuves. Et un jour, y avait ce type qui était sorti de nulle part et qui l’avait aidé à se barrer de là. Alvarez et ces quelques mots qui avaient suffi pour convaincre tout le monde de le laisser partir. Il ne savait pas pourquoi il l’avait aidé lui et pas un autre, mais il aimait sa façon de penser, de voir le monde, alors il était resté à ses côtés jusque dans cette petite en minable ville qu’était Radcliff. Alvarez et les autres, c’était tout ce qu’il avait à présent. Sa famille s’était envolée en un total de cent huit coups de couteaux. On avait tué sa femme et sa fille, il avait tué les meurtriers et ignorait où était sa cadette. Il l’avait retrouvée, vue de loin. Elle avait été adoptée par une famille aimante, elle avait l’air heureuse, alors, il n’avait pas envie de gâcher tout ça. Qu’elle reste heureuse, loin de l’homme qu’il était. « Qu’est-ce que ça peut te foutre ? » La voix cinglante de la jeune femme lui arracha un sourire. Rien, il s’en fichait. C’était juste histoire de poser une autre question, de ne pas répondre à la sienne. Qu’elle ne réponde pas, il s’en fichait. « J’m’en fiche. Juste, n’essaie pas de me tuer encore une fois, j’serais pas aussi gentil la prochaine fois. » Il la tuerait si elle s’en prenait de nouveau à lui, elle pouvait en être certaine. « Et si tu veux un conseil, reste pas avec des gens qui veulent te tuer, ça craint. » Si elle était une transmutante et il ne doutait pas une seule seconde qu’elle l’était, elle serait mieux loin des hunters. Loin des humains et de toute la pourriture qu’ils pouvaient représenter. « J’ai pas besoin de tes conseils. » Un sourire passa ses lèvres avant qu’il ne s’éloigne un peu. « Toujours est-il que si un jour tu juges ça intelligent comme conseil, appelle moi, j’t’offrirais un verre. » Il lui tendit une carte sur laquelle apparaissait son numéro. Qu’elle en fasse ce qu’elle voulait, après tout, ce n’était pas non plus son problème. Juste une proposition qui pourrait lui sauver la vie, parce que c’était idiot, pour une transmutante de rester parmi les hunters.

« Toujours avec eux ? » D’un geste lent, il passa sa main contre le dos nu de la jeune femme, allongée sur le ventre. « J’peux pas les laisser tomber. » Elle ne pouvait pas ou bien elle ne voulait pas ? C’était un mystère qu’il n’avait pas encore réussi à résoudre, une conviction ancrée au plus profond d’elle qui résistait, malgré les  coups qu’il s’efforçait à y asséner. Elle résistait. Moins qu’au début, sinon, elle ne serait pas là dans ses draps, mais en train d’essayer de le tuer. La conviction de la chasseuse devait en prendre un coup, alors qu’elle partageait le lit d’un transmutant, ça ne faisait aucun doute. « Ils te laisseront tomber eux. » Pour ce qu’elle était, ce qu’ils ne pouvaient pas accepter mais que lui trouvait formidable. Y avait cette mutation dans ses veines qui la rendait incroyable, unique, merveilleuse. Il fallait qu’elle l’accepte, qu’elle la savoure et qu’elle fasse taire tous ceux qui jugeaient cette mutation monstrueuse, parce qu’elle ne l’était pas, bien au contraire. « Parait qu’ils ont des bracelets maintenant pour faire c’que toi tu fais. » Il se rapprocha d’elle, pour venir déposer  un baiser contre son épaule. Bonnie. Il l’aimait bien cette fille dans le fond. Plus jeune que lui, trop jeune qu’on pourrait lui dire, mais ça n’avait pas d’importance. Il l’aimait bien. Y en avait d’autres des comme elle, qu’il se plaisait à croire. Des conquêtes, il en avait plein, trop pour les compter. Il restait agrippé au souvenir de sa femme, là, une alliance autour du doigt qui pourrait facilement le faire traiter d’imposteur, d’adultère. Mais il ne la retirait pas. Un jour peut-être. Demain sûrement. Mais ce n’était jamais le bon jour. « J’aimerai pas, être remplacé par un bracelet. » Qu’il murmura au creux de son oreille. Le fait était que l’apparition de ce que les hunters appelaient bracelet de détection, ça mettait à mal son utilité parmi les hunters. Pourquoi est-ce qu’ils allaient s’amuser à garder une transmutante avec eux, alors qu’ils avaient ces engins magiques ? Bientôt, ils la tueraient sans le moindre état d’âme à cause de ce qu’elle était. « Ils vont te tuer. » Etait-ce vraiment ce qu’elle voulait ? Mourir pour une cause qu’elle n’avait pourtant aucune raison de défendre ? C’était absurde. Perdre la vie pour ça, alors qu’elle valait tellement mieux. « Tu devrais rester avec moi. » Elle soupira avant de se redresser et de quitter le lit, enfilant rapidement ses vêtements qui trainaient ça et là. « Rester avec un mutant psychopathe ? Non merci. » Il la regarda s’éloigner du coin de l’œil. « J’suis en sécurité pour l’instant. Ils te tueront en premier. » Il ne put s’empêcher de ricaner, quand bien même ça n’avait rien de drôle. Qu’ils viennent les hunters, il les attendait et il n’hésiterait pas à se débarrasser d’eux. Elle leva vaguement les yeux au ciel avant de quitter la pièce. Elle connaissait la sortie, elle n’avait pas besoin de lui. C’était idiot. Pourquoi est-ce qu’il s’acharnait autant à la convaincre elle et pas une autre ?