« Pourquoi Crystal ne vient pas avec moi? » Tu as déjà compris pourquoi ta soeur ne vient pas avec toi. Tu l'as bien vu dans les derniers mois comment elle s'est fait une place dans cette nouvelle famille. Comment la petite fille douce et intelligente a trouvé le moyen de plaire, d'aider et tout ce que tu étais incapable de faire de ton côté. Même avant que vos parents ne meurent, t'étais pas l'enfant modèle qu'on aurait voulu que tu sois. Tu criais un peu trop fort, tu jouais un peu trop fort, tu faisais tout trop fort et si ta soeur savait normalement te contrôler auparavant, elle semblait désormais avoir abandonné. Plus de temps à mettre sur toi, c'est l'heure de jouer chacun pour ça désormais. Et ça, tu ne l'as pas vraiment vu venir. Parce que tu croyais que même si vous aviez perdus vos parents, que même si vous aviez perdus votre maison, le moindre de vos repères, vous pourriez toujours vous fiez l'une sur l'autre, comme des soeurs jumelles peuvent le faire. Mais une fois de plus, il semblerait que tu sois en tort. Et franchement, ça devrait arrêter de te surprendre rendu là. « Tu sais, la famille Smith, ils ont déjà deux enfants et ce serait beaucoup leur demander d'en prendre deux autres.. » La travailleuse sociale, elle patine un peu, et tu trouves ça presque drôle. Parce que franchement, c'est pathétique comme excuse et que tu sais où il est vraiment le problème. Le problème, c'est toi. Ça a toujours été toi. Toi et ton caractère. Toi et ton manque de politesse et de respect. Toi et cette manière ingrate que tu avais de traiter quiconque voulant te prêter main forte. Elle tente de mettre sa main dans ton dos, un geste qui se veut réconfortant mais qui t'agresse, qui t'insupporte. Tu la repousses et tu t'éloignes un peu. Tu sens les larmes qui montent dans tes yeux alors que tu jettes un dernier regard vers la maison où tu es restée pour quelques mois. Tes lèvres tremblent, mais tu les mords assez agressivement pour changer le mal de place, pour t'empêcher de te mettre à pleurer. T'as pas envie de t'exposer ainsi, vulnérable alors que ton monde perd encore un peu de son sens. « Ils étaient nuls les Smith de toute façon. » Tu avances, plus rapidement maintenant, jusqu'à cette voiture qui va te ramener au point de départ, tu le sais trop bien. Jusqu'à cet orphelinat où il y a trop d'enfants qui ne t'aiment pas, où l'espace est trop restreint et où tu étouffes. Et pour la première fois, Crystal ne sera pas là pour tenir ta main quand tout devient trop difficile. Tant pis pour toi.



Tu revois Crystal. Tu revois Jackie. Tu revois tes parents. Et puis la dernière image que tu vois avant de tomber sur le sol, c'est ton propre reflet. Le corps frêle et d'apparence faible d'une jeune femme aux longs cheveux blonds. T'as jamais été que ce qu'on voit de toi physiquement. Bien plus forte, bien plus rusée, bien plus intelligente qu'on ne le croit. Tu as tout développer de toi dans l'armée, et c'est une chance que tu te sois ramassée là parce qu'autrement, tu serais peut-être en train de pourrir quelque part dans les rues de Seattle. Enfin, une chance, ça te semble soudainement un peu paradoxale tout ça, mais peu importe. Ton corps est éteindu à travers tous les dépris du champ de mine qui vient d'exploser et tu n'as plus conscience de rien. Tu ne sais plus où tu es, c'est à peine si tu comprends qui tu es, ce que tu fais là. Tu combats avec toute la force que tu possèdes pour ne pas plonger dans ce trou noir qui semble prêt à t'accueillir. Ta main droite vient jouer dans tes cheveux et tu sens le sang qui coule sur tes doigts. Ta respiration s’accélère et tu tentes d'ouvrir tes yeux, mais tout ce que tu vois, c'est la poussière de toute cette terre qui se détruit petit peu par petit. Tu tousses, mais tu ne t'entends pas, pas aussi bien que tu devrais t'entendre. La panique s'empare de toi, tranquillement mais sûrement. Tu essayes de te lever, mais chaque particule de ton être te fait mal, et tu as l'impression de te tortiller de douleur simplement en te tournant pour t'asseoir, pour avoir une meilleure vue du champ de bataille. Les souvenirs des derniers instants te reviennent peu à peu et tu ne vois plus Crystal, la jumelle qui t'a abandonné. Tu ne vois plus Jackie, cette fille qui t'a fait tombé amoureuse d'elle avant de te briser le coeur, tu ne vois plus tes parents, décédés il y a déjà si longtemps. Tu ne vois plus ton reflet non plus, tout ce que tu vois, c'est ton équipe, ou du moins ce qu'il en reste. Des membres éparpillés sur le sol à tes côtés, du sang sur le sol, sur toi. Tu veux crier, mais aucun son ne sort du fond de ta gorge enroué. Et t'as aucune idée du temps que tu passes là, étendue sur le sol à laisser la panique s'emparer de toi, mais le seul souvenir que tu as par la suite, c'est de te réveiller à l'hôpital. Tu vois les gens autour de toi, les machines, mais tu n'entends presque rien. Tu as l'impression d'avoir des bouchons dans les oreilles, mais lorsque tu essayes de les enlever, tu réalises qu'il n'y a rien dans tes oreilles. Et tu recommences à paniquer de plus bel. Tu cris, aussi fort que tu peux, mais le son est moindre dans ta tête. Tu te tortilles dans tous les sens, même si ça fait mal, même si tu ne le supportes pas. Quelque chose ne va pas chez toi. Tellement de choses ne va pas chez toi. T'es en train de virer folle. Et puis soudainement, on te replonge dans un sommeil artificiel. Pendant une journée, ou peut-être plus. Et à ton réveil, rien n'ira mieux. Parce que même si l'armée t'a redonné un semblant de vie, un semblant de famille, il a tout repris en deux temps, trois mouvements. Et t'es pas certaine que tu pourras t'en remettre véritablement un jour.


« Arrête. » Tu ne le dis pas, même si tes lèvres forment le mot quand même, par habitude plus qu'autre chose. C'est plutôt le signe que tu ajoutes à ça qui font comprendre tes véritables intentions à la brune devant toi. Elle insiste, un peu trop à ton goût, et tu n'as pas la tête à suivre ces putain de cours de langage des signes, pas aujourd'hui, pas maintenant. T'aimerais que ce soit plus simple, t'aimerais pouvoir lui faire ce plaisir d'être agréable et coopérative et douce et gentille ou whatever, mais ça n'a jamais fait partie de ta personne, et t'as un mal fou à en visionner que ça puisse faire partie de tes traits principaux un de ces jours. Tu vas mieux qu'il y a quelques mois, c'est un fait. Quelque chose que tu dois à la jeune Martell, tu le sais aussi. Mais parfois, quand elle insiste tant comme aujourd'hui, t'aimerais juste pouvoir lui dire qu'elle est pas une fucking miracle worker et qu'elle devrait franchement arrêter de te prendre comme son charity case, mais chaque fois, quelque chose te retient. Tu ne saurais pas dire quoi exactement, mais tu ravales toujours tes mots, tu ravales toujours ta hargne. Peut-être parce que tu sais que même si elle t'énerve le trois quart du temps, tu as besoin d'elle, plus que tu es prête à l'admettre. Parce qu'elle te fait du bien sans que tu sois capable de te l'expliquer. Parce que grâce à elle, tu reprends un peu le goût chaque jour de te lever chaque matin, chose qui t'avait quitté depuis si longtemps il te semble. Tu laisses de plus en plus le fantôme derrière et tu t'aperçois que tu reprends peu à peu les couleurs qui ont fait de toi la jeune femme que tu étais avant ton accident, ton traumatisme. Tu n'arrives toujours pas à dormir la nuit, tu n'arrives toujours pas à rire comme tu pouvais le faire autrefois, tu n'arrives toujours pas à oublier les images de ton équipe en lambeaux sur le champ de bataille quand tu fermes les yeux, mais au moins, tu arrives désormais à sortir de chez toi. Tu arrives à te sentir utile, à faire quelque chose pour aider les autres, comme cette vocation qui ne t'aura jamais vraiment quitté. Tu as vraiment trouvé ta place chez Insurgency et ça te fait du bien de voir que tu n'as pas tout perdu de toi. Que ton pouvoir est toujours aussi puissant et de voir à quel point il peut t'être utile. Alors même si tu ne la regardes qu'à moitié alors qu'elle te signe d'autres encouragements, tu ne l'as repousse pas, pas plus que d'habitude. Parce qu'Anthea, elle est plus pour toi que tu es prête à l'admettre. Y'a pas de mot pour la décrire, et ça, ça te fait foutrement peur.