« Asael, tu comptes sortir de ton placard un d'ces quatre ? » Elia rigole bien de sa blague : c'est elle qui a enfermé Asa, pour se divertir comme elle dit. Lui, il dit trop rien. En soit, il est habitué aux mauvaises farces de sa sœur. De ses sœurs. Liguées contre lui. Quelle idée d'être né mâle dans une tribu de demoiselles. Asa, il a quatre sœurs. Il est au milieu, même pas le petit dernier. Toutes sont plus bavardes que lui, plus sociables, plus déterminées, plus casse-cous. Lui, c'est le silencieux de la bande. Pas le moins efficace toutefois. Alors, quand sa mère débarque à l'improviste dans la chambre où ricanent les filles, elle les fâchent et elles se justifient : « M'man, nous punis pas. Tu sais bien que si Asa avait voulu sortir, il l'aurait fait ! » Elia a raison. Mais Asa est bien, seul dans le noir.

Elia n'est pas la plus âgée de ses sœurs. C'est celle qui vient juste avant lui, dans la chronologie. Ils n'ont que dix misérables mois d'écart. Mais c'est elle qui a le plus de gueule, de tempérament, et certainement le plus de charisme aussi. A tel point que toutes, avec leurs caractères différents, se sont ralliées à elle. Même Leah, la plus jeune. Et Rachel, la plus vieille. Toutes. C'est le cerveau de leur bande de louves. Et Asael, il est tout à la fois leur jouet et leurs crocs. Elia et Asael, ils sont ensemble depuis gamins. Elle lui en fait baver un jour et vient pleurer sur son épaule le lendemain. Asa, il adore Elia. Parce qu'au fond, ils savent tous les deux que l'un sans l'autre, ils sont moins forts. Beaucoup, moins forts.
Rachel, Elia, Asael, Mary et Leah sont les cinq enfants de Jacob Shelley et son épouse, Rebecca Shelley, née Reeves. Foyer croyant tout ce qu'il y a de plus normal aux yeux du commun des mortels. Sauf que tous ignorent le plus important. Car au sein de cette famille aimante, soudée, file de générations en générations un lourd tribut. Chasseurs. Et ne les imaginez pas, fusil à l'épaule, à marcher dans la forêt glacé du nord-ouest de l'Angleterre d'où ils sont originaires, vêtus de treillis et à espérer ramener du beau gibier. Car ces chasseurs-là n'ont rien à voir avec ceux qui attendent l'automne pour appuyer sur la gâchette. Les Shelley traquent du gros animal. Ces bêtes imprévisibles, qui respirent comme les hommes, vivent avec leurs visages, et les dupent impunément. On les nomme mutants. Transmutants. Tares. Erreurs de la nature. Peu importent leurs noms, leurs origines, leurs dons, leurs ambitions : ils sont traqués comme les animaux qu'ils sont. Et ces cinq enfants-là n'ont pas échappé à leurs destins.

Tous sont passés par les mêmes épreuves. Les uns après les autres. D'abord, les histoires, racontées au bord du lit. Celles de ce monstre à visage humain, capable de cracher du feu comme un dragon, qui mange les enfants innocents, ou de cette famille presque humaine dont la soif de sang aura coûté la vie à tant de bonshommes. Des histoires sous le couvert de contes d'enfances qui s'impriment dans les têtes de ces gamins. Ensuite, pendant l'enfance, s'en vient un entraînement. La théorie, la pratique, sans qu'ils ne comprennent toujours pourquoi. C'est fait avec malice, avec intelligence. Personne ne soupçonne jamais rien : ces gamins qui pratiquent les arts martiaux, comme tant d'autres, qui font de l'athlétisme, du tir à l'arc. Les cinq, chacun leurs tours, trouvent leurs centres d'intérêt, l'améliorent. A treize ans, sitôt les bougies soufflées, ils sont invités à un rituel. Une histoire, racontée autour d'un feu de camp en pleine forêt. Une randonnée juste entre l'enfant et son père, qui se conclut avec une goutte de sang offerte à des aïeux sacrifiés par ces mutants. De toute façon, tous sont endoctrinés pour ne pas se poser trente questions. Aussi, aucun d'entre eux n'a refusé. Et tous, par ce geste, sont entrés dans le groupe presque sectaire des Hunters Shelley.

Asael n'est pas une exception : quand il a fallu faire perler une goutte de sang, il l'a fait sans hésiter, sans même parler. Asael, il obéit souvent. C'est un gamin sage, obéissant, qui ne fait pas de vague. On ne l'entend pas, mais il est intelligent. Très intelligent. Une tête d'ampoule, que les gros bras du collège ont rapidement remarqué.
« Hey la carpe ! » qu'ils commencent. C'est souvent ça, ou parfois la tombe. Des sobriquets, il y en a tant d'autres. Asael s'en fout un peu. Ils s'approchent de lui, leurs visages bouffis et leurs regards mauvais d'excitation. Asael, il est pas très grand, au collège. Il fait au moins une tête et demie de moins qu'eux trois. Mais il s'en fiche : il continue de marcher, son sac-à-dos sur les deux épaules, en direction de la bibliothèque. L'un d'eux descend de la murette sur laquelle ils sont tous trois installés et s'approche de lui. « T'as pas entendu qu'on t'cause, l'morveux ? » Il pause sa grosse patte sur le bras si peu épais d'Asael. L'autre se retourne, le regarde droit dans les yeux. Il n'a pas l'air effrayé du tout, ce qui perturbe une seconde le grizzli. « Qu'est-ce que tu veux ? » qu'il répond, patient. L'autre bombe le torse et lève un peu plus la tête pour assouvir physiquement sa supériorité. « Faut qu'tu comprennes : ici, t'es un microbe. Nous, on est les rois du collège, tu vois. Si on t'dis : file-nous ton sac, t'obéis. C'est clair ? » Les autres derrière lui rient grassement. Asael bouge pas d'un pouce. Il sait pas s'il doit répliquer quelque chose ou pas. « Et là, j'te l'dis : donne ton sac. » Il tend sa grande main et sourit. Asael soupire. Il tend la main à son tour et attrape les boudins qui servent de doigts à l'abruti. Sans une once de scrupule, il les tord d'un coup violent. Un crac sinistre suivi du cri de la brute. Les doigts forment un angle qui ne semble pas réel. « J'vous donnerai pas mon sac. Vous êtes des abrutis mais je compte sur vos rares neurones pour comprendre que vous feriez mieux de me laisser tranquille. » Son ton est froid, même pas tremblotant. L'autre pleure en tenant sa main abîmée tandis que les deux derniers se sont approchés à leur tour. Ils paraissent hésiter mais finissent par laisser leurs testicules par terre et s'en aller. Mauviettes. Asael ne se fera plus embêter de toute sa scolarité, traînant derrière lui une réputation floue de mec à ne pas titiller.

Le nez plongé dans ses bouquins, le garçon finit le lycée dans la même classe qu'Elia, redoublante malgré elle. Faut dire que si Asael est assidu et bûcheur, Elia n'a pas du tout le même tempérament. Ils sont, à quelques détails près, les deux faces opposées du ying et du yang. Toutefois, ils réussissent en même temps et s'échappent dans le même appartement du grand Londres. A leurs âges, ils ont fini leur entraînement. Ils ont déjà mené des chasses. Ils ont déjà rapporté des trophées. Leur binôme est complémentaire. Là où elle fonce tête baissée, il est là pour lui éviter le danger. Ils ne sont plus des apprentis, désormais. Ils sont libres de chasser là où ils le souhaitent, de la manière qui leur plaît, du moment qu'ils respectent les règles.
Sur les bancs de l'amphithéâtre, Asael apprend la biologie. Il aimerait trouver un virus pour éradiquer les mutants une bonne fois pour toute. Un truc contagieux qui se répandrait parmi tous les hommes. Un truc qui n'en laisserait aucun de côté, même pas le plus isolé. Ses projets sont secrets, tout autant que sa vie de chasseur, et que les transmutants à cette époque. Les rumeurs vont bon train, accompagnées de vidéos plus qu'équivoques sur le net. Foutue mondialisation, foutu Google. Asael voit bien que bientôt, c'est une nouvelle chasse qui va s'ouvrir à lui. Le compte à rebours est lancé : les transmutants seront bientôt révélés officiellement. Certains trouveront normal de s'affirmer en tant que tel, malgré les regards inquiets autour de lui. Ces mutants-là verront de près, trop près, les balles d'Asael. L'on ne brave pas Dieu, ni la nature, sans en risquer sa vie.

Vingt ans. Vingt années passées à chasser des démons. Quand soudain, le sort se retourne contre Asael. Sans s'expliquer. C'est alors un jour comme les autres. Un matin de printemps où le vent oblige les passants à bien fermer leurs vestes ou à glisser leurs mentons dans leurs foulards. Un matin ensoleillé. Asael est installé à une table de la bibliothèque universitaire, concentré. Son style tourne avec adresse autour de son doigt, inlassablement. A vrai dire, s'il lui a fallu des heures pour bien maîtriser le geste, il s'est désormais automatisé. Il lit donc, simplement, dans le silence offert par la bibliothèque. A cette heure matinale, peu d'étudiants sont présents. Asael a bien une fille qui bouquine, note, surligne, à côté de lui, mais elle ne lui adresse aucun regard. Tous deux sont finalement bien seuls dans leurs têtes. Quand soudain, le crayon d'Asael s'échappe d'entre ses doigts et glisse sous la chaise de la demoiselle. Le bruit les sort tous les deux de leurs concentrations respectives et leurs regards se croisent. « S'cuse. » marmonne Asa en cherchant des yeux son crayon. « Ah, il est sous ta chaise. » Elle sourit en se baissant pour le ramasser sans tarder. Elle le lui tend et leurs mains se frôlent.
Tout commence de là. De deux mains qui se frôlent.
Asael est pris d'un drôle de vertige et il se force à fermer les paupières. Sa tête se retrouve soudain pleine de pensées. Il en a mal au crâne, comme après des heures et des heures de révision intensives sans manger ni boire ni dormir. Mais les voix dans sa tête ne sont pas les siennes. Il reconnaît l'intonation de la bibliothécaire, qui roule ses r comme une écossaise, et qui songe à grignoter une barre de céréales. Du regard, il l'observe. Bouche close quand lui est persuadé de l'entendre parler. La panique se lit dans ses yeux et la fille à ses côtés s'inquiète : « Ca va ? T'es... tout pâle. » On dirait un vampire, pense-t-elle sans le dire à voix haute. Pourtant, il l'entend très distinctement et lui répond en ces termes : « J'ai juste mal au crâne. Et merci mais Dracula est très bien dans sa tombe. » Il se masse les tempes quand il entend à nouveau la fille parler. Comment... j'ai parlé à voix haute ? Et à lui de penser à son tour qu'elle est idiote et que oui, quand elle parle, c'est normal qu'il entende. Alors, il la sent s'offusquer. Idiote ? Quel connard celui-là. Il se tourne alors vers elle et lui jette un regard plus que noir. « T'es qui au juste ? Tu lis dans mes pensées ou quoi ? » La fille se fige et, tandis qu'il la dévisage très clairement, il entend dans sa tête sa réponse, mais ses lèvres ne bougent pas. Une mutante. Une télépathe. Ses grands yeux paniqués à l'idée d'être découverte, elle se lève et demande, sans parler officiellement : toi aussi, tu lis dans les pensées ? Asael réalise qu'il fait exactement ça et il s'immobilise à son tour. « Non, non je... c'est toi ! »
C'est eux. Lui plus elle. Combinaison étrange que personne n'aurait pu soupçonner.
Elle range à peine ses affaires et fuit. Il reste là, dans l'incompréhension la plus totale, à scruter ses pensées, ses faits et gestes, à essayer de rassembler les pièces de se puzzle pour mieux y voir. Mais tout reste flou. Les pensées squattent son crâne, même si elles appartiennent à d'autres que lui. Des gens qu'il croise, sa sœur quand il rentre à l'appartement. Un secret qu'il garde pour lui, un secret qu'il ne s'explique pas. Un secret qui lui fait peur. Bien plus peur que ces brutes du collège.

Cette mésaventure reste sagement dans un coin de sa tête, mais elle ne se reproduit pas. D'autres choses bizarres lui arrivent, parfois. Quelques heures pendant lesquelles il perd tout contrôle. Ses mains changent d'apparence soudain, selon la tâche qu'il se veut accomplir. Puis, tout disparaît et il reprend une longue inspiration après d'éprouvantes minutes d'inquiétude. Une autre fois, il hallucine qu'il s'est vu capable de voir à travers les murs. Trop d'éléments qui n'ont rien à voir, trop de pièces qui ne collent pas ensemble. Il manque un facteur. Alors, Asael nie en bloc. Il s'invente des raisons improbables. Drogué à son insu, victime d'un mutant extérieur. Toutes les raisons sont bonnes pour le rassurer. Mais une fois, c'est son gibier qui lui répond. Traqué, acculé, encore vivant mais presque mort, le transmutant le menace de ses mains fourbes et surnaturelles. Elles crachent cet étrange nuage toxique. Bien heureusement, Asael se prémunit intelligemment, masque à gaz sur le visage, arme à feu en main. Il ne lui laissera aucune chance. Sauf qu'Asael n'a pas prévu l'imprévisible. De la fumée sort soudain du corps entier du mutant, comme des spores verdâtres. Formant un brouillard aveuglant, le jeune Hunter recule d'un pas, par prudence. Mais l'autre lui saute au cou, dans un cri de rage, pour lui arracher son masque à gaz. L'arme rebondit plus loin tandis qu'ils se battent à mains nues dans le nuage toxique qui ne se dissipe pas. Asa frappe tout ce qu'il peut quand soudain, sous les poings de son ennemi, le masque à gaz se brise. L'air pollué s'infiltre jusqu'à lui, sous le regard satisfait du mutant. Il se croit vainqueur, il a bien raison, en théorie. Aucun homme ne survit à ce venin aérien qu'il disperse à volonté. Mais Asaël n'est plus un homme.
Et, tandis qu'il le laisse pour mort et qu'Asaël tente de fuir le nuage, il réalise qu'il n'éprouve aucune difficulté à survivre dans ce milieu hostile. Ses poumons ne le brûlent pas. L'oxygène ne lui manque pas. Il respire comme un poisson dans l'eau. Alors, il se lève, avance et récupère d'un pas son arme. Il hèle le mutant qui s'éloigne avec sérénité et se retourne. Leurs regards se croisent et la balle part.

« Je m'en vais aux States » annonce-t-il à Elia. Elle est en train de manger un sandwich, confortablement installée sur le canapé. En entendant sa voix, elle se tourne et le découvre, valise en main, prêt à partir. « Attends, t'es sérieux là ? » Il ne trouve pas utile de répondre : c'est d'une évidence telle. « Mais, et nous ? On bosse à deux depuis qu'on est mômes, tu peux pas m'laisser comme ça. » Toutes les tentatives de persuasion du monde ne suffiront pas à le faire changer d'avis. Il a déjà pris son billet d'avion. Alors, sans un mot, il s'approche et l'embrasse sur le front avant de faire volte-face, direction la porte. Elle se lève bruyamment et court derrière lui, en chaussettes, dans le couloir. Elle tente de lui soutirer des informations. Il n'en donnera pas : il a trop de choses à régler avec lui même. « Je te tiens au courant quand je suis arrivé. » Elle reste immobile. Elle se sent trahie, un peu. Elle ne comprend pas. Peut-être que s'il avait été plus clair, elle ne se serait jamais vexée. S'il lui avait dit que c'était pour les études, elle aurait approuvé. Mais dans son cœur, quelque chose se brise et elle le regarde partir dans le taxi. Caprice d'enfant, elle se fait mille promesses. Celle de devenir meilleur chasseuse que lui, qu'eux deux réunis. Celle de le retrouver, par delà les océans. Celle de lui prouver qu'il n'est pas le petit prodige. Qu'il ne l'est plus.

Dans l'avion, Asael regarde par le hublot les nuages qui s'éparpillent dans le ciel bleu. Puis, il fixe ses mains ouvertes. Si normales, si simples, si humaines. Serait-il l'un de ces démons ? Il en est venu à cette conclusion, même s'il en hait la simple pensée. Il a besoin d'être sûr. Alors, il s'éloigne de sa sœur, trop maligne sous ses airs de bourrine. Il part en Amérique, là où le président a reconnu l'existence des mutants. Dans tant d'autres pays, les gouvernements restent aveugles et sourds.
Non certain d'avoir pris une bonne décision, il se pointe dans une université cotée pour suivre son cursus en biologie. Quelques mois plus tard, la campagne de dépistage balaie le pays. La réponse est là, juste devant lui. Mais il hésite, tangue d'un pied sur l'autre. Et s'il était véritablement mutant ? L'on ne le convoque pas : il n'est pas citoyen américain et est encore invisible aux yeux du gouvernement. Pourtant, il meurt d'envie de savoir.
Il profite de la possibilité de faire un stage pour, curriculum vitae en main, se proposer au laboratoire qui traite les données du dépistage du gène x. Il comprend tout, alors. La manière de découvrir si tel ou tel individu est humain ou dégénéré. Il saisit un jour l'opportunité de creuser son identité. Le spectre du génome s'affiche devant ses yeux, clair, inéluctable.

Mutant.

Les règles des Shelley. Libérer ce monde de ces erreurs de la nature que sont les mutants. N'éprouver aucune compassion pour ces bêtes-là. Ne jamais douter. Que ce soit un enfant, une vieille femme, une sœur, soi-même. Asael aurait dû rentrer chez lui et tirer une balle dans son petit cœur. Il aurait dû. Il n'a pas pu. Le canon contre sa poitrine, il se laisse penser à tout et à rien. A ces souvenirs, ces convictions, qui le dévorent depuis qu'il est môme. A cette nouvelle réalité. Il ne s'est pas senti changer plus que ça. Personne n'en a jamais rien su. C'est son secret. Il mourra avec. Il vivra aussi avec. Parce qu'il ne compte pas en finir, pas aujourd'hui.
Alors, il déménage. Direction la ville de Radcliff. Il y passe, seul, Noël de l'année deux-mille treize. Seul, un livre de biologie entre les doigts. A maintes reprises, il croise des chasseurs. Il faut dire qu'ils pullulent, dans cette ville. Même le maire approuve leurs opinions définitives. Asa, il se positionne comme un Hunter solitaire. Il refuse qu'on le prenne à parti, qu'on veuille s'allier à lui, qu'on risque simplement de compromettre son identité. Alors, il regarde de loin la ville imploser. L'incendie des Hodgins. L'exécution de la gamine. Il se surprend à avoir mal au cœur. Coup dans la justice qui couve en son sein. Et puis, il subit cette cité qui déchante, à voir ses hommes devenir mutants et ses mutants reconvertis en anges. Il revient sur ses idées arrêtées. Se met à penser. Il ne l'a jamais fait. En a-t-il seulement eu le temps ? Et le droit ? Et si les hommes n'étaient-ils pas tous voués à muter ?

NH24. Promesse faite, promesse tenue. Première injection. Il tremble presque en rapprochant l'aiguille de son bras. Il sent le sérum glisser dans ses veines, former comme une boule sous sa peau,qui doucement diminue. Asael reprend son souffle. Ça y est, c'est fait.
Asael n'a pas un don commun, de ceux qui dérangent au quotidien. Il ne sait pas quand il ne fait pas effet. C'est plutôt quand il s'active qu'il le remarque. Alors, quand au bout d'une semaine, il retrouve, mémoire cellulaire oblige, tous les dons qu'il a croisé au cours de ces quatre dernières années et ce, tout en même temps, il croit devenir fou. Cloîtré dans son appartement minable à ravaler ses migraines et à vivre dans un enfer de brume toxique, le garçon perd toute notion du temps. La douleur le dévore. Puis, tout se calme doucement, un mois après. Une expérience de laquelle il a bien du mal à se relever. Un souvenir qui ne s'évanouit pas de ses pensées. Mémoire d'Asael, même les entraînements, les blessures, les premières chasses, ne l'ont jamais autant blessé que ces pouvoirs-là. Le sien, à se retourner tout contre lui. C'est sa fierté qui en ressort abîmée.

NH25. Il regarde longuement la seringue. Un contact l'a mis au courant de ce vaccin définitif. Que doit-il en penser ? A-t-il fait ses preuves ? Ont-ils suffisamment de recul pour en connaître les effets secondaires ? Doit-il céder ? Silencieux, il glisse la fléchette dans son arme fétiche et s'allonge, ventre contre le sol. Seul face à la lune, unique témoin de ce nouveau sauvetage qu'il s'apprête à réaliser, il glisse son œil dans la lunette. La silhouette de sa cible se découpe si clairement sur les pavés. Le cœur d'Asael bat dans sa poitrine à en résonner dans ses oreilles. Et soudain, cette question réapparaît dans sa tête. Lui, le scientifique, le biologiste, l'héritier de Charles Darwin.
Et si tous les hommes étaient voués à muter un jour ?
Alors, il lève son arme et se pose à genoux sur le toit de l'immeuble désert et silencieux. Il pose le sniper sur le rebord et prend sa tête entre ses mains. Qui diable est-il encore ?