Les news défilaient, toujours plus effrayantes les unes que les autres – ça devenait si facile de détourner le regard, ravaler ses pensées et espérer n’jamais être celui qui en ferait la couverture. En reposant le journal rageusement, Daria soupira lourdement, comme pour attirer l’attention de son frère. Et pourtant, dans toutes ces histoires, il était sûrement celui qui s’exprimait le moins, celui qui s’acclimatait à toute cette ville maudite qui voulait sa mort – probablement, tout ça parce qu’il était né avec un gène qui avait fait de lui quelqu’un de différent. Somme toute, c’n’était qu’une putain d’injustice qui se répétait, le vertueux cercle vicieux d’l’existence humaine dont tout le monde avait tant besoin pour subsister. Ou quelque chose comme ça ; au bout d’un moment, y’avait toujours une part de la population qui devait s’faire à l’idée d’être désignée par un doigt accusateur. Personnes de couleurs, personnes ayant telle ou telle affiliation religieuse, personnes développant des pouvoirs surnaturels incompréhensibles et pourtant scientifiquement expliqués. Ouais, fallait toujours un bouc-émissaire dans c’monde, et le Kentucky n’était certainement pas le meilleur endroit pour vivre, s’émanciper et mimer la neutralité. Dax s’y raccrochait fermement, passivement, si prompt à garder le silence, même sous les yeux insistants de son aînée. « Je veux dire… même si cette femme avait vraiment provoqué l’incendie chez les Hodgins, elle n’méritait pas un procès équitable et normal, peut-être ?! » Daria avait sûrement l’impression de parler dans le vide, et plus encore tandis que son frère benjamin se contentait de hausser les épaules, préoccupé par son smartphone. Le monde tournait à toute allure, et un jour, ce s’rait elle qui se retrouverait pointée par le flingue de Lancaster si elle continuait – une pensée qui collait à la peau du jeune Oswald, mais qui n’empêchait ne rien la jeune femme de s’exprimer. Tout l’inverse : avec son tout récent diplôme de droit en poche, Daria avait une vision bien à elle de la justice, de l’impartialité – et Radcliff n’correspondait en rien à la vision utopique qu’elle avait du monde. « Il faut bien que quelqu’un fasse quelque chose. » rasséréna-t-elle, appuyant ses paroles d’un air songeur. Oui, songeur plus que simplement accusateur – c’n’était pas bon signe, ça. Aussitôt pensé, aussitôt fait, Dax se redressa sur lui-même, abandonnant son téléphone pour dévisager sa sœur. « De quoi tu parles à la fin ? » chaque mot qu’elle prononçait avait toujours cet impact dégueulasse sur toutes leurs vies : voulait-elle vraiment mettre toute sa famille en danger pour une histoire d’ego ?! Ouais, les Oswald étaient des transmutants, ça s’transmettait comme la peste, de génération en génération – ils avaient toujours accepté de vivre comme ça, un simili-secret pesant sur leurs épaules, la méfiance aux abords de leurs songes. Et quoi ?! Alors que Dax, ses parents, trop de gens dans la famille – au goût de Daria – optaient pour l’ignorance, la jeune avocate, elle, était prête à prendre les armes. Peut-être que c’était c’que ferait n’importe quelle personne avec l’âme d’un héros ; somme toute, pas lui. « Tu sais très bien qu’on a pas vraiment l’privilège de pouvoir faire c’qu’on veut sans conséquence, Daria. Laisse tomber. Lancaster est un pourri, mais ils sont partout, les pourris. Et y’a plus rien à faire contre ça. » c’était tristement réaliste, pour quelqu’un comme lui : et au vu de l’œillade critique que lui adressa son ainée, elle l’avait remarqué, elle aussi. Peu à peu, le caractère avenant, et naturel de Dax s’étouffait au profit d’un jeune homme plus distant, plus méfiant ; il fallait bien ça pour survivre dans une ville où il avait une cible invisible accrochée sur l’front. Mais avant que Daria n’ait pu protester, ou l’insulter plus encore rien qu’avec ses prunelles assassines, il se releva : « Laisse tomber, Daria, okay ? C’est pas pour nous ça… n’fais pas ça à notre famille. » qu’il lança, comme une ultime supplication qui sembla apaiser sa vis-à-vis. Pour combien de temps ? Sûrement jusqu’au prochain drame, la prochaine injustice, quelque chose dans ce genre-là.

Il n’l’avait pas vue venir, la menace, l’arme qui se lève dans l’air et la balle qui avait fusé à toute vitesse, se logeant à quelques centimètres à peine de son cœur. Tout ce dont il pouvait se souvenir, c’était du noir oppressant qui l’avait englouti sans même qu’il n’en ressente la moindre douleur. Et aujourd’hui, on lui disait que ça c’était passé il y a plus de treize jours tout ça – et qu’après trente-deux minutes à se vider de son sang sur les pavés des rues de Radcliff, sa sœur avait poussé son dernier soupir presque dans l’ignorance la plus totale. L’indifférence, peut-être bien le pire mal de l’humanité ; celui-là même dont il était complice, et le cercle vicieux dans lequel il avait enfermé sa propre sœur. Pour protéger leur famille, qu’il avait dit ; et pourtant, les Oswald n’avaient pas été protégés plus que ça, au contraire, aujourd’hui, les dernières pages du journal de Radcliff n’faisaient que prouver à quel point les illusions n’étaient vouées qu’à s’effondrer. Ils enterreraient Daria aussitôt Dax serait-il capable de sortir de son lit d’hôpital pour se trainer aux abords d’un cimetière ; en avait-il vraiment envie ? C’était comme si, subitement, il voulait à jamais rester cloué à cette couche misérable, dans cette chambre aseptisée et glaciale. Ses parents étaient venus, muets, distants, brisés quand bien même ils avaient fait leur possible pour ne pas le montrer, et n’pas se laisser complètement bouffés par ça. Leur fils, lui, était vivant au moins ; une consolation qu’ils avaient tenté d’afficher encore et encore, aux yeux de tous, mais qui n’avait pas suffi à masquer la trace laissée par l’absence de Daria dans leurs mots échangés. C’était comme si son nom était devenu un tabou qui leur brûlerait les lèvres ; et sûrement que le benjamin des enfants Oswald était le dernier à pouvoir dire quoique ce soit. Après  tout, il avait été là, à lui-même se vider de son sang, lorsque sa sœur avait pu compter ses dernières minutes de vie ; il n’avait rien pu faire. Il n’avait rien fait. Trop imprudent, trop il n’savait quoi – pas assez prompt à s’engager, il avait laissé la menace venir comme ça, juste en face de lui, sous leurs yeux. « Toc, toc- » interrompit une voix, tombant à point nommé au beau milieu de la tempête de ses songes ; impossible d’adresser la moindre parole à la jeune femme, mais Dax n’pouvait s’empêcher de ressentir un élan de sympathie à l’égard de l’infirmière qui venait de passer la porte. Ou peut-être était-elle interne, il ne se souvenait même plus, n’avait qu’à moitié écouté, il fallait bien l’avouer. « Désolée d’interrompre. Je venais changer ta perfusion, je peux faire vite si tu veux. » voilà qu’elle était gênée, et lui aussi par la même occasion ; Emma était sûrement plus habituée à voir cette chambre remplie de personnes. Aujourd’hui, il était seul, et n’pouvait imaginer les choses différemment – c’était plus facile en tout cas, que d’avoir l’impression de lire le reproche dans les prunelles des uns et des autres. « J’étais juste- en train d’réfléchir à un truc… N’t’en fais pas, va. Fais ce que t’as à faire. » il lui offrit un sourire, forcé sûrement, mais un sourire malgré tout, pour au moins la rassurer. Elle haussa les épaules, avant de reprendre sa route vers le côté du lit. Ce n’est qu’enfin qu’il les remarqua, les plaques rougeâtres qui coloraient la peau de ses mains, sa peau abimée ; les stigmates d’une vie bien compliquée, sans doute.

Depuis combien de temps fixait-il ostensiblement la tasse de café qui trônait devant lui ? C’était comme s’il espérait être aspiré par celle-ci, avalé hors de cette réalité – c’n’était pas possible de se sentir aussi nerveux à l’idée d’embrasser une part secrète, distante, dangereuse de sa sœur. Depuis trop de mois déjà, Daria était morte, laissant derrière elle un souffle glacé qui avait achevé de paralyser leur famille dans des silences insoutenables. Tout c’que Dax pouvait savoir, c’était qu’il voulait des réponses – il les avait trouvées dans les quelques cartons qu’il avait fouillés dans l’ancien appartement de Daria, s’immisçant dans la vie passée qu’elle avait eue, tous les secrets qu’elle avait gardé. Il s’avérait qu’elle n’était pas restée les bras croisés, et qu’elle avait eu des contacts avec l’organisation rebelle nommée Insurgency. Tout c’qu’il avait eu à faire, ç’avait été de prendre le téléphone portable de sa sœur, pour joindre la bonne personne. Et voilà qu’il se retrouvait là, tapotant nerveusement du pied sur le sol carrelé, attendant, attendant que quelqu’un se pointe. Quelqu’un ; un homme, une femme, un contact qui lui donnerait peut-être des réponses à ses questions. Quelque chose, n’importe quoi ; quelque chose dont il avait désespérément besoin. Quelque chose pour alléger sa conscience, apaiser les maux qui déchiquetaient son intérieur sous les remords. Quelque chose pour retrouver Daria, l’espace de quelques minutes à peine – il n’savait vraiment pas, au fond, Dax, c’qu’il était venu chercher là. Il n’voulait pas se mêler à cette guerre silencieuse et meurtrière, il n’était pas né pour être un soldat vouant sa vie à des causes bien au-dessus de lui. C’n’était jamais comme ça qu’il s’était vu en tout cas ; avant tout ça, lorsque Radcliff avait été une ville dans laquelle il avait pu vivre. Maintenant, il n’savait plus, il n’savait pas ; et il portait le lourd sentiment de ne même plus connaître sa sœur, alors même qu’il avait passé toutes les années de sa vie à s’persuader qu’ils se disaient tout, ne se cachaient rien et n’pouvaient pas vivre sans tout se livrer l’un à l’autre. Il fallait croire qu’il avait un train de retard – comme trop souvent. Et comme à chaque fois qu’il pensait à sa sœur, la cicatrice à son torse sembla se tendre, douloureuse et encore bien là, omniprésente au quotidien. Par-dessus son tee-shirt, il se massa légèrement les muscles froissés, méfiant, trop méfiant par rapport à autrefois. Il n’savait plus, désormais, où étaient les ennemis, où étaient les alliés. Y’avait trop d’ennemis ici-bas pour lui et ils s’étaient révélés bien brutalement à lui.