Dans la vie autour de lui, Cesare avait souvent l’image d’un mur. Celui que sa famille, la chasse et les responsabilités inhérentes à celle-ci, avaient construit, entre le jeune DeMaggio et le monde, là-bas, à l’extérieur. Être libre lui paraissait n’être qu’une illusion, alors, contre laquelle il se fracassait quand les questions et les décalages se faisaient si évidentes qu’ils en devenaient gênants. Dans sa frustration, alors, le manque de réponse idéale, le brun s’était souvent retrouvé à dire aux autres qu’ils ne comprenaient pas. Il l’avait balancée à Isolde plus souvent qu’à n’importe qui, cette réplique; sans cruauté, sans critique. Ç’avait juste été un fait, évident dans son crâne. Elle n’avait jamais été élevée comme lui, et l’affection de Cesare pour elle faisait qu’il en était soulagé. Soulagé pour l’Isolde d’autrefois, qu’il n’avait pas connue, mais qui avait grandi, entourée, aimée, choyée. C’n’était pas son cas à lui. Ou à Aria. Ou à Skylar. Mais combien de fois avait-il pensé que sa petite soeur ne ‘pouvait pas comprendre’, elle aussi? Les responsabilités qui lui tombaient sur les épaules à lui, la réalité de sa condition d’ainé, de fils unique? Le fait qu’il en souffre autant qu’elle, pour des raisons différentes, mais des raisons tout aussi valides? Est-ce que Skylar pouvait comprendre, elle? Elle était amoureuse aussi, après tout, à en croire cette photo d’une fille aux cheveux bruns qui lui était presque inconnue, avec un type qu’il n’avait jamais rencontré. Mais elle n’en était pas à essayer de vivre comme une personne lambda sans histoire, fuyant son passé. Peut-être alors, que Cesare était seul avec lui-même, quand il était question de sa conscience, de ses espoirs, ses envies ou ses craintes. Rien que par simplicité, parce qu’il n’avait pas été élevé à réfléchir à chaque aspect de son existence à cette époque, Cesare aurait presque pu, pour quelques secondes, regretter la possibilité d’avoir eu une vie comme ça, avec Skylar. Une vie bien cloisonnée, leur cerveau complètement endoctriné par leurs familles, aveuglés comme l’étaient leurs propres parents; Rafael n’semblait pas avoir beaucoup de remords à se trimballer sur les épaules, le dos vouté, l’esprit épuisé par des batailles internes. Et le fils lui-même, n’se souvenait pas spécialement d’une période pendant laquelle, ses victimes l’avaient poursuivi en des cauchemars incessants, comme elles le faisaient aujourd’hui. Peut-être était-ce tout ce qu’il méritait; rien d’autre que l’ironie glaçante de subir ça dès lors qu’il pensait s’en être sorti: évidemment qu’à briser le cercle-vicieux de toute sa vie, il laissait enfin place à la réalité impitoyable de tout ce qu’il avait semé derrière lui. La chasse l’avait même rendu aveugle à la condition de sa meilleure amie; il n’aurait jamais pensé qu’elle était une transmutante, qu’elle cachait ce fait même à lui, ou qu’elle puisse être encore vivante, cachée et maltraitée par ses propres parents. Il avait été aveugle à tout ça, comme il avait été aveugle quand son père avait enlevé Anthea, et l’avait tuée rien que pour faire payer à Isolde il ne savait quoi. Des années plus tard, il semblait bien que beaucoup d’choses n’avaient pas changé, malgré l’aspect extérieur de ce qu’ils étaient devenus. Cesare, parfois, dans les pires moments, il s’disait que peut-être il n’faisait que prétendre; que peut-être un beau matin il se réveillerait, rattrapé par ce qu’il avait toujours été - peut-être qu’une fois germée, la graine du hunter ne partait jamais vraiment, et que c’n’était qu’une question d’temps.

Peut-être alors que les gens n’venaient pas à la vie avec un gêne propice à l’amour; le DeMaggio, il l’espérait, n’était pas né avec un gêne pour faire de lui un tueur. Ç’avait été quelque-chose que la vie avait créé en lui - et irrémédiablement, souvent, c’était son premier réflexe. Il avait tué bien des gens, dans sa quête de justice pour Aria. Il avait tué Kingsley Moren, et quand bien même ç’aurait pu s’excuser par l’fait que sa victime ait été la pire ordure qui soit, après tout, il n’avait pas été question d’justice, mais de rien d’autre qu’une vengeance froide et calculée. Le mariage, semblait clairement antithétique à tout ce qu’il avait érigé de ses propres mains jusque-là; Isolde, elle semblait surtout n’pas avoir sa place avec quelqu’un comme lui. Encore et encore, il s’répétait qu’elle méritait mieux - il s’répéterait toujours qu’elle méritait mieux; et que peut-être bien, elle finirait par s’en rendre compte, un beau matin. Mais le brun savait aussi, pour avoir déjà mis ces pensées en mots, qu’elle était assez têtue pour n’pas vouloir l’entendre - qu’elle était trop impétueuse elle aussi, trop amoureuse peut-être, d’il ne savait quoi en lui-même. Ils voulaient de ce mariage tous les deux; peut-être parce qu’ils étaient aveugles. Peut-être parce qu’Isolde était aveugle en tout cas, et que lui, il était désespéré. Désespéré à s’accrocher à elle, parce qu’il avait besoin d’elle, envie d’elle dans sa vie - parce qu’évidemment, ce serait toujours Isolde et uniquement Isolde qu’il aimerait avec toute la force de son libre-arbitre et des choix indépendants de son coeur à lui. Oui ça reviendra. Sans aucun doute. Au moins, Skylar n’essayait pas de jouer sur une naïveté qui n’existait pas en lui depuis belle lurette; elle n’mentait pas et peut-être que c’était plus facile pour elle, puisque son coeur n’était pas à prix dans toute cette histoire. Cesare, lui, il était persuadé qu’un peu plus ou un peu moins, serait juste la voie idéale pour les mener droit vers le mur, Isolde et lui. Pourtant, il écouta et ingurgita chacun des mots de sa meilleure amie, le regard dans le vide, ses mains liées entre elles; il resta muet, il ne l’interrompit pas, et même après qu’elle eut parlé, il ne put que rester silencieux. « T’as l’intention de partager ton bordel avec ton ‘copain’, un jour, toi? » il ne sut pas vraiment sur l’instant, si c’était une question chargée de critique pour mettre la blonde face à ses contradictions, ou si c’était une vraie question pour elle. Après tout, s’il devait être honnête, chaque difficulté avait été plus facile à surmonter quand Isolde avait été avec lui. Parce qu’elle avait été avec lui. Et que tout autant qu’elle ne ‘comprenait pas’ dans certains aspects, sa façon à elle de voir les choses avait eu quelque-chose de réconfortant, de différent de tout ce qu’il avait connu. C’était pour ça qu’il l’aimait, pour ça qu’il l’épousait; Isolde était différente de tous les gens qu’il avait côtoyés - elle avait un coeur, elle essayait parfois d’éveiller sa naïveté, son envie de vivre tout court. Il soupira enfin pour lui-même, récupérant le café qu’il avait reposé sur la table basse; « J’sais pas comment j’ai fait, pendant sept ans. » admit-il, au moins dans un léger ricanement pour se donner un peu de contenance, malgré la triste réalité de cette évidence. Sans Skylar, il s’était paumé pendant toute une période de sa vie; et puis il avait trouvé Isolde. Peut-être que si Skylar avait continué d’être dans les parages, il n’aurait jamais rencontré la Saddler. Peut-être que le hasard, la vie, étaient juste simples comme ça. « Évidemment, comme tu représentes approximativement, cinquante pour cent de ma liste d’invités, tu seras aussi témoin, hein? » c’était comme s’il était apte comme ça à passer à autre chose, déjà. Bien sûr que c’n’était pas si facile, Skylar devait le savoir; il avait juste enregistré les conseils qu’elle lui avait offerts, et il allait sans aucun doute cogiter dessus pendant les semaines à venir. Au moins, le truc évident et indéniable, c’était que ce n’serait que si Isolde se réveillait subitement, amenée devant l’évidence qu’elle méritait un meilleur avenir que celui offert par un DeMaggio, que le mariage serait annulé, et qu’ils auraient fait tout ça pour rien.