Sortir. C'était la seule chose à laquelle Israël pensait. Il enfila un pull informe sur sa chemise. Il n'en pouvait plus. Il ne pouvait pas rester dans cet appartement avec Kylan en train de forniquer à côté. Plus maintenant. C'était impossible de le supporter en sachant que son colocataire avait pu l'utiliser de la même façon. A usage unique. Il ne pouvait pas supporter de n'être qu'un partenaire interchangeable. Il aurait préféré rester à côté, en dehors. Autre chose, mais pas ça. Ça faisait beaucoup trop mal d'être juste un corps en dépannage. Un coup acceptable une fois défoncé. Merde, même pas baisable en parfait état de conscience. C'était déplorable. Il manqua de s'étaler dans sa chambre en enfilant ses chaussettes dans la précipitation. Il attrapa son paquet de cigarettes sur son bureau, le glissant dans la poche de son jean troué et élimé. Il enfila sa veste de cuir, et sorti en claquant la porte. Il emmerdait le voisinage. Il emmerdait Kylan qui ne s'apercevrait sans doute pas de sa fuite, trop occupé à faire crier une fille aussi pathétique que lui. Il emmerdait le monde entier en fait.

Il dévala les escaliers d'un pas rageur. L'air froid de la nuit fouetta son visage. Cela lui fit sans doute du bien. Il ne savait pas vraiment en fait. Il pourrait toujours dire que c'était le léger vent qui irritait ses yeux et les rendait plus humides que la normale. Ce n'était pas tout à fait vrai : ses lunettes les protégeaient de cet inconvénient. Mais personne n'irait vérifié. Et puis qui le croiserait à 3h00 du matin ? Les honnêtes gens de Radcliff dorment tous à cette heure-là. Les rues sont toujours désertes, et c'est peut-être le seul moment où l'écrivain les trouve supportables. De toutes façons, ce serait toujours mieux que chez lui. C'était tellement plus simple de fuir. Encore. Il attrapa une cigarette qu'il coinça entre ses lèvres, alors qu'il avait encore le souffle court d'avoir dévalé les étages. Il toussa dès que la fumée passa dans ses poumons. Une toux lancinante, sourde, douloureuse. Merde. Il s'appuya contre un mur pour reprendre son souffle. Sa cigarette se consumait lentement par terre. Elle était à moitié finie quand il la ramassa, sa respiration presque revenue à la normale.

Il reprit sa route d'un pas lent. Enfin route, plutôt errance. Il essuya ses yeux. Il inhala la fumée avec un plaisir masochiste. Il sentait sa gorge le brûler, et pourtant, il ne pouvait que continuer. Il aurait même usé de son don pour se défoncer s'il avait été sûr d'être parfaitement seul, mais il était trop peureux pour cela. Il avait trop peur qu'on le repère en tant qu'anormal. Plus que ce qu'on savait déjà de lui. Raté, homo, et transmutant, c'était un peu trop pour une même personne, non ? Il eut un léger ricanement. Il cumulait définitivement toutes les tares. Il allait reprendre sa route quand quelqu'un l’interpella. Enfin, ce devait être à lui qu'on causait puisque la rue était déserte. Il se retourna, un soupçon circonspect. Il vit un homme. Il se demanda pourquoi on ne laissait pas crever lentement en paix. Il ne trouva pas de réponse, se contentant de rester immobile, freluquet abordé par un homme qui était bien plus imposant que lui. Il jeta son mégot d'un geste habitué et négligent, attrapant une autre cigarette dans son paquet, envisageant déjà que cette rencontre n'allait pas apaiser ses nerfs...

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La flamme du briquet alluma la nouvelle cigarette. Il inspira une longue bouffée de fumée. Il n'aimait pas être ainsi abordé. Cela n'apportait jamais rien de bon. Il aurait sans doute dû continuer son chemin. Cet homme devait être soit ivre soit défoncé pour se promener à cette heure-là. Il était fort peu probable que lui aussi fuit son domicile en raison d'un chagrin d'amour. Et dit comme cela, la raison de sa fuite était ridicule. Merde, il avait trente-deux ans, il ne pouvait pas juste tourner cette foutue page et passer à autre chose ? Il fronça un peu plus les sourcils quand l'homme lui demanda s'ils se connaissaient. Il n'avait jamais eu la mémoire des visages, et très franchement, ce mec ne lui disait absolument rien. C'était une tentative de drague minable ? Il le prenait pour une fille parce qu'il était bourré ? Certes, il n'était ni grand, ni musclé, mais tout de même... Il se contenta de secouer négativement la tête. Non, ils ne se connaissaient pas.

Israël se crispa légèrement en écoutant la seconde question. Comment savait-il ? Pourquoi savait-il ? Qu'est-ce que cela pouvait bien lui faire d'ailleurs ? Le gigolo en question ne devait pas refuser de rendez-vous, alors il ne devait pas être jaloux. Ou alors, lui aussi avait misé sur le mauvais cheval quand ses sentiments avaient fait leur choix. Il cracha sa fumée, agacé. Il n'aimait vraiment pas la tournure que prenait cette conversation. Il n'aimait pas le fait d'être seul face à un homme étrange qui pourrait lui briser la nuque sans mal. Et plus que tout, il ne supportait pas sa façon d'évoquer Loukás. Ce n'était pas un putain d'objet. Son poing se serra. Il bougea légèrement son poids passant d'une jambe à une autre. Il était énervé, gêné, agacé. Il n'avait vraiment pas besoin de ça. Pas maintenant. Il inspira à nouveau la fumée, et la recracha lentement vers l'homme, ne cherchant pas même à lui éviter l'inconfort d'être enfumé. Il n'en valait pas la peine.

«  Loukás. C'est le seul nom de cet homme. Je n'ai aucune raison de vouloir l'appeler autrement. Contrairement à ce que vous semblez sous-entendre, il ne se résume pas à son métier. Vous devriez apprendre à le respecter. Vos propos sont abjects. »répondit-il d'une voix faussement calme.

Il pinça les lèvres quand l'homme parla de chevauchés. Il ne comprit pas très bien ce qui lui prit, ni même pourquoi il le fit, mais sa main libre alla gifler l'homme. Un gifle cinglante, mal maîtrisée, mais sonore. Il n'avait pas l'habitude d'être violent. Il aurait sans doute dû se contenir. Mais il ne pouvait supporter ce que cet homme insinuait. Il n'y avait jamais rien eu entre lui et le gigolo. Il refusait même qu'il fasse son travail. Sans ce crétin de Kylan, il ne l'aurait jamais rencontré. Il secoua légèrement sa main. Bordel, ça faisait mal de frapper quelqu'un. Il se dit que même en voulant s'imposer par la violence, il n'avait pas de crédibilité. Une gifle. Même pas un coup de poing. Il réagissait comme une nana. Kylan serait là, il se foutrait franchement de sa gueule. Seulement, il était occupé à baiser une fille.

« Vous ne savez rien de moi, alors vous devriez fermer votre grande gueule. Et d'ailleurs, qu'est-ce que ça pourrait vous faire que je vois cet homme ? Vous êtes jaloux ? Votre petit cœur fond pour lui ? »lança-t-il avec hargne.

Il savait qu'il s'engageait sur une pente glissante, provoquer un homme qui faisait le double de sa carrure, c'était risqué. Et dire que pour une fois, il faisait cela sans même être défoncé. Il n'avait que faire d'être tabassé. Il s'en foutait. De toutes façons, tout merdait dans sa vie alors, ce ne serait qu'une erreur de plus sur la longue liste de son existence. Peut-être que s'il était à la limite de crever, Kylan s'apercevrait enfin de son existence.

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Jaloux. Oui. Jaloux. Cet homme empestait la jalousie. Sinon, comment aurait-il pu savoir qu'il voyait Loukás, ses visites n'avaient pas fait la une des journaux, et il ne s'en était jamais vanté, alors il n'y avait comme explication qu'une jalousie maladive, ou une homophobie des plus développée. Au choix. Mais si c'était le second cas, il ne l'aurait pas choisi lui, le pédé à la vie sexuelle la moins épanouie. Alors, il était clair que c'était l'envie qui rongeait cet homme, comme elle rongé Israël. Ils brûlaient tous les deux pour un être infidèle, hors de portée, cruel. Il est simple de reconnaître ses propres blessures sur le corps des autres. Tellement plus simple d'admettre la faiblesse de quelqu'un d'autre que la sienne. Tellement facile de diagnostiquer le mal d'amour chez un inconnu. Tellement plus simple. Il resta silencieux en entendant l'homme répéter le mot incriminant. Il restait stoïque. Ridiculement fier et assuré. Il savait qu'il avait frappé au bon endroit. Juste là où ça faisait mal. Il était plus doué pour blesser avec les mots qu'avec les poings. Sa gifle ratée en était la preuve même.

Il ne bougea pas quand le premier coup tomba contre sa joue. Brutal. Violent. Douloureux. Contrairement à lui, cet homme savait frapper. Et fort. Seulement, Israël avait l'habitude d'encaisser. C'était devenu une seconde nature avec le temps de se laisser frapper sans broncher. Primaire. Collège. Lycée. Et même après. A chaque fois, il avait fini par être mis à terre. Par des personnes différentes, parfois plusieurs fois la même, parfois plusieurs, parfois celui qu'il aimait. Alors, la douleur, il la connaissait, il l'avait apprivoisée. Il ne cria pas. Il ne gémit pas. Il se contenta de subir une nouvelle fois. Passif. Ses lunettes avaient volé au premier coup. Il ne voyait plus grand chose, mais il sentait les coups, implacables et réguliers. Il finit par tomber au sol sans même s'en apercevoir. Il n'était plus vraiment là. Il était ailleurs, pour ne pas sentir sa peau se fendre, pour ne pas sentir le sang sur ses lèvres, pour ne pas sentir son visage démoli. Son regard perdu dans le vague. Il relève péniblement la tête quand l'homme s'adresse à lui. Il ferme les yeux quelques instants, las.

« Israël. Pas fillette. »articula-t-il d'une voix atone.

C'était la chose la plus importante à rectifier à ses yeux. Il tenait à son intégrité, à sa fierté mal placée, à son nom, à son honneur. Le reste, il ne s'en sent pas concerner. Sans doute parce qu'il n'avait jamais payé Loukas. Sans doute parce qu'il n'avait été que furtivement chevauché et n'y accordait pas d'importance. Sans doute pour toutes ces raisons, il ne se sentait pas sali par la violence des propos. Avec son visage tout proche, il le voyait nettement. Il discernait la colère dans ses yeux. Colère, une brève folie. Une folie causé par un homme. Un homme qui n'avait pas d'importance pour Israël.

« Je n'ai pas besoin de plan baise. Je ne l'ai jamais payé. Tout cela te dépasse. J'espère simplement que me frapper t'a soulagé, sinon, cela n'aura servi à rien. Il n'y a rien entre Loukás et moi. Je ne l'aurai jamais rencontré si l'homme que j'aime n'avait pas été un crétin aveugle et attardé pensant m'aider avec un gigolo. »murmura-t-il d'une voix calme, presque sereine qui était en complet décalage avec la situation. « Ma dignité se porte sans doute mieux que la tienne. Cela ne te l’écorche pas de taper la gueule d'un minable dans mon genre ? »

Lentement ses mains vont chercher son paquet de cigarette, il en coince une entre ses lèvres ensanglantées, il grimaça légèrement au contact sur les petites plaies, il tendit son paquet à l'homme alors qu'il allumait sa cigarette. Il espérait ne plus subir de coups supplémentaires. Cela aurait commencé à lui briser les os, et cela était beaucoup plus préjudiciable que des plaies et des hématomes. La fumée s'envola entre leurs deux visages.

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Le rire, c'est un bon signe non ? Ça fait du bien de rire, non ? Enfin, en général les psychopathes rigolent toujours dans les films avant de tuer leur victime. Mais bon la vie ressemble rarement à la réalité, alors, Israël se sentit un peu rassuré par cette hilarité inexplicable. Aurait-il des talents d'humoriste qu'il ignorait encore ? Il devrait peut-être arrêter d'écrire des bouquins et se lancer dans le spectacle. Il avait déjà le titre de la pièce : « My life is such a mess ». Il eut un léger sourire qu'il ravala rapidement vu la configuration actuelle de ses lèvres. Ce barge l'avait bien démoli, avec précision et habitude. Il n'allait pas pouvoir sourire pendant au moins une semaine avant que tout cicatrise. Il leva les yeux au ciel quand l'homme reprit la parole.

« Faut choisir, soit j'ai des couilles, soit je suis une fillette, sinon, ta phrase n'a aucun sens. Ou bien t'as des trips chelous sur les trans pré-pubères, et c'est glauque.»râla-t-il entre deux bouffées de fumée.

Il se recula un peu, appuyant son dos sur le mur derrière lui, tel un clochard malmené par les aléas de la vie, et surtout par l'homme qui s'asseyait à côté de lui. Merde. C'était complètement con comme situation. Ils n'auraient pas pu discuter avant de se battre ? Ça aurait été moins douloureux. Enfin surtout pour lui. Bordel, heureusement qu'il bossait chez lui et qu'il n'avait pas de rendez-vous prévu avec ses éditeurs pour quelques temps. Sinon, il aurait eu l'air d'un con avec sa gueule absolument défoncée. Enfin, c'était ce qu'il imaginait. Il ne verrait vraiment les dégâts que devant une glace.

« Merci, t'es pas mal non plus sur l'échelle du misérabilisme. Tabasser des inconnus dans la rue, ça fait gagner des points pour ce jeu y paraît. »ironisa-t-il avec un soupçon de reproche.

Sa main libre alla fouiller sa poche gauche de manteau. Il en sortit un paquet de klenex à peine entamé. Il pensait toujours à en avoir sur lui. Parce qu'il n'aimait pas se retrouver à éternuer dans ses mains et se retrouver comme un con avec de la morve plein les doigts. Parce qu'il pouvait aussi comme cela épongé le sang de son visage à chaque fois qu'un inconnu lui péter la gueule dans une ruelle sombre la nuit. Youpi.

« Ravi de t'écorcher quelque chose au moins. Parce que toi, tu m'as pas loupé. Merde, ça faisait un moment que j'avais pas tant dérouillé. »murmura-t-il un peu agacé.

Agacé de n'avoir jamais su rien faire de plus qu'encaisser en silence. Au début, il avait crié, mais ce genre de chose, ça a tendance à exciter les agresseurs, alors que ne rien faire, ça les fait chier, et il se lasse vite du coup. Et puis, au bout d'un moment, on apprend à serrer les dents à défauts de pouvoir rendre les coups. Il n'avait jamais eu la carrure d'un combattant et ne l'aurait jamais. Il sortit un mouchoir en papier, et hésita. Il ne savait même pas d'où il saignait. Sans glace, c'était un peu inutile d'essuyer au hasard.

« Parfait connard ? Connard, oui. Parfait, loin de là. Disons qu'il est trop hétéro pour me calculer, mais assez défoncé et bisexuel pour accepter de coucher avec moi à l'occasion. Et il s'est mis en tête de régler mes problèmes sentimentaux en m'envoyant un strip-teaseur, puis en m'inscrivant sur meetic. Quel attardé, ce mec. Et grâce à lui, je viens de me faire casser la tête. Bref. Ma vie est un gâchis perpétuel et sans cesse renouvelé. »énonça-t-il d'une voix presque claire, et neutre.

A force de subir sa vie, il ne s'étonnait même plus des situations improbables qui la composait. Tout était de toutes façons tellement bordélique. Pourquoi chercher à comprendre ? Il eut un léger soupir, le mouchoir toujours entre ses doigts. Puis il réalisa qu'il voyait sa main floue.

« Dis moi, étant donné que je t'ai permis de soulager tes nerfs, un peu, j'espère, tu pourrais me dire où sont mes lunettes ? Et m'aider à éponger un peu ce que tu m'as fait ? »demanda-t-il en lui tendant le mouchoir et en lui lançant un regard approximatif.

Il ne voyait plus que des formes assez obscures, et avec la faible luminosité, il ne pouvait même pas compter sur les couleurs pour donner du sens à ce qu'il discernait très mal.

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Malgré les menaces, Israël ne se tairait pas, ou pas s'il n'en avait pas envie en fait. Il était difficile de lui faire cacher sa fierté mal placée, il ne pouvait s'empêcher d'être insolent. Et ce n'était pas quelques coups supplémentaires qui empêcheraient cela. Il avait vu pire, et même si son interlocuteur semblait prendre son pieds à frapper des inconnus, il n'avait pas peur. La peur lui était un sentiment assez étranger, ou alors, c'était qu'il vivait dans une peur tellement perpétuelle et enfoncée dans ses entrailles qu'il ne pouvait pas la ressentir plus. Il n'avait pas peur de la douleur, il avait peur de tellement d'autres choses en compensation. L'abandon était sans doute sa première crainte. Que Kylan s'en aille sans doute serait plus douloureux Même s'ils n'étaient que de foutus colocataires, il ne pouvait s'imaginer vivre loin de ce con. Alors il ne partit pas sous la menace de l'homme, il n'eut qu'un haussement de sourcils. Il pouvait toujours recommencer à le taper si cela lui faisait plaisir... Mais bon, l'homme semblait trop occupé à se foutre de lui.

Au fond Israël se demandait si son ego n'en prenait pas plus dans sa gueule juste en écoutant ce type. Et il semblait avoir définitivement hérité du surnom « fillette ». Youpi. Ce surnom était ridicule et vexant. Très vexant pour sa virilité en fait. Et contrairement à d'autres pédés, Israël tenait à cela, il n'était pas du genre à être efféminé ou à se travestir, il restait un homme, merde ! Enfin bon, l'homme n'avait pas l'air décidé à le lâcher avec ça alors, il serait forcé de s'y faire pour encore quelques minutes. Il eut un long soupir aux questions de l'homme à propos Kylan. Il ne répondit rien. Pas pour le moment. Il était plus préoccupé par ses plaies, et la possibilité que le sang tâche ses fringues. Le sang, c'est chiant à laver.

« Ça va, j'te demande pas une romance, des fleurs, et tout un tas de niaiseries, c'est juste pour pas en foutre partout ! »râla-t-il d'une voix plus douce et amusée que réellement énervée.

Il était amusé par les comportement de dur que se donnait cet homme, alors qu'il avait fait tout ça pour un autre homme. Par jalousie. Par amour peut-être. C'était presque mignon, dans le sens sarcastique du terme bien sûr. Péter la gueule de quelqu'un ce n'est pas vraiment mignon au sens strict. Mais dans ce contexte, c'était sans doute une véritable déclaration d'amour. Dommage que cela soit tombé sur lui quand même, Israël n'aimait pas trop être le vecteur de transmission d'un amour malsain et violent.

Il haussa un sourcil en sentant l'homme lui prendre le mouchoir des mains, et essuyer le sang sur son visage. C'était inattendu vu sa réticence première. En plus, il faisait cela doucement. Il donnait bien dans la tendresse en cet instant. Israël aurait bien ri, mais il préféra garder son amusement pour lui. Il ne voulait pas vexer l'homme alors qu'il lui rendait un fier service. D'autant plus qu'il lui rendit ses yeux de substitution. La vie était mieux quand elle redevenait nette tout de même.

« Si j'en parle à quelqu'un, tu me casseras la gueule... Encore ? Ça va vite manquer d'originalité, tu sais. »murmura-t-il doucement. « Mais merci, c'est sympa. Et ça restera entre nous, ne t'en fais pas. Si je raconte que le mec qui m'a tabassé m'a ensuite aidé, on croira que j'ai des tendances masochiste, ça le fera pas. Plus aucune crédibilité, tout ça. »

Il prit un autre mouchoir, et tamponna ses lèvres. Pour ça, il n'avait pas besoin d'aide, il savait localiser grossièrement les meurtrissure sur sa peau. Le reste ne serait qu'hématomes et ecchymoses. Sans doute un œil au beurre noir aussi. Il soupira légèrement, tournant la tête vers l'homme.

« J'aurai jamais cru parler de mes peines de cœur après m'être fait casser la gueule. Mais pour répondre à tes questions, oui, je suis un plan de secours, et oui, il était trop défoncé pour s'apercevoir de ce qu'il faisait, et non, je lui achèterai pas une poupée gonflable, parce que même si je suis qu'un plan de secours, au moins, dans ces moments-là, j'ai l'impression d'exister un peu à ses yeux. En revanche lui parler « sentiment », c'est juste le meilleur moyen de le faire fuir définitivement. Et je suis pas niais, d'abord. Je suis sentimentalement dépendant, c'est différent. J'lui demande même pas de m'aimer. Juste... Enfin tu m'as compris, j'vais pas te faire un dessin, t'es un grand garçon, tu sais comment ça marche. »dit-il d'une voix relativement calme et blasée.

Il hésita quelques secondes. Puis, se permit d'ajouter d'une voix plus douce : « Et toi ? Qu'est-ce qui ne va pas avec Loukas ? »

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Pourquoi on s'obstine à aimer ? C'était une bonne question. Pourquoi s'obstinait-il à désirer Kylan ? Pourquoi s'obstinait-il à vivre à côté de lui ? Pourquoi restait-il ? Peut-être parce qu'il avait peur de réussir à l'oublier. Ou parce qu'il avait peur d'être remplacé sans mal. Un colocataire, ça se remplace facilement non ? Seulement, il ne voulait pas être remplacé. Il voulait rester le parasite, l'amoureux transis mais silencieux. Il se fichait de la souffrance s'il pouvait encore le voir, le toucher, sentir son odeur emplir sa vie. C'était assez misérable. Pathétique même. Mais il était drogué à cet amour. Il ne pouvait pas arrêter de prendre sa dose. Il le savait, sinon, le manque le détruirait encore plus que la drogue elle-même. Mais il savait que cet inconnu avait raison. Sur toute la ligne. Il était un pauvre con mièvre, sentimental et désespérément romantique. Il ne pouvait pas se refaire, il était né comme ça. Il mourrait comme ça.

« T'as sans doute raison pour tout. C'est con, mais même en sachant que je fais des conneries, je continuerai de l'aimer. Je sais pas pourquoi, j'peux pas l'expliquer. »lâcha-t-il pour tout réponse à ces questions et commentaires tous plus crus et violents les uns que les autres.

Son regard observait l'homme. Tout en lui dégageait de la violence, de la colère. C'était fou. Ils étaient complètement opposés. Lui, l'écrivain dépressif qui subit sa vie sans réagir, et le combattant qui frappe toujours avant de discuter. Du moins, c'était comme ça qu'il aurait décrit cet homme. Il se demandait ce qui avait pu le pousser sur la voie d'une telle violence. Qu'est-ce qui vous pousse à devenir un animal sauvage alors que vous êtes fait pour la sociabilisation ? Bonne question. Cet homme était de toutes façons une énigme pour Israël. Un mec qui vous tabasse puis essuie vos plaies, ça court pas les rues. Surtout pas celles de Radcliff. Il eut un haussement de sourcil en entendant ce qui concernait Loukas après la toux de l'homme -hey, on lui prenait ses habitudes, c'était lui le crevard qui s'étouffait tout le temps. Il eut un ricanement.

« Eh bien, ami de la poésie, bonsoir. »lâcha-t-il d'abord, un soupçon moqueur.

Pas étonnant que Loukas revienne chez lui malgré ses incessants refus à tout si tous les autres clients étaient comme cet homme dont il ne connaissait même pas le nom. Il tira sur sa cigarette soufflant la fumée avant de reprendre d'une voix plus douce.

« Juste de la baise, hm ? Alors pourquoi t'as ressenti de me casser la gueule ? Normalement quand on est juste client d'une pute, on accepte qu'il y ait d'autres clients. Tu sais, c'est toujours plus facile quand on l'accepte. »

Il reprenait ses mots. Il avait toujours été doué pour prendre les gens à leur propre jeu. Il n'était doué qu'avec la rhétorique. C'était son seul talent. Même s'il se débrouillait en cuisine. Il jeta son mégot au loin. Mécaniquement, il attrapa une autre cigarette. Clope sur clope. Toujours. C'était une mauvaise habitude, fort coûteuse. Chez lui, il utilisait plutôt son don, mais en extérieur, ce n'était pas prudent. Il n'avait pas vraiment envie de se faire buter par un Hunter. Enfin, s'ils s’intéressaient à un mutant aussi inoffensif et pathétique que lui... Franchement, il était sans doute le mutant le plus nul que l'humanité ait porté.

« Au fait, tu t'appelles comment ? Que je sache qui je dois éviter de croiser le soir tard quand il est frustré. »demanda-t-il en allumant une nouvelle cigarette entre ses lèvres fines.

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C'était étonnant comme cet inconnu réussissait à lire en lui comme dans un livre ouvert. Il avait tout compris, et tout démonté en quelques phrases. Ça faisait mal d'entendre la vérité. De savoir que ce qu'on craignait n'était en fait que la triste réalité : l'amour lui bouffait le cerveau. Plus que toutes les drogues, plus insidieux, moins repérable, mais bien ancré. Trop bien installé dans ses neurones défoncés. Il eut un soupir las en l'entendant. L'envie de pleurer aussi. Seulement, il avait déjà assez entendu qu'il n'était qu'une putain de fillette, il n'allait pas en rajouter en se foutant à chialer. Il ravala ses larmes, et se concentra pour garder un visage neutre.

« C'est fou comme ça a l'air facile quand c'est toi qui en parle. Si seulement, ça l'était quand je suis face à lui... »lâcha-t-il après sa longue tirade.

Si seulement, il réussissait à puiser dans sa racoeur pour fuir. Pour quitter ce nid qu'il adorait autant qu'il le détestait. Peut-être finirait-il par la trouver. Peut-être dès son retour. Parce qu'il devait arrêter les frais. Parce que son agresseur ne savait pas combien il avait raison quand il prédisait son suicide imminent. Il s'était déjà foutu en l'air, alors pourquoi pas une autre fois ? Il cracha sa fumée avec lassitude. Mais son visage se tourna légèrement pour observer son interlocuteur. Il fut surprit de voir ses traits se fermer un peu plus. Avait-il fait mouche ? Avait-il parlé du sujet défendu en étant un peu trop proche de la vérité ? Il haussa un sourcil en entendant sa réponse. Sa façon de nier paraissait tellement forcé, tellement systématique. Israël se serait laissé duper s'il n'avait pas déjà agi comme cela. Nier en bloc, c'est la première phase. Après, on accepte. Ensuite, on se bat vraiment.

« Oh je dois en déduire que tu as reporté sur moi ta haine irrépressible ? Franchement tu devrais te contrôler un peu plus. En plus, on pourrait vraiment croire que tu es juste d'une jalousie maladive. Tu imagines si je lui en parlais ? Putain, tu te ferais plus que charrier. T'as du bol que je sois pas un fouteur de merde. »murmura-t-il avec un sourire légèrement amusé.

Non foutre la merde, c'était pas son genre. Il se foutait trop des autres pour leur causer des soucis. C'était trop fatiguant. Il n'aimait pas faire des choses inutiles. Et puis cause le malheur des autres franchement, c'était juste con. Et il avait au moins pour lui quelques lueurs d'intelligence. Il sourit en voyant la main tendue. C'était le première fois qu'il se faisait tabasser par un inconnu, discutait amour avec lui, pour finalement faire enfin des présentations... C'était absurde, mais en même temps, vu sa soirée. Il serra doucement la main de l'homme. Comparée à la sienne, elle paraissait beaucoup plus massive, et plus forte aussi, lui avait encore des mains d'adolescent, maigres, aux ongles rongés.

« Putain, toi non plus tes parents t'aimaient pas trop pour te donner un nom pareil. Israël, mais tu as l'air de déjà le savoir. »rétorqua-t-il avec avec ironie.

Oui, il avait toujours trouvé que donner un nom de pays à son enfant était débile, mais alors un nom d'arme, c'était un tout autre niveau. C'était presque dire : mon enfant, ce sera une arme de guerre ! C'était tellement flagrant que ça en devenait drôle. Sérieusement, avec un nom pareil, s'il était Hunter, ce mec n'avait aucune imagination et aucun sens de la rébellion. Lui au moins, avait bien sali les espoirs de ses parents... Il laissa sa tête s'appuyer contre le mur derrière lui, portant sa cigarette aux lèvres.

« Putain, je suis sûre que Kylan va me faire chier en voyant que tu m'as pété la gueule. Je suis sûr qu'il proposera de te péter la tienne. Putain, ça va être chiant. Oh, et Kylan, c'est mon connard. »murmura-t-il avec fatigue.

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