i. êtes-vous originaire de radcliff ?
  Non, je ne suis pas originaire de Radcliff, il y a encore des jours où je me demande ce que je fais ici, puis je me rappelle comment je suis devenue qui j’étais et ce qui m’a fait venir dans cette ville parfaitement étrangère … Je suis née début mai 90 à New York, j’ai été donnée à un centre d’adoption en juin, en septembre, je rencontrais mon premier foyer, mes premiers parents qui réalisèrent au bout de quelques mois qu’ils ne pouvaient plus vivre ensemble et que je n’étais pas assez importante pour que l’on se dispute ma garde. En bref, en dix-huit ans, j’ai connu une dizaine de foyers. Une fois arrivée aux précieux dix-huit ans, j’ai pu échappé à la garde de ces familles irresponsables plus intéressées par les aides de l’état que par un enfant. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de voyager un peu partout dans les états des Etats-Unis ... Puis, il y a deux ans, j’ai reçu un message anonyme qui disait me connaître et me demandait de venir à Radcliff. Résultat : je suis venue, j’ai vu, je n’ai trouvé personne, mais, toujours intriguée, je suis restée.

  ii. avez-vous déjà eu affaire à un ou plusieurs hunters ?
  Je ne sais pas si je peux me considérer chanceuse, sachant que c’est une chose qui ne va pas durer, mais jusqu’à maintenant, je n’ai été confrontée à aucun hunter. J’ai eu assez de chance pour qu’on n’essaie pas de m’agresser sous prétexte que je suis capable de quelque chose qui n’est pas donné à tout le monde … Malgré cela, il faut avouer que je ne me sens pas totalement en sécurité, j’ai parfois l’impression d’être observée …

  iii. utilisez-vous beaucoup votre don ?
  Il faut avouer que mon don est assez pratique lorsque j’ai plusieurs choses importantes à faire rapidement, de cette façon, je peux être à la pâtisserie, porter des commandes, voir des amis, le tout au même moment. Au fil des années, je me suis familiarisée avec ce don, j’ai testé ses limites, j’ai pu être à dix endroits différents pendant quelques heures, mais la fatigue était telle que je n’ai pas pu l’utiliser durant plusieurs jours. Depuis que je suis arrivée à Radcliff, je connais bien mon don, je sais le maîtriser et je l’utilise avec toute la responsabilité dont je suis capable.

  iv. pensez-vous que les mesures mise en place par le gouvernement sont suffisantes ?
  Comme je l’ai dit plus tôt, il faut avouer que je ne me sens pas totalement en sécurité à Radcliff, j’ai l’impression que l’on me regarde que l’on surveille mes faits et gestes, ce qui me conduit à être prudente lorsque j’utilise mon don. Ces mesures partent d’une bonne intention, c’est vrai, mais ces mots ne permettent pas de protéger ceux qui ont des capacités hors du commun de ceux qui cherchent à les éliminer …

Qu’est-ce que je fais ? Que dire sur moi ? Par où commencer ? Je regarde autour de moi, à la recherche d’une quelconque inspiration, pour savoir par quel bout aborder mon histoire. « Parlez-moi de vous. » On m’a demandée. Qui demande ça à quelqu’un d’abord ? Nerveuse, je regarde le chocolat chaud que l’on m’a apporté et que l’on a posé devant moi, je me perds dans la contemplation de la tasse qui a une forme qui m’intrigue. Je me reprends, ne te disperse pas Lucy. Je lève les yeux vers mon interlocuteur, avec un sourire et le regard brillant, paraître aimable, comme si j’avais eu une éducation digne de ce nom. Je peux mentir tant que je veux à quelqu’un, je sais pertinemment que je n’ai pas été élevée dans les règles de l’art.

Voilà par où commencer. J’ai été abandonnée un mois après ma naissance par mes parents biologiques, peut-être se sont-ils laissés un mois pour pouvoir évaluer s’ils avaient les capacités nécessaires pour pouvoir s’occuper d’un enfant. Ils ont échoué lamentablement et ont opté pour la solution de facilité – qui est sans doute la meilleure pour moi, par contre – ils m’ont laissée au centre d’adoption de New York. Ils n’ont donné ni de noms, ni d’adresses, et ils n’ont pas non plus pris les mesures nécessaires pour suivre mon évolution à laquelle ils auraient pu avoir accès par l’intermédiaire du centre. Non, ils se sont complètement détachés de toutes responsabilités par rapport à moi, pour leur retourner l’ascenseur, l’idée de les chercher ne m’a jamais traversé l’esprit. Ils ne méritent pas ton temps, tu le sais bien. Je me rassure comme je le peux … J’ai donc eu la grande chance, ironie quand tu nous tiens, d’être trimballée de foyers en foyers au fil des années, grandissant dans des quartiers malfamés, quelques fois à peine nourrie, parfois battue, souvent ignorée … La grande joie quoi. Puis un jour merveilleux est arrivé. Je ne pensais pas que je pouvais tant attendre un jour : celui de mes dix-huit ans. Le jour où j’ai pu me défaire de mon dernier foyer, et où j’ai pu être déclarée indépendante. Un des premiers papiers que j’étais allée remplir concernait mon nom de famille, je ne voulais absolument pas adopter l’un de ceux que j’avais eu pendant mon enfance, je voulais tirer un trait sur ce passé, l’oublier complètement. Je ne sais pas pourquoi, mais le nom « Malloy » m’attirait particulièrement, il sonnait un peu irlandais à mes oreilles, je crois que j’avais vu un personnage de série le porter, et je m’étais déjà inventée toute une histoire, tout un passé basé sur ce nom. Il avait fini par faire partie de moi, de mon identité. C’était une première étape.
L’argent donné par l’état à chacune de mes familles avait largement été utilisé pour tout sauf mon éducation. Ainsi étais-je sortie du lycée en obtenant avec peine un diplôme sans grande valeur, de toutes façons, je ne voulais en aucun cas faire de grandes études pour devenir une “grande personne“, non, je voulais seulement me fondre dans la masse, quelque chose qui avait toujours été rendu compliqué par l’apparition petit à petit de mon don d’ubiquité que je n’arrivais pas toujours à maîtriser ni même à comprendre. J’ignore encore à ce jour comment je l’ai obtenu, peut-être mes parents étaient-ils mutants également, qui sait ? Ce que je sais qu’il m’est arrivé à plusieurs occasions de sentir comme une étrange impression, comme si je me trouvais à plusieurs endroits à la fois, face à plusieurs interlocuteurs, en même temps. Avec les années, j’ai compris ce qu’il se passait, j’ai appris à le maîtriser, ce fut long et difficile, mais j’y parvins. Et je crois même pouvoir dire que maintenant j’ai le contrôle parfait de cette habilité.

Mon interlocuteur fronce les sourcils à la mention de ma mutation, je me mords la lèvre, je crois que je n’ai toujours pas appris à mesurer si je dois en avoir honte et la cacher, ou l’afficher fièrement. Je suis toutefois bien plus calme que certains mutants qui se proclament supérieurs aux autres, je déteste ces conflits, cette guerre – pas toujours – froide.
J’hésite, peut-être devrai-je mentionner ma cyclothymie, ça peut toujours être utile ... Mais je n’ose pas, non. Le seul fait d’y penser me rappelle que je ne dois pas oublier de prendre mes médicaments ce soir. La dernière fois que je n’ai pas voulu les prendre, je suis restée prostrée dans mon lit pendant plusieurs jours sans avoir la force de bouger, ni même de me lever pour prendre un repas. Un long frisson me parcourt de haut en bas, je me souviens des choses que j’ai pu penser ou faire que ce soit dans mes phases euphoriques – ces moments où l’excitation et l’adrénaline bouillent dans mes veines sans s’atténuer un seul instant – ou dépressives, je veux bloquer ces parties de ma mémoire. Je n’en parle pas, tant pis si on découvre cette facette de moi plus tard, je vais essayer de la cacher aussi longtemps que possible …

Je sens que mon hésitation est perçue par celui qui se tient face à moi, mais il peut toujours rêver, il ne saura pas ce qui me préoccupe. Enfin, il l’apprendra peut-être un jour, mais pas aujourd’hui, pas maintenant. Je décide de mettre mon hésitation sur le compte de ma timidité, avec un sourire je détourne le regard pour saisir mon sac à main qui ressemble plus au sac de cours d’une collégienne. Je saisis à l’intérieur, une boite, que je place sous les yeux de mon interlocuteur. Là est le moment fatidique, le moment qui a réellement le pouvoir de changer ma vie, de m’aider à faire table rase sur mon passé, sur ce que j’ai été. Je me prépare à être jugée, je sais prendre la critique, la recevoir sans sourciller, la prendre en considération pour l’appliquer plus tard si je la juge bonne. Je soulève le couvercle, je ne suis pas peu fière de l’effet que cela produit sur mon interlocuteur, il semble agréablement surpris. Il saisit l’un des macarons pour lesquels je me suis levée à l’aube, il en observe la forme, la couleur, puis le porte aux lèvres. Quelques secondes après, il me sourit : « C’est délicieux, bienvenue à bord partenaire. » Me dit-il tout en me tendant la main, que je m’empresse de serrer : « Merci beaucoup ! »