Les paroles de Faith passaient telle une vile litanie aux oreilles du médecin, ces mêmes mots, encore, et pourtant. Il fallut cette fois supplémentaire, ces quelques instants de lucidité pour qu'il ne soit alerté par le timbre de sa voix, par son regard. Et quelque chose changea, au fond de ses prunelles, un doute, une appréhension. « Qui. Qui t'as arraché tout ça ? » Avait-il été si aveugle ? L'évidence sinuait le long de ses nerfs, lui hérissant les bras tandis que l'horreur de la situation commençait à se découper dans les iris incertains de la mutante. Que ne lui disait-elle pas ? Elle lâcha l'affirmation telle une bombe dans le champ de bataille qu'était devenue la ruelle, sous les assauts de leur échange tantôt cruel, tantôt passionné. Désormais à deux doigts du désespoir. Les épaules de l'homme s'affaissèrent un peu plus encore. Aucun mot ne passa ses lèvres, son esprit bien trop perturbé par ces révélations pour parvenir à ne serait-ce qu'assembler deux idées. Elle ne tomberait pas. C'était impossible. Elle ne tomberait pas alors qu'il resterait impuissant, inconscient jusqu'alors de ces dangers nouveaux qui l'avaient enveloppée. Et pourtant. Déjà, le brouhaha s'emparait de ce lieu à jamais gravé dans sa mémoire, ricochant contre la pierre et semblant éclipser toute trace de raison chez les individus qui arrivaient à leur hauteur. Il ne les entendait pas. Seul le silence qui s'était instauré entre eux bourdonnait dans son esprit, sourd et malmenant son souffle devenu court. Incapable de suivre la cadence de l'aveu sous-entendu par la blondinette.

D'un geste doux, Faith ôta la perruque, dévoilant ses mèches dorées, qui ramenèrent un instant Ezekiel au coeur de la grange. Laissant sur ses lèvres la saveur de ce baiser passé, glissé dans la violence. Et puis, la mutante rompit le silence. Crescendo, lentement, et une nouvelle fois le médecin resta interdit, figé. Son être lui hurlait de l'attirer contre lui, de l'enlacer fort, car il serait bientôt trop tard. Et les regrets l’assailliraient de toute part. Un mouvement imperceptible du bras, qui resta presque immobile. Incapable de mener à exécution ce que son coeur lui dictait. Car son esprit, lui, écoutait, et saignait au creux de sa boîte crânienne. Un déchirement de l'âme alors que le prénom de son épouse filait dans l'air. Ses yeux s'écarquillèrent, parce qu'il ne l'avait pas vu venir Zeke, le prénom de son amour dans la bouche de l'aimée. Le curieux saisissement de la rencontre d'un présent et d'un passé. D'un présent qui s'éloignait déjà doucement, pour tendre à rejoindre Constance dans les morceaux répandus d'un coeur abîmé. Lorsque Faith daigna enfin rencontrer son regard, jumelant le reflet de ses larmes à celles, naissantes, au bord des cils du médecin. La gorge nouée, l'homme finit par laisser ses yeux s'abaisser légèrement, incapable de souffrir davantage la situation. Incapable de penser à elle sans se voir troublé, incapable d'affronter les mots de Faith à son sujet, cette clairvoyance à l'égard de la chasseuse, cette vérité qu'il ne s'était jamais avoué à voix haute. Elle n'était pas Constance. Et personne ne serait Faith. Serrant son poing machinalement en sentant chaque cellule s'enflammer, la noirceur na tarda guère à museler la clarté de ses iris lorsque Faith évoqua de nouveau cette tierce personne, l'inconnu qui avait désormais la main mise sur elle. La laissant le repousser sans plus de cérémonie, il ne lui fallut qu'une seconde pour se retourner, retenant in extremis la silhouette déjà fuyante de la demoiselle. Nouant ses doigts autour de son poignet, pas suffisamment fort, sans doute, pour la garder bien longtemps au milieu de cette foule déchaînée. « Dis moi qui c'est. Qui c'est, bordel ?! » Et la colère insufflée dans tous ses pores vint tirer ses traits, mélange d'inquiétude et de haine envers cet être abusant d'elle. Cet être que son organisme tout entier semblait destiné à vouloir éliminer. Cette hargne, depuis combien de temps au juste ne l'avait-elle pas animé ? Ses doigts déjà glissaient sur la peau de la mutante. Une interpellation, à quelques pas derrière lui, son prénom crié comme un appel au secours. Des mots qui n'avaient pas la moindre importance. Aller aider à l'hôtel de ville, soigner les blessés. Le seul médecin qu'ils avaient trouvé ce soir. Le seul qualifié. Et ses yeux plantés sur Faith, sur cette femme pour laquelle il était déterminé à se battre. Elle lui filait entre les doigts. Ce soir, il ne pourrait pas l'aider.

Deux instants se télescopèrent, où le médecin sentit sa main n'empoigner que le vide, le bras de la mutante s'évadant de son emprise, et où il aperçut ce visage connu. Une main posée avec rudesse sur son dos pour le contraindre à se retourner malgré l'agitation environnante. « Mikael, c'est bien ça ? » Le souvenir de cette soirée au bar et de sa fin à l'hôpital s'associaient à ce visage, et sans y réfléchir, ce furent des mots saisis d'une impulsion, désignant la chevelure blonde de Faith qui ne tarderait pas à disparaître dans la ruelle. « Vous devez me rendre une service, un service et nous serons quittes. » Ses cils encore légèrement humides et l'alcool lui rougissant légèrement les joues ne le rendaient peut être pas extrêmement crédible, mais Zeke avait dans l'espoir que l'homme l'écouterait, après cet épisode passé. « Gardez un oeil sur elle, là bas. Empêchez la de faire une connerie. La blonde, là bas. Accompagnez là. » Et à lui de se laisser entraîner par son collègue infirmier. Vers ces personnes pour lesquelles il se battrait, ce soir, comme chaque autre soir au sein des urgences de Radcliff. Son coeur restant là, cloîtré entre les hauts murs de la ruelle. Perdu dans les méandres de cette nuit d'incompréhension. Un peu détruit, un peu brisé. Aimant à nouveau, battant au rythme de ces pas qui s'éloignaient déjà.