i. que pensez-vous du mouvement terroriste des hunters ?
Ils me terrifient. Je ne suis même pas transmutante - les résultats de mes tests ont été concluants - et je suis absolument paniquée à l'idée de croiser un de ces monstres dans la rue. Car, pour moi, ce sont les hunters qui sont les vrais monstres dans cette histoire (même si je me garde bien de publiciser mon opinion à ce sujet).  Une mutation génétique, ce n'est rien. L'humain, comme toutes les espèces animales, évolue de son mieux pour survivre. Les hunters, eux, traquent ces gens qui ne demandent habituellement qu'à vivre en paix et les massacrent sans procès ou jugement. Les tueries de sang froid, ce ne sont pas les transmutants qui les commettent, mais bien ceux qui prétendent protéger la population. J'ai froid dans le dos à seulement imaginer un jour où ces mêmes hunters décideront que les tests ne sont pas assez fiables et poursuivront leur nettoyage à l'aveuglette.

ii. êtes-vous effrayée par l'apparition des transmutants dans la société ?
Non, pas du tout. D'abord, ce n'est pas un choc pour moi d'apprendre qu'ils existent. Depuis que je suis toute petite, j'ai l'impression que nous sommes entourés de formes de vie plus évoluées que nous. J'en ai d'ailleurs eu la confirmation à l'adolescence. J'ai confiance que les transmutants savent reconnaître les alliés des ennemis et que, si on ne démontre pas d'hostilité à leur égard, il n'y a aucun danger à les côtoyer. Non, je ne suis pas effrayée. Au contraire, je suis fascinée. Ils arrivent à faire des choses incroyables qui tiennent bien souvent du miracle.

iii. avez-vous déjà fréquenté des mutants ?
Oui, d'ailleurs j'étais proche d'un en particulier. Mon meilleur ami s'est révélé être un mutant. Je ne m'en suis rendu compte qu'à l'adolescence, après avoir été son ami pour presque dix ans. Ce qui m'a surpris le plus, ce n'était pas de découvrir ses pouvoirs presque surnaturels. C'est plutôt le fait qu'il ait réussi à me les cacher aussi longtemps. Il aurait aussi continué à le faire si la situation ne lui avait pas forcé la main. Sinon, il y a un de mes profs du secondaire, je suis certaine qu'il était un transmutants. Avec lui, l'expression avoir des yeux derrière la tête n'était absolument pas une image. Il savait toujours ce qui tramait dans la classe quand il avait le dos tourné. C'était assez troublant, mais à l'époque nous pensions simplement qu'il avait développé des trucs particulièrement efficaces durant ses années d'enseignement.

iv. que pensez-vous de l'élection récente de thaddeus lancaster à la tête du comté ?
Le moins que je puisse dire, c'est que je n'ai pas voté pour lui ! Je ne sais pas pourquoi il voue une telle haine aux transmutants - d'ailleurs, j'ose espérer qu'il a une raison valable et que ce n'est pas seulement un caprice - mais je suis contre les politiques anti-mutants de son parti. Je ne sais pas à quoi m'attendre, aussi je me contente de ne rien dire pour l'instant. Je ne parle pas contre lui ou sa façon de voir les choses et quand on me fait son éloge en tant que leader, je me contente d'hocher la tête. Si jamais la situation tournait au vinaigre et que les mutants courraient un réel danger de la part du gouvernement, je n'hésiterais pas un instant: une petit fortune dort tranquillement dans mon compte en banque, pourquoi ne pas m'en servir pour cacher quelques mutants recherchés ? Ça me fait peur d'y penser, mais je trouve que trop de gens endurent les massacres sans rien dire. Si je devais rester les bras croisés dans mon coin, sous prétexte que je ne suis pas vraiment concernée par la situation, je ne sais pas si je pourrais faire taire ma conscience.

Je suis née un 29 février plutôt frisquet à Indianapolis. Mes parents y habitaient alors depuis environ cinq ans. Tous deux natifs de Radcliff, ils n’étaient pourtant pas très proches durant leur enfance.  Ils se connaissaient vaguement par les activités communautaires et religieuses auxquels ils étaient obligés de participer, mais comme mon père était deux ans plus vieux que ma mère, ils ne s’étaient pas vraiment côtoyés durant leurs études secondaires. Ils ont vraiment connecté lorsqu’ils se sont retrouvés dans les mêmes cours à l’université d’Indianapolis. Perdu dans cette mer d’étudiants qui représentait toute la population de leur ville natale regroupée en une seule école, ils se sont accrochés l’un à l’autre comme à une bouée de sauvetage. Je ne sais pas ce qui est arrivé à ces jeunes étudiants libéraux, un peu avides de liberté et follement amoureux. J’imagine qu’ils ont fini par disparaître, graduellement remplacés par des carriéristes de plus en plus snob qui ne s’intéressaient qu’à l’argent qu’ils pouvaient accumuler. Ce que je sais de leurs jeunes années, c’est ma grand-mère qui me l’a raconté.

Ma grand-mère, c’est la vraie femme de ma vie, bien plus que ma mère ne l’a jamais été. Toute petite, déjà, j’étais fortement consciente de ce qui était bien ou mal, juste ou injuste. Mes parents avaient l’habitude de dire que je ne pouvais m’empêcher de prendre sous mon aile tous les chats de gouttière qui croisaient mon chemin. C’était souvent la première chose qu’ils disaient à leurs connaissances lorsqu’ils me présentaient. Malgré la légèreté de leur ton moqueur, ils ne pouvaient camoufler complètement leur dégoût pour mon attitude. Mon père prenait sa mine pincée, ses lèvres minces serrées en une ligne désapprobatrice et ma mère fronçait le nez comme si elle venait de capter dans l’air un effluve désagréable. La seule personne qui encourageait ce trait de ma personnalité, ce grand cœur comme elle le disait, c’est ma grand-mère. Elle regardait son fils et sa belle-fille se perdre dans les dollars sans pouvoir y faire quoi que ce soit, aussi essayait de me sauver, d’éviter que je ne devienne comme mes parents un jour.

Ma petite enfance s’est déroulée plutôt normalement. J’ai été rapidement confiée aux soins de ma gardienne, qui veillait sur moi les soirs où mes parents travaillaient trop tard. Ils n’étaient pas exactement absents – j’ai plusieurs souvenirs de sorties en famille ou de repas pris tous ensembles – mais ils n’étaient pas non plus les parents les plus présents du monde. Dès que j’ai eu cinq ans, ma grand-mère a commencé à m’inviter chez elle l’été. Si, au début, mes parents refusaient de me laisser partir, jugeant ma grand-mère trop vieille pour s’occuper d’une gamine à plein temps, ils ont fini par se laisser convaincre. C’est à ce moment qu’une des plus belles périodes de ma vie a commencé. Il n’y a rien que j’aimais plus au monde que de passer mes étés chez ma grand-mère, à fouiner dans les antiquités qui s’empilaient partout dans la boutique, parfois même jusqu’à frôler le plafond. J’aimais aussi les jeux et les rires que je partageais avec mon meilleur ami. Quand l’automne revenait pointer le bout de son nez et que je devais retourner à Indianapolis, je sentais mon cœur se serrer. Ce n’est pas que je n’aimais pas l’école – au contraire, j’adorais apprendre et j’étais toujours assise sur le bout de mon siège, à écouter passionnément ce que l’enseignante expliquait – mais je m’ennuyais de ma grand-mère et de mon meilleur ami.

Ma vie poursuivait donc son cours, partagée entre les étés de pur bonheur et le reste de l’année qui se traînait avec la lenteur d’une tortue. L’année de mes quinze ans, pourtant, tout a basculé. La veille de Noël, en revenant d’une fête un peu trop arrosée, mon père a perdu le contrôle de la voiture, qui a fait plusieurs tonneaux avant de s’immobiliser sur le bord de la route. J’ai vu des photos de la carcasse du véhicule qui, après l’impact final, n’était guère plus qu’un un accordéon métallique difforme. Quand les secouristes sont arrivés sur place, ils ont trouvé mes parents sans vie. Pour ma part, malgré un coup sévère que j’avais reçu à la tête, j’étais toujours en vie et à demi-lucide. Ils ont réussi à m’extirper du véhicule sans trop de difficulté. J’ai perdu connaissance dans l’ambulance qui filait à vive allure vers l’hôpital le plus près avec ses gyrophares allumés et sa sirène lancinante qui perçait l’air. Je me suis réveillée trois jours plus tard, dans un inconfortable lit d’hôpital et branchée de partout à des tubes. J’ai tout de suite aperçu ma grand-mère qui s’était assoupie de guingois dans le fauteuil à côté de mon lit. Au léger bruit que j’ai fait en essayant de m’asseoir, elle s’est réveillée. Tout de suite alerte, elle s’est levée et s’est approchée pour prendre ma main. Dans son regard embrumé de larmes, j’ai vu que c’était fini pour mes parents. La nouvelle ne m’a pas choquée autant qu’elle l’aurait dû. Je crois que, même avec le peu de souvenirs que j’avais de l’accident, je savais que le résultat ne pouvait qu’être funeste.

Trois semaines plus tard, j’obtenais mon congé de l’hôpital. J’étais finalement capable de bouger un minimum sans avoir envie de vomir mes tripes et j’envisageais le voyage entre Indianapolis et Radcliff avec moins d’appréhension. J’étais énervée à l’idée de retourner en voiture, mais j’étais assez raisonnable pour me dire que c’était à cause de l’alcool et pas du moyen de transport que j’avais failli laisser ma peau. Heureusement, les deux heures de trajet se sont déroulées sans problème majeur. S’il avait fallu qu’on vive ne serait-ce qu’une crevaison, je crois que je n’aurais jamais pu rembarquer dans une voiture. J’étais épuisée en arrivant chez ma grand-mère – chez moi – et je me suis effondrée sur mon lit. Et là, pour la première fois depuis l’accident, je me suis mise à pleurer. Ces premières larmes, quoique libératrices, ne voulaient pas se tarir. Je me suis finalement assoupie quelques minutes plus tard, les larmes ayant détruit le peu d’énergie qu’il me restait.

uc