« Pourquoi es-tu revenu?! » s'écria Laura. « Qui élèvera notre fils si tu es ici?! » ajouta-t-elle, au comble du désespoir. Il était trop tard, il ne lui restait plus assez de temps pour agrandir le portail à nouveau. Il ne restait que quelques minutes avant la fin et ils ne s'en sortiraient pas. Les gens qui les avaient emprisonné ici avait décidé de tirer un trait sur le projet EVOLUTION et de plier bagage. Cela voulait dire qu'ils effaçaient toutes les traces, ce qui incluait la centaine de transmutants qu'ils gardaient captifs dans leur laboratoire situé à quelque part dans le fin fond de l'Antarctique. D'un moment à l'autre, l'endroit allait exploser et il n'y aurait aucun survivant. « Il aura une vie normale, Laura. » Aussi déchirante qu'elle avait pu être, la décision qu'il avait prise était la bonne. La femme et son mari adopteraient l'enfant; ce dernier ne manquerait de rien et serait chéri par ses nouveaux parents. « Quand il grandira, il sera seul lorsque se manifestera son pouvoir. Il sera différent et devra vivre dans l'ombre, » rétorqua-t-elle. « Il ne sera pas seul, je t'assure. » Stephan fusionna son esprit au sien. Il lui montra la jolie ferme où leur fils grandirait. Il lui montra la femme qui la remplacerait, cette femme qui priait depuis des années pour que Dieu lui accorde le bonheur d'être mère. Il lui montra l'homme qui allait le remplacer, un homme bon et qui aimait tendrement sa femme. Les épaules de Laura s'affaissèrent. Elle comprenait que leur malchance apparaîtrait comme une bénédiction pour d'autres. « Il ne saura jamais qui nous étions, » murmura-t-elle. « Et il ne saura jamais que ce lieu horrible a existé. » Ils s'étreignirent au moment même où ils étaient désintégrés.  

Il y a neuf ans, jour pour jour, Ferris Steel était entré dans leur vie. Souvent, Pamela et John Steel s'arrêtaient un moment pour observer leur fils, comme s'ils avaient peur qu'il disparaisse aussi soudainement qu'il était apparu. Pendant des années, ils avaient essayé d'avoir un enfant et les médecins n’avaient jamais trouvé la raison pour laquelle elle ne tombait pas enceinte. Dieu sait combien elle avait prié pour que la venue d’un enfant leur soit accordée. Elle n’était pas vraiment croyante ni pratiquante, mais il ne lui restait plus qu’à se tourner vers le ciel. Elle avait trente ans et n'avait toujours pas d'enfant. Si on lui avait dit qu'un jour, elle trouverait un bébé sur le perron lorsqu’elle reviendrait chez elle, elle aurait ri. Et pourtant, c’était ce qui était arrivé. D’une certaine façon, l’Univers avait fait en sorte de répondre à ses prières. Elle n’avait jamais raté une messe du dimanche depuis.

« Quoi, tu voulais que je le laisse massacrer tout le monde? » interrompit Ferris, désormais âgé de treize ans, avant même que son père n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche. Ce jour-là, on avait accouru aux vestiaires des garçons après avoir entendu des coups de fusil, et on avait retrouvé Ferris, un élève inconscient et une arme qui gisait un peu plus loin. Par chance, Ferris se trouvait dans les vestiaires lorsque l'autre était entré et avait verrouillé la porte - croyant l'endroit désert - afin de sortir son flingue, comptant faire de l'école une boucherie. Les deux garçons s'étaient battus, quelques balles avaient été tirées au passage et Ferris avait fini par arriver à assommer l'autre étudiant. « Évidemment que non... mais tu as pris de très gros risques, aujourd'hui, » dit gravement son père. « Tu sais bien qu'il n'aurait pas pu me faire de mal, » contra Ferris. « Ce n'est pas ce dont je te parle... si certaines personnes apprenaient que tu avais ce pouvoir, elles seraient prêtes à tout pour l'exploiter. » Ce n'était pas la première fois qu'ils en parlaient. Depuis qu'il était petit, son père lui rappelait souvent de rester à l'écart des bagarres et de garder secret cet aspect de lui. Coup de bol, il n'y avait pas de caméras de surveillance à l'intérieur des vestiaires et l'autre gamin avait plaidé coupable devant les policiers. Ferris avait attiré l'attention sur lui par son intervention courageuse, mais heureusement, les gens n'avaient pas posé de questions trop compromettantes. « Pourquoi je ne peux pas être normal? » demanda le garçon. Il ne voulait pas de ce don, ni être différent des autres. « Je ne sais pas. Mais un jour peut-être, tu comprendras pourquoi tu es spécial. En attendant, tu dois éviter que les gens se posent des questions. »

« Que fais-tu? » s'enquit Pamela. Elle était accotée sur le cadre de porte du bureau de son mari, où son époux ne passait que très peu de temps. Tout le monde le savait, c'était un homme qui préférait de loin passer ses journées à l'extérieur plutôt que d'être cloîtré à l'intérieur. « Je regarde les affaires de papa, » répondit Ferris. Depuis qu'il travaillait avec son père, c'était la partie du travail que le jeune homme préférait : dompter la paperasse. Au bout de plusieurs semaines, il arrivait enfin à y voir un peu plus clair. Il avait mis à jour, trié et classé de nombreux dossiers laissés pèle-mêle depuis trop de temps. Si son père n'était pas à cheval sur ce qui était d'ordre bureaucratique, Ferris n'était pas du même avis. « Il n’a vraiment aucun sens des affaires. »« Et tu viens juste de t’en apercevoir? » le taquina Pamela. Depuis qu'ils vivaient ensemble, en plus de travailler comme enseignante, Pamela était aussi celle qui se chargeait de tenir à jour les comptes. C'était là le principal défaut de son mari, car il se montrait trop généraux et concluait souvent de mauvais marchés. Mais elle s'en accommodait, car son époux possédait bien évidemment des qualités extraordinaires.« Il aurait vraiment besoin d’un conseiller en gestion, » dit-il. « Rien ne t’empêche de l’être, »  observa-t-elle. « Pour ça, il faudrait que j’aille à la fac. » Elle sentit une pointe de regret dans la voix de son fils. C'était un intellectuel et elle devinait qu'il mourrait d'envie de retourner sur les bancs d'école. Depuis qu'il était jeune, il avait toujours aimé lire des bouquins et les jeux d'esprit. Après tout, il était son fils à elle aussi. « Il n'est pas trop tard pour aller à l'université, tu sais. »  « Mais… papa est tellement heureux qu’on travaille ensemble… » « Tu vas toujours pouvoir continuer de le faire, alors je ne vois pas du tout où est le problème, » Les craintes de son fils étaient infondées et elle comptait le lui faire comprendre. La date limite des inscriptions pour la session d'automne n'était pas encore arrivée et Ferris avait un excellent dossier académique. Son cœur de mère l'avait suffisamment vu se morfondre au cours de la dernière année. « Non, ce que je veux dire, c’est qu’il est fier que je suive ses traces. », expliqua Ferris. « Est-ce réellement ce que tu veux? » s'enquit sa mère. Ferris baissa les yeux. « Pas vraiment, mais… » « Ton père sait bien que tu n’es pas fait pour le métier, » dit-elle en riant. « Il attend juste que tu te décides enfin à le lui dire. » Son mari savait depuis belle lurette que leur fils n'était pas fait pour être entraîneur de chevaux de courses. Il s'attendait à ce que fiston prenne son courage à deux mains pour le leur annoncer, mais Pamela connaissait bien leur garçon, trop gentil pour oser les décevoir. « C’est vrai? » demanda Ferris, une once d'espoir dans la voix. « La seule chose que ton père et moi voulons, c’est que tu sois heureux. » Pour la première fois depuis des mois, elle vit un sourire, un vrai, illuminer le visage de son fils.

« Et puis, il y a du progrès avec Miss Thorne? » De temps en temps, Pamela rejoignait son fils à la pause du midi, à mi-chemin entre le bureau du procureur et l'université de Louisville. Ils étaient devenus des habitués de ce café. « Tu parles de Miss Dominatrix? » C'était le seul surnom qui lui était venu en tête pour décrire la personne de la jeune assistante du procureur général. Il ne lui restait qu'une session à réussir à l'école de droits avant de passer l'examen du Barreau et être officiellement avocat. Pour ce dernier trimestre, il était en stage jusqu'au mois de juin.« Elle est toujours aussi autoritaire, colérique, ambitieuse et prétentieuse... et on peut rajouter bornée sur la liste... brillante, aussi, » finit-il par reconnaître. Ils étaient à peu près du même âge, et elle avait obtenu sa licence du Barreau à vingt-trois ans seulement, ce qui était très impressionnant. À vingt-sept ans, il était dans la moyenne; la plupart des jeunes avocats terminaient leur formation autour de cet âge-là. Il avait fini par apprendre que Rosemary Thorne avait sauté une année à l'école primaire et qu'elle avait suivi une formation accélérée. Son côté bourreau du travail avait pris racine il y avait des années. Son travail, c'était sa vie. Il semblait qu'elle ne vivait que pour son travail. « J'imagine qu'elle veut gérer tout le monde à défaut de s'occuper d'elle-même, » fit distraitement Ferris, réfléchissant tout haut. « Elle va se rendre malade plus vite qu'elle ne le pense. » Il ne s'aperçut pas que Pamela le dévisageait. Pour cette dernière, il était évident que son fils n'appréciait pas sa collègue de travail mais qu'inconsciemment, il se préoccupait de son bien-être. Pour l'instant, elle ne savait pas quoi en penser. « Ton père et moi pensions que tu passerais à la maison plus souvent, » dit-elle, car elle tenait à en parler avec lui. Quand il était entré à la faculté de droits, il avait pris la décision d'aller en résidence afin de facilité ses études, et passait les week-ends et les relâches scolaires à la ferme. Mais depuis les deux derniers mois, il n'était venu leur rendre visite qu'une ou deux fois. « J'ai plus de travail que j'avais prévu, alors... » commença-t-il, mais Pamela connaissait assez bien son fils pour savoir lorsqu'il ne disait pas la vérité... ou du moins, pas en totalité. « Je sais que tu ne me dis pas tout, Ferris. »« Tu te souviens combien j'étais malade, la dernière fois? » commença-t-il, hésitant. Elle hocha de la tête. Oui, elle s'en souvenait. Il avait été dans un état épouvantable : le teint blême, en proie à d'intenses migraines, il s'était même mis à saigner du nez.  Depuis qu'il était petit, Ferris n'avait pratiquement jamais été malade. Inquiets, ils l'avaient emmené à l'hôpital de Louisville. « C'est ce qui arrive lorsque je me trouve à plus d'une certaine distance de Rosemary. » « Comment est-ce possible? » s'exclama-t-elle. « De la même façon que le métal ne me fait rien, j'imagine... mais elle n'est pas consciente de l'effet qu'elle produit, » dit-il à voix basse. Il semblait que seule la personne que Rosemary attirait auprès d'elle souffrait des effets de la séparation. Il en avait conclu qu'il pouvait se trouver dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres, mais qu'après cela, plus la distance augmentait, plus la détresse physique augmentait. « Vous devez absolument en parler, Ferris. Elle doit apprendre à le contrôler, » insista la quingénaire. « Peut-être qu'il ne se contrôle pas, » dit-il avec un air lugubre. Après tout, il n'avait aucun pouvoir sur le sien non plus.  « Que vas-tu faire? » s'enquit Pamela. « Je ne sais pas. J'y travaille. » Il regarda sa montre. « Je dois y aller. Dis à papa que je suis vraiment occupé, d'accord? Je vous appellerai ce soir. » Il se dirigea vers le comptoir et commanda un sandwich et un cappucino à emporter. « Tu as encore faim? » s'exclama sa mère, incrédule. Cet enfant mangeait pour trois, c'était incroyable. « Je t'ai dit que Miss Dominatrix ne pensait pas à manger, non? Elle crache moins de feu si je la nourris, » dit-il en soupirant.

« Je resterai dans l'auto, » dit la jeune femme en gardant les yeux rivés sur la route. Ils venaient de quitter la ville pour la campagne. C'était le jour de Thanksgiving, et manquer le souper traditionnel était impensable. Pamela Steel y tenait dur comme fer. Après avoir trimé dur, il avait finalement réussi à convaincre Rosemary de l'accompagner. « Mes parents ne sont pas des monstres, » dit Ferris, sur la défensive. Il doutait qu'on puisse faire mieux que ses propres parents. Ils lui avaient inculqué de bonnes valeurs, l'avaient chéri et le soutenaient. Et même quand ses paroles et ses gestes pouvaient dépenser sa pensée, ils ne lui tournaient jamais le dos. « N'invente pas des choses que je n'ai pas dites, » rétorqua-t-elle, du tac-au-tac. « Je n'ai vais quand même pas fêter Thanksgiving avec ta famille, » fulmina-t-elle. Elle avait finalement appris qu'elle était une transmutante lorsqu'elle avait passé le test de dépistage. C'était donc vrai, elle exerçait une sorte d'attraction involontaire sur farm boy, ce qui expliquait pourquoi il était inévitablement toujours dans les parages. Cela la rendait furieuse contre elle-même. Pourquoi, parmi toutes les personnes qui peuplaient cette planète, fallait-il que cela retombe sur lui, son collègue de travail timoré? « C'est là, » dit-il lorsqu'ils approchèrent de l'entrée de la cour. « Wow! » s'exclama-t-elle malgré elle, alors qu'ils progressaient lentement vers la maison. De chaque côté, l'allée principale était bordée par des prés bien découpés où quelques chevaux broutaient paisiblement. Elle était faite pour la vivre au cœur de la ville, mais elle reconnaissait que la campagne possédait un certain charme unique. « Ferris! » Pamela étreignit affectueusement son fils lorsqu'il émergea du véhicule. « Salut, maman. » La dame jeta un coup d'œil à Rosemary. « Elle ne sort pas? » « Impossible de la faire changer d'idée, » expliqua-t-il. Pamela cogna à la vitre de l'auto. À contrecoeur, Rosemary baissa la vitre. Elle avait déjà vu la mère de son collègue une fois, si elle se rappelait bien. « Bonjour, Mme Steel. Comment allez-vous? » dit-elle poliment. « Nous sommes vraiment heureux que vous soyez venus, » répondit Pamela avec un grand sourire. « Ferris ne pouvait pas ne pas être là aujourd'hui... » Rosemary esquissa un sourire, mais il n'atteignit pas ces yeux. « Le souper est presque prêt. J'espère que vous avez faim! » Ferris sourit, amusé, sachant que sa mère devait avoir été aux fourneaux depuis la veille pour que tout soit prêt à temps. Elle cuisinait toujours pour une armée. « C'est vraiment gentil, » commença Rosemary, « mais j'ai quelques détails concernant le travail, alors je... » « Oh, vous pourrez vous installer dans le bureau après le dîner. Vous y serez tranquille, » interrompit gentiment Pamela, tout en étant implacable. Il n'y avait pas d'ouverture à un refus. « D'accord, » finit par capituler la jeune femme. Elle finit par sortir du véhicule, non sans réticence. « Je suis bouche bée, » dit Ferris à sa mère alors que Rosemary ne prêtait pas attention. « Je gère des élèves depuis plus de vingt ans. J'ai plus d'un tour dans mon sac, chéri, » répondit-elle avec un air entendu qu'il ne comprit pas.

« Quoi? » s'énerva Rosemary. « Tu n'étais pas supposée bosser? » demanda Ferris, narquois. Il avait découvert une facette différente de l'assistante du procureur, comme s'il avait réussi à la faire sortir de sa coquille. « Je le ferai ce soir, c'est tout, » répliqua-t-elle, désinvolte. « Alors, tu les a aimés? » reprit-il après un moment. « De quoi tu parles, Steel? »« De mes parents. » Rosemary garda le silence pendant quelques minutes. « Ce sont des gens biens. Tu as de la chance. » « Ils t'apprécient beaucoup. » Il ne savait pas pourquoi, mais il était heureux que ses parents et Rosemary s'entendaient. « Hé! Sais-tu depuis combien de temps je n'avais pas mangé un repas en famille? » demanda soudainement Rosemary. « Quand le cancer a emporté ma mère, mon père s'est éclipsé dans son travail et ma sœur a fichu le camp en Californie... on ne fait plus rien depuis des années. » Sa voix se brisa. Enfin, elle commençait à s'ouvrir à lui et Ferris commençait à saisir pourquoi la blonde était aussi difficile d'approche. Elle avait un vécu dont les blessures n'étaient pas encore guéries. « Eh bien, ma famille célèbre Noël, le Nouvel An, Pâques, la fête des Mères, la fête des Pères, le jour de l'Indépendance, la fête du Travail et Thanksgiving, » dit-il. « Je peux leur proposer de célébrer le jour de la marmotte, aussi, » ajouta-t-il, l'air faussement innocent. « Steel, » rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel, « j'ai vu la famille de mon ex-copain à peu près trois fois en deux ans, alors si tu crois que je... »  « oh, tu ne tiens sûrement pas à expliquer pourquoi tu visiterais aussi souvent les miens, » l'interrompit-il, goguenard. « Qui sait, les gens pourraient se faire de fausses idées, » suggéra-t-il avec un sourire en coin. « Boucle-la, Steel! » Leurs chamailleries avaient repris de plus belle. C'était mieux ainsi.

Après Thanksgiving, la relation entre Ferris et Rosemary s'était améliorée. Elle avait effectivement passé Noël et le jour de l'An en compagnie des Steel. Cela avait pris du temps, mais ils avaient fini par devenir amis. « Dépêche-toi! » le pressa-t-elle impatiemment. Rosemary avait décidé de revenir vivre à Radcliff, sa ville natale.  Aujourd'hui, ils emménageaient officiellement dans la ville. Ferris n'était guère enchanté par l'idée. La rumeur voulait que Radcliff était un nid à Hunters, des gens qui voulaient éradiquer les transmutants, alors habiter dans le coin ne lui semblait pas être une bonne idée. Évidemment, Rosemary voulait qu'ils soient dans le feu de l'action précisement pour cette raison. En tant qu'assistante du gouverneur général, elle voulait garder un oeil sur le nouveau maire et veiller à ce que le Traité de protection des mutants soit respecté. Est-ce qu'il avait avait réussi à la raisonner? Non, bien sûr. Au moins, il avait insisté pour qu'ils soient colocataires. « Un effort, Steel! Tous ces muscles doivent bien servir à quelque chose! » ajouta Rosemary. Il leva les yeux aux ciels. C'était lui qui déchargeait les boîtes les plus lourdes et c'est comme ça qu'elle le remerciait? Cette fille était un phénomène. Elle lui tint la porte grande ouverte afin de lui donner accès à l'intérieur de leur appartement. « Tu es mon premier coloc, » le prévint-elle. « Est-ce que j'avais le choix? » La taquina-t-il. « Pas vraiment, non. » Quand il eut déposé les boîtes au sol, elle virevolta et lui sauta au cou. « Je sens qu'on va se plaire, ici! » Il sourit. Malgré sa nature épineuse, Rosemary Thorne était charmante.

« Rose? » En guise de réponse, le son du verre qui éclate en mille morceaux sur le sol retentit. En vitesse, Ferris se départit de son manteau et l'accrocha sur la patère. Quelques secondes plus tard, il déboula dans la cuisine. Rosemary était là, assise au comptoir lunch et venait d'échapper une bouteille de champagne par terre. « Oups, » lâcha la jeune femme, qui venait de se rendre compte de l'accident.« Ne touche à rien, et tu as assez bu, » dit-il fermement, alors qu'il ramassait les dégâts. Plus tôt, ils étaient sortis célébrer le réveillon dans une boîte. Il était trois heures du matin et Ferris ramenait une Rosemary très très saoule à l'appartement. « Mais on n'a pas célébré ma résolution de la nouvelle année! » protesta bruyamment Rosemary. « Quelle résolution? » demanda Ferris. « Je suis une nouvelle heureuse vaccinée! » s'écria-t-elle. « Tu ne sais plus ce que tu dis, »  rétorqua-t-il. « Hé! Je suis sérieuse! » Elle se retourna et lui dévoila l'endroit où le vaccin avait été prodigué. Il n'y avait pas de doute: Rosemary disait bel et bien la vérité.« Il n'y a plus rien entre nous, » C'était fini le temps où elle gâchait sa vie.  Elle lui rendait sa liberté. Il pouvait aller n'importe où, n'importe quand; il était un homme libre, à présent. C'était ce qu'il méritait, pensait-elle. « Pourquoi, Rosemary?! » Il était en colère. Il ne comprenait pas la raison pour laquelle elle avait osé mettre sa vie en péril. Le vaccin n'était définitivement pas sans dangers. Il y avait de nombreux effets secondaires qui pouvaient s'avérer fort handicapants, voire fatals dans les pires scénarios. Il l'avait mise en garde, mais, évidemment, elle n'écoutait jamais rien. « Ce qui est fait est fait. », contra-t-elle en pouffant. Ferris soupira. Finie comme elle était, il était tout simplement inutile d'insister. Ils en reparleraient plus tard. « Je crois que tu devrais t'allonger, »  lui conseilla-t-il. « Je... je vais être malade. »  En se levant précipitamment, Rosemary manqua de perdre l'équilibre, mais Ferris la rattrapa de justesse. Il passa un bras de la jeune femme autour de son cou, la soutint jusqu'à la salle de bain et lui tint les cheveux alors que la blonde était aux prises de violents vomissements dus à l'alcool et à la dose de NH25 qu'elle avait dans le corps. Il l'aida ensuite à s'étendre dans son lit. Plusieurs allers-retours allaient être nécessaires entre la chambre et la salle de bain. « Tu n'es pas obligé de rester, », dit Rosemary lorsqu'elle revint finalement à elle-même, entre deux hauts-le-coeurs. Elle se sentait misérable, non, elle était misérable. « Tu es libre comme l'air, désormais, » lui rappela-t-elle. Il y a deux ans, Ferris aurait tout fait ou presque pour avoir la possibilité de prendre ses jambes à son cou... mais aujourd'hui, alors qu'il le pouvait, il ne le faisait pas. « Je ne vais nulle part, Rose. »