« Concentre-toi Mason, c’est important. » la voix était ferme, telle un couperet définitif tranchant dans le sale caractère du gamin – il avait à peine douze ans, et déjà le caractère de chien qu’on lui avait attribué prématurément. Depuis combien de temps, ne voyait-il que rarement ses parents, tant ils se plaisaient à le foutre entre les pattes du merveilleux Docteur Hewitt ? L’on disait facilement qu’un enfant sans repère devenait vite de ceux sans limite, qui faisaient tout ce qu’ils voulaient, au gré de leurs envies : seulement, dans l’esprit de beaucoup, l’enfant Leinster était plus dangereux que n’importe qui d’autre – simplement parce que rien qu’avec son esprit, il était capable de soumettre tout ce qui l’entourait à sa volonté. Oui, un don on ne peut plus pratique : si seulement il ne s’était pas maintes fois appliqué à le détester plus qu’autre chose, blâmant cette chose en lui d’être ce qui avait poussé ses parents à le chasser de leur vie. Soi-disant pour protéger les autres. Protéger tout le monde : le Docteur Hewitt était-il le seul à même de dompter la bête qui dormait dans les gênes de l’enfant en face de lui ? Il était son seul ami en tout cas, la seule personne qui restait à ses côtés, et ne tressautait pas à chaque fois que, dans un excès de colère, Mason faisait s’envoler une partie du mobilier. « Pourquoi ce serait important, hein ? C’est pas comme si j’allais rentrer chez moi un jour. » il le savait, au fond de lui depuis un moment déjà. Et ses soupçons furent confirmés par le silence lourd de sens du Docteur face à lui : évidemment, celui-ci était généticien, et certainement pas acteur, proprement incapable de prétendre autre chose que la vérité pure et dure. Mason soupira, abandonnant définitivement toute envie d’être sérieux, de travailler ou même de faire preuve d’une quelconque bonne volonté. Il avait cru, pendant longtemps, que lorsqu’il irait mieux il pourrait rentrer chez lui : maintenant, ceci lui semblait totalement inaccessible. Allait-il passer toute sa vie à être un rat de laboratoire pour le généticien de génie qu’était le Docteur Hewitt ? Certes, c’était toujours mieux que d’être seul, sans doute. « J’vais te dire, je crois qu’on a trop travaillé – j’ai une faim de loup, pas toi ? » était-ce de la pitié, qui motivait soudainement les bonnes intentions du Docteur ? Le jeune garçon observa son interlocuteur avec surprise, sans savoir quoi dire ou quoi faire : devait-il franchement se raccrocher à cet instant comme étant la seule chose qui importait à ses yeux ? Chez ses parents, il y avait son frère, sa sœur ; il y avait toute sa vie, tous ceux qui l’aimaient. Tous ceux qui l’avaient rejeté. Le Docteur Hewitt était celui qui restait à ses côtés – peut-être bien parce qu’il était celui qui avait le plus à gagner dans tout cela. Et pourtant, malgré tous les calculs évidents qui se jouaient dans sa tête, Mason finit par hausser les épaules, abdiquant avec plaisir, un sourire naissant au coin de ses lèvres. Il avait une faim de loup lui aussi, et abandonnerait volontiers les électrodes et autres prises de sang pour une trêve ; son rêve semblait lui avoir déjà échappé depuis longtemps, de toute manière.

Il avait plié bagages avec discrétion, choisissant le moment où Shana était censée travailler : il avait pourtant fallu qu’elle rentre plus tôt, surprenant Mason et perturbant tout le plan qu’il avait soigneusement échafaudé. Evidemment, il avait oublié qu’elle finissait plus tôt ce soir-là, pour une raison ou pour une autre. Qu’est-ce que tu fabriques ?! avait été la réplique qui avait brisé son rythme effréné, et le Leinster n’avait trouvé rien de mieux à faire que fermer brusquement son sac pour l’embarquer sous le bras et tenter de prendre la fuite. « Mason ! Qu’est-c’que tu crois que t’es en train de faire, là ?! » Il n’avait pas encore atteint la porte d’entrée, lorsque la voix de la jeune femme se brisa au milieu de sa phrase, elle, plaquant une main sur sa bouche pour retenir un sanglot qu’il ne méritait pas. « Tu me quittes ou quoi ? » Oui il la quittait, mais comment rendre ça encore plus évident ? Il ne la méritait pas, c’était clair et net et Shana ne méritait pas d’avoir à porter avec lui le poids de toutes les horreurs qui continuaient de hanter son esprit. Radcliff n’était plus la ville où il voulait être, Shana n’était plus celle à qui il voulait pourrir la vie. Il voulait juste tout recommencer, tout effacer. « Après tout ce qu’on a vécu, pendant cinq ans, tu vas juste partir ? » Il aurait voulu être un connard jusqu’au bout, et franchir la porte pour la claquer entre eux comme réponse définitive : au lieu de ça, il soupira, pour se tourner lentement vers la jeune femme, affronter son regard mais ne pas faiblir. « Tu sais comme moi que c’est mieux comme ça. » « Mieux comme ça ? » la brune sembla s’étouffer sur ses paroles, dans un ricanement tout sauf sarcastique, surtout baigné de rancœur. « Mieux pour qui ?! » il pinça les lèvres, désirant fuir à nouveau. « Mieux pour tout le monde. » elle allait ouvrir la bouche, trouver une phrase pour le faire reculer, abandonner et revenir auprès d’elle. Parce qu’il l’aimait, il l’aimait plus que tout ce qu’il avait aimé dans sa vie jusque-là : Shana lui avait offert la perspective d’aimer et d’être aimé en retour. Shana avait été sa stabilité à lui, dans une vie chaotique. « Arrête. Arrête avant même de commencer. Tu sais très bien comment j’suis. J’dors plus, j’mange pas. Tout c’que j’fais c’est aligner les bouteilles. Et prétends pas le contraire, t’es celle qui les ramasse. » « C’est pas grave, on peut l’faire ! » « J’t’ai frappée, Shana merde ! » parce qu’il se noyait dans l’alcool jusqu’à en être complètement impulsif, emporté par les médicaments qu’il devait avaler par dizaine, le traumatisme de la guerre, les cauchemars, l’épuisement, la colère, l’injustice. Shana avait passé près de vingt minutes à couvrir le bleu sur sa joue avec du fond de teint, mais c’était encore tout ce que Mason pouvait voir. Ils ne pouvaient pas vivre comme ça. Jamais. Il ouvrit la porte et, d’un pas pressé, s’engagea vers la sortie. « Et Willow alors ?! » Le nom lui enserra le cœur plus que tout au monde, la nausée menaça d’atteindre sa bouche ; mais il tint bon, ferme sur ses deux pieds. « C'est mieux pour elle aussi. » et il fuit, plus vite qu’il n’avait jamais fui dans sa vie, rien que pour ne pas être tenté de faire marche-arrière.

Un bruit à quelques dizaines de mètres de là fit sursauter l’un, permettant à Mason de se glisser dans son dos : enroulant son bras autour de son cou, exerçant la pression nécessaire dans sa nuque, l’homme tomba au sol, KO en quelques secondes à peine, avant que le transmutant ne continue son avancée discrètement. Avec agilité, silencieux comme un tigre guettant une proie, il atteignit le type suivant ; en une seconde de concentration, il avait pénétré son esprit, agissant rapidement pour lui faire lever son arme, et tirer sur les autres à proximité. Un, deux, trois, quatre types neutralisés de la sorte, avant qu’une puissante douleur ne lui fasse quitter l’esprit de son cobaye, ne lui laissant pour seule option que le devoir de l’assommer. Un coup de poing bien placé, et voilà qu’il ne lui restait que l’otage, assise pieds et poings liés sur une chaise : il l’atteignit en quelques pas, la libérant sans la moindre difficulté. Et c’est à ce moment-là que les lumières s’éteignirent, qu’une alarme retentit : l’exercice était terminé, et tout le monde se félicitait les uns les autres. Encore un examen accompli avec minutie et perfection – et une promotion de plus, du moins, l’espérait-il. Personne ne s’était jamais opposé à une promotion offerte à Mason Leinster, malgré son endurance défaillante à cause de sa jambe, et le fait qu’il soit un dégénéré aux yeux de certains : le fait était, que en circonstances réelles, il aurait réussi à sauver cette otage sans le moindre dommage collatéral dans son équipe – et ça, personne ne pouvait le nier. « Hey Leinster ! Viens rencontrer ton nouveau partenaire ! » sans se faire prier, il abandonna l’aire d’entrainement, pour rejoindre son supérieur, lui serrant la main tout en acceptant volontiers ses félicitations pour le travail exemplaire. Tout cela, avant de se tourner vers une rousse, à l’allure plutôt frêle, mais relativement impressionnante par sa détermination. « Mason Leinster. Letha Castellanos. Castellanos, Leinster. Vous allez faire équipe maintenant, et vous avez du boulot, alors on s’bouge ! » c’était du rapide – on ne faisait que rarement de cérémonies particulières au FBI, mais là, c’était pire que tout. A peine avait-il serré la main de sa nouvelle coéquipière qu’il n’avait autre que ses yeux, la sondant encore et encore, pour soutirer des informations et tenter de faire connaissance. Au final, la seule chose qu’il avait appris d’elle, c’était qu’elle était sexy, et que ce serait plus dur d’être sérieux avec elle qu’avec le gros con qui l’avait accompagné pendant les premières années de sa carrière au FBI.

« Qu’est-c’que vous voulez dire, Radcliff ?! J’croyais que Castellanos était déjà sur l’affaire. » l’agacement était palpable et déplacé dans la voix de Mason, et pourtant, il ne pouvait trouver le moindre moyen de se calmer. Radcliff, et puis quoi encore ? Plutôt sauter du haut d’une falaise que retourner dans cette ville maudite qu’il avait volontiers laissé derrière lui y’a des années déjà ! Et pourtant, la chef, le dévisageant avec autorité, ne lui laissait pas le choix, c’était évident : « De nouveaux incidents en ville nous laissent penser que les autorités là-bas n’écoutent pas vraiment nos directives. Sans doute que du sang de chez eux aura plus d’autorité. » de chez eux ?! Elle déconnait n’est-ce pas ? A part être né dans cette ville et l’avoir quittée, Radcliff et lui ne représentaient pas une telle histoire que cela : il y avait sa putain de famille là-bas, ses connards de parents qui avaient préféré le refiler en rat de laboratoire plutôt que d’accepter ce qu’il était ! Et puis il y avait Letha ! « Envoyez quelqu’un d’autre, j’suis déjà sur une histoire de trafic ici. » « Ca peut attendre ça, on va envoyer Gary pour s’en occuper. J’vous assigne à Radcliff, y’a pas de quoi discuter. » Putain. Et il allait pourtant encore protester, si bien que la chef leva une main pour le faire taire, sérieuse plus que jamais. « Et j’en ai rien à faire de ce qui vous empêche d’aller là-bas, j’croyais que vous étiez trop ambitieux pour vous acoquiner de votre coéquipière. Visiblement j’avais tort, vous sautez vraiment sur tout ce qui bouge. C’est non négociable Leinster, c’est Radcliff ou le chômage, à vous de choisir. » il n’y avait pas message plus clair. Tout ce que Mason put faire, c’est adopter un masque de froideur, accepter à contrecœur, et quitter le bureau. Radcliff, la ville de tous ses cauchemars, de toutes ses hantises, semblait toujours revenir dans sa vie.