SCARLETT ; 5 ANS. LONDRES, ANGLETERRE.

« Scarlett ? » Long silence. « Scarlett... ? » Toujours pas de réponse. « Scarlett, trésor ? » Sanglot étouffé, reniflement pénible. « Ma puce, est-ce que tu peux me raconter ce qui est arrivé ? » Dans son trop grand lit d'hôpital, la petite rouquine avait tourné son visage tuméfiée vers l'inspectrice de police et la jeune femme de services sociaux. « La voiture... la voiture, c'est comme si elle avait explosé... papa et maman ont crié et puis... et puis après je sais plus... » Les doigts crispés sur les draps, la petite faisait vraiment de son mieux pour ne pas se remettre à pleurer. « Tu ne te souviens vraiment de rien ? » Elle avait secoué la tête avec insistance, et la dame des services sociaux avait demandé à l'inspectrice de la laisser se reposer. C'était mal, Scarlett le savait, mais elle avait menti à la policière. Elle se souvenait d'avoir été en colère contre ses parents parce qu'ils ne voulaient pas s'arrêter pour lui acheter un sachet de bonbons, et puis d'un coup, l'arrière de la voiture avait explosé... Elle se souvenait très clairement avoir vu ses paumes luire d'une étrange couleur écarlate, presque semblable à celle de sa chevelure incendiaire. À cinq ans, Scarlett ne comprenait pas encore tout, mais une chose était très claire. C'était de sa faute. Ses parents étaient morts à cause d'elle, parce qu'elle avait été en colère, parce qu'elle avait fait quelque chose de mal... Quelque chose de très très mal. Et d'anormal. Elle ne pouvait en parler à personne, et surtout pas aux enquêteurs de police... Elle avait peur, elle était terrifiée. « Scarlett ? » Elle avait sursauté. « Ta tante sera bientôt là. Tu vas vivre avec elle, maintenant. » « Où ça ? » « Elle habite à New-York. Aux États-Unis. Est-ce que tu sais où c'est ? » La petite avait secoué la tête. « C'est un peu loin d'ici... Mais tu verras, c'est une jolie ville. »

SCARLETT ; 10 ANS. NEW-YORK, USA.

Assise sur la pelouse de Central Park, ses boucles rousses en bataille autour de son visage, Scarlett arrachait machinalement des brins d'herbe. « Je ne suis pas normale. » Sa tante – Cassandra – avait soupiré et levé les yeux en ciel en secouant la tête, comme elle le faisait à chaque fois que Scarlett entamait ce sujet de conversation. « Tu es différente. Et il n'y a rien de mal à être différente. » Scarlett avait secoué la tête. « Je les ai tués... » « Pour la millième fois, non. C'était un accident, et personne n'est responsable d'un accident. Cesse donc de t'en vouloir, ce n'était pas de ta faute. » L'enfant avait soupiré, sans pour autant relever la tête vers sa tante ; sa mère adoptive. « Quand j'ai découvert mon propre don, j'étais tout aussi terrifiée que toi. Pendant des années, je pouvais à peine m'approcher d'un appareil électrique sans le faire griller involontairement, imagine un peu les factures ! » Scarlett avait affiché un sourire – un petit, mais un sourire tout de même. Cassandra était comme elle, différente, capable de faire des choses étranges, des choses que le commun des mortels ne pouvait pas. C'était encore l'époque où le mot mutant était à peine murmuré, où les gens comme elles se cachaient. Parce qu'elles n'étaient pas les seules. De personnes possédant des capacités extraordinaires, il y en avait des dizaines, des centaines, selon sa tante. Scarlett en avait même rencontré quelques unes, et d'une certaine façon cela l'avait rassurée, elle se sentait moins seule. Ceci étant dit, cela ne la débarrassait pas de la culpabilité qui lui collait à la peau comme un vilain tatouage. La mort de ses parents, elle l'aurait sur la conscience at vitam aeternam. « Tu dois cesser d'avoir peur, Scarlett. Tu es différente, tu es une jeune fille exceptionnelle et tu seras une femme extraordinaire. Il faut simplement que tu apprennes à contrôler cette part de toi. Apprends à la dompter, et tu deviendras une force de la nature. » Inutile de dire que l'enfant ne partageait pas l'optimisme de sa tante. « Je suis comme... comme une bombe à retardement. » « Ne dis pas de sottises. Tu ne ferais pas de mal à une mouche. »


SCARLETT ; 21 ANS. NEW-YORK, USA.

Les années, la thérapie imposée par Cassandra et une remarquable force de caractère aidèrent Scarlett à s'accepter telle qu'elle était, et surtout à maîtriser sa mutation. Les incidents existèrent, mais furent plus rares que ce à quoi la jeune femme s'était attendue. Finalement, elle fut capable de museler l'énergie qui bouillonnait violemment en elle. En fin de compte, Scarlett grandit et mûrit sans avoir trop l'impression d'être différente, elle sut se fondre dans la masse, vivre comme la plupart des jeunes de son âge. En plus de cela, Scarlett était un jeune esprit brillant, son oncle et sa tante vivant confortablement, elle eut la chance de pouvoir entamer des études de médecine. Passionnée par les sciences et adoratrice de bambins, elle sut rapidement qu'elle voulait devenir chirurgienne, et se spécialiser dans le domaine de la néonatalogie. Accompagner les futures mères dans leur aventure, aider les nourrissons en difficulté à gagner un bel avenir... Altruiste et généreuse comme pas deux, le choix semblait évident pour Scarlett. Elle aurait fait sa vie à New-York, une ville qu'elle avait appris à aimer, si un terrible événement, qui ferait le tour du monde, n'avait pas bouleversé son existence et creusé un nouveau trou béant dans sa poitrine.

Le 11 septembre 2001, Scarlett se préparait tout simplement à aller à la faculté après avoir embrassé son oncle et sa tante pour ce qui serait la dernière fois, ces derniers ayant un rendez-vous professionnel dans l'une des tristement célèbres tours jumelles du World Trade Center. Suffisamment loin pour échapper à l'attentat, trop près pour ne pas en être le témoin, Scarlett vit avec effroi les bâtiments s'effondrer, emportant avec eux des milliers de victimes, parmi lesquels le couple. Horreur, choc, colère et incompréhension furent tout autant de sentiments qui se succédèrent chez la jeune femme, qui pour la seconde fois déjà se retrouvait orpheline. Le traumatisme s'ancra profondément en elle, d'autant plus que comme de bien trop nombreuses familles, elle n'aurait aucun corps à enterrer. Cette perte manqua d'être celle de trop, pour la première fois en onze ans ses pouvoirs lui échappèrent lorsqu'elle rentra dans son appartement de la banlieue de Sleepy Hollow. Involontairement – ou peut-être pas tout à fait – elle manqua de faire sauter les lieux, et comprit bien assez tôt qu'elle ne pourrait y rester, faute de pouvoir supporter les fantômes qui le peuplaient à présent.

SCARLETT ; 25 ANS. RADCLIFF, USA.

« Vous êtes... ? » « Scarlett. Scarlett Faust. Je suis la nouvelle interne en néonatalogie. J'ai rendez vous avec le Docteur Taylor. » La secrétaire avait étudié la rousse incendiaire un instant avant de replonger le nez dans ses papiers. « Troisième étage, bureau douze. Vous ne devriez pas avoir trop de mal à trouver, son nom est sur la porte. Bonne chance, vous allez en avoir besoin... » Sur ces paroles pour le moins rassurantes, la secrétaire prit sur elle d'ignorer totalement Scarlett, qui après avoir longuement soupiré, se rendit jusqu'au fameux bureau douze. Le Docteur Taylor, elle en entendait parlait depuis des semaines, elle savait que c'était un type ronchon, casse-pieds et du genre à traiter ses internes comme des serpillières sous prétexte qu'il avait le bénéfice de l'âge et de l'expérience. Dieu merci, il était à quelques mois de la retraite... C'était néanmoins avec lui que Scarlett devrait composer en attendant, car il était à la tête sur service de néonatalogie de l'hôpital de Radcliff. Radcliff... Un petit trou perdu au fin fond du Kentucky, bien loin de l'effervescence à laquelle elle était habituée. Sans se démonter, elle avait frappé à la porte du bureau, et on l'avait invitée à entrer d'un grommellement. « Vous êtes... ? » Bon sang, mais personne ne savait rien ? Elle s'était retenue de lever les yeux au ciel. « Scarlett Faust. Votre nouvelle interne. » « En retard. Vous êtes en retard. » Scarlett avait levé les yeux à la pendule du bureau. Effectivement, il était huit-heures et deux minutes. « Et d'où vous venez ? » « J'ai commencé mes études à New-York, mais jusque là j'étais à Atlanta et – » « Vous foutez quoi dans un trou comme Radcliff ? » « J'ai vu que vous recherchiez une nouvelle interne en néonatalogie, que vous manquiez d'étudiants dans ce domaine, alors j'ai – » « Vous avez décidé de jouer la Sainte et d'abandonner un prestigieux établissement pour venir vous perdre au fin fond du Kentucky. Permettez moi de vous dire que c'est une décision de merde. Si vous êtes comme moi, cette ville va finir par vous sortir des yeux. » Quel optimisme débordant... « Perdez pas votre temps à me regarder comme un poisson. Enfilez une blouse, on a du pain sur la planche. »

SCARLETT ; 34 ANS. RADCLIFF, USA.

Le cœur au bord des lèvres, les yeux encore rougis par le sel de ses larmes, Scarlett faisait face au miroir des toilettes de l'hôpital, les mains crispés sur le rebord du lavabo. Elle aimait son travail. Elle l'adorait. Mais depuis quelques semaines, il lui était difficile de garder la tête haute, de prétendre que voir défiler les femmes enceintes et épanouis et les nouveau-nés ne lui fendait pas le cœur. Ce n'est pas juste, ne cessait-elle de se répéter, matin après matin, jour après jour. Radcliff, elle y avait fait sa vie. Elle y avait terminé ses études, rencontré ses amis, l'homme avec lequel elle aurait pu passer le reste de ses jours... Elle était même tombée enceinte. Pour elle qui adorait les enfants, et ne rêvait que de fonder une famille, c'était le comble du bonheur. Ça n'avait pas duré. Pour une raison qui lui échappait, et à la médecine également, elle avait fait une fausse couche. À presque cinq mois de grossesse, alors que son ventre était déjà bien rebondi et qu'elle commençait à sentir le bébé bouger. Elle ne l'avait pas supporté, son couple non plus. Quelques semaines de congés lui avaient été accordées, puis elle n'avait eu d'autre choix que de retourner travailler, les entrailles vides et le cœur en lambeaux. Ça faisait mal, mais ça agissait aussi comme une thérapie. Le genre de thérapie qui enfonçait le couteau dans la plaie avant de le retirer, mais dont l'efficacité serait – elle l'espérait sincèrement – avérée. Face à miroir, Scarlett s'était redressée, elle avait essuyé ses larmes, arrangé son maquillage et pris une profonde inspiration. Elle pouvait le faire, elle devait le faire. Comme si de rien n'était, elle avait poussé la porte de son bureau, dans lequel l'attendait une jolie brunette au ventre bien rond. « Bonjour, Evelyn. »

SCARLETT ; 35 ANS. RADCLIFF, USA.

Uprising. À première vue, pas le genre d'organisation que Scarlett rejoindrait de son plein gré, elle qui avait tendance à éviter de faire des vagues. Mais comme beaucoup de mutants, Scarlett avait fini par se lasser des violences gratuites à leur encontre et du climat de terreur qui régnait à Radcliff depuis l'arrivée de Lancaster au pouvoir. L'exécution publique d'une mutante – un bouc émissaire – avait été la goutte d'eau de trop, et la jeune femme avait fini par rejoindre les rangs de l'organisation,  chaperonnée par un ami dont elle était proche, Siward. En dépit de son don, potentiellement utile à Uprising, c'était pour offrir ses services de chirurgienne, de médecin aux mutants. Elle appréciait Sheldon, appréciait qu'il ne la pousse pas à se servir de sa mutation pour contrer les Hunters. La violence, Scarlett ne l'appréciait guère, quoiqu'elle soit forcée d'y faire face chaque jour. Soigner ses semblables, c'était pour elle une façon d'apporter sa pierre à l'édifice sans pour autant contribuer au massacre. Douce, mais pas naïve, Scarlett était ravie d'assister Siward, d'aider Sheldon et les membres d'Uprising, pour lesquels elle avait l'intention de devenir une figure représentative de sûreté. Ce qui n'était pas un luxe, car entre le couvre-feu, les attaques gratuites et la xénophobie, être mutant s'avérait de plus en plus compliqué. La mort récente de Siward lui porta un coup au cœur, un de plus, mais son deuil, Scarlett fut forcée de le faire rapidement, car ce dernier avait conseillé à Sheldon de lui offrir son poste si il devait lui arriver quelque chose, comme s'il savait... La tête haute, Scarlett accepta donc la responsabilité du poste de responsable médecine au sein d'Uprising, déterminée à veiller de son mieux sur les rebelles ; et tant pis pour le danger que cela impliquait et les éventuelles conséquences. Advienne que pourra.