1999, bâton rouge, louisiane, USA ≡ "Tu joues comme une fille!" Les mots résonnaient dans l'esprit d'Enid alors qu'elle marchait en direction de chez elle. Quel idiot. Mâchoire serrée, poings refermés, elle tentait de contenir la colère qui bouillait en elle depuis ce fameux moment pendant son cours de soccer plus tôt cette journée-là. C'était la seule chose qu'elle faisait avec des enfants de son âge, ou presque. Le samedi, à dix heures, elle allait jouer au soccer, elle allait s'entraîner. C'était la seule fois qu'elle voyait les enfants du quartier - eux se connaissaient tous, personne ne la connaissait. Elle n'était que l'étrange fille blonde qui se pointait au cours de soccer le samedi. D'où est-ce qu'elle vient, celle-là? qu'ils avaient dit la première fois. Elle n'avait rien trouvé à répliquer, sinon une immense envie de frapper John Garner en plein visage. Mais elle s'était retenue, non pas par peur d'une quelconque conséquence - elle s'était retenue, simplement parce qu'elle savait qu'elle pourrait prendre sa revenge d'une autre manière, et d'une manière encore plus satisfaisante. Alors elle n'avait fait que lui sourire, ses cheveux blonds lui retombant devant le visage, du haut de ses douze ans, et avait continué à jouer comme si rien ne s'était passé. Lui, avait continué à rire avec ses imbéciles d'amis, et elle avait forgé son plan dans sa tête. Ce serait tellement facile. Enid rentra finalement chez elle, lançant son sac à bout de bras - quelqu'un le ramasserait pour elle - et se dirigea immédiatement vers la grande télévision dans le salon. Elle l'ouvrit d'un geste rapide, changeant les chaînes jusqu'à une chaîne de sport. Ses lèvres s'étirèrent en un immense sourire - un match de soccer professionnel. Parfait. Elle passa les trois heures suivantes à suivre le match d'un oeil attentif, enregistrant chaque mouvement, chaque passe, chaque pas des joueurs se passant le ballon. Et le samedi suivant, elle observa avec une satisfaction presque malsaine John Garner l'observer jouer avec des yeux ronds.

2007, nouvelle orléans, louisiane, USA ≡ Elle débarqua de la voiture, ses cheveux s'envolant avec la secousse de vent. Un sourire étirait ses lèvres, alors qu'elle prit quelques secondes pour observer son environnement. Enfin. C'était ce qu'elle avait toujours voulu - une nouvelle vie. Un nouveau départ, complet et irréversible. Elle avait tout réglé. Quand on lui avait annoncé que l'avion B870 en direction de Tokyo que contenait ses parents avait subi des difficultés techniques et s'était écrasée en plein océan Pacifique, Enid n'avait pas pleuré. Elle avait hoché la tête, et avait demandé quelle serait la suite des choses. Ces gens n'étaient pas ses parents - ils ne l'avaient jamais été. Ils étaient des fantômes, des ombres, des silhouettes sombres sans visage. Du haut de ses vingt ans, elle n'aurait même pas su dire de quelle couleur étaient les yeux de son père, ou quel était le film favori de sa mère. Elle n'en savait rien, et elle n'en avait honnêtement rien à faire. Ça l'avait davantage affecté de penser aux autres centaines de victimes de cet horrible crash d'avion. Et maintenant que ses parents étaient partis, elle devenait la seule descendante Belmont, et héritière d'une énorme fortune à sa majorité. Comme par signe du destin, son anniversaire aurait lieu dans quelques semaines à peine. Quelques semaines seulement. Elle avait attendu. Et le jour de ses vingt-et-un ans, elle avait vendu la maison, placé tout l'argent dans ses comptes et avait fait ses valises. Direction Nouvelle Orléans. Rien ne la retenait à Bâton Rouge - aucun ami, aucune famille. Ses études, elles pourraient enfin les continuer dans une université digne de ce nom. Enid souriait. Le monde semblait lui appartenir, ses chemins s'ouvrant à elle au fur et à mesure qu'elle avançait.

2013, boston, massachusetts, USA ≡ "Je dois partir." Elle lui jeta un regard surpris de la cuisine. Elle venait de se lever - c'était le weekend, et le seul jour de la semaine où elle pouvait faire la grasse matinée. Sa résidence lui prenait chaque once de son énergie, et elle comptait bien profiter de cette journée de congé pour ne faire absolument rien. Vêtue d'un simple t-shirt, elle observa Jonas d'un air confus. "Partir ? Où ça ?" Il posa son journal sur la table, se levant pour s'approcher d'elle. Ses doigts glissèrent dans la crinière blonde emmêlée d'Enid - il savait qu'elle adorait qu'on lui joue dans les cheveux. Fermant doucement les yeux, elle profita de la sensation pendant quelques secondes. "En Islande. Ma tante est morte du cancer hier. Les funérailles sont samedi prochain." Elle rouvrit les yeux, les plongeant dans ceux de Jonas. Des yeux bleus, tintés de gris. Il était beau, Jonas. Il était terriblement beau. Ses yeux perçants, c'était la première chose qu'elle avait remarqué chez lui - ses yeux perçants, et son costume hors de prix. Un avocat, qu'il était. De passage à l'hôpital pour une quelconque affaire - un regard volé au coin d'un couloir, et il était tombé amoureux d'elle - c'était du moins l'histoire qu'il aimait tant raconter. Enid, elle, l'avait à peine remarqué. Mais il était tellement charmant, et tellement en admiration devant elle, qu'elle n'avait pas su résister à ses avances. Quelle fille n'aimait pas se faire complimenter, après tout? Ma déesse, qu'il aimait l'appeler. "Je suis désolée" dit-elle simplement, même si elle ne l'était pas vraiment. Elle ne connaissait pas cette tante, après tout. Elle s'en fichait même pas mal. "Tu pars quand ?" demanda-t'elle. "Après-demain, j'ai un vol à quinze heures." Elle acquiesça, glissant ses mains autour de la taille de Jonas. "D'accord." Il lui sourit, et posa ses lèvres sur les siennes. Enid lui rendit son baiser, oubliant déjà tout à propos de ce voyage. La vérité, c'était que Jonas pouvait être à Boston et il pouvait être en Islande et elle ne voyait pas grande différence - elle ne s'ennuierait pas de lui, elle ne lui écrirait pas tous les jours, elle ne se demanderait pas à chaque instant ce qu'il faisait. Ce n'était pas Enid. Jonas était bien gentil, et il l'aimait tant - mais c'était tout. Il était de bonne compagnie, et elle l'appréciait vraiment - mais c'était tout. Il y avait plus important pour Enid, bien plus important. Alors quand Jonas ne revint pas comme prévu, une semaine plus tard, Enid ne l'attendit pas plus longtemps à l'aéroport. Elle rentra à la maison, et continua son boulot.

2014, boston, massachusets, USA ≡ Elle en était capable. Elle en était plus que capable. Elle s'était entraînée, beaucoup entraînée. Elle avait regarder des films, des séries, elle avait regardé des matchs de boxe, de lutte, de tout. Cinq gars, ce n'était rien. Elle savait qu'elle était capable de se battre, et de bien se battre. Elle pourrait les mettre KO en deux temps, trois mouvements. Enid serra les poings. Elle en était capable. Ils étaient cinq, d'accord. Le sol était glissant à cause de la pluie. Mais ils étaient à la sortie d'un bar, et ils étaient bourrés. Elle aussi avait bu quelques verres, mais un cosmopolitan et un petit verre de gin n'était rien à côté de la quantité phénoménale de bière que ces cinq idiots avaient avalés dans le bar. Elle le savait, parce qu'elle les avait observé avec dégoût toute la soirée - cinq primates, bruyants et imbéciles, flirtant avec tout ce qui bougeait, lançant des commentaires désobligeants et insultants à qui le voulait bien. Quand elle avait annoncé à ses collègues qu'elle allait se coucher - opération importante demain - ils s'étaient mis dans la tête l'idée qu'elle voulait qu'ils la suive. Ils l'avait suivi jusque dans la rue, l'appelant chérie et mademoiselle. Elle les avait ignoré, et avait voulu les semer, mais là, elle en avait marre. Elle s'était arrêtée dans la ruelle sombre, et leur avait fait face. Son visage était partagé entre la colère et l'exaspération - et elle avait froid, la pluie lui coulant dans le cou et sous sa robe noire. "Vous allez me laisser, tranquille, merde!" Sa voix était pleine de venin, pleine de rage - mais ils n'entendirent rien. Un commenta sur le fait qu'elle avait du caractère, l'autre qu'il commençait à avoir mal au coeur, et un autre l'invita pour une énième fois à rentrer avec lui. "Foutez le camp, ou j'appelle la police!" Mais ils étaient comme sourds, et ils ne cessaient de s'approcher d'elle. Alors Enid décida de mettre en pratique tout ce qu'elle avait appris - tout ce qu'elle avait vu. Elle donna un coup de poing à un, un coup de pied à un autre, se débarrassant de son sac pour envoyer basculer un autre dans le mur de briques à côté. Soudainement menacés, les cinq types firent quelque chose à laquelle elle ne s'attendait pas - elle s'attendait à des lamentations, à des supplications, à des cris de surprise, à des fuites - elle n'avait pas prévu qu'ils commencent à se battre contre elle en retour. Un, ça allait très bien. Deux, aussi. Trois, elle pouvait s'en sortir. Quatre, ça commençait à faire beaucoup. Cinq, c'était trop. Son pouvoir s'estompait - elle le sentait, ses mouvements étaient moins assurés, moins directs. Elle commença à paniquer, juste un peu - son souffle court, le feu dans sa gorge, le tremblement de ses genoux. Et pendant un instant, elle crut bien qu'elle allait perdre, que pour la première fois de sa vie, elle allait perdre - jusqu'à ce qu'une voix monte dans la pénombre, la voix qui allait la sauver, ce soir là et pour le reste de sa vie. Et elle respira à nouveau.