Elle étouffait. Depuis qu’elle avait posé les pieds dans cette ville, elle sentait son étau se resserrer, la prendre à la gorge et la faire souffrir comme jamais. Les ailes de l’oiseau avaient subitement été entravées, et elle regardait le ciel en se demandant si le droit à voler librement lui reviendrait un jour. Elle l’espérait — elle l’attendait. Jour après jour, les yeux rivés vers les nuages, les écouteurs greffés au fond des oreilles, voyageant comme elle le pouvait. La musique restait son moyen premier de s’évader ; avec elle venait la peinture dont elle se barbouillait les bras jusqu’aux coudes, dès qu’elle le pouvait. Et puis, depuis peu, elle avait retrouvé refuge dans l’art du tatouage. Elle avait appris vite, la gamine, à la grande surprise de son mentor. Elle s’était bien gardée de lui dire qu’elle en avait déjà fait par le passé ; peu, mais suffisamment pour pouvoir prétendre assimiler la technique plus vite que la moyenne.

Et c’était là qu’elle l’avait retrouvée, sa petite intrépide. Fluette comme elle, le regard aussi pétillant qu’Elisa avait pu l'avoir quelque temps auparavant, lorsqu’elle se sentait encore libre de faire ce qu’elle voulait, et d’aller où elle l’entendait. La vie dans les yeux, pulsant au fond de chacune de ses veines. Elle l’avait reconnue, alors que les visages n’étaient pas sa spécialité et qu’en sept ans, celui-ci avait eu le temps de bien changer. Mais les souvenirs lui étaient revenus bien rapidement, dès que la gamine s’était mise à parler. C’était étrange, cette faculté que pouvaient avoir certaines personnes de vous marquer. Et revoir Lilo lui avait fait, un instant, la sensation de réussir à s’évader de prison. L’esprit complètement libre de la jeune fille était devenu, à son tour, un exutoire à lui seul. Et elle ne pouvait s’empêcher de se couler à sa suite, partout où la Valentine l’entraînait. Comme une danse dont elle avait désormais besoin, pour oublier ce triste quotidien auquel la condamnait la prison qu’était devenu Radcliff.

Alors, quand Lilo avait pointé le bout de son nez, à la sortie du strip-club où elle était péniblement venue à bout de sa courte soirée, elle s’était laissée embarquer. Le couvre-feu n’avait lieu qu’un quart d’heure plus tard, et il y avait fort à parier pour que cette idée leur coûte plus de trouble qu’autre chose. Mais peut-être était-ce là ce qu’elles cherchaient. Une pulsion de vie, l’adrénaline au creux des veines, et la vie crépitant jusqu’au bout des doigts. La Valentine semblait avoir son idée quant à la manière de rallumer cette flamme au fond des yeux de la Hyde. Et celle-ci ne demandait qu’à voir, filant à sa suite dans les rues froides.

Ça y était. Le couvre-feu avait sonné. Désormais, n’importe qui pourrait leur tomber sur le dos et leur faire regretter cette bravade. Le jeu commençait. Et elles couraient toujours, les deux grandes gamines, dans une direction que Lilo avait choisie, et qu’Elisa se prenait gonflée de hâte à l’idée de découvrir. Mais soudain, au beau milieu de nulle part, quelque chose attira son regard. Une vitrine, une seule ; une boutique de bric-à-brac de premier ordre — mais ça n’avait pas d’importance. Ce qui en avait, par contre, c’était ce que la Hyde y voyait accroché, non loin de l’entrée. Et elle avait arrêté brusquement sa compagne d’escroquerie, sans s’inquiéter outre mesure de qui aurait pu les voir, les entendre ou les surprendre. Elle s’était stoppée, et ses yeux ne quittaient pas la paire de patins à roulette suspendus là, semblant n’attendre qu’elle. « Je les veux. » Son menton se tourna, ses prunelles se plantèrent dans celles de la Valentine, et un sourire malicieux passa sur ses traits. Pas besoin de dire s’il te plait. La flamme de joie qui s’était installée au fond de ses iris le murmurait autant de fois qu’il ne le fallait. Elle les voulait, et elle voulait que Lilo aille les lui chercher. Ensuite, elles repartiraient.

Elles reprendraient leur route ; une route vers leur Eldorado d’un soir, vers la magie de leur imprudence. Quoi que lui concoctât Lilo, il n’y avait aucun doute pour que ce fut une nouvelle soirée à n’en pas dormir. Le retour d’une pulsion de vie qu’elle avait l’impression d’avoir perdue, depuis son arrivée ici.
Le retour de la liberté.

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— ELISA & LILO —

Radcliff. Ce coin pourri d'un pays tout aussi pourri qui prônait la liberté ; le rêve américain. Que des foutaises, de la putain de propagande ; les citoyens lambdas se levant le matin, allant travailler le jour pour ensuite aller dormir le soir, d'un sommeil plat sans aucune saveur. Partout, c'était pareil. À l'est comme à l'ouest, du nord au sud et surtout, ce Radcliff froid et perdu au milieu de nulle part. La jeune mutante était bien loin de Vegas, de New York - ville qui ne dort jamais - ou encore de la chaude Floride... et contrairement à la plupart des habitants du coin, elle pouvait partir quand elle le désirait. Ce n'était pas une stupide quarantaine et un couvre-feu qui allait la retenir ici. Pourtant, elle restait. Pour William et seulement lui.

L'ennui était plus mortelle que n'importe quel chasseur des alentours mais heureusement, la Valentine trouvait facilement des moyens de mettre de la couleur dans ce trou incolore. Méfaits et moqueries, et toujours plus d'imagination pour en abuser. Puis, ça avait été l'idée de se faire faire un tattouage qui lui avait permis de recroiser la route de cette mutante à l'esprit aussi volage qu'elle. La Hyde, qu'elle retrouvait sous un autre visage après tant d'années. D'une certaine manière, Lilo aussi avait changé de figure car après tout, elle n'était plus l'adolescente naïve de quatorze ans qu'elle avait connue. Oh, elle était tout aussi gamine qu'avant, et cette fraîcheur semblait plaire à Elisa autant qu'avant. La petite voleuse s'était surprise à manquer cruellement de compagnie depuis que Will était dans le coma, et de retrouver un visage familier - ou presque, hein ! - lui faisait un bien fou. Plus que cela, retrouver cette complice d'un temps révolu allumait encore plus cette étincelle de malice dans les yeux clairs de la Valentine.

Quand elle avait vu Elisa quitter le club de stiptease, lasse, ellen avait tout de suite eu enivie de la revigorer un peu. Et elle savait exactement comment. Nuit de folie, voici venir les deux esprits volages de Hyde et Valentine réunies. Elles avaient couru à travers les rues sans s'inquiéter de l'arrivée inévitable du couvre-feu, ainsi que de la présence accrue de hunters qui venait avec elle. Lilo s'aventurait d'un quartier à l'autre, Elisa sur les talons jusqu'à ce que cette dernière ne se stoppe soudainement devant une vitrine de magasin. La blonde s'était retournée en réalisant qu'elle perdait sa complice à la contemplation des articles derrière la vitre. La mutante s'approcha et croisa le regard envieux de la brune. « Je les veux. » Ce qui aurait pu sonner comme un ordre et rebuter la gamine sonna plutôt comme un enième défi à relever, une supplication même. Le rictus malin qui dessina sa lippe montrait bien qu'elle ne se ferait pas prier, ça non. Des patins à roulettes en plus... c'était parfait pour leur petite soirée et l'endroit où elle voulait les mener. Lilo gloussa d'un rire cristallin léger et sans attendre, elle se jeta contre la vitrine qui laissa place à son frêle corps comme s'il ne s'agissait que d'un voile transclucide. Sachant qu'il valait mieux ne pas s'attader au risque de croiser des chasseurs qui ne feraient que compromettre toutes ses idées d'amusement à venir, la mutante courait presque jusqu'aux patins tant convoités par sa partenaire de crime du soir. Elle les attrapa d'une main et de l'autre, elle s'étira pour s'en procurer une paire également. D'un rouge vif, rouge qui lui avait tapé dans l'oeil. Elle retourna bien vite vers la Hyde, prenait bien soin de déclencher l'alarme sur le chemin. Distraction pour les chasseurs, parfaite pour la suite de leur soirée rebelle loin de leurs fusils... pour le plus longtemps possible, cela dit. « Allez, fichons le camp, suis moi ! » Elle prit ses jambes à son cou après avoir déposé la paire de patins à roulettes dans les mains de la brune qui la suivait de près depuis le début de leur aventure - dont elle ne connaissait toujours rien. Une surprise, ouais, la blonde voulait l'impressionner la belle Hyde.

Lilo s'arrêta brusquement devant un mur après de longues minutes d'une évasion amusée. Elles étaient arrivées à destination et Lilo s'impatientait déjà de voir l'expression éblouie de sa copine de la nuit. « Ferme les yeux. » La blonde attendit qu'elle s'exécute avant d'attraper sa main libre et de la tirer avec elle à travers le mur de briques froides. Sensation désagréable pour un novice du passe-muraille, mais la Valentine savait qu'elle allait bientôt se racheter. « Ne les ouvre pas tout de suite. » Elle quitta Elisa un instant, patins à l'épaule et trouva rapidement les boutons d'éclairage. « Ok, tu peux les ouvrir maintenant ! » hurla-t-elle à l'autre bout de la salle plongée jusque là dans la pénombre. Elle attendit une, deux secondes et enclencha le plus de lumières possibles, dévoilant la vaste piste de danse et le bar de la boîte de nuit de Radcliff, dans des tons rouges, bleus, mauves, voir même orangés. Lumières extravagantes et dignes du nighlife. Couleurs vives qui vibraient violemment contre la nuit noire qui régnait à l'extérieur des murs et plongeait la ville dans une mélancolie opprimante.

Lilo abandonna les lumières pour se diriger vers le stand à dj, pouvant apercevoir Elisa à l'autre bout de la salle, à l'endroit même où elle l'avait laissée. « Mais alors, qu'est-ce que t'attend ? C'est open bar ce soir, on l'a bien mérité. » Elle lui sourit, totalement réjouie devant sa tronche satisfaite et entreprit aussitôt de chercher quelques chansons à mettre, et ainsi compléter l'ambiance langoureuse d'un nighclub qui leur appartenait ce soir - à elles seules. Tant que la nuit le leur permettrait, la petite voleuse comptait bien s'éclater et bientôt les premières notes de basse profonde s'échappèrent des énormes enceintes des hauts-parleurs. Venant la chercher, la faire vibrer jusqu'à son coeur qui s'emballait déjà d'excitation.

Il y avait dans ces yeux l’étincelle de malice, et ce désir presque palpable de jouer. Un jeu qui, elle le savait, n’arrêterait pas bien longtemps Lilo. Parce que la blondinette, c’était un peu son ticket vers la liberté. Prompte à réaliser toutes ces petites exigences, pourvu qu’elles ne rendent la soirée encore plus distrayante. Et visiblement, cette requête autoritaire s’avérait, aux yeux de la Valentine, être une bonne idée. En un éclair, les patins furent dans la main de la basanée. Son amie s’en était également saisi d’une paire avant de sortir, déclenchant l’alarme par la même occasion. Maintenant, l’urgence était de courir. Les Hunters n’allaient pas tarder à rappliquer, et mieux valait pour elles qu’ils ne les trouvent pas là.

Fuir. Nouveau jeu. Et elle courait, la Hyde, patins dans la main, suivant son amie à toutes jambes. Se laissant guider sans broncher, attendant de voir la surprise que semblait lui préparer la Valentine. Elle ne reconnaissait pas vraiment les lieux, les rues. Ne faisait pas attention, perdue dans l’obscurité, préoccupée par les ordres crachés que son ouïe fine percevait aux abords de l’alarme qu’elles avaient déclenchée. Elles s’étaient suffisamment éloignées, désormais. Et c’était à parier que personne ne ferait le lien. Ou à tout le moins, elle l’espérait.

Lorsque Lilo lui ordonna de fermer les yeux, la Hyde ne mit pas plus d’une fraction de secondes pour s’exécuter. Impatiente, désireuse de finalement découvrir cette surprise que la petite Valentine voulait lui faire. Elle se sentit aussitôt tirée au travers du mur, désagréable sensation que la blondinette lui avait déjà fait partager, mais à laquelle la Hyde ne s’habituait décidément pas. Pourtant, pas un seul instant elle ne rouvrit les yeux. Elle sentit Lilo s’éloigner, lui obéit et attendit. Lorsqu’enfin elle eut l’autorisation de regarder autour d’elle, ce fut pour laisser son visage s’éclairer d’un sourire béat. Autour d’elles, les lumières se mirent à danser, valser. Le spectacle la laissa muette un instant, tandis qu’elle frissonnait de plaisir. Le dancefloor était vide ; la boîte avait été fermée quelque temps auparavant par les hunters, et elle le savait. Elle savait aussi qu’elles auraient de sérieux ennuis si quelqu’un les trouvait ici, mais là était tout l’intérêt. Là était tout le jeu.

« Oh. My. » Lilo était déjà rendue aux platines où le DJ aurait dû se tenir, qu’Elisa n’avait pas quitté l’endroit où son amie l’avait laissée. Elle laissa finalement les patins tomber de son épaule et s’assit. Ses Converses tombèrent rapidement au sol, tandis qu’elle les remplaçait par les deux chaussures à roulettes volées dans la boutique vieillotte à quelques rues de là. Et dès qu’elle fut sur pieds, ce fut pour se mettre à patiner, le cœur léger. Elle roula jusqu’aux platines, écarta Lilo d’un léger coup de hanche et posa ses mains sur l’instrument de travail familier qui lui était laissé à entière disposition pour la nuit. Animer le strip-club ne la passionnait pas. Ce n’était pas le boulot qu’elle aurait voulu faire, pas l’endroit où elle aurait voulu vivre. Mais là, c’était différent. Là, c’était un total libre-accès à l’univers de la musique et du mix, pour une nuit. Ce n’était qu’une nuit, qu’un temps. Un moment de pure folie, d’ivresse et d’amusement. Un moment d’égarement. Un moment de liberté.

« Laisse faire les pros. And let's dance. » Et qu’elle monte le volume sans se soucier de rien, la Hyde. Éprise de liberté et d’une incroyable envie de s’amuser. Pas un seul instant elle ne pensa aux Hunters qui patrouillaient sûrement non loin, après la fausse alerte de l’alarme du magasin. Elle maintint son casque contre son oreille droite, se mit à mixer de la main gauche. La notion de danger lui était complètement sortie de l’esprit, alors qu’elle roulait d’un patin à l’autre, sur quelques centimètres, conservant un excellent équilibre. Elle sentait l’adrénaline au creux de ses veines, le désir de vivre toujours plus intensément faire battre son cœur.

Le sourire ne se décrochait pas, son esprit ne redescendait pas. Et elle n’avait d’ailleurs pas prévu de retomber avant que cette nuit soit entièrement terminée. Les jambes en coton, les oreilles qui bourdonnent. La fatigue qui les assomme, et la sensation d’enfin s’être repue de quelques heures à réellement profiter de la vie comme elle était : intense, et synonyme d’une éternelle liberté. Oubliant totalement à quel point elle pouvait aussi s’avérer dangereuse, ces derniers temps.

hors jeu :

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— ELISA & LILO —

Danser, boire, s'amuser. Des activités qui lui avaient manquée depuis qu'elle errait seule dans cette pleib de merde. Des activités qu'elle avait apprécié avec Elisa il y a si longtemps, alors qu'elle était encore plate comme une planche et loin d'être en âge de se jeter dans ce genre de choses. Mais sa vie n'avait jamais été simple. Elle n'avait jamais été cette gamine à se lever le matin, déjeuner et enfiler son sac à dos pour aller à l'école. Pas depuis qu'elle avait fui l'orphelinat. Pas depuis qu'elle ne faisait que courir, ne restant jamais au même endroit bien longtemps. Pas depuis qu'on ne voulait pas d'elle nulle part. Alors avoir trouvé la Hyde la première fois, une âme comme la sienne, assoiffée de nouvelles aventures, incapable d'être enchaînée bien longtemps, avait été une chose. La retrouver ici, après temps d'années ; un miracle... si elle croyait à ce genre de choses. Pas vraiment, mais qui était-elle pour ne pas être poétique quelques courts instants, à observer son amie enfiler les patins et s'approcher. « Laisse faire les pros. And let's dance. » La musique bourdonnait alors avec plus d'insistance quand Elisa se plaça derrière le disque. Hunters, police, rien ne semblait pouvoir tarir ce moment. Enfilant à son tour les patins à roulettes, Lilo était secouée de quelques rires. Naturelle. Gamine simplement heureuse, avec cette sensation que rien ne pouvaient les arrêter toutes les deux. Mélange d’adrénaline et de bien-être des plus simples. Lilo, elle n'avait pas besoin de tout l'argent du monde pour être heureuse. Elle n'avait pas besoin de la dernière voiture à la mode, des vêtements à 1000 $ la paire de chaussettes. Non, elle avait seulement besoin d'une amie. D'une famille. De gens qui ne la traitaient pas comme le monstre qu'ils s'entêtaient à peindre d'elle. Alors, elle se précipita sur la piste, patins aux pieds à rouler dans l'espace vide envahit de lumières vives.

Rose, bleu, mauve, jaune, un tourbillon coloré qui brouillait son regard au rythme de son coeur qui s'emballait avec la musique. Mais il manquait quelque chose... De l'alcool. Il n'y avait pas assez du liquide de vie dans leurs veines. Alors, Lilo ricana avant de passer près du stand où Elisa jouait la DJ. « Ah, mais ça manque de bouse, ma belle. Attends-moi, j'vais nous chercher de quoi perdre la tête. » Un clin d'oeil plus tard, la voleuse se laissa rouler en se dandinant directement vers le mur. Mur qu'elle traversa pour se retrouver dans l'arrière-boutique, la réserve d'alcool et où ils gardaient aussi l'argent. Main passant dans le coffre-fort, elle tira quelques billets et les fourra dans ses poches. Un petit vol pour la route. Puis, elle chercha dans les rangées les plus belles bouteilles. Vodka, tequila, rhum. Un peu de tout. Les mains pleines, elle retourna vers la salle de danse et passa une nouvelle fois par le mur pour s'arrêter d'un seul coup. Les bouteilles tombèrent sur le sol, alors que ses doigts se déliaient devant la surprise qui l'attendait. Elles n'étaient plus seules. Elle n'entendit même pas les éclats de verre s'écraser sur le plancher et couper une partie de ses chevilles. Durant sa courte absence, une autre jeune femme semblait s'être invitée à la fête. Et Lilo devinait tout de suite qui cette inconnue pouvait être ; une chasseuse. Et... La jeune mutante chercha Elisa du regard qui ne se trouvait plus derrière les planches de musique. « Elisa... » Soudain, la soirée n'avait plus rien d'amusant et elle s'affolait. Pas pour elle, mais pour son amie. Tous ceux qu'elle aimait finissaient par se blesser... se faire tuer... à cause d'elle. Et Elisa... Elisa. Non, elle ne voulait pas le croire alors qu'elle posait un regard noir sur la nouvelle venue, prête à se rendre intangible si elle tentait de tirer sur elle ou quoi que ce soit. « T'étais pas invitée, ma vieille. » Laissa-t-elle tomber entre ses dents, à peine audible par dessus la musique qui se répercutait encore dans la pièce.

C'était trop beau pour durer. Trop beau pour exister. Une nuit de liberté, c'était un interdit, par ici. Il aurait fallu, pour cela, pouvoir se transporter au paradis. Quitter la terre une bonne fois pour toute, et reposer en paix. Il aurait fallu que tout se termine, que ce don – qu'elle apparentait de plus en plus à une malédiction – ne soit supprimé. Mais rien ne lui garantissait, pourtant, que le Paradis existait. Elle s'était posé les questions existentielles de vie et de mort un certain nombre de fois. Elle s'était interrogée sur les fondements terrestres, divins. Le Paradis, l'Enfer ; tout ça était trop abstrait, pour quelqu'un comme elle. Elle ne pouvait pas mourir. Ne pouvait pas s'enfuir de cette foutue planète. Pas le droit au repos, pas le droit de respirer. Continuer, encore et toujours. Poursuivre, jour après jour, l'horreur de la vie. Tenter de ne pas trop courber l'échine, et de conserver des raisons de vivre. Vivre dans le corps d'Arabella était compliqué. Cette fille influençait son caractère, elle le sentait. Une douce lâcheté qui motivait le moindre de ses actes, un degré de méfiance défiant l'imagination ; et, surtout, une volonté de liberté à toute épreuve. Elle savait la jeune femme comme ça avant sa mort. Et pour la première fois depuis sa toute première mort, elle avait conscience d'être influencée par ce qui avait été la personnalité du corps qu'elle occupait. Une idée qu'il lui faudrait méditer, un jour. Mais pas maintenant. Maintenant, c'était le moment d'oublier. Le moment de s'oublier. On verrait ça plus tard. Bien plus tard.

Tout se passa trop vite. Elle avait senti ses muscles se détendre quelques minutes auparavant. Prête à se laisser aller, prête à s'amuser librement et sans limites, jusqu'au bout de la nuit. Comme Lilo l'avait voulu. Comme Lilo le lui avait permis. Et puis, muée par son instinct, elle avait levé le nez. Elle avait vu cette fille, qui n'avait définitivement rien à faire ici. La surprise avait submergé rapidement son esprit. Surprise de ne pas l'avoir sentie arriver – la musique l'accaparait, le rythme l'avait possédée. Elle sait que derrière elle, Lilo revient. Mais le temps s'accélère encore. Une arme à feu pointée sur elle lui fait écarquiller les yeux. Les coups de feu détonnent, et elle ne peut rien pour les empêcher. Pas plus que Lilo. Elle a à peine le temps d'entrouvrir les lèvres. Pas le temps d'un mot. Pas le temps d'un soupir, pas le temps d'un cri. Le simple temps de la fin d'une vie.

Elle s'effondre mollement au sol, la poupée basanée. Le monde est devenu noir, lorsque les balles ont perforé la chair sans résistance. Elle ne voit pas la furieuse panique de Lilo – bientôt soldée par une fuite tout à fait justifiée par le vacarme des sirènes au loin –, ni même le volte-face instantané de la funeste inconnue. Venue pour tuer. Objectif accompli, plus rien à faire ici.

Un corps sans vie sur le plancher. La musique continue de tanguer, de battre le rythme d'une soirée qui n'a pourtant plus rien d'endiablée. Notes inconscientes de la tragédie qui vient de se dérouler. Inconscientes du crime que vient de commettre un désir trop poussé de liberté.