On ne m'a donné ni arme ni larmes à mes yeux
Que ce cheval d'acier noir et ce corps sans visage


On est trop jeune quand on a treize ans. Assis là, dans l'obscurité d'une chambre humide, les pieds touchants à peine le sol, il se dit que c'est trop jeune pour mourir. Et il se croit mourir. Damian, le visage fermé, les gouttes dévalant ses yeux jusqu'à son menton, il ne veut pas mourir maintenant. Il se dit qu'il y a encore trop de choses qu'il veut voir. Les couchers de soleil qui plonge dans la mer, l'éclat du verre lorsqu'il le passe sous la lumière, le visage des gens qui entrent dans la boutique, le sourire aux lèvres. Les mains serrées, les doigts qui s’emmêlent et la salive qui se bloque dans la gorge. Le petit garçon, dont les yeux ne se sont pas encore habitués au noir, il sent que quelque chose se trame. Alors il respire doucement, se force à ne plus avoir peur. Mais il est trop jeune encore pour comprendre. Le bruit des pas dans le couloirs résonne jusque dans la chambre, lui fait courber le dos, comme un chien qui aurait pissé sur la moquette et qui attend docilement le retour de ses maîtres.

La porte s'ouvre sur un grincement, ça lui hérisse le poil sur les bras; il tremble un peu. Un trait de lumière se dresse, éclairant son visage d'où les larmes continuent de tomber, formant des petites traces sur le sol à ses pieds. L'homme, grand, fort, porte un plateau dans ses mains. Un sourire triste passe sur son visage alors qu'il referme la porte, se saisi d'un briquet et allume une petite bougie qui éclaire faiblement les murs de la pièce. « Je t'ai amené à manger. » L'odeur de la soupe chaude lui remonte dans le nez, le fait saliver, lui qui n'a rien avalé depuis deux jours. C'est trop jeune, treize ans, pour mourir de faim seul dans une chambre. Damian n'arrive pas à se détendre, son corps frêle se tends, la peur prend le dessus. L'homme, trapu, pas bien grand, lui souris encore tristement tout en déposant le plateau aux pieds du garçon apeuré. « Elle ne va pas tarder a venir te voir. Mais avant il faut que je te dise quelque chose. »

Et, sous les yeux incrédules du gamin, les histoires se sont répétées les unes après les autres. C'est trop jeune, treize ans, pour comprendre sa destinée, pour s'accrocher a de telles histoires. Il se dit que tout ça n'a pas de sens, que le monde ne tourne plus rond. Damian il ne veut pas avoir à tuer des gens, les larmes ne cessent de couler. Elle entre dans la pièce à son tour, congédie l'homme d'un mouvement de la tête. Ses talons ont toujours claqués, et ce bruit force le petit à faire le dos rond, à se courber devant sa mère. « Est-ce que tu as compris ? » La peur au ventre le gamin se crispe, la gorge nouée. Il voudrait parler, lui répondre, mais l'angoisse se fait enivrante et les mors se perdent. La main de sa mère s'écrase contre sa joue et il ne pleure plus. « Damian. » Le petit se redresse, se tient droit pour la première fois, il glisse son regard dans celui de sa mère et l'envie lui prend d’encercler de ses petites mains le cou si fin de la femme. Mais il ne fait rien, il est trop jeune, elle le tuerai. « J'ai compris. » Mensonge. Il ne sait rien, peut-être qu'il ne saura jamais vraiment pour quoi ils se battent ainsi. Mais la main de sa mère tire les ficelles au dessus de sa tête et la peur le paralyse. Pantin de chaire dans les doigts couverts de sang.


Du haut de ma monture sur des escaliers de brumes
J'entends le cri des hommes qui ont perdu l'amour



Elle était si belle, dans la lumière naissante, ses cheveux bruns couvrant son dos dévoilé. Il pourrai rester là une vie entière, il pourrai se perdre à jamais dans les courbes de son corps, le creux de ses reins. Damian, dont le tasse brûlante entre ses mains le réchauffe, se surprend a la regarder encore. Le gilet sur les épaules, ouvert sur son torse laisse apparaître le sceau marqué, les cicatrices qui dessinent les armoiries. Toujours pantin, toujours trop jeune. Il se bat contre ses propres démons, il affronte les mêmes mannequins dans ses cauchemars. Le visage de l'homme s’assombrit, se ferme alors qu'il peut entendre le bruit qui régi toute sa vie. Un bip, insignifiant pour les autres, et qui pourtant le tue un peu plus à chaque fois.

Les routes sont vides, le soleil encore couché, et le vent danse avec entrain dans les branches. Sur le volant les mains de Damian ne tremble pas, mais la clarté dans ses yeux a disparue. Il n'y a plus rien, rien que du vide, un mannequin qu'elle guide à guise. La présence de sa mère est toujours là, partout dans les feuilles qui tremblent, dans la terre qui s'effrite sous ses pas, dans les armes qu'il choisi à l'arrière de son coffre. Âme du vide, enfant du néant, ses yeux s'habituent vite à l'obscurité qui l'entoure. Solennellement il passe une main rapide sur son cœur tandis que son esprit s'embrume. Damian a déjà essayé, de fuir, d'arrêter, mais elle le retrouve toujours et il fini par se rendre, le dos courbé, le genou à terre. Le premier bruissement se fait entendre, l'homme ferme les yeux et s'imprègne de l'ambiance, se nourrit des bruits. Un deuxième, puis troisième bruissement et l'homme se mets en chasse, fébrile, apeuré.

Une main couverte de sang s'abat contre le montant de la porte. Le bois se tâche. Quand la porte s'ouvre c'est tout le corps de l'homme qui s'effondre. C'est la première fois qu'il rentre les mains vides, et il peut sentir l'ombre de sa mère qui se rapproche, il sait qu'elle va venir à lui, qu'elle n'hésitera pas à le punir. Damian, il a été incapable de tuer la proie, elle était plus forte que prévue, il n'a rien vu venir. Le lit est vide, les draps tirés, les volets ouvertes. L'homme se relève, la raison aveuglée. Elle n'est plus. Partie, envolée. Il voudrait pouvoir se laisser tomber à terre, se laisser mourir. Les talons claquent, les souvenirs remontent. « Tu pensais que ça durerait ?. » Elle se dresse devant lui, le juge, son regard le transperce tandis qu'elle soulève le haut de son fils, qu'elle inspecte la blessure. « Tu as mal ?. » Damian, marionnette tendue, ne peut pas soutenir son regard. Lentement elle enfonce ses doigts fins dans la plaie, elle soutire des cris feutrés d'entre les lèvres de l'homme. « Non. » Mensonge, le corps de Damian se courbe tandis qu'elle affiche un sourire conquérant. La mère se sépare de son fils, mets sa main contre sa bouche, un éclat de sang sors d'entre ses lèvres. Elle tire de sa poche un mouchoir et couvre ses lèvres pour y nettoyer le sang. « Elles ont failli te tuer. » La matriarche prend ses distances, s'assoie distinctement sur le lit. Damian, le corps tremblant, le sang s'écrasant lentement sur le parquet, s'empare d'un torchon qu'il déposa contre la plaie. « L'une parce que tu as cru en l'amour, l'autre parce que tu as été stupide. » Elle tousse de nouveau, ses yeux se perdent, recouverts de larmes qu'elle ne peut pas cacher. « Qu'est-ce que tu lui as fait? » Un rire fin s'élève dans la pièce. Elle caresse les draps d'une main, elle hausse les épaules. « Je lui ai demandé de partir, je lui ai dit que tu étais..perdu...et elle a pris un chèque en partant. » Comme quand il avait treize ans, il voudrait pouvoir se jeter sur elle, l'étrangler jusqu'à ce qu'elle supplie de mourir. La haine lui voile les yeux, il s'élance vers elle, la rage au ventre. « Je vais mourir Damian. Il ne me reste plus grand chose à vivre. » L'homme s'arrête en plein élan, se prend une claque dans la gueule. La matriarche est invincible, c'est elle qui tue les autres. Un nouveau rire, comme une barrière qui l'empêche de se jeter sur elle. Les yeux de l'homme se font plus clairs, moins raidis par la colère, il redeviens un gamin, attiré par les bras de sa mère qui ne l'a pourtant jamais enlacer. Elle se lève, se rapproche, pose une main fébrile sur l'épaule du brun. « Quand le temps sera venu tu prendra ma place. En attendant, retrouve la, et tues la. »



Puisqu'on a fait mon âme dans un acier linceul
C'est de l'humain tout entier dont moi je porte le deuil




Âme du vide, enfant du néant, ses yeux s'habituent vite à l'obscurité qui l'entoure. Le froid lui plombe les os après tant de temps d'attente. Il sait qu'elle est là, quelque part. Peut-être a t-elle peur elle aussi, peut-être que le froid lui a rongé les mains. Le souffle de l'homme se brise tandis que les hommes passent tout près de sa cachette. Son corps se fige un peu plus, le silence le tue. Damian sait qu'il n'a juste qu'à se montrer pour que tout le monde le laisse passer. On ne dit pas non aux Moehr, surtout pas quand l'ombre de la mère se dresse partout. C'est vrai, ça rendrait les choses plus simples. Armé, les poings serrés contre ses paumes il profite d'un instant de latence entre deux rondes pour changer d'emplacement.

Il a toujours peur, il aura toujours la trouille au ventre. Et pourtant il se lève, il affronte les démons qui le pourchassent et mets en route pour ouvrir la porte que le sépare de la jeune femme. Il ignore la raison qui le pousse à faire ça, peut-être que c'est la culpabilité, peut-être que c'est la reconnaissance. Dans les couloirs il trouve vite sa marque, il se faufile sans que personne ne le voit. D'une porte à l'autre, traversant les escaliers comme une ombre. Damian trouve la belle, il la juge tout en sentant son cœur qui dérape. Peut-être qu'il fait ça juste pour elle. C'est la folie, sa mère le tuera. Mais ça le ronge de la savoir ici, alors Damian combats ses démons. Il fait ça pour elle, et ça le tue.