I got my fingers laced together and I made a little prison and I'm locking up everyone who ever laid a finger on me ▲ Une note écrite à la va vite, sur un simple morceau de papier arraché. Le tout est glissé dans le dossier étiqueté « Faith Cunningham », dossier qui allait très sûrement disparaître bientôt. Alyah rangea le document et écouta attentivement le bruit des pas dans les couloirs. Dans sa tenue d’infirmière, elle se fondait parfaitement dans le paysage hospitalier, mais le premier employé zélé finirait par comprendre la supercherie, alors elle s’affairait à ne croiser personne. Les risques étaient gros, mais elle ne pouvait laisser cette occasion passer. Voilà des mois qu’elle cherchait activement la jeune Cunningham, des recherches infructueuses car cette dernière savait comment se cacher. Il fallait bien une terroriste pour s’en cacher d’une autre. Mais la persévérance et la patience n’ont jamais fait défaut à Alyah, et il fallait bien ça en tant qu’ancienne espionne. Alors jour après jour, elle avait fait jouer des contacts, avait étendu son bras aussi loin  que possible et avait également profité du réseau de Seth pour faire passer des informations. Et finalement, après des efforts considérables, elle avait fini par mettre la main sur ce dossier. Sûrement éphémère, puisque la blonde ne voulait pas laisser de trace, mais bien présent. Alors ni une ni deux, l’Israélienne s’était décidée à s’introduire dans le complexe pour laisser un message dans ce dossier, son unique pont pour contacter Faith.

A pas de chat, elle disparut ensuite dans la nuit pour retourner dans son appartement. Le rendez-vous était pris pour la semaine d’après, au toit de l’immeuble qui avait été le témoin de leur première véritable rencontre. Déjà alors, leurs relations étaient tendues, car le fameux secret, le passé lourd avait été révélé. Faith savait. S’en était suivie une course poursuite étrange, jusqu’à ce qu’il entre en scène. Elijah, ce brillant orateur extrémiste, qui l’avait retrouvée et avait demandé après Faith. Skylar. Depuis, c’était le trou noir, aucune nouvelle de la jeune femme. Mais Elijah, oh Elijah, il était toujours là. Et il avait embarqué Elias dans ses filets, il avait réussi à enrôler son Elias dans une cause perdue. S’il y avait un combat à mener, il devrait se faire en dehors de Radcliff, là où la liberté de mouvements était possible. Sous les radars des chasseurs, les extrémistes devenaient les nouveaux gros terroristes du siècle. Et pourtant du terrorisme, ils en avaient vu assez dans leur vie d’agent pour normalement s’en tenir éloigné.
Alyah ne pouvait pas s’empêcher de craindre pour Elias. Aussi bien pour sa santé physique que mentale, lui qui avait tant à se faire pardonner et à oublier. Comment pouvait-il décemment se relancer dans des aventures à ce point dangereuses et compromettantes ? La boule au ventre, la mutante filait par les toits, bien au-dessus des patrouilles, loin des regards indiscrets.

***

La fraîcheur de la nuit tombée fit courir un frisson le long de son échine. De quelques sauts habiles, elle se déplaçait d’un toit à l’autre, escaladait, rampait sous les lumières des hélicoptères et rasait les murs. C’était un jeu auquel elle jouait souvent depuis le couvre-feu, et mutation oblige, elle était plutôt douée. Sortir la maintenait à flot également, l’empêchait de sombrer dans un esprit à la dérive. Depuis qu’ils étaient coincés à Radcliff à cause du barrage des chasseurs, Elias et elle commençaient à se sentir enfermés. Leur projet de partir à Berlin était sans cesse repoussé, et ils avaient chacun de leurs côtés contracté des engagements en ville. Elle travaillait pour Seth, lui pour Elijah, et plus le temps courait, plus ils étaient ancrés à l’endroit. Jamais depuis leur fuite ils n’étaient restés aussi longtemps quelque part. Mais le blocus leur pouvait tout aussi bien être bénéfique, car au moins ils étaient protégés du Mossad, qui ne soupçonnerait jamais ses deux anciens agents se cacher au cœur même de problèmes aussi énormes.
La crosse de son Desert Eagle battait contre sa hanche, un contact rassurant. Si elle ne voulait pas croiser de chasseurs ou encore moins en tuer, elle n’en restait pas moins armée jusqu’aux dents, prête à se défendre en cas de surprise. Mais elle avait passé assez de temps dernièrement à les espionner pour le compte de Seth, pour savoir qu’elle ne risquait pas trop ce soir. Lancaster était occupé à planifier la fête foraine et redorer le blason de la ville semblait prendre plus de temps que de lancer des escadrons de meurtriers dans la ville pour vacciner les premiers venus.

C’était donc sans encombre qu’elle était arrivée sur le toit de l’immeuble, et elle espérait qu’il en serait de même pour Faith. En gage de bonne foi, l’Israélienne avait ramené une serviette blanche qu’elle tenait entre ses mains pour signaler ses intentions de paix. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle sentait que cette rencontre serait encore une fois à leur image, électrique.

I got my fingers laced together and I made a little prison and I'm locking up everyone who ever laid a finger on me ▲ Elle laissa choir la serviette au sol et se fendit d’un soupir. Bah besoin d’être un hypersensible pour capter les ondes de colère de la jeune blonde, une colère dirigée exclusivement vers l’Israélienne. Elle roula des yeux quand la jeune femme commença à l’attaquer verbalement. Un mal nécessaire. Et elle devait bien se faire à l’évidence, la colère était justifiée. Alyah l’avait vendue. Sous la contrainte, certes, mais vendue quand même. Maintenant elle devait assurer, réparer ses torts, parce que devant elle se trouvait l’unique moyen de faire tomber le mutant aux pouvoirs hypnotiques. Il semblait y avoir une histoire entre eux, quelque chose du passé dans le passé de Faith qu’elle souhaitait cacher. Quelque chose qui aurait dû mourir avec Skylar. L’Israélienne savait mieux que quiconque ce que c’était que d’être tourmenté par des souvenirs indésirables. La nuit à faire des cauchemars ressassant l’explosion et l’hôpital psychiatrique le lui rappelaient suffisamment. « Je ne suis pas là pour me battre Faith. » Elle leva les mains pour sonner l’armistice. Je ne lève pas les armes, alors fais-moi plaisir et baisse les tiennes.
Comment commencer ? Comment obtenir son attention et récupérer un semblant de confiance ? Les femmes comme elles ne vivaient plus dans la nuance, c’était l’extrême en permanence. La haine à l’extrême, l’amour à l’extrême, la vengeance quand c’était nécessaire. Elles avaient déjà expérimenté la perte, elles savaient ce que ça faisait, et pour la plupart d’entre elles, il n’y avait justement plus rien à perdre. Sauf dernièrement. Maintenant elle avait Elias, et était de nouveau affectée par la demi-mesure.

« Tu as tous les droits d’être en colère contre moi. Mais avant de prendre une décision définitive me concernant, tu dois savoir que je n’ai pas fait ça de mon plein gré. J’ai été manipulée. Il a un truc. »
Les dents se serrèrent en repensant à ce moment où on lui avait tout bonnement arraché son libre arbitre. C’était la pire sensation au monde, celle de perdre le contrôle, d’être reléguée en simple observateur dans son propre corps. Ses yeux flambaient, tentaient de communiquer à Faith cette haine qu’elle avait pour cet homme. Elles avaient encore une fois plus en commun qu’il n’y paraissait. « J’ai jamais voulu te vendre, j’espère que tu le sais. » C’était même tout le contraire, Alyah essayait plutôt de la protéger. Mais le même schéma se répétait. Tous ceux qu’elle tentait d’aider d’une manière ou d’une autre finissaient par disparaître, hors de sa portée. Chaque tentative de bonté se soldait par une claque dans la figure, un échec total. Elle touche et elle détruit. Dans de telles conditions, comment s’épanouir ?
Lèvres pincées, la mutante essayait de déchiffrer l’expression de Faith. Mais en bonne combattante qu’elle était, elle maîtrisait ses émotions. Quels mots choisir alors ? Alyah n’avait pas l’habitude de désamorcer ce genre de bombe. Elle était plutôt du genre à provoquer les guerres, pas à les régler. Elle n’avait jamais été reconnue pour ses talents diplomatiques. Même que dans les négociations, elle était plutôt celle qui surveillait la porte. C’est Kaleb qui avait le verbe à sa place. Elle, elle laissait plutôt parler le canon d’un flingue contre une tempe. Or, il n’était pas question de ça pour cette rencontre.

« Y a pas de piège, pas d’entourloupe. Y a que moi et un semblant d’excuse qui va sûrement me déchirer la trachée en sortant. Je n’ai qu’une chose à dire, on peut faire la guerre, mais ce serait stupide de la faire entre nous, quand on pourrait la diriger contre le véritable ennemi. » Tu sais de qui je parle. Toi et moi, on va dans la même direction, on peut se faciliter la tâche en détruisant les obstacles ensemble. L’ennemi est dehors, pas sur ce toit.
L’Israélienne observait un peu les alentours également, tentant de chercher des signes de chasseurs ou de rondes. Pour l’instant rien, elles auraient peut-être une soirée tranquille en perspective. Enfin tranquille… tout était relatif bien évidemment.