Un éclair déchira le ciel et fit écho aux cris de cette jeune femme cherchant par tous les moyens à soulager sa douleur. Un second éclair illumina son visage larmoyant, mais incroyablement souriant. Blablabla... Non. Je ne suis pas né pendant une nuit d'orage, mais un après-midi lambda, pendant que mon père se gavait de chips à 12 000 mètres d'altitude devant un téléfilm un peu naze. Je crois que ce qui m'amuse c'est le fait que ma mère ait donné naissance lors de la journée mondiale de la ménopause. Paradoxal, n'est-ce pas ?
Enfin toujours est-il que je suis né ce 18 octobre 1979 au fin fond de l'Ohio. Mon père, Paul, était encore dans l'avion qui le ramenait de Londres, mais je crois que ma mère ne lui en a jamais voulu. Les quinze premières années de ma vie ont été rythmées par ses allers-retours entre son pays d'origine, et le pays où il laissait sa femme et ses deux fils. Ma mère, Melinda, avait appris à nous élever seule, Joshua et moi. J'imagine que ça ne devait pas être simple. Mon grand frère et moi n'étions pas les enfants les plus dociles et Josh m'attirait souvent dans ses plans foireux. Je ne compte même plus les fois où Maman a du venir nous rechercher au commissariat.
Cependant, on ne peut pas dire que j'étais vraiment un enfant à problèmes. A vrai dire, tout ce qui m'est arrivé de mauvais venait de Joshua, mais je ne le blâme pas pour autant. Ce qui m'a sauvé, c'était l'école. Ouais, j'étais un bon élève et je n'ai jamais eu besoin de faire d'efforts pour parvenir à mes fins.
J'ai commencé à prendre conscience de mes capacités lorsque je suis entré au lycée. Joshua quittait la maison pour aller étudier à Atlanta et je me retrouvais seul à la maison avec Maman. Je n'avais plus aucun repère, mon unique modèle venait de prendre le même chemin que mon père et je savais que, lui aussi, je ne le reverrais que très rarement. Je crois que c'est à ce moment là que Maman est devenue dépressive. Je lui ai promis de rester à ses côtés pour toujours.
Je ne pensais pas que mes valeurs et mes promesses allaient être mises à rude épreuve aussi rapidement. Lors de ma première année de lycée, j'ai rencontré cette fille complètement dingue. Juliet. Elle avait deux ans de plus que moi et était magnifique. De longs cheveux rouges, un bras complètement tatoué, d'immenses écarteurs déformant ses oreilles et un piercing attirant le regard sur ses lèvres qu'elle peignait de rouge. J'étais fou amoureux de cette fille. Elle m'a fait découvrir tout un univers qui m'était jusqu'alors inconnu et a fait naître en moi la passion du tatouage. Nous nous sommes aimés pendant deux ans.
Lorsque j'ai quitté le lycée, j'ai voulu la rejoindre à Los Angeles où elle étudiait le dessin pour devenir tatoueuse. Mon père étant en retraite, il était revenu durablement à la maison, et je ne m'inquiétais plus de laisser ma mère. Je voulais prendre mon envol, comme Joshua, comme Papa. J'ai donc débarqué en Californie, là où les rêves deviennent réalité. Mais la réalité est souvent beaucoup plus cruelle que les rêves. Juliet s'était fiancée avec un homme deux fois plus grand, deux fois plus musclé, deux fois plus tatoué et deux fois plus vieux que moi.
J'avais des rêves. Je voulais me marier avec elle, avoir des enfants, une villa face à l'océan et un salon de tatouage où les célébrités du monde entier se bousculeraient. Au lieu de ça, je me retrouvais à dormir dans un placard au fond d'un café quand je n'étais pas en cours. Malgré cette poisse, je ne me suis pas dégonflé, et j'ai bossé, jours et nuits. Je tatouais clandestinement les habitués du café pour me faire un peu d'argent pour blé mes études et mes bouteilles. C'étaient sans doute les années les plus horribles de ma vie. Celles qui m'ont vu plonger dans l'alcool.
Lorsque j'eus terminé mes études, je n'eus aucun mal à trouver un stage chez un petit tatoueur sur la côte. Malheureusement, il disposait d'un très mauvais emplacement, et je passais plus de temps à dessiner pour moi-même qu'à encrer la peau des clients. J'avais envie de plus, je rêvais de gloire. Je n'étais pas fait pour rester éternellement chez ce vieillard sénile. C'est ici que la chance me sourit.
C'était en mars, je venais de terminer ma journée de travail et je fermais le salon, prêt à retourner chez moi.
« Excusez-moi, je cherche Christopher.»
Je restai perplexe devant l'homme qui venait de m'interpeller. Il s'agissait du bassiste d'un groupe de métal que m'avait fait découvrir Juliet. Etant incapable de parler, je me contentai de hocher la tête en souriant. L'homme m'expliqua ainsi que j'avais tatoué une de ses amies, et qu'il avait été impressionné de mon travail. Il prit rendez-vous pour le lendemain, et je passai la nuit à peaufiner la tatouage que je m'apprêtais à lui faire.
Il fut extrêmement satisfait de son tatouage, et promit de recommander le salon dans lequel je travaillais à ses amis. Peu à peu, notre agenda se remplissait de réservations, et le bruit commençait à se répandre qu'un jeune gars se débrouillait plutôt pas mal avec un dermographe. Si bien qu'en 2005, je fus contacté par le tatoueur de la ville de Radcliff, Kentucky. Il était à la recherche d'un tatoueur qui serait capable de rassembler une équipe pour reprendre son salon, après avoir reçu une offre qu'il ne pouvait refuser dans un salon à Las Vegas.
C'est ainsi que je me retrouvai à la tête d'un salon de tatouage dans une ville qui m'était totalement inconnue, dans un état où je n'avais jamais mis les pieds. J'avais réussi à m'entourer d'une équipe talentueuse composée d'un couple de tatoueurs et d'une pierceuse.
Je me suis vite fait à la vie à Radcliff. C'est ici que j'ai rencontré mes premiers transmutants. Étonnamment, je n'en avais jamais vu à Los Angeles. Ils vivaient sûrement reclus, de peur de se faire buter par un cinglé. Mais ici, ils n'ont pas peur de se montrer, ils n'ont pas peur des Hunters, et c'est ce qui fait leur force. Ma tatoueuse est une transmutante, et elle m'a beaucoup aidé à me familiariser avec leur groupe. Je ne me sens jamais différent quand je suis avec eux, et ils savent très bien que je les vois comme des êtres humains normaux, car c'est ce qu'ils sont. Même si je ne peux pas m'empêcher de plaisanter sur leur condition, parce que parfois, ça craint quand même.
D'ailleurs, les transmutantes me plaisent beaucoup plus que les humaines lambda. Et pourtant, j'en ai connu de jolies nanas qui assuraient au lit. Mais les transmutantes sont pleines de ressources et m'étonneront toujours. Je suis fait pour passer mes nuits avec ces créatures terriblement attirantes...
Cela ne m'empêche pas d'avoir des conquêtes et des amis humains. Je pense que je ne suis pas détesté à Radcliff, à part peut-être par les Hunters qui sont habitués aux conflits avec moi. Bien que je détonne avec mes tatouages et ma réputation de briseur de coeurs et de couples, je reste apprécié des plus jeunes avec qui je passe le plus clair de mon temps.
Malgré trente-cinq années de passées, je me vois toujours comme le gamin de vingt ans que j'étais lorsque j'ai commencé à tatouer. J'aime ardemment la vie et tout ce qu'elle peut m'offrir. Je consomme les années avec excès, ne lésinant pas sur les soirées, beuveries, fumeries et sauteries. Je suis un éternel adolescent malgré ma peau marquée par le temps et les aiguilles.
_____