La douleur qui ronge ses tripes. Elle n’arrive pas à s’y résoudre, la perte de cet enfant, ce vide qui se fait sentir dans le fond de son ventre, dans le creux de son être. La seule tendresse qu’elle puisse réellement offrir vient de lui filer entre les doigts.
Foutu mal don elle ne peut se défaire. Cette famille qu’elle traque depuis des semaines, tentant de se résoudre, tentant de se dire qu’elle pourra porter la vie à nouveau. Rien. Que le vide. Que la hargne qu’elle connaît trop bien. Que la rage qui ronge, qui détruit.
Le vide. Le noir. Elle ne pense plus. La porte qu’elle brise. La vie qu’elle prend.
La lame entre les doigts, elle tremble. Le carmin qui roule entre ses phalanges et le sang qui s’étend sur le plancher. Les pleurs. Les pleures qui se percutent entre les murs de la demeure. Cet enfant qu’elle désire trop. Cette petite qui ne lui appartient pas. Pas la sienne.
Un pas. Elle laisse les doigts filer sous l’eau, elle retire le sang qui marque sa peau laiteuse, qui démontre le passage de sa violence pour obtenir cet enfant perdu. Ils ne devaient pas vivre. Ces montres. Ceux à même de semer le chaos. De mauvais parents. De mauvaises personnes. De mauvais humains.
Les mains propres, elle escalade les quelques escaliers pour se rendre à la chambre de la petite fille brune. Elle ne peut pas être élevée par des monstres. Le bébé qu’elle attrape et qu’elle serre contre elle. Cet amour qu’elle ressent de part en part. Cette tendresse qu’elle ressent et la hargne qui se calme. Un peu.
Elle retourne sur ses bas, enjambe les cadavres et fait le chemin vers sa demeure, fait le chemin vers sa maison.
La petite entre les bras. La petite qui se calme. Elle entre dans sa demeure, elle laisse son regard se poser sur son homme, sur celui qu’elle aime depuis toujours. Sur lui, tellement différent d’elle, mais qu’elle aime quand même. «
J’ai trouvé les dégénérés qu’on état venu chercher ici. Ils étaient morts quand je suis arrivée, quelqu’un a du passer avant nous. Mais il y avait ce bébé tout seul, je ne pouvais pas le laisser là-bas..»
Un mensonge. Un mensonge de plus pour rendre leur couple un peu plus fragile. Pour rendre leur couple un peu plus instable. «
Je ne pouvais pas la laisser seule. C’était impossible.» Elle s’approche. Elle s’approche de lui pour lui tendre la petite perle. Pour qu’il comprenne. Pour qu’il cesse de penser, pour qu’il se laisse emporter par la douceur de ce visage d’ange. «
Prends là.» Un sourire faible qui se dessine sur ses lèvres à elle, son palpitant qui s’emporte et le bien-être qu’elle ressent.
Sauver sa vie.
Elle ne sait plus comment sentir. La peine. La rage. La tristesse. Les remords. Ils ne se ressemblent plus. Elle et lui. Est-ce qu’ils se sont déjà ressemblé? Sûrement. Oui. Lorsqu’il était aussi rongé par l’envie de carmin. Comme elle. Pour se venger.
Elle l’aimait. Elle l’aime. Elle ne peut pas être une autre. Elle ne peut pas faire semblant. Sa rage, elle ne se tait pas. Elle reste ancrée dans le fond de ses tripes sans qu’elle puisse s’en défaire. Elle et son envie de réguler le monde. Elle et son envie de calmer la planète pour qu’ils ne fassent plus souffrir les enfants comme elle.
Elle sait. Elle sait que ça ne fonctionne plus. Il ne la regarde plus de la même façon. Il ne l’aime plus de la même façon. Il ne l’aime plus. Son palpitant, il crève dans le fond de sa poitrine, mais elle sait que rien de saint ne pourra ressortir de cette relation. Elle le pense. Ils se fanent. Ils se perdent.
La pulpe de ses doigts qui se perd sur sa joue à lui, caressant les quelques poils de sa barbe naissante. Il est beau. Elle l’a toujours trouvé beau. Elle l’a aimé. Elle l’aime encore, mais pas assez. Elle n’aime pas ce qu’elle voit dans le fond de ses yeux. Elle n’aime pas se séparer de lui. De leur famille. De leur vie.
Elle papillonne des yeux. Les larmes qu’elle tente de retenir et elle fait quelques pas pour attraper sa valise. Peu de choses. Elle n’a pas besoin de voyager avec les bras pleins. Elle ne peut pas quitter son métier, mais elle doit se résoudre à quitter le seul qu’elle a aimé. Une connerie. Sûrement. Son esprit est trop malade pour qu’elle arrive à le remettre en ordre. Brisée depuis trop longtemps. Endoctrinée par son paternel. Prise au piège dans la rage qu’elle connaît trop bien. C’est ce qu’elle pense bon. Elle ne peut pas y faire autrement. «
Désolé.»
Un souffle. Un baiser qui effleure les lèvres. Elle n’aime pas les adieux. «
J’aurais aimé que ce soit autrement.. mais..» Plus rien à dire. Il n’y a pas de mot. Que du mal. Que les maux. Que la résignation. Elle le sait. Il le sait. Ça ne l’empêche pas de l’aimer encore. «
Prends soin d’elle.» Un sourire.
Elle s’éclipse. Elle s’en va.
Son coeur qui s’emporte. Le souffle qui se perd et qui devient trop rapide. Cette cible qu’elle cherche depuis des semaines, celle qui sème le chaos par manque de contrôle sur son don et qui laisse des cadavres dans son sillage.
La gamine dans un coin. La petite aux cheveux blonds. Elle ne peut pas. Elle ne peut pas la tuer. C’est sa faiblesse à elle, la seule chose à même de la rendre encore humaine. Les enfants. Les petites perles aux yeux grands.
Comme sa fille à elle. Comme sa fille qui détesterait sa mère d’avoir brisé sa vie, voler la vie de ses parents pour prendre soin d’elle et l’aimer. Elle ne sait pas. Elle ne le saura jamais. Elle garde ce foutu secret depuis des années. Le secret qui ronge.
Elle tremble Rakel. Ses doigts qui se serrent autour de la lame. Elle brille au rythme des flammes. Elle ne peut pas. Elle ne peut pas tuer cette gamine. Elle ne peut pas tuer cette enfant. Sa faiblesse. Elle se déteste pour ne pas pouvoir enfoncer la lame dans la chaire. Elle se déteste pour être faible.
Elle range la lame. Elle s’approche. Le petit corps qu’elle prend dans ses bras et le cœur qui bat trop fort. La gamine trop seule. C’est trop difficile. Elle vacille entre son envie de tuer et de protéger. La fibre maternelle qui se fait sentir et la hargne qui ne s’estompe jamais. Un baiser sur le front. La petite qu’elle repose contre le sol. Un souffle. La lame qu’elle caresse. Elle ne peut pas. Elle n’y arrive pas.
De retour à Radcliff depuis peu qu’elle retombe dans ses maux, qu’elle sème le chaos.
Elle s’enfuit. Elle s’en va. Elle laisse la gamine derrière. Elle a besoin d’un peu de temps. Pour tuer les êtres fragiles. Pour tuer les enfants.