Rhaena & Seth
   

Depuis qu’il était sorti de l’hôpital, Seth avait travaillé à préparer sa petite vengeance contre son vaccinateur personnel. Oh, il ne le tuerait pas – quoiqu’à terme, peut-être bien que si – mais il comptait faire de sa vie un enfer, le temps qu’il reprenne assez de forces pour pouvoir le coincer et s’occuper de son cas personnellement. Il allait souffrir, le Caesar, souffrir comme ça ne lui était jamais arrivé. Le trafiquant avait déjà commencé à s’entraîner pour trouver les moyens les plus douloureux de lui faire comprendre qu’il n’était pas très content d’avoir perdu sa mutation. Ses victimes avaient été d’autres chasseurs malchanceux qui étaient passé par le feu, la foudre et l’eau, par l’acier et le poison, qui s’étaient vidé de leur sang et de leurs larmes jusqu’à finir en sacs de viande froide. Ces cadavres, il les avait taillé en morceaux et les avait envoyés à monsieur Hippolyte qui dans la plus haute de tour de son château de béton devait se demander d’où venaient ces présents macabres. Ceci dit, il était intelligent, le Français, trop pour son propre bien ; il comprendrait bien vite qui lui envoyait ces petits cadeaux qui deviendraient de plus en plus immondes et de plus en plus inquiétants au fil des jours. Après tout, ils n’étaient pas nombreux, ceux qui appréciaient de trouver un cœur à peine froid sur la table basse de leur salon. Le Calédonien devait encore trouver où exactement logeait le père de Marius. Lorsque ce serait fait, il ne manquerait pas de lui faire une petite visite, au milieu de la nuit, lorsque le monde dort et que personne ne s’inquiète d’un hurlement poussé dans le lointain.

C’était pour cette chasse aux hunters qu’il s’était éloigné de la ville, s’éloignant tout seul dans les bois alentours jusqu’à trouver ce qu’il cherchait. Cette vieille ferme abandonnée en avait vu défiler du monde – mutants en fuite, chasseurs chassant, amants cachés, ils avaient tous une raison de se retrouver là. Mais ce soir, c’était Rhaena qui y avait établi domicile. Rhaena et sa haine des hunters, Rhaena et son amour des armes, Rhaena avec laquelle il s’entendait plus que ce qu’auraient pourtant cru les sbires de la demoiselle. Après tout, il aurait pu se montrer menaçant, vouloir la faire tomber, lui voler son empire, mais il n’en avait pas vu l’intérêt. Il savait où étaient ses limites et, plutôt que de se mettre à dos les puissants, autant s’allier à eux en attendant de les égaler. Et d’alliance, il allait en proposer une toute nouvelle.
Arrivant non loin des vieilles portes de bois, il fut accueilli par une poignée des hommes de main de Dryden qui le cernèrent. Ils le connaissaient, ils l’avaient vu suffisamment de fois pour que son visage se soit imprimé au creux de leurs petites cervelles de larbins. Et pourtant, l’un d’entre eux eut la mauvaise idée de vouloir le rembarrer. Oups. Leste comme il l’avait rarement été, Seth avait dégainé son arme et tiré une balle dans la tête de l’importun. Il n’était pas d’humeur à attendre, et son message était clair.

- J’veux parler à votre boss. Si y en a encore un qui veut m’arrêter, dites-le tout de suite avant que ça refroidisse.

Les hommes se regardèrent et reculèrent, effrayés et à raison qui plus est. Quant à Seth, il aurait aussi bien pu n’avoir rien fait tant son geste ne l’avait pas affecté. La mort d’un moins que rien, après tout, qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire ? Le mort n’avait été ni amusant ni intéressant. Le monde ne le regretterait pas. Il vit l’un de ses petits amis partir en courant jusqu’à la ferme pas si vide que ça et il lui emboîta le pas de loin. Il se faufila comme une ombre dans la vieille maison abandonnée, les mains dans les poches de sa veste en cuir et, une fois arrivé devant la porte qui l’intéressait, il leva la jambe et envoyer sa rangers s’écraser contre le battant de bois qui s’ouvrit à la volée. Toutes les armes de la pièce ou presque se pointèrent sur lui alors qu’il entrait le plus naturellement du monde, ses prunelles brunes se posant sur la maîtresse des lieux.

- Seth, quel plaisir.

Le trafiquant sourit, de ce petit sourire en coin un peu tordu qui occupait souvent ses lèvres ces derniers temps. Il n’était pas ouvertement menaçant mais il avait un petit quelque chose d’étrange – juste assez pour mettre mal à l’aise, ce qui avait tendance à le faire rire ou à l’agacer prodigieusement en fonction des jours.

- Rhaena, ça f’sait un bail dis donc.

Un jour, un mois, un an, il ne savait plus à quand remontait la dernière fois où ils s’étaient vu. Les dates s’étaient un peu emmêlées dans son esprit, tout comme le reste de sa réalité.
Il fit quelques pas dans la pièce, observant les alentours comme s’il visitait un appartement à louer. Il était tout à fait à l’aise, pas inquiété le moins du monde par la possibilité de finir avec une balle dans la tête. Que les hommes de la jeune femme tirent si ça leur chantait. Ca ne serait pas la première fois qu’il serait une cible vivante, et s’il devait en mourir, tant pis. Mais que personne ne s’avise de louper son tir, parce que lui ne raterait pas le sien.

- Je peux savoir ce que tu fais ici ? T'es venu me vendre des armes qui ont un peu plus d'allure que ça ? C'est à croire que mes hommes veulent ma mort. T'y crois, toi ?

Le vacciné haussa les épaules en soupirant. Peut-être qu’un jour, elle arrêterait de s’entourer d’incompétents. Parce que pour l’instant, c’était plutôt ridicule. Si elle ne pouvait même pas compter sur ses propres hommes pour lui fournir du matériel de qualité. A ce rythme, si elle ne mourrait pas à cause de leur bêtise, elle verrait son empire s’effondrer et elle ne pourrait que se blâmer de n’avoir pas su trier ses « employés » correctement.

- Des armes pourries, hein ? T’sais c’que je fais quand un de mes gars me refourgue du matériel à chier ?

Son pistolet se retrouva dans sa main, encore une fois, et le coup partit très vite, atterrissant dans une tête au hasard. Un homme s’écroula et les autres le remirent en joue, comme si ça pouvait le faire fuir, le faire partir. Dommage pour eux, maintenant qu’il y était, il comptait bien y rester. Et puis, c’était à Rhaena qu’il parlait, alors leurs avis à tous, il n’en pensait absolument rien.

- Y a un hunter qui m’a pris un truc important, et qui l’a remplacé par une saloperie un peu moins cool. Et comme j’peux pas remonter jusqu’à lui pour le moment, j’vais faire un chemin de pétales de rose devant sa porte, sauf que j’vais utiliser les corps de ses p’tits copains à la place.

Une étincelle de folie brilla dans ses yeux noirs, comme pour souligner l’expression pleine d’anticipation et de hâte qui s’était imprimée dans ses traits. Il avait envie, tellement envie de faire mal à Hippolyte, de l’empêcher de dormir la nuit, de le faire plonger tête la première dans le cauchemar qu’il avait créé.

- Tu veux v’nir jouer ? Toi qu’aimes bien chasser, j’me disais que ça t’tenterait.

Rhaena & Seth
   

La relation entre Seth et Rhaena était un savant mélange de travail et de plaisir. Le trafiquant avait des rêves de grandeur et, bien que son trafic soit de plus en plus important dans la région, il était loin d’être à la hauteur de l’empire criminel de la demoiselle Dryden. Et pourtant, ça ne les avait pas empêché de faire affaire tous les deux. Après tout, le Calédonien était bon dans son métier, très bon même ; visiblement, ses capacités à pouvoir trouver tout et n’importe quoi avaient séduit la jeune femme, et sûrement que sa verve légendaire et son côté charmeur aussi puisqu’il leur était arrivé, et plutôt deux fois qu’une, de partager un lit. Il n’y avait jamais eu de sentiments derrière ces moments cependant : ça n’avait été qu’un petit bonus à leur lien purement professionnel, un moyen de se détendre sans pour autant risquer de s’attacher. La jeune femme avait un tempérament de feu, certes, et on pouvait affirmer sans se tromper qu’elle était particulièrement bien faite, mais pour l’homme de sable, ça s’arrêtait là. Elle était une collègue, une alliée et une cliente de qualité ; on aurait presque pu les qualifier d’amis, mais il manquait un peu de confiance entre eux pour que le terme soit réellement adapté. Ils commerçaient ensemble, s’échangeaient armes et informations, et profitaient charnellement l’un de l’autre, mais c’était tout.
Pourtant, c’était vers elle qu’il s’était tourné ce jour-là, elle qu’il était venu voir alors qu’il n’était plus vraiment l’homme qu’elle connaissait – plus du tout même. Il était plus vindicatif, plus mauvais, plus joueur, plus fou aussi, plus instable que jamais, et chaque jour semblait le faire sombrer un peu plus, comme si le vaccin le rongeait de l’intérieur, dévorant les derniers lambeaux de lucidité qui lui restaient. Il en était à un tel point qu’il avait décidé d’envoyer des morceaux de chasseurs morts de sa main à Hippolyte Caesar ; le hunter avait probablement dû reconnaître le bracelet encore accroché à la dernière main qu’il lui avait envoyée – ce bracelet typique des membres de la Gunpowder Squad qui terrorisaient tellement les mutants. Si le message n’était pas clair comme de l’eau de roche avec ça, alors Seth ne savait pas ce qu’il lui faudrait pour comprendre ; peut-être une petite visite de courtoisie. A terme, c’était ce qu’il voulait faire, lorsqu’il aurait suffisamment hanté son existence, lorsqu’il lui aurait envoyé des cadeaux de plus en plus affreux et dégoulinant de sang. De toute façon, il n’avait plus grand’ chose à perdre. Sa vie n’était pas assez importante à ses yeux pour qu’il prenne garde à la conserver le plus longtemps possible – et puis, dans cet état, il ne durerait probablement pas très longtemps de toute façon, alors autant emmener dans la tombe celui qui l’avait ainsi changé.

Mais s’il voulait faire peur au patriarche Caesar, il cherchait également à passer ses nerfs malades sur tous ceux qui poursuivaient le même but que lui. Aussi s’était-il adressé à la criminelle devant laquelle il se trouvait désormais. Il connaissait sa haine viscérale des hunters, bien entendu, et il comptait bien sur cette rage sourde qui animait la jeune femme pour gagner une alliée de choix dans son petit génocide personnel. Jeune femme qui ne sembla pas plus émue que ça qu’il abatte un de ses sbires sous ses yeux. Il ne s’inquiéta pas une seule seconde de voir tous les pistolets de la pièce se pointer vers lui. Ce mouvement général lui arracha même un léger rire tandis qu’il dévisageait les hommes de mains de la demoiselle, l’air de les défier du regard, comme pour leur demander ce qu’ils comptaient bien faire, eux, pauvre chair à canon tout juste bonne à exécuter les ordres qu’on leur donnait. Il ne perdit pas plus de temps et exposa son idée à Rhaena qui le détailla de la tête aux pieds.

- Laisse-moi deviner, t'es un mutant et il t'a vacciné ? Maintenant tu veux lui faire regretter ?

Un sourire de chat vint étirer les lèvres de l’ancien mutant, un sourire amusé et joueur, et probablement un peu inquiétant aussi.

- Bingo.

Elle était perspicace, la criminelle, et c’était tout ce dont il avait besoin, quelqu’un qui comprendrait vite et qui arriverait à déchiffrer ce qu’il pouvait vouloir. Lui-même n’était pas toujours totalement sûr de ses envies, celles qui changeaient comme le vent alors que son esprit n’arrivait pas à se concentrer sur un point ou un autre. Seul restait, inébranlable, son désir brûlant de se venger d’Hippolyte Caesar.
Ses yeux sombres se vrillèrent dans ceux de la grande brune et il ne la lâcha pas du regard un instant tandis qu’elle s’approchait de lui, s’arrêtant très près, presque trop près de lui.

- Je suis flattée que t'ai pensé à moi. D'habitude j'préfère chasser seule mais j'pourrais jamais refuser une proposition aussi... alléchante. C'est presque romantique.

A son sourire aguicheur il répondit par un autre, charmeur à son tour, une lueur intéressée dans ses prunelles noires. Il se pencha vers elle, la surplombant de quelques centimètres, jusqu’à ce que leurs visages se frôlent presque.

- Si c’est du romantisme que tu veux, j’peux t’en donner, mais c’est pas spécialement ce dont t’as envie en général.

Ce fut à son tour de la détailler, prenant presque son temps, puis il se redressa lorsqu’elle se tourna vers ses hommes pour leur donner un nouvel ordre. L’évocation de sa mutation perdue ne lui fit ni chaud ni froid. Ca ne le mettait même plus en colère. C’était devenu un élément de jeu, de réflexion aussi, et cette absence servait très bien à alimenter son désir de revanche.

- J’me changeais en sable. Pratique pour rendre visite aux gens sans avoir la clé de chez eux.

Combien de cambriolages avait-il réalisé ainsi, combien de deals avait-il conclu en s’infiltrant chez ceux et celles qui deviendraient ses collaborateurs ; combien de hunters avait-il semé, combien de temps avait-il gagné grâce à sa capacité à se changer en un million de minuscules grains qui se faufilaient partout. C’était du passé, désormais. Son sable avait fondu sous la fièvre, et il n’était plus qu’un humain bien humain. Mais même sans pouvoirs, il était capable de choses remarquables, d’autant plus maintenant qu’il n’avait plus du tout les mêmes limites que le commun des mortels.
S’approchant de la caisse que Rhaena avait fait apporter, appréciant d’être seul avec elle désormais, il regarda les armes qui s’y trouvaient et les détailla une à une, laissant échapper un sifflement appréciateur entre ses dents. Il finit par jeter son dévolu sur un revolver qui avait l’air d’être de particulièrement bonne qualité. Il le tourna et retourna entre ses doigts, puis visa dans le vide et appuya sur la gâchette. Elle cliqueta dans le vide, mais le barillet tournait avec aisance et il était persuadé qu’une balle fuserait hors du canon sans jamais craindre que l’arme ne s’enraye. Il pencha la tête d’un air appréciateur.

- Pas mal. T’as trouvé ça où ?

S’il pouvait se servir à la source, il n’hésiterait pas un instant. Se tournant vers la jeune femme, il darda sur elle son regard fou, un très discret sourire étirant légèrement ses lèvres, son expression soulignée par la barbiche noire à son menton.

- T’as que ça à m’offrir, ou t’as quelque chose d’encore plus sexy à me montrer ?