Toutes ces traces pourpres sur ses mains. Toute cette constellation carmine sur sa peau. Comme des centaines de petites perforations, tout juste assez profondes pour faire perler le sang à la surface. Ça brûle. Ça pique. C'est désagréable au toucher. Mais cela ne fait pas mal. Du moins, pas vraiment. Il regarde la paume de ses mains, et il fronce les sourcils, soucieux et songeur. En soi, cette situation, c'est trois fois rien. Un simple parcours caché, partagé par les quatre membres de la fratrie Lecter ainsi que par d'autres enfants de la rue Crescent et du quartier, à Elizabethtown. A travers les espaces publiques, les ruelles, les voies passantes derrière les jardins, aussi. Entre les arbres, les poubelles, les voitures garées sur le bord du trottoir, les buissons, les gens qui font du vélo, ceux qui sortent acheter quelque chose. Entre la voiture du facteur, le camion de livraison, le camion de déménagement. Entre les zones propres et non-obstruées, et les zones naturelles où Mère Nature commande et met son petit bazar. Tout en évitant les chiens et les chats qui, évidemment, n'ont pas compris qu'il fallait se barrer s'ils ne voulaient pas qu'on les piétine ! Il est tombé. Felix dirait plutôt qu'il s'est étalé, mais la vérité, c'est que Desmond a une excellente coordination motrice, et qu'il n'a rien d'un gamin maladroit qui trébuche et s'affale pour un rien. Son frère l'a poussé, alors qu'il allait le dépasser, ou qu'il risquait au moins de mettre en doute sa pôle position. Un coup de coude bien placé, et Desmond a percuté un arbre, avant de se prendre les pieds dans une racine qui dépasse et a fait se soulever le bitume. Les mains en avant, pour se rattraper, pour ne pas se casser le nez. Son nez, il a quelques taches de son. Le genre de truc qui a si souvent poussé les employés de la Pre-School a lui frotté énergiquement le visage avec un gant de toilette et du savon, sans jamais comprendre que, non, merci bien, mais il ne s'était pas étalé du chocolat jusque sur le nez. Il avait bien essayé de leur expliquer, mais ils n'avaient jamais voulu rien entendre, préférant lui dire de se calmer tout de suite ou ils allaient appeler ses parents, surtout quand il se débattait comme un beau diable et qu'il leur filait des coups de pieds. Qu'ils les appellent, ses parents ! Après tout, sa mère aussi avait des tâches de son à certains endroits du visage. Il était plutôt fier, Desmond, de ressembler à sa mère pour ça. En tout cas, non, il n'était pas tombé seul, Felix l'avait grandement aidé, alors qu'ils s'approchaient de la ligne d'arrivée, située tout en haut du toboggan du parc voisin. Desmond ne s'était pas laissé démonté. Il n'avait pas protesté, ne s'était pas mis à éclater en sanglots, parce qu'il n'avait rien d'un bébé. Il avait déjà 6 ans, après tout. Et il avait déjà perdu deux dents de lait, récolant des dollars sous l'oreiller de la part de la Fée des Dents. Même s'il sait bien que cet apport monétaire vient de ses parents. De sa mère, sûrement. Il n'est pas bête, et ne se laisse pas embobiner par toutes ces histoires pour les gamins. Ouais, lui, c'est pas un gamin. Son père dit déjà que, plus tard, il sera un homme, et qu'en tant que Lecter, il devra assurer. Son père, lui, lui a offert une flèche pour chaque dent perdue, et Desmond sait que s'il veut obtenir l'arc qui va avec, il va devoir être dans les meilleurs de sa classe à la fin de son année de 1st Grade. Pour l'instant, c'est bien parti, même si ses profs se plaignent de son haut degré d'inattention. Mais tant que le boulot est fait, jamais encore il n'a entendu ses parents se plaindre. Sans doute parce qu'ils préfèrent avoir un fils actif et réactif plutôt qu'amorphe et invertébré. Quelque chose comme ça.

En tout cas, oui, Felix a triché, et ça a été un peu déloyal, son mouvement, là. Mais il a déjà 15 ans, alors, évidemment, il a des avantages sur lui. Le traître. Enfin, bon, ce n'est pas comme si c'était la première fois, et pas comme si Desmond était une petite nature. Il s'est relevé, il n'a pas fait cas de l'attitude de son frère, et pas plus non plus de l'attaque du derme de ses mains. Il s'est remis à courir, et il a presque réussi à rattraper Beatrix, qui est parvenue à le dépasser quand Felix l'a envoyé dans le décor. Pas un instant il ne se demande si son aîné a fait exprès d'aider leur sœur à finir juste après lui, parce que Desmond sait très bien que Beatrix n'a pas besoin d'aide pour montrer qu'elle en a dans le pantalon, comme disent les vieux au café quand ils boivent leur bière en regardant les matchs de football américain sur le téléviseur du propriétaire. Non, en fait, Desmond ne prend le temps de regarder ses mains qu'une fois la ligne d'arrivée passée. Bien évidemment, il est arrivé troisième, comment pourrait-il en être autrement ? Il y avait eu différentes couleurs de fanion selon les catégories d'âge, comme ça, les plus jeunes pouvaient avoir un parcours plus réduit. Parce qu'après tout, entre Trisha qui avait 4 ans et Felix qui en avait 15, évidemment que l'amplitude des jambes était différente. Desmond reste debout en bas du toboggan, finalement, en regardant ses mains. Felix doit sûrement bien rigoler, lui, il rigole un peu moins, parce qu'il y a des petits bouts de bois, de gravier et de poussière, et qu'il sait que s'il frotte ses deux mains entre elles pour tout enlever, comme on enlève la farine, et bien ça va tout aggraver. Alors, il enlève tout, méticuleusement, en prenant son temps, sans jamais pleurer ou sentir ses yeux le piquer. Il prend son temps, pour que ce soit bien fait et que cette histoire soit vite finie. Pour que Felix ne se réjouisse pas trop de son œuvre, non plus, ou ça obligerait Desmond à lui rendre la pareille d'une façon ou d'une autre. Beatrix finit par venir l'aider un peu, finalement, ou plutôt elle vérifie, avec son œil extérieur, s'il n'a pas oublié de saleté dans ses petites plaies. Felix se marre, lui tape sur l'épaule et lui dit que, quand même, il s'est bien débrouillé, et que la prochaine fois, promis, il le laissera se battre à la loyale. Ou pas. Ce qui le tire de ses songes et de son entreprise, c'est l'arrivée, en trombe, de Trisha, qui court vers eux comme une fusée, toute contente d'avoir gagné contre les autres enfants de son âge. Desmond est content pour elle, content d'elle, aussi. Mais face à sa jolie frimousse, qui s'inquiète un peu de le voir avec les mains écorchées, il ne peut pas s'empêcher d'être un petit con. D'abord, il feint de vouloir lui montrer tout ça, avant d'essuyer l'une de ses mains sur sa joue, en riant. L'amour fraternel est une vertu chez les Lecter, on l'entretient et l'exprime juste un peu différemment, c'est tout !



Il l'a bien mérité. Il l'a cherché, il l'a trouvé. Cette litanie, Desmond se la répète en boucle. Pas pour se convaincre. Pas pour se persuader, non plus, qu'il a bien agi, qu'il n'a absolument rien à se reprocher. Desmond n'a pas ce genre de considérations là, ou très peu. Très rarement. Par principe, sans doute. Et parce qu'on lui a appris à ne jamais s'excuser plus que de raison, à assumer, toujours. A ne jamais fuir ses responsabilités, en se dédouanant, en se trouvant des excuses à la con, que celles-ci tiennent la route ou non. Ce type, il lui a cherché des emmerdes, et il a récolté ce qu'il a semé. Sans doute plus que ce qu'il a semé, d'ailleurs, mais cela a-t-il réellement de l'importance ? Après tout, Desmond n'avançait pas à visage masqué, les gens le connaissaient suffisamment pour savoir que s'en prendre une et tendre l'autre joue, ce n'était absolument pas sa came. Loin de là. Si tant était qu'on puisse déjà lui en coller une sans qu'il ne contrecarre vos plans et qu'il ne vous rende pas le prêté pour le rendu avant même que vous ne soyez parvenu à passer à l'acte. Felix, son père, aussi, Beatrix également, à la limite Trisha aussi, quand il la laissait faire, pouvaient, eux, réussir à le prendre de cours, de vitesse, bref, pouvaient lui coller un pain sans qu'il ne leur casse le bras ou la main avant même l'impact survenu. Mais eux, c'était particulier. Ils étaient du même bois que lui. Son frère et sœurs étaient nés des deux exacts mêmes parents que lui, avaient reçu la même éducation que lui, et savaient très bien porter le nom des Lecter sans faire rougir leurs ascendants. Ce type, là, qui roulait des mécaniques, et se croyait réincarnation d'un dieu romain avec sa mâchoire parfaite et ses pommettes soit disant irrésistibles, n'étaient qu'un fils à papa qui avait été élevé avec une petite cuillère en or dans la bouche et toute une armée de domestique pour faire toutes ses corvées à sa place, y compris lui essuyer le coin de la bouche et le protéger du moindre impact de ce monde extérieur si cruel, si jaloux et si envieux de lui, boohoo ... Maintenant, pour sûr, sa mâchoire allait être moins parfaite. De toute façon, au lycée, tout le monde savait très bien que, sur ce terrain là, Desmond était loin devant. N'est-ce pas ? En tout cas, personne ne l'avait encore qualifié de face de babouin ou de toute autre diatribe du même acabit. D'autant plus que le lycéen n'était absolument pas du genre à sans cesse tirer une tête de trois pieds de loin. Dès lors, avec son sourire plus qu'enjôleur illuminant son visage de la blancheur immaculée de ses dents juste parfaites, alors que ses pommettes saillantes aidaient à compléter le tableau, Desmond était simplement un parfait specimen Lecter : irrésistible, et charmeur, aussi. Il en jouait, en abusait aussi, tout en étant parfaitement conscient de tout cela. Après tout, il n'y avait pas mort d'homme, et nul ne s'en plaignait. Et puis, cela complétait parfaitement cette esquisse de sa personne : Desmond était un adolescent joyeux, avenant, souriant, sociable, entraînant, possédant un leadership et une force d'attraction plus que conséquents, et en plus de ça, il respirait l'honnêteté. Il déconnait ? Il assumait. Il avait un dessein en tête ? Il ne le dissimulait pas derrière trois tonnes de faux semblants.

Oui, son cher camarade avait plus que bien dégusté. Sans doute lui avait-il même pété quelques dents. Mais encore une fois, il l'avait bien cherché, même si, dans toute cette histoire, un pauvre lavabo et l'un des casiers des vestiaires gars du terrain de football américain en avaient malheureusement fait les frais, victimes collatérales absolument innocentes. Mais on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, comme le dit l'adage. Et bien, là, on ne refait pas le portrait d'un petit con arrogant, prétentieux, pervers et trop imbu de lui-même. Desmond collectionnait les conquêtes comme d'autres en sont encore à collectionner les canettes de soda et leurs fameux opercules. Il en changeait régulièrement, parce que, d'amour, il n'y avait pas. Pour lui, jusqu'à présent, le sexe se résumait à un échange de fluide corporel entre deux personnes consentantes, additionné d'une sacrée dose d'érotisme, de sensualité et même de pornographie. Les règles étaient claires, sans qu'il n'ait nul besoin de les faire savoir ou de les éditer publiquement. On n'était jamais que de passage dans ses bras, et d'officialité et d'exclusivité, il n'y avait point. Les plus chanceuses étaient sans nul doute celles qui ne cherchaient point à l'avoir à leur bras de façon un peu plus officiel. Celles-là, ces sex-friends, avaient l'occasion, parfois, de ne pas faire qu'un bref séjour dans ses draps. En bénéficiant de l'avantage de pouvoir régulièrement ou moins régulièrement repasser une nuit torride en sa compagnie. Les journées de Desmond étaient toujours très chargées, entre les cours, les activités sportives, et les activités familiales qui constituaient sa formation en tant que futur chasseur. Pourtant, il n'était jamais en manque d'énergie ou de volonté, même pour les cours qui constituaient une façon pour lui d'évoluer au lycée au sein d'une certaine petite cour. Et puis, il était loin d'avoir de l'eau dans le crâne ou un QI à seulement 2 chiffres. Si l'attention en cours laissait à déplorer de son côté, les notes étaient au delà de la moyenne ou de la médiane de l'ensemble de ses camarades, bien que Desmond semble quelque peu s'évertuer à ne ce qu'on ne puisse jamais le comparer aux prouesses intellectuelles de sa sœur aînée. Pas par rebut, mais parce qu'elle occupait très bien cette place là, et qu'il était loin de lui l'idée de l'en déloger, ne serait-ce qu'un peu. De la même façon, au sein des équipes de sport, jamais on ne le comparait entièrement à Felix : leur degré de performance était sans doute presque similaire, mais leur style était suffisamment différent pour qu'on ne les confonde pas. Niveau castagne, il n'était pas non plus en retrait. Et ce sang sur ses mains, alors qu'il les nettoyait dans le lavabo voisin de celui qu'il venait de péter, et bien ce n'était pas le sien. Mais celui de son cher camarade de classe, qui s'était aventuré à traiter Beatrix de MILF après l'avoir vue être venu déposer Desmond ce matin, et ce alors qu'elle n'avait pas du tout l'âge d'être leur mère, et qu'on ne traite pas sa sœur de la sorte. Encore moins quand on ajoute au cocktail une référence à Trisha, que l'on promettait devenir sans doute encore plus bandante une fois que les seins lui auront vraiment poussé. Ouais, on touche pas à la famille. Et on ne le traite pas de petit con. Voyons, non, lui, il boxait dans la catégorie au-dessus, voire même carrément dans le haut du panier ... Il s'en serait bien encore plus donné à cœur joie, seulement, il avait dû écourter le recadrage dans les règles de l'art, parce qu'il avait rendez-vous en forêt avec son paternel, au sein de sa formation de Hunter, et qu'en plus de ça, il ne savait trop si celui qui passerait le prendre, ce ne serait pas Felix. Felix qui, dès que Desmond avait soit disant un peu de retard, klaxonnait comme un taré sur le parking du lycée, quand il ne cherchait pas en plus à amasser tout un troupeau de donzelles en fleur autour de sa caisse, la plupart d'entre elles rêvant de se faire serrer par l'un des frères Lecter alors que leur chance d'y parvenir était pratiquement nulle, soit parce qu'elles n'avaient pas les attributs qu'il fallait, ou parce qu'elles étaient carrément de l'âge de Trisha. Dude, 13 ans, c'est pire que du détournement de mineur. Et tout ce sang qui s'écoulait dans le lavabo si blanc ... En des coulées presque artistiques. Ouais, c'était limite du grand art, à en faire chialer les cœurs d’artichaut. Ce que Desmond n'était pas ...  



Avec application, elle lui changeait doucement le dernier bandage et pansement ensanglanté et quelque peu tâché. Se rendre à l'hôpital ou dans un cabinet médical pour une telle procédure aurait sans doute été plus approprié, mais aussi moins pratique et moins discret. Disons que le business des Hunters n'est pas exactement connu et reconnu, et, tant que possible, autant éviter d'attirer sur soi les soupçons et les questions. Et puis, après tout, il s'agit de trois fois rien, n'est-ce pas ? Juste un abruti de chasseur tout juste certifié, visiblement, de cinq ans son aîné, qui a dû confondre ses cours de tir à l'arc avec on ne sait trop quoi. Du haut de ses 20 ans, Desmond s'est révélé plus doué que lui. Tout juste certifié, à un âge raisonnable, ne serait-ce qu'identique à celui de Felix quand lui aussi avait connu ces honneurs. Aux vues de la fourberie de leur cible, et de son potentiel de nuisibilité, Beatrix les avait accompagnés, tous deux, en plus de deux autres chasseurs, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent séparés, tout ça parce que la transmutante qu'ils traquaient avait eu la "bonne" idée d'essayer de s'enfuir accompagnée de son petit-ami. Face à l'incertitude de savoir si, oui ou non, lui aussi était de ce bord là, de celui des dégénérés, Beatrix et l'un des deux chasseurs supplémentaires avaient été ceux qui s'étaient lancés à sa poursuite lorsque les deux tourtereaux s'étaient séparés, en pleine forêt. Après tout, ils avaient plus d'expérience, et sauraient mieux y faire s'il advenait qu'il s'agisse d'un simple humain lambda, histoire de ne pas obligatoirement le dézinguer lui aussi sans potentiellement voir s'il était possible de lui laver le cerveau, ou toute autre solution annexe du même genre. 5 chasseurs, pour une transmutante avérée, c'était beaucoup, mais l'oiseau obligeait à ce qu'il soit ainsi. Un oiseau, oui. Un drôle d'oiseau, oui. Un splendide tatouage, en forme d'ailes, tout le long de son dos. Un tatouage se transformant en une paire d'ailes dès que la jeune fille décide qu'il devait en être ainsi. Elle était parvenue à assommer les deux autres chasseurs du trio, en plus de Desmond, lancé à sa poursuite, frappant l'un d'entre eux suffisamment fort de l'une de ses ailes pour le projeter contre l'arbre le plus proche, tête la première? Un grand crac s'était fait entendre, mais Desmond ne s'était absolument pas stopper pour aller voir de quoi il en était. Si le type s'était fendu le crâne, il n'y avait de toute façon plus rien à faire pour lui, n'est-ce pas ? L'autre aussi s'était retrouvé à embrasser un arbre, mais moins fort, visiblement. De toute façon, le danger était resté présent, et la dégénérée respirait encore, ce qui était tout à fait anormal. Il fallait remédier à la situation au plus vite, et c'était ce qu'il devait s'évertuer à faire, en premier lieu, et avant tout le reste. De toute façon, ce type, il ne le connaissait pas. Son objectif avait essayé de se faire la malle, alors il n'avait pas tardé à bander son arc et à lui décocher une flèche dans le dos, brisant sans doute plus d'une seule vertèbre. L'oiseau, qui avait voulu s'élever au-dessus des arbres, était immédiatement retombé au sol, en piqué, en amortissant autant que possible sa chute. Elle avait trouvé la force d'essayer de se traîner ailleurs, et de se relever, aussi. Desmond devait bien lui reconnaître sa combativité. Mais rien n'y avait fait. Il la voulait morte, point final. Il lui avait décoché une nouvelle flèche, clouant l'une de ses ailes contre un arbre. Et il avait continué son œuvre. Cela lui rappelait un peu les cours de biologie, lorsque, après avoir ouvert l'abdomen d'une souris, on décolle sa peau et on plante des aiguilles à différents endroits, dans le support, pour maintenir cette peau bien écartée. Il allait lui loger une flèche dans la gorge quand l'un de ses compagnons, celui qui n'avait dû être qu'étourdi par sa rencontre avec un arbre, avait franchement déconné.

Et maintenant, Desmond était là, à la laisser jouer aux infirmières dévouées et appliquées, avec ces bandages et ses pansements qu'il devait changer chaque jour, depuis une semaine, et pendant encore trois comme ça. Ce pansement, qui couvrait cette plaie produite par la dernière pointe de flèche qui lui était restée dans le corps, au niveau du bras. C'était celle là qui avait fini de le désarçonner. Pas la précédente, qui s'était logée dans sa jambe. A 20 ans, il s'était révélé bien meilleur archer que ce type de 25 ans, qui devait sans doute faire ses premiers pas en tant que chasseur, et non plus en tant que novice ou non-certifié. Sans initialement trop savoir comment ni pourquoi, Desmond s'était pris une flèche. Puis une autre. Et une dernière avait bien manqué de se loger dans sa tête, juste après qu'il ait eu le réflexe de se décaler d'un saut. Visiblement, ce connard avait suffisamment été étourdi par son choc arboricole pour avoir l'esprit en vrac, et plus du tout le sens de la visée. L'arc de Desmond lui avait soudainement paru peser trois tonnes dès lors que la deuxième flèche s'était fichée dans la chair de son bras, près de l'épaule. Il l'avait lâché, sous le choc, non sans maudire son connard d'équipier. Beatrix et le chasseur l'ayant accompagnés avaient dû finir le boulot, pour achever la transmutante, et ce dès qu'ils étaient revenus vers eux. La seule chose qui réduisit un peu la frustration de Desmond fut le fait qu'il avait déjà pu décimer plusieurs dégénérés avant ça, et qu'il n'avait donc pas été volé de sa première victime. Il avait 17 ans quand il avait connu ce privilège, et était à présent assez mâture pour ... Pour faire une croix sur toute cette histoire ? Non, en fait, non. Desmond n'était pas mâture pour bien des choses, ou plutôt mâture pour très peu de choses. Mais là, il avait des raisons d'être un petit con ruant dans les brancards et crachant sa frustration et ses envies de rendre la pareil. Parce qu'il était hors circuit pour plusieurs semaines maintenant, le temps que ses blessures se rétablissent. Fort heureusement pour lui, après avoir fini de retirer les deux têtes de flèches, il avait pu constater que celles-ci étaient de piètres qualités, pas réellement aiguisées au maximum. Elles n'étaient donc pas entrées dans sa chair comme dans du beurre. Mais il avait perdu du sang, et avait dû montrer les crocs à Beatrix pour qu'elle le laisse décider de lui-même s'il fallait aller ou non à l'hôpital, et s'il fallait prévenir leur père. Qui venait juste de sortir de l'hôpital après s'être pris une balle dans la jambe. Une blessure autrement plus grave que celle de Desmond, qui, à la palpation, ne sentait aucun os fracturé ou brisé. Pas plus que le moindre nerf ne semblait réellement avoir été touché. Une artère, par contre ... Quand on est chasseur, on n'est jamais à court de ceinture, alors, les garrots improvisés sont assez aisés à réaliser. Sans parler des trousses de secours qui trainent souvent dans les coffres, au cas où. Un peu plus, et Desmond se la serait joué à la Boromir, il ne lui avait manqué qu'une troisième flèche dans le corps. Or, lui, il ne meurt jamais, à la fin du film, contrairement à Sean Bean. Il paraissait d'ailleurs que ce dernier venait d'être choisi pour intégrer le casting du futur gros projet de HBO, Game of Thrones, dans le rôle de Ned Stark. Desmond avait lu les ouvrages de Mister Martin himself ... RIP once again d'avance, Seany ! Mais là n'était pas la question. Il n'aimait pas être dépendant, pas plus qu'il n'appréciait ne pas mener directement les choses quand ile le pouvait. Mais elle était dotée d'une grande force de persuasion. Elle. Elle qui était plus âgée que lui. Plus âgée que Felix, même. Elle qui était ... Tout et rien à la fois, pour lui. Elle qui était chasseuse, mais qui avait aussi ce gène X, ce gène de dégénéré. Sans doute était-ce pour ça que son psychisme était quelque peu déstructuré. Elle ne se cachait pas de ce qu'elle était, mais refusait aussi d'être cataloguée. Transmutante, Hunter, elle refusait d'être étiquetée. Si elle partageait pleinement les idéaux de ces derniers, elle refusait qu'on la tienne par quelque bride que ce soit. Il en savait si peu à son sujet, et ne savait jamais trop ce qu'il ressentait pour elle, mais en dépit de tout ça ... En dépit de tout ça, elle faisait partie de sa vie. En tout cas, elle était présentement étrangement douce et appliquée, ce qui n'avait rien à voir avec la façon dont il avait été soigné par son frère et ses sœurs, en rentrant de la chasse. A grands coups d'alcool pour le saouler et endormir la douleur, alors qu'ils l'avaient charcutés le moins possible tout en étant quand même pas diplômés de médecine. Beatrix était bien diplômée en génétique, mais dans ce contexte là ... Alors qu'il fixait ses mains, quelque peu ensanglanté par cette plaie à la jambe qui s'était un peu ré-ouverte, il ne pouvait s'empêcher de songer à tout ça. A ce qui était advenu, et à ce qui adviendrait. Pour lui, pour sa fratrie, pour Elle, pour eux deux. Mais, après tout, il n'avait encore que 20 ans, et toute la vie devant lui ...



Radcliff n'était pas sa ville natale. Mais il avait fini par bien s'en approprier le territoire, en ne manquant jamais de se créer de nouveaux circuits lorsqu'il faisait son jogging. Il avait toujours un trop plein d'énergie à canaliser et à dépenser, Desmond. Cela a toujours été comme ça, et il en serait sûrement toujours ainsi. Mais c'était visiblement bien moins un défaut pour les gens, aujourd'hui, que cela en était un hier, quand il n'était encore qu'un gamin et qu'on cherchait à lui imposer quelque autorité. Oui, ici, techniquement, ce n'est pas son berceau. Mais c'est au moins celui de son père. Et de son grand-père. Il y a même le nom des Lecter sur l'acte de fondation de la ville, ainsi que sur les différentes plaques qui honorent cette fondation. C'est une certaine fierté, mais cela ne fait pas tout. On l'attend au tournant. On les attend au tournant. Comme si, en tant que descendants d'un membre fondateur, ils devaient sans cesse être plus glorieux et plus exemplaires que les autres. Desmond n'en a rien à foutre, de ce qu'ils veulent, tous. Parfois, même, les propres siens estiment qu'il devrait être un peu plus discipliné à leur égard, tout en restant conscients que, dans le fond, il ne s'agit jamais que de son caractère à lui, de sa volonté à les emmerder un peu juste pour le plaisir. Pour se rappeler à leurs bons souvenirs, en quelque sorte. Comme s'il en avait besoin. Il était le petit frère de Felix et de Beatrix, le grand frère de Trisha. Il n'avait pas besoin de se faire un prénom, au jour d'aujourd'hui, ayant suffisamment bien œuvré pour ça depuis sa naissance. Il n'est pas un répliqua de son frère. Une version féminine et plus testéroné de Beatrix ou de Trisha. Il est lui, simplement lui, comme eux aussi sont uniques, chacun d'une façon différente. Radcliff, c'est là où il vit, où il bosse (du moins, là où il bossait jusqu'à récemment ...), là où il chasse, aussi. Il n'a jamais eu d'autre ambition que d'être celui qu'il est destiné à être : un Hunter. Tout le reste n'est pas accessoire, mais il s'agit simplement d'actes, de choix et d'événements qui ne servent qu'à compléter sa vocation. S'il est devenu pompier, et qu'il est également paramedic à 50% de son temps quand il est à la caserne, c'est pour gagner sa vie, en se faisant du fric sans s'emmerder à 100 sous de l'heure dans un bureau. Ouais, rester en place, très peu pour lui. Et puis, il faut le dire, même s'il n'a pas besoin de cet artifice là, il sait que le prestige de l'uniforme, c'est la classe. Felix a revêtu celui de flic, Beatrix a enfilé la blouse de scientifique, et Trisha ... Trisha, elle ne portait ni uniforme ni blouse, mais elle était l'une de ces voix de la radio locale, de celles qui doivent en faire fantasmer plus d'un. Son charme ne marche pas sur Desmond, du moins, pas de la même façon que pour tous ces pervers. Et puis, des fois, quand il est encore nimbé d'alcool, il a l'impression qu'elle raconte autre chose, sur les ondes. Genre, ses sales petits secrets, ou bien elle profère des menaces à son égard. Ouais, l'alcool, c'est mal. En tout cas, sa vie lui plaisait. Il ne regrettait aucun des choix ou des actes qui l'avait mené jusqu'ici. Même si bien des changements survenaient, récemment, à Radcliff comme dans sa vie et dans celle des siens, visiblement. Peut-être était-ce lui qui, le premier, avait franchi la limite. Celle qui s'était fixée depuis longtemps déjà, sans jamais que cela ne soit réellement un principe officiel. Pas besoin de ça, après tout. Oui, peut-être était-ce lui qui, le premier, avait commencé à faire des cachoteries aux autres Lecter. Rien de bien méchant. Rien de redoutable. Rien qui ne puisse les mettre dans l'embarras ou leur porter atteinte. Jusqu'à récemment, du moins. Même si Desmond continuait de penser que, si la forme péchait un peu, le résultat restait plus que convenable et décent. Et puis, allez-y, s'ils avaient besoin d'un martyr, tous autant qu'ils étaient, s'ils avaient besoin d'un type à dézinguer pour apaiser leurs peurs et leurs consciences, qu'ils y aillent, avec lui. Il n'était pas fait de sucre, pas plus que de porcelaine. Il en avait vu d'autre. Hey, comme le disait Felix lui-même, à quelques centimètres près, il aurait pu se prendre une flèche dans le cul. Il n'avait rien non plus à envier aux fameux gardes de Skyrim, bien que lui ait continué d'être un "aventurier", même suite à cette flèche dans la jambe.

Peut-être qu'il devrait se planquer, comme lui, maintenant qu'il était vu et perçu comme un enfoiré de pyromane ayant contribué à cramer une famille. Ouais, se planquer, comme lui. Comme lui qui, à présent, allait changer de planque. Cette cabane de chasseur, de ceux qui traquent le "vrai" gibier, allait être sa dernière demeure. Mais, genre, six pieds sous terre, une fois que Desmond se sera décidé à détacher les lattes du parquet de bois et à creuser suffisamment profondément ensuite, en dessous, avant de lâcher le corps comme un vulgaire sac de farine. Pour l'instant, le type se vidait de son sang, sur ce fauteuil tout défoncé. Et Desmond l'observait sans vraiment le voir, songeur. Un dégénéré de plus passé de vie à trépas. Cela ne l'émouvait absolument pas, ne lui tirait pas la moindre petite larme. Ce type n'était qu'un raté, de toute façon. Zéro vie sociale. Zéro ami. Zéro famille. Un raté, vétéran de l'armée renvoyé pour insubordination et pochetronnerie aggravée, après avoir manqué d'être réformé pour QI trop bas. Enfin, ça, c'était Desmond qui se l'imaginait. Il avait quoi ? 25 ans ? 30 ans ? 50 ? Avec la crasse, la barbe hirsute et les guenilles lui servant de fringue, difficile de le savoir. Mais cela n'avait aucune importance. Il était crevé. Kaput. Mort. Et personne ne s'en rendrait sûrement compte. Il l'avait sans doute entendu arrivé. Ou alors, il était préparé à mourir, un jour ou l'autre, depuis qu'il se savait dégénéré. Ouais, un truc comme ça. Il était resté dans son fauteuil, avachi, entouré d'une dizaine de bouteilles de bière vide. Un chevreuil tout juste tué étendu sur ce qui devait lui servir de billot pour dépecer et débiter la viande qu'il chassait pour se nourrir. Un vrai paria. Personne ne le chercherait, personne ne le regretterait. En soi, il ne représentait absolument pas une priorité d'abattage pour les Hunters, mais sa simple existence emmerdait Desmond. Et puis, c'était du boulot facile. Il avait juste eu à le traquer, à observer ses aller et venus pendant même pas 2 jours, avant de lui tomber dessus. Il avait ouvert la porte du cabanon de chasse, avait visé, et lui avait tiré une balle en pleine tête. Cela avait été aussi simple que cela. Raison pour laquelle il n'avait rameuté personne d'autre avec lui. Pas plus Felix que Beatrix ou que Trisha. Il n'avait informé personne de son plan. C'était inutile. Il allait juste enregistrer cet acte à son tableau de chasse, histoire de rester en concurrence avec son ainée. Et peut-être même qu'il allait ramener du chevreuil pour tout le monde, ce soir. Il y en avait pour près de 25 kg de viande, quelque chose comme ça, une fois le poids des os et de la peau retiré de l'équation. Il avait commencé, instinctivement, à dépecer l'animal, en disposant du matériel nécessaire pour ça, merci bien au dégénéré tout juste clamsé qui était visiblement bien achalandé de ce côté là. Un instant, il avait souri, repensant à Tywin Lannister exécutant la même besogne, sur un cerf, tout en sermonnant son incestueux et blondinet de fils aîné. Ce n'était pas sanglant, tant que vous n'en étiez qu'à l'étape du dépeçage, viscères et boyaux étant encore protégés sous les muscles abdominaux. Après, en revanche ... Desmond s'était arrêté en cours de route, comme ça, sans réfléchir au pourquoi du comment. Les mains entachées de sang, il avait fini par se retourner, pour observer de nouveau en direction de feue sa victime. Un instant, il avait essayé de fumer, sans doute pour la première fois de sa vie, pour voir, peut-être, ce que c'était vraiment que ce penchant, ce qui faisait tout ce buzz et toute cette agitation. Et puis, il avait arrêté dès la première aspiration. Dégueu. De quoi le débecter, lui qui était pourtant en train de dépiauter une bête, quelques instants auparavant, sans sourciller ni se sentir avec le cœur ou l'estomac renversés. Il avait observé l’extrémité rougeoyante, avant de soupirer, de faire quelque pas, d'éteindre la clope dans la plaie béante du front du transmutant, avant de lui fourrer le bâton de la mort entre les lèvres. Allez, une petite dernière, pour la route, et jusque dans l'au-delà ... En tout cas, oui, pour en revenir au chevreuil, ça allait en faire de la viande, sans compter toute celle qu'il avait trouvé dans le congélo du type. Qui devait vraisemblablement avoir fait des réserves. Ce serait con de tout gâcher, n'est-ce pas ? Il réussirait bien à refourguer tout ça. Ce n'était pas les connaissances qui lui manquaient. En pensant à Elle, une petite lueur mutine lui vint aux yeux. Ce serait comme pour les animaux, qui viennent déposer leur tribu aux pieds de la femelle pour la charmer et l'amener à laisser le mâle la féconder. Oh, oui, pour sûr, elle détesterait l'allusion s'il s'avisait de la lui expliquer en face à face. C'était sans doute ça qui l'amena à se remettre au travail, non sans s'essuyer le front, par avance, s'étalant du sang jusqu'à la base des cheveux. A nous deux, Bambi !