Saül & Judicaël

Conduire sa moto fut une véritable épreuve. Combattre la douleur et l'abattement en fut sans doute une autre encore plus dure. Il avait échoué. Bêtement. Stupidement. Comme un pauvre con. Et cela lui laissait un goût amer dans la bouche, et rien à voir avec le goût ferreur de son propre sang qui avait envahi sa bouche en raison des coups qu'il avait subi au visage, ouvrant l'intérieur de sa joue en plusieurs endroits. Putain, il avait sévèrement merdé. Il ne savait même pas si merdé était un mot assez fort pour ce qui venait d'arriver. Il se sentait pire que tout. Pire que ces salopards. Pire que ceux qui ne font rien. Sa moto échoua à l'orée de Radcliff, planquée derrière un talus, dissimulée par une bâche. Il préférait continuer à pied. Pour être moins repérable, ou au contraire plus facilement rattrapable. A dire vrai, il s'en voulait de pouvoir encore marcher.

Il se traîna jusqu'à chez lui. Heureusement que sa porte était toujours ouverte. Sinon, il aurait eu du mal à l'ouvrir, ses mains tremblaient, son corps était nerveusement à bout. Il avait besoin de sommeil, mais surtout de soins. La balle qu'il avait dans l'épaule n'avait rien touché de grave, mais il fallait la retirer faire des points. Seulement, c'était l'épaule gauche. Et Judicaël était gaucher. Impossible pour lui  de faire l'opération seul. Il avait besoin d'aide. Ses mains ensanglantées attrapèrent le téléphone posé sagement dans son socle. Il composa de mémoire le numéro de ce qui s'approchait le plus pour lui d'un ami dans leur association.

« Saül... J'ai besoin d'aide. J'ai merdé. Je suis chez moi. La porte sera ouverte. Fais vite. »murmura-t-il dans le combiné avant que celui-ci ne lui échappe des mains, et n'explose sur le carrelage.

Il tâtonna jusqu'à la salle de bain. Ses chiens l'escortèrent avec inquiétude. Les chats le suivaient en silence. Il retira sa veste, son pull. Chaque couche était un peu plus imprégnée de son sang, poisseux et rougeâtre. Il enleva son tee-shirt qui de blanc était passé bicolore. Il n'avait pourtant pas perdu tant de sang que cela. Il savait que ce n'était pas une hémorragie. Mais il était préférable de compresser la plaie. Il attrapa un bandage dans son placard, faisant tomber plusieurs serviettes. Il banda maladroitement la plaie avant de s'écrouler dans la douche. Il ne voulait pas foutre du sang partout. Dissimuler les preuves de son engagement.

Rio Pongo léchait sa main avec application, ses chats se bousculaient pour le veiller. Au fond, il n'était peut-être pas seul. Il avait failli mourir en les abandonnant tous. Au lieu de cela, il l'avait abandonné, elle, Maria. Il eut un sanglot, puis pleura silencieusement. Il avait merdé. Il ne méritait même pas que Saül vienne. Il ne méritait pas qu'on l'aide. Il n'était qu'un lâche. Un minable. Pas foutu de défendre ceux qu'il aime. Ceux qu'il voulait faire aimer. Que faisait-il pour eux finalement ? Pas assez. Jamais assez. Il ne sut pas vraiment combien de temps il resta comme ça, il eut parfois l'impression de perdre pied, et de s'enfoncer dans un abîme cotonneux, mais finalement quelques aboiements lui firent rouvrir les yeux, pour découvrir le sauveur qu'il ne méritait pas.

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Saül & Judicaël

Ses yeux bleus découvrir son sauveur. Saül, petit Saül, sauveur au grand cœur, mais couvert de malheur. Il aimait beaucoup ce gamin. C'était comme un petit frère. Et là, c'était le plus jeune qui se retrouvait à sauver l'aîné, à le réparer, à ramasser les morceaux. C'était étrange. Judicaël avait l'impression que cette situation était bizarre. Il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond. Un médecin qui se soigner par un gamin. Irréel comme situation. Et pourtant, c'était en train de se produire. Il avait envie de rire, mais son corps refusa de succomber à l'hilarité. Il restait immobile, affalé sous les yeux de son protégé protecteur.

Il eut une grimace quand Saül toucha le pansement grossier sur sa plaie. Le moindre mouvement, contact sur sa chair à vif était insupportable. Son corps lui rappelait avec fracas combien il était maltraité et souffrant. Il avait peur d'être allé trop loin cet fois. Mais il ne pouvait pas claquer entre les mains de son ami. Il devait se battre, survivre, avancer. Il ne pouvait laisser sa mort sur la conscience d'un si jeune garçon. Ce serait un crime. Malhonnête. Il se forçait donc à garder la tête hors de l'eau, à garder les yeux ouverts, à comprendre ce qui se passait. Il devait l'aider. Lui expliquer qu'il devait retirer la balle, qu'elle était toujours là, froide entre ses chairs.

« Dans le placard derrière toi, deuxième étagère. Tout est là, Saül. Calme-toi. Tout va bien. »murmura-t-il doucement, oubliant un instant sa tristesse.

Il savait mettre de côté ses émotions quand il s'agissait de guider, d'aider quelqu'un d'autre. Cela n'empêcherait pas les pleurs de revenir dès que sa plaie serait suturé, mais pour le moment, il fit l'effort de se calmer, même si le cri de Maria résonnait à ses oreilles façon violente et répétée. Il essaya de se relever un peu, appuyant son dos contre le mur carrelé de sa douche. Il eut un grognement quand son épaule s'appuya sur la faïence.

« La balle est encore dedans. Faudra la sortir. Tu as une pince dans la mallette. Ce n'est pas difficile. » énonce-t-il d'une voix calme, mais étouffée, faible, pas aussi rassurante qu'il le voudrait.

Il aurait préféré faire cela tout seul, mais il n'était pas ambidextre malheureusement. Il devrait guider son soigneur tout en serrant les dents. Sa tête bascula légèrement en arrière. Il y avait aussi son visage à soigner sommairement, mais c'était moins urgent. On ne meurt pas d'une lèvre fendue. En revanche, on peut mourir d'une balle dans l'épaule, même si cela n'est pas mortel au départ.

« Il faut d'abord nettoyer la plaie. Tu as du désinfectant, la bouteille rouge. Verse le directement sur la plaie, ce sera plus simple, je supporterai la douleur, ne t'en fais pas. Et après, tu auras une pince dans la mallette, désinfecte la aussi, et utilise la pour pénétrer ma plaie et extraire la balle. Je risque de crier, mais n'arrête que lorsque tu l'auras retirée. »expliqua-t-il avec calme, alors qu'il peinait à maintenir ses yeux ouverts.

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