i. comment êtes-vous entré parmi les hunters?
Merry était loin d’être une hunter née. La haine n’est pas inscrite dans son code génétique, et elle ne cherchait pas la vengeance en se rendant en France il y a trois ans, juste à rencontrer de nouvelles personnes et à oublier la mort de sa sœur. Mais ces nouvelles personnes ont su la convaincre, la diriger vers d’autres groupes, et de fil en aiguille, elle a rencontré pour la première fois de sa vie, des chasseurs de mutants. Ce sont eux qui lui ont parlé de leur cause, et elle a été absolument convaincue par le bien-fondé de leurs actes. Etait-elle dans une période de vulnérabilité pour accepter de devenir une tueuse ? Elle ne veut pas le voir comme ça, mais c’est sans doute la vérité. Elle qui ne croyait qu’en une bonne discussion pour faire cesser la violence a appris à tirer avec un automatique, à monter et à démonter des armes, à choisir les bons calibres. Pendant deux ans, elle s’est initiée à la chasse des êtres humains, galvanisée par ces gens qui savaient si bien parler. Oui, ils ont raison de faire ce qu’ils font. Si Dieu ne s’oppose pas à l’apparition des monstres qui peuvent tuer d’un clignement d’yeux, alors il faut que les hommes aient le courage de le faire à sa place. Cette profonde conviction est devenue sienne, et d’une certaine façon, elle est fière d’avoir enfin pris la décision d’agir.

ii. avez-vous déjà effectué votre devoir de chasseur ?
Bien sûr qu’elle a effectué son devoir. Il fallait de toute façon qu’elle fasse ses preuves, sans quoi elle n’aurait jamais été acceptée parmi les chasseurs français. Ce fut plus dur que ce qu’elle avait imaginé, et pourtant elle pensait s’être préparée au pire. Mais même en sachant que l’homme qu’elle avait dans le viseur était un monstre, même s’il avait fait usage de ses pouvoirs barbares devant elle, elle eut du mal à appuyer sur la détente. Le voir s’effondrer d’une balle dans la tête a été un spectacle terrible, mais le choc passé, elle n’en a pas ressenti de remords, et ce fut la preuve qu’elle avait fait le bon choix. Depuis, elle a tué à nouveau, à chaque fois qu’elle le devait. Il serait faux de dire qu’elle le fait sans hésiter, mais ses convictions sont toujours plus fortes que ses peurs et tant qu’elle sait qu’elle agit pour la bonne cause, elle appuiera toujours sur la détente. Toujours.

iii. les mesures du traité de protection des mutants vous font-elles peur ?
Pas vraiment. Ce sont des règles logiques, qui ont été rédigées pour apaiser les populations, mais elles ne sont pas très efficaces jusqu’à maintenant, et surtout, elles n’ont pas pris en compte le véritable danger mutant. Merry a l’impression que ce traité n’a jamais vraiment été appliqué, et c’est tant mieux d’ailleurs. Elle préfèrerait que le gouvernement se penche réellement sur la dangerosité des mutants, et qu’il prenne des mesures efficaces pour les contrer. Mais d’ici là, seuls les hunters sont utiles pour protéger les humains. Et les mutants qui ne sont pas dangereux n’ont pas à avoir peur, n’est-ce pas ? Ils n’ont qu’à vivre normalement sans tenter d’utiliser leurs dons pour nuire, et tout ira bien. Ainsi vont les choses dans l’esprit un peu trop idéaliste de la jeune Quinn.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
Pour un hunter, la réponse attendue est que bien entendu, cet homme est une bénédiction pour la ville. Mais malgré son adhésion totale à la cause hunter, Merry ne parvient pas à accepter le nouveau maire de Radcliff. Il lui fait un peu peur derrière ses façades calmes et rassurantes. Il est comme une eau calme mais où l’on ne peut distinguer le fond : il cache sans aucun doute ses penchants les plus vils et il pourrait bien s’avérer être un danger pour cette ville. La récente mise à mort de la dégénérée, devant tout le monde, en est une première preuve, et cela risque malheureusement de ne pas être la dernière. Les citoyens de Radcliff ont sans doute fait une erreur en l’élisant, même s’ils souhaitaient ainsi se protéger de la menace mutante. Il y a d’autres moyens pour ce faire que ceux que va utiliser Thaddeus Lancaster …

I. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, et 1 … Meredith ne cessait jamais de compter tandis qu’elle pliait les jambes, arquait les bras, pirouettait au milieu des autres petites danseuses. Très concentrée, elle s’attachait à bien reproduire chaque mouvement, aussi parfaitement qu’elle le pouvait, et c’était une vraie récompense de voir toutes ces silhouettes danser dans le miroir dans un seul bel ensemble, de savoir qu’elle était une partie de cet ensemble … « Et … Improvisez maintenant ! » Le cœur de l’adolescente rata un battement à cette annonce et elle jeta un coup d’œil inquiet vers ses voisines qui s’étaient soudain mises à danser n’importe comment, jetant des bras au hasard, inventant des jetés et des pliés qui n’existaient pas dans la chorégraphie. Après une seconde d’hésitation, Meredith tenta d’imiter la danseuse la plus proche, puis une autre qui passa devant ses yeux, mais sans grand succès, et finalement, elle se résolut à reprendre les pas qu’elle connaissait, la chorégraphie précise et si nette qu’elle adorait et qui lui convenait bien mieux que ce fouillis autour d’elle. Elle faisait sans doute tache au milieu des autres, à répéter inlassablement ses pas, raide et le visage crispé par la concentration, tandis que ses amies s’amusaient comme des folles, mais ça lui importait peu. Elle n’aimait pas l’improvisation, elle aimait la rigueur et le calcul. Elle dansait comme elle résolvait ses problèmes de mathématique, avec de la logique et une méthode bien précise. Sans ça, elle était perdue … La musique se stoppa finalement et les adolescentes s’arrêtèrent, avant de s’éparpiller en jacassant comme une basse-cour surexcitée. Fin de la leçon pour aujourd’hui. « Meredith … Tu sais que tu peux danser autre chose que tes enchaînements ? La fin du cours est réservée à ton imagination, tu peux te lâcher et exprimer tout ce que tu veux. Profites-en ! » Ce n’était pas la première fois que la professeur lui parlait ainsi, mais comme toujours, la jeune fille haussa les épaules. « Non, ça va. Je préfère suivre vos pas, ils sont plus jolis, ils me plaisent mieux. » La professeur soupira légèrement et Meredith ne perdit pas de temps pour déguerpir. Elle n’aimait pas qu’on la force à sortir de ses sentiers battus où elle se sentait si bien, ça la mettait mal à l’aise. Une fois dans le vestiaire, elle se changea en quatrième vitesse et fila comme une flèche, impatiente de sortir. « Hé là, où est-ce que tu cours comme ça ? » Un sourire s’épanouit sur le visage de la jeune fille quand elle vit Ezekiel qui l’attendait, adossé dans le couloir, et elle le rejoignit d’un bond. C’était pour lui qu’elle se dépêchait, pour ne pas le faire attendre, mais elle ne pouvait pas vraiment le lui dire. « Tu m’as regardé danser ? » Demanda-t-elle à brule-pourpoint, impatiente de savoir ce qu’il en avait pensé. Il hocha la tête et le sourire de Meredith s’agrandit encore : plus encore que danser, elle adorait quand il venait la voir. Elle se sentait importante sous son regard. « C’était magnifique. Tu as vraiment très bien dansé. » Meredith se sentit rougir de plaisir, même si elle savait qu’il devait sans doute mentir un peu pour la flatter – elle n’était pas si douée que ça, elle réfléchissait trop quand elle dansait – mais elle adorait le croire, et elle le prit par le bras, s’éloignant de la salle de danse d’une démarche sautillante. Ezekiel était son frère d’adoption depuis peu de temps, mais elle avait l’impression qu’il l’avait été toute sa vie. En vérité, il était encore mieux que l’idée qu’elle se faisait d’un frère aîné : il était parfait. Attentionné, drôle, gentil, et beau … Si beau ! Meredith était sans doute un peu amoureuse de lui, au fond, mais il n’était pas son frère de sang alors elle se disait que ce n’était pas si grave. De tous les enfants et adolescents que ses parents avaient reçus dans leur foyer, en tant que famille d’accueil, Ezekiel était le seul qui était resté. Pour de bon. Et c’était celui que Meredith avait le plus aimé. Elle se sentait tellement chanceuse ! C’était pour ça qu’elle continuait la danse, alors qu’il y avait tant d’autres activités qui lui auraient mieux convenu. Le sentiment d’uniformité quand elle dansait à l’unisson avec ses camarades ne suffisait pas à la faire rester dans cette salle. Non, ce qui lui plaisait tant, c’était qu’Ezekiel venait la chercher à son cours tous les mercredis quand il rentrait du lycée, et qu’invariablement, il avait un mot gentil pour elle. C’était juste ça. Et ça lui suffisait amplement.

II. Merry se tenait raide, dans l’allée du cimetière. Ses yeux brouillés par les larmes ne parvenaient plus à discerner les détails de la scène, et c’était sans doute mieux comme ça. Elle sanglotait en silence, n’osant pas recouvrir la voix du Pasteur qui officiait à l’enterrement, comme si cela aurait été une offense trop grave. Mais arrêter de pleurer, elle ne pouvait pas. Elle avait l’impression qu’elle ne faisait que ça depuis des jours, pleurer, encore et encore. Mais aucune de ses larmes n’avait empêché le cercueil de passer devant elle pour être mis en terre, et tous ses cris ravalés n’avaient pas fait revenir sa petite sœur à la vie. « … et c’est devant Dieu que tu te tiens aujourd’hui, Isobel … » Merry serra un peu plus fort le bras d’Ezekiel, qu’elle n’avait pas lâché depuis qu’ils étaient sorti de la voiture de leurs parents. Il posa sa main sur la sienne, sans doute pour lui apporter un peu de réconfort, mais elle s’en rendit à peine compte. Elle était épuisée de ses larmes et le chagrin annihilait tout le reste, même la présence de son frère ne parvenait pas à adoucir un peu sa peine. Sans lui, elle n’aurait sans doute jamais pu entrer dans ce cimetière, elle serait restée dans la voiture à pleurer, mais elle le voyait à peine. Ce qu’elle revoyait, c’était cette scène qui s’était imprimée sur ses rétines et qui ne parvenait pas à s’effacer. Elle avait vu sa sœur mourir, et elle n’avait rien fait pour ça. «  … cette tragédie nous affecte tous, Isobel était  une jeune fille extrêmement généreuse et pleine de joie que nous avons vu grandir dans notre communauté … » Mais elle était morte, à présent. Morte comme elle avait vécu, en voulant donner à son prochain plus qu’elle ne pouvait offrir. Les deux sœurs Quinn aidaient depuis des années leur père à tenir son refuge, où il accueillait les sans-papiers, et tous ceux qui avaient besoin d’une aide que la société leur refusait. Venir aider les réfugiés, c’était quelque chose qu’elles faisaient depuis des années et toutes les deux savaient très bien s’y prendre. Qu’ils soient sans-abris, anciens toxicos ou simplement des étrangers qui avaient perdu le fil de leur vie, elles parvenaient toujours à percer leurs carapaces et à engager la discussion, car c’était finalement ce dont ils avaient le plus besoin. Mais cette fois-ci, Isobel était tombée sur un homme qui ne voulait pas d’aide. Plusieurs fois, il l’avait repoussée, refusant qu’elle l’approche ou même qu’elle pénètre dans la même pièce que lui. Il voulait uniquement profiter des repas chauds pendant quelques jours, sans doute … Et Merry se maudissait chaque seconde de n’avoir pas réussi à retenir Isobel de persévérer. Sous ses yeux, il l’avait tuée. Il en était mort lui aussi, alors d’une certaine façon, Merry ne parvenait pas à lui en vouloir. Elle ne comprenait pas ce qui s’était passé, une seconde toute allait bien, l’homme était secoué par des tremblements mais c’était si habituel avec les junkies que les filles n’y faisaient plus attention … Il n’était pas un junky, finalement. Parce que la seconde d’après, il avait explosé. Littéralement. Et Isobel avait été soufflée par l’explosion avec lui, brûlée trop gravement pour espérer en réchapper. A présent on l’enterrait, et Merry ne parvenait toujours pas à comprendre ce qui s’était passé … Ezekiel lui avait parlé des mutants, il avait tenté de lui expliquer, mais cette explication ne suffisait pas à la jeune femme. Elle avait toujours soupçonné que certaines personnes qui venaient au refuge étaient différentes, alors des mutants, c’était bien possible. Elle avait déjà vu des choses qu’elle n’avait jamais su expliquer, et c’était là une explication qui lui allait très bien. La science pouvait l’expliquer. Mais la science ne pouvait pas expliquer pourquoi cet homme n’avait pas su se contrôler. Pourquoi il s’était tué, emportant Isobel avait lui. Pourquoi Isobel était morte alors qu’elle avait la vie devant elle et que jamais elle n’avait fait de mal à qui que ce soit. Pourquoi Meredith n’avait pas pu empêcher ça alors qu’elle savait que cet homme était dangereux … Trop de pourquoi, qui la torturaient sans relâche. Elle n’en pouvait déjà plus, et elle ne savait pas comment elle pourrait le supporter plus longtemps.

III. « Inspire profondément, ne relâche pas ton attention. Tu dois penser à ta cible et à rien d’autre. Tes bras qui fatiguent n’existent plus. Il n’y a que la cible. » Merry sentait le souffle de son instructeur sur sa nuque tandis qu’il murmurait ses conseils. Elle avait mal aux bras, effectivement : son fusil pesait une tonne et elle le tenait depuis bien trop longtemps, mais elle s’accrochait. Elle parvenait déjà beaucoup mieux à supporter la douleur et la fatigue que les premiers temps, où elle s’était souvent écroulée au beau milieu d’un entraînement. Elle n’en était pas fière, mais il y avait eu plusieurs fois où elle avait éclaté en sanglots, les fesses dans la poussière, succombant à l’épuisement et à l’abattement, certaine d’être une intruse au milieu de toutes ces personnes qu’elle admirait tant. Mais à chaque fois, on lui avait tendu une main secourable, on l’avait aidée à se relever, on lui avait parlé avec détermination et confiance, et elle avait continué. Cela faisait plus de deux ans maintenant qu’elle avait rencontré ces gens, dans l’est de la France. Elle avait quitté les Etats-Unis abattue, pour ne plus voir constamment les lieux qu’elle avait partagés avec Isobel, et elle était rapidement tombée sur plusieurs personnes qui l’avaient accueillie parmi eux avec une gentillesse et une ouverture d’esprit qui l’avaient tout de suite conquise. Au fil des mois, ils avaient eu de grandes discussions sur la science, la religion, et sur ces personnes qui étaient dotées de pouvoirs hors du commun, ces personnes appelées mutantes ou dégénérées. Les amis de Merry ne prônaient pas la violence, seulement la sécurité, et pour ça ils comptaient supprimer les dégénérés les plus dangereux. Leur discours avait été une révélation pour la jeune femme. Ils avaient raison, tellement raison ! Les gens comme celui qui avait tué Isobel ne devraient pas pouvoir déambuler dans les rues, avec la possibilité d’utiliser leurs pouvoirs sur des personnes prises au hasard. « Quand il sortira, tu ne devras pas hésiter. Une seconde d’hésitation et il sera trop tard. » Merry hocha la tête, complètement concentrée. Il n’était pas question qu’elle rate sa cible. Les yeux rivés à son viseur, postée à une fenêtre d’un immeuble en face de celui de sa cible, elle sentit l’excitation prendre naissance dans ses tripes quand elle vit la porte, en bas de la rue, s’ouvrir doucement sur un homme absolument banal. Il se retourna pour tourner sa clé dans la serrure et Meredith appuya sur la détente. Le coup partit, presque complètement silencieux. Dans son viseur à infrarouge, elle vit l’homme s’effondrer sur le sol, abattu d’une balle dans la nuque sans qu’il n’ait rien vu venir, et Merry poussa un soupir, avant qu’un large sourire ne s’étale sur ses lèvres. Ce n’était pas le premier homme qu’elle tuait, mais c’était le premier qu’elle ait chassé du début à la fin. Avec son instructeur, elle avait passé plusieurs semaines à le traquer, à s’assurer qu’il était bien un mutant et que ses pouvoirs le classaient dans la catégorie des dangers à éliminer. Merry ne voulait pas descendre un innocent, mais celui-ci n’en était définitivement pas un : elle l’avait vu faire usage de ses pouvoirs, il était capable de monstruosités qu’il fallait effacer avant qu’il ne fasse des victimes civiles. « Mission accomplie, Meredith. » Lâcha son instructeur avec un sourire. Merry était profondément satisfaite de le savoir mort, et que ce soit elle qui ait accompli cette tâche. Plus encore que d’avoir accompli son devoir envers ses pairs humains, elle était fière d’être parvenue à suivre l’entraînement rigoureux des hunters, jusqu’à être capable de chasser elle-même. Elle faisait partie du groupe. Ils seraient fiers d’elle.