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 (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose

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Hippolyte Caesar
Hippolyte Caesar

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MessageSujet: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeSam 22 Oct 2016 - 18:00

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Si l'on pouvait reprocher bien des choses à Hippolyte Caesar – à commencer par son antipathie, sa froideur, son intransigeance et sa capacité émotionnelle pas plus grande qu'une cuillère à café – on ne pouvait en revanche pas vraiment parler d'un homme sujet aux excès. Avec un patrimoine et une fortune comme les siens, il aurait pu très vite tomber dans la démesure et la débauche, dilapider un précieux héritage en voiture de luxe, maisons de campagne ou plaisante de compagnie, mais il n'en avait jamais rien fait. Certes, la magnifique Aston Martin qui côtoyait une sublime Porsche dans son garage n'était pas à la portée de tout le monde, et il possédait toujours un bel appartement dans le 8ème arrondissement de Paris, mais c'était à des années lumière de ce que ses milliards de dollars auraient pu lui offrir. Il ne vivait pas non plus dans une démesure orgiaque proche de la Rome Antique, loin de là, et on ne pouvait finalement relever que son tabagisme excessif, dans la très courte liste de ses excès.

Pourtant, ce soir-là, il avait brisé ses propres limites sans le moindre remord, et sortit une bouteille scotch de haute qualité, d'un âge avancé et dont la belle couleur ambrée aurait ravit tous les amateurs. Lui ne goûtait pas le breuvage pour le plaisir de sentir sa saveur lui chatouiller les papilles ni l'alcool lui échauffer la gorge. Il buvait sans discontinuer, pour oublier. Oublier quoi ? A peu près tout. A l'instant même où la bouteille était venue tinter contre le verre, il avait voulu oublier jusqu'à son nom, son existence, qui il était, ce qu'il faisait, où il allait. Ne plus se poser de question, mettre en veille le bourdonnement incessant de ses trop nombreuses pensées et questions, chasser les remords et la culpabilité, dire bon vent à la colère... Ne plus rien ressentir, s'effacer sous une cascade de whisky.

Affalé dans un canapé de cuir noir et le regard dans le vague, il retira maladroitement sa cravate et la jeta à côté de lui, réveillant par la même occasion Duchesse, sa magnifique chatte angora, laquelle plissa ses grands yeux vert avec un air contrarié. C'est qu'on ne la réveillait pas impunément, cette demoiselle ! Machinalement, Hippolyte passa les doigts dans le pelage immaculé de l'animal, lequel se mit aussi à ronronner et se rendormit comme si de rien n'était. Qu'il aurait voulu avoir la vie rêvée d'un chat de salon, le directeur, qu'il aurait parfois préféré ne pas être un homme d'affaire aux multiples responsabilités et à la vie de famille mise en pièces par un nombre incalculable de mauvais choix.

Victoire... Qui pouvait dire combien elle lui manquait ? Si Victoire avait été là, elle aurait compris d'un regard ce qui n'allais pas, si Victoire était là, elle aurait su quoi dire et quoi faire. Si Victoire était là... Mais Victoire était absente, avait tenté de le tuer, et de tuer Marius. Comment pouvait-il encore lui faire confiance, malgré tout ? Il n'y avait vraiment que sa famille pour provoquer chez lui des comportements aussi irrationnels, des accès de colère et d'impuissance qui ne lui ressemblait pas... Et que dire de Marius ? Il avait le don de lui filer entre les doigts et de revenir à la charge en permanence, de lui tenir tête et de lui mettre le nez dans ses erreurs et sa culpabilité... Marius avait tout simplement ce talent rare et incroyable de réveiller le père qui sommeillait en Hippolyte. L'humain, l'individu doté de sentiments, et non la machine inarrêtable qu'il était dans son travail.

Soupirant, Hippolyte attrapa son paquet de cigarette, constata qu'il était vide, et se leva en titubant pour aller en chercher un nouveau. Il n'avait pas le moindre intérêt pour la nicotine et le goudron qui lui empoisonnaient l'organisme, pas plus qu'il ne se souciait de la migraine et gueule de bois qu'il allait probablement se traîner le lendemain. Pour l'heure, ça n'avait pas d'importance, mais étant donné la vitesse à laquelle il vidait la bouteille de scotch, il n'allait pas tarder à ramper sous sa table basse. Alors qu'il allumait son énième cigarette de la soirée, on sonna à la porte, et il releva les yeux en même temps que Duchesse, outrée que l'on vienne interrompre sa soirée. Hippolyte hésita un moment, se demandant s'il était sage d'ouvrir alors qu'il n'était clairement pas en état de recevoir qui que ce soit, et se traîna difficilement jusque dans l'entrée pour jeter un regard vitreux à travers le judas. Immédiatement, il se raidit. Marius. Que venait-il faire ici ? Ils ne s'étaient pas reparlés depuis la sortie de prison d'Hippolyte, alors quoi ? Que venait-il lui demander ? Une chose était certaine, Hippolyte n'était pas en mesure de tenir tête à son fils, et ne sut jamais pourquoi il avait ouvert la porte plutôt que de le laisser en plan sur le seuil.

« Marius... Qu'est ce que tu fiches ici à cette heure... ? Tu n'as pas mieux à faire que rendre visite à ton connard de paternel ? »

Un ton bougon, une absence totale d'amusement dans son regard, tout n'était que cynisme et agressivité gratuite. Puis, en fronçant les sourcils, Hippolyte se rendit compte que son fils était à peu près dans le même état que lui, à ceci près que l'alcool ne semblait pas du tout lui faire le même effet.

« Je rêve ou tu as bu ? Entre, je n'aimerais pas que tu vomisses sur mon paillasson... »

A vrai dire, il voulait surtout éviter deux choses : que ses très chics et arrogants voisins le voient son fils dans cet état-là, et que ce dernier ne fasse un malaise à cause des effets néfastes que pouvaient avoir l'alcool sur son cœur. Il était soûl, le Caesar, mais encore complètement fou.
© Grey WIND.
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Marius Caesar
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeLun 31 Oct 2016 - 17:41

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Au moins, il est sorti de prison, c'est déjà ça de pris. Déjà ça de pris. Je fais un signe à un serveur, muet mais pas moins éloquent, brassant la table pour qu'il remplisse nos verres, again. Soirée entre amis, soirée avec deux autres cascadeurs rencontrés sur des tournages il y a quatre et trois ans, recroisés plus d'une fois depuis. Je me laisse aller contre le dossier de la chaise, pas vraiment d'humeur à aller danser, parler, draguer… pas vraiment d'humeur pour quoique ce soit d'autres que m'inquiéter. Mon portable tourne entre mes doigts mais reste silencieux. Je n'attends pas de nouvelles de mon père, il avait été très clair la dernière fois sur sa réaction si je le faisais effectivement sortir de prison. Au risque d'y aller par la suite. J'imagine que la seule chose qui m'empêche d'y être, là, tout de suite, c'est mon état de santé. Et le fait qu'on s'acharne moins sur moi que sur mon père. Sûrement parce que je suis moins intimidant. Ou moins haïssable. Ou trop immature pour que même la justice ne réussisse pas à me tenir responsable de mes actes.

Un coup sur l'épaule pour s'annoncer, Mike s'écrase sur la chaise et vide son verre nouvellement rempli dans un même mouvement. ” Je n'aurais jamais cru pouvoir un jour te voir aussi anxieux Marius.” C'est marrant, moi non plus. ” Ah ouais ? Même quand j'envisageais de te dire que j'avais couché avec Mélanie ?” J'ai un demi sourire, forcé pour le bien de l'anecdote, en mémoire de ce jour où, alors qu'on se connaissait à peine, on m'avait forcé à aller voir cette armoire à glace pour lui expliquer que j'avais poussé sa copine à le tromper. Ce que j'avais fait, dans cette morgue insouciante qui m'a toujours caractérisé, tout en appréhendant un peu sa réaction. A juste titre. Un oeil au beurre noir, un poignet foulé, une côte fêlée. Et une amitié. Mike éclate de rire en m’arrachant mon portable des mains. ” Ouais, même !” Autant je suis un cascadeur souple, vif, dynamique et incroyablement technique, autant Mike a une force brute époustouflante. Aucun moyen de résister - hors de question d'utiliser ma mutation - lorsqu’il m’attrape par le bras pour me forcer à me lever. ” Allez, frenchie, y’a un moyen très simple de te faire oublier tout ça !” Il pose dans ma main un verre à shot, rempli, qui tranche avec les bières posées sur la table qu'on vient de délaisser. ” Laisse moi te présenter ton amant pour la soirée...” J'ai un demi sourire amusé, pas le moins du monde forcé, cette fois. Un demi sourire qui suffit à faire son bonheur visiblement. Je vide le verre d'un seul geste. Il n'a pas tort: inutile d'angoisser pour le moment.

Je ne fume pas, je ne me drogue pas, je n’ai jamais consommé quoique ce soit de particulièrement illicite, je fais même - étrangement - attention à mon alimentation. Et je ne bois pas régulièrement. En revanche, quand je le fais… et bien je ne fais pas les choses à moitié. Et j’ai l’alcool joyeux. Très joyeux. A partir du moment où je finis le premier shot, c’est comme si je m’autorisais à le faire suivre non pas d’un autre, ni même de deux, mais d’un nombre dont j’ai perdu le compte au bout de quelques heures.

Pourquoi est ce que je me faisais du souci, déjà ? J’éclate de rire, lorsque Mélanie, la deuxième cascadeuse à m’avoir traîné dans un bar pour me changer les idées, m’embrasse, comme si de rien n’était, devant Mike lui même. J’éclate de rire, dans un « Rooooh… fais pas ton rabat-joiiiiie, Mickey ! » lorsqu’il nous sépare violemment et me fait comprendre qu’il faut que je m’arrête là pour la soirée. « Rooooh… c’est toi qui m’as présenté mon amante de la soirée, c’est même toi qui l’as dit, si si ! » Lorsque j’ai bu, j’ai conscience que ma connerie, déjà remarquable en temps normal, atteint non seulement des records, mais aussi un niveau de mauvaise foi comparable à celui de mon père. Mon père. Je ne sais pas pourquoi, mais puisque Mike a décidé que j’avais suffisamment bu pour la soirée, pourtant j’ai juste commencé, ça me semble judicieux d’aller le voir. Histoire de lui faire un coucou. Et de lui dire que même s’il m’en veut de l’avoir fait sortir de prison, et bien moi, je ne regrette rien. Non ? De toute manière, Martial ne répond pas à mes SMS, donc inutile de l’emmerder davantage. Aspen n’est pas dispo, Moira est de sortie, Seth… Seth, ce qui ne laisse en tout et pour tout que mon père à aller emmerder. En plus, ça fait des années, beaucoup trop d’années, que je n’ai pas foutu les pieds dans notre appartement. Des années. Ma moto m’attend, je fronce les sourcils en lui disant bonjour, dans un nouvel éclat de rire lorsque je me rends compte de ma propre connerie. C’est une bonne idée d’aller voir Papa maintenant. Ça lui fera une bonne surprise. Parce que je doute qu’il s’y attend. Surtout lorsqu’on approche dangereusement minuit. Et qu’on ne s’est pas adressé la parole depuis… oh, un chat. Je déteste les chats. Je fais un écart sur la route – déserte – pour tenter de l’écraser, mais ce petit con accélère brutalement dans un bond sur le côté et un miaulement particulièrement mécontent. Je suis sûr qu’il m’a insulté, le bâtard. Je suis sûr que les chats insultent tout le monde. Moi même, je ne me gêne pas lorsqu’il s’agit d’insulter les gens dans une langue qu’ils ne vont pas comprendre, alors pourquoi est ce que ces créatures du diable s’en priveraient, hein ?

Machinalement, les réflexes reprenant le dessus, avec 9 ans de retard, même dix, je me gare, lève la tête en direction de la façade de l’immeuble. Bien trop chic, il tranche même avec le mien, pourtant pas un truc de pouilleux. Mon père, ma mère, les Caesar sont faits pour le luxe. C’est tellement évident, lorsqu’on voit ça, que ça me donnerait la gerbe en temps normal, que ça me donnerait envie de hurler à quel point je les hais, eux et leur bourgeoisie, eux et leur mondanité, eux et leur côté péteux. Là, je dois avoir un peu de verres finis dans mon estomac pour réussir à m’en faire la remarque. Tout ce que j’arrive à me dire, c’est que… Malgré tous mes efforts, ils ont déteint sur moi, autant l’un que l’autre, et c’est déprimant de se le dire. Amusant de l’observer. Je ne sais pas trop quoi y penser. En fait, tout ce que je veux, c’est passé une soirée avec mon père. C’est con, hein ? Mon doigt écrase la sonnette, un peu trop longuement pour que ça passe pour quelque chose de naturel. J’écrase la sonnette, avec cette envie de dire un autoritaire Papaaaa, ouvre moiii la poooorte.  Je sais que ça ne passerait pas. Pas avec lui. Est-ce qu’avec un père normal, ça passerait ? Je n’en sais rien, je n’ai pas un père normal. Mais au moins, j’ai un père, au moins, c’est un homme charismatique, respectable lorsqu’on ne se montre pas trop pointilleux sur la définition, intelligent, impressionnant, intimidant… Je lève la main pour faire coucou à l’instant où son visage apparaît. « Hey Papa ! »

« Marius... Qu'est ce que tu fiches ici à cette heure... ? Tu n'as pas mieux à faire que rendre visite à ton connard de paternel ? » L’entendre se traiter lui même de connard… ça m’arrache un petit rire. Parce qu’en général, c’est à moi de le faire. C’est moi qui le traite de connard, c’est moi qui l’insulte, c’est moi qui le déteste et qui lui hurle d’aller se faire foutre. Est ce qu’il va se dire lui même d’aller se faire foutre ? « Je rêve ou tu as bu ? Entre, je n'aimerais pas que tu vomisses sur mon paillasson... » J’éclate de rire sans plus tarder devant sa question. Juste avant d’exagérer la vexation, de plaquer les deux mains sur mon coeur. « Tant d’accusation, je suis blessé dans mon petit coeur, » Mes yeux papillonnent pour simuler une fausse larme, je ne me le fais pas dire deux fois, rentre dans l’appartement en tapotant l’épaule de mon père, comme par compassion. « J’ai presque rien bu, papa, t’en fais pas. Juste quelques verres, quelques shots, rien de bien dramatique, oh, c’est nouveau ça ? » J’ausculte le vase qui traînait sur un meuble avant de le reposer bien à sa place et de me comporter comme un conquérant qui rentrerait chez lui. Chez moi. Je m’immobilise à l’entrée de la grande pièce à vivre, l’émotion se diffusant dans mes jambes comme une coulée de plomb. A moins que ma mutation n’exagère juste la densité de mes jambes, pour que je puisse m’en servir comme supports lestés. « Ca va faire quoi… dix ans ? » Dès que j’ai fini le lycée, j’ai déménagé. J’ai trouvé un appartement, j’ai jeté trois vêtements, deux ordis et une poignée de playmobiles dans un sac et je me suis barré. Resté dans la même ville, bien sûr, modulo mes déplacements pas vraiment réguliers à la fac ou j’ai fait comme si j’étudiais, modulo mes matchs, mes stages, mes voyages à l’étranger. Mais je me suis barré d’ici, pour ne plus y remettre les pieds. Entre mes dix-sept et mes vingt-et-un ans, je n’ai pas du venir plus de cinq fois. Depuis mes vingt-et-un ans… « Je la connais pas, celle-là. » Je désigne de l’index une toile accrochée à un mur du salon. Je reste bloqué à l’entrée du salon. Incapable d’y faire un pas.

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Hippolyte Caesar
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeMar 1 Nov 2016 - 17:30

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



En règle générale, Hippolyte aimait avoir les idées claires pour discuter avec Marius, pour la simple et bonne raison qu'il devenait facilement incohérent, et qu'il fallait déchiffrer les propos utiles au milieu des injures. Avec un Marius déjà bien alcoolisé et son père qui n'était guère mieux, autant dire que la conversation à venir promettait d'être difficile à suivre et n'aurait probablement aucun sens. Déjà, les choses commençaient bien – oui mal, suivant le point de vue – avec un « hey Papa ! » qui fit hausser un sourcil à Hippolyte. Depuis quand lui disait-il bonjour de cette manière ? Pire, depuis quand Marius disait-il bonjour tout court et non « dégage » ou « vas te faire foutre » en guise d'introduction ? A vrai dire, Hippolyte n'était pas véritablement ravi de voir son fils sur le pas de sa porte, et encore moins alcoolisé. Il n'avait tout simplement pas envie de le voir, surtout pas après l'énergie ridicule qu'il avait déployée pour le sortir de prison. Tout ce qu'Hippolyte attendait avec inquiétude et fébrilité, c'est le moment où on viendrait lui demander de témoigner dans l'affaire de la créature qui avait terrorisé les habitants de la ville. Et si on lui demandait de témoigner contre Marius ? Pourtant, il le laissa entrer de mauvaise grâce, espérant secrètement qu'il pourrait vite le mettre dans un taxi et le réexpédier chez lui.

« Des accusations à ton encontre, j'en ai revendre. Je m'arrête ici, ou tu veux tenter un énième infarctus pour te guérir de ta connerie ? », cracha-t-il d'une voix bougonne en refermant la porte derrière un Marius titubant sous l'effet de l'alcool.

Malgré sa propre ébriété, il suivi son fils du regard, surtout lorsqu'il s'empara d'un vase en porcelaine fine qui valait plusieurs milliers de dollars. Si Marius le brisait, Hippolyte se jurait de lui faire ingérer tous les fragments... Mais certainement pas par la bouche.

« Repose ce vase, je te jure que tu vas le regretter si tu l'abîmes... Ton haleine empeste la vodka bon marché, tu as sûrement bu plus de quelques verres, alors assieds-toi avant de... »

Mais Marius ne l'écoutait pas, il arpentait les lieux comme s'il les redécouvrait. Certaines choses avaient changé, d'autres non. Les canapés avaient été changé, l'agencement également, il y avait davantage de toiles aux murs, et surtout il y avait Duchesse. La belle chatte blanche observait Marius de ses grands yeux verts en battant de la queue avec agacement. Qui était donc de curieux énergumène qui venait interrompre sa soirée de tranquillité avec son maître ? Loin d'être un animal câlin prompt à venir se frotter aux jambes des inconnus, elle se contenta de suivre Marius du regard. Hippolyte écrasa sa cigarette dans un cendrier et s'empara de son verre de whisky pour en avaler une gorgée.

« Ça fera bientôt dix ans, oui... Tu avais juré qu'à tes dix huit ans, tu mettrais les voiles. Tu n'as même pas attendu ton anniversaire pour ça. »

Il y avait du reproche et du regret, dans cette phrase. Hippolyte en avait toujours voulu à Marius d'être parti et d'avoir faire une croix sur l'avenir qu'il avait tenté de tracer pour lui, mais il y avait aussi beaucoup de regret, maintenant qu'il comprenait un peu mieux pourquoi son fils lui en voulait autant.

« Je crois bien que la seule pièce qui n'a pas changé ici, c'est ta chambre. Tout y est, même cette photo de moi accrochée sur ta porte et dans laquelle tu t'es amusé à planter des fléchettes. Rien que du bon goût... »

Plissant les yeux, Hippolyte fixa Marius, qui restait planté à l'entrée du salon, comme si une force invisible et surnaturelle l'empêchait d'aller plus loin. Comme si quelque chose en lui lui interdisait l'accès à cet appartement qu'il avait quitté si précipitamment. Qu'attendait-il ? Que cherchait-il ? Pourquoi revenir ici après tant d'années ? Hippolyte ne comprenait plus rien à l'attitude Marius : ses oui signifiaient non, ses non avaient valeur de peut-être, et ses j'en sais rien voulaient dire je vais mourir, tu peux rien y faire à part l'accepter. Rien de tout ce que pouvait dire Marius ne reflétait ce qui se passait dans son crâne d'abruti trop intelligent pour son propre bien. Lorsqu'il désigna une toile à son père, celui-ci se retourna pour la détailler. C'était un paysage marin abstrait, avec des nuances de bleus côtoyant des noirs plus ou moins profonds. Il se dégageait une richesse et un désespoir incroyables de cette toile, mais ce n'était pas vraiment le contenu du tableau qui faisait qu'Hippolyte l'avait accroché en évidence, visible depuis le couloir comme le reste du salon.

« C'est ta mère qui l'a offerte. Il y a un peu plus d'un an. Pas étonnant que tu ne la connaisses pas. Mais j'imagine que tu me parles de ce tableau pour faire la conversation, et que tu te fiches de savoir qui l'a peint... »

A force, Hippolyte connaissait son fils. Marius se foutait royalement de toutes les croûtes que son père chérissait, à peu près autant qu'il se fichait bien du crincrin de son frère aîné.

« Pourquoi restes-tu planté dans l'entrée ? Tu as peur d'entrer ? Personne ne va te mordre, à part peut-être Duchesse si tu la traites comme les autres... »

Et la remarque sonnait comme un avertissement. Que Marius tente ne serait-ce que de faire avaler du whisky à son chat, et Hippolyte se jurait de le mettre à la porte dans la minute.

« Entre, au lieu de rester planté là comme un idiot... Et prends donc un verre, que je ne sois pas le seul à boire... »

Se disant, il attrapa un second verre à whisky sur le bar et tenta d'y mettre trois glaçons, mais l'un d'eux se fit la malle sur le parquet à cause de ses gestes fébriles. Pestant mais refusant de se baisser pour ramasser le petit morceau de glace, il remplit le verre d'un liquide ambre, et le posa sur la table basse avant de s'emparer de son propre verre et de se laisser tomber dans un fauteuil.

« Alors ? »

Alors... En voilà une question qu'elle était bonne. Alors... Hippolyte n'avait ni l'énergie, ni l'envie de se battre, et encore moins de se disputer avec Marius. Alors... Une conversation normale, pour une fois, ponctuée par les idioties proférées par deux imbéciles alcoolisés ?
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeDim 6 Nov 2016 - 22:31

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Hippolyte & Marius



En général, je garde une certaine mesure à ma stupidité. Non, c’est faux. Je tente de garder ma stupidité cantonnée à la limite, à l’extrême limite, du vivable. Les seuls moments où je ne souffre plus d’aucune limite, où je suis capable de parier tout et n’importe, où il me suffit d’un prétexte pour courir tout nu dans la rue ou pour poursuivre quelqu’un avec une banane en hurlant convertissez-vous au fruitarisme, voire les deux en même temps, c’est lorsqu’on me fait boire. C’est simple, j’ai l’alcool joyeux. Pire : j’ai l’alcool con. Ça doit être pour ça que mes vrais amis évitent de me faire trop boire, et que les autres s’en donnent à cœur joie et m’offrent tournée sur tournée lorsqu’ils n’ont pas le moral. Quelques verres de vodka ou de whisky, je suis debout sur la table, à faire tourner ma chemise en invitant toutes les filles à danser, à me trémousser sur n’importe quelle musique.

En quelque sorte, on pourrait dire que mon père est presque chanceux de me voir arriver chez lui juste en début de soirée. En quelque sorte, aussi, il va falloir que je songe à remercier Mike et Mélanie de m’avoir éjecté du bar avant qu’il ne soit trop tard. Parce que je pourrais faire bien pire qu’un simple salut Papa. Bien pire. Et mon père ne s’en remettrait pas, vu sa tête en ouvrant la porte, devant ma salutation. Pendant un instant, je considère même la possibilité d’écarter majeur et annulaire et de lui souhaiter Longue vie et prospérité, mais il ne m’en laisse pas le temps, c’est pas juste. Surtout qu’il commence direct par m’agresser et m’accuser de tout plein de choses, et c’est franchement pas très sympa de sa part, je suis touché dans mon petit cœur. J’ai même une grosse larme qui coule sur ma joue, tiens, regarde Papa, je fais glisser mon index dans ma barbe pour la mettre en avant. « Des accusations à ton encontre, j'en ai revendre. Je m'arrête ici, ou tu veux tenter un énième infarctus pour te guérir de ta connerie ? » J’éclate de rire, à l’idée de refaire un infarctus et de voir encore mon père s’affoler comme un être humain, et je ne me fais pas davantage prier pour entrer dans l’appartement, sans oublier de tapoter l’épaule de mon père d’un air compatissant.

Grossière erreur. Faire un pas dans l’appartement, c’est se retrouver projeté des années en arrière. Lorsque j’ai claqué la porte, lorsque j’ai juré de ne plus y remettre un pied, lorsque j’ai pris mon indépendance sous le bras et que j’ai fait un bras d’honneur à mes parents en hurlant liberté chérie, viens voir papa. Ou quelque chose dans le genre. Faire un pas dans l’appartement équivaut à un retour en arrière de bien trop de minutes, comme pour extirper de mes veines l’alcool que j’ai ingéré, comme pour mettre en pause cet état d’ébriété qui était en train de rendre tout beaucoup plus simple. D’un pas incertain, je m’avance dans le couloir de l’entrée, j’attrape un vase en rassurant mon père : je n’ai pas bu grand-chose, comparé à certaines soirées, je ne vais donc ni salir son parquet, ni casser ses affaires et encore moins tondre son chat. Sauf s’il me provoque, bien sûr, là, je ne répondrai plus de rien mais personne n’aura intérêt à m’en tenir responsable. « Repose ce vase, je te jure que tu vas le regretter si tu l'abîmes... Ton haleine empeste la vodka bon marché, tu as sûrement bu plus de quelques verres, alors assieds-toi avant de... » Je lève les yeux au ciel. « Avant de quoi ? » Avant de reposer effectivement le vase, histoire de ne pas jeter d’huile sur le feu. Ou de la vodka sur le feu. Ça brûle bien, la vodka, presque aussi facilement et rapidement que ça se boit. Ce qui n’est pas peu dire. J’avance de quelques pas encore, je m’immobilise brutalement à l’entrée du vaste, trop vaste séjour. Allumé, signe que mon père y croupissait avant que je ne sonne. M’asseoir ? Hors de question : je suis incapable de faire un pas supplémentaire. J’oscille entre l’envie de rire et celle de me recroqueviller par terre. J’oscille entre l’envie de poursuivre mon exploration et cette incapacité physique que j’ai d’avancer davantage, de m’enfoncer davantage dans les vestiges d’une partie de mon enfance. Il n’y a pas le balcon duquel j’ai chuté, il n’y a pas non plus ces couloirs dans lesquels je me suis perdu, véritablement perdu, quand j’avais quatre ou cinq ans. Il n’y a plus cette chambre dans laquelle je faisais des cauchemars, il n’y a pas non plus ce mur sur lequel je m’étais entraîné au frisbee avant les assiettes du trousseau de mariage de mes parents. Mais il y a ce mur dans lequel j’ai donné un nombre conséquent de coups de pied, il y a la chambre où j’ai été enfermé un bon nombre de soirées, où j’ai hurlé à n’en plus finir toutes les insanités que je connaissais, que ce soit en anglais, en français, en franglais, il y a mes larmes, il y a les débris de mes espoirs, il y a cette rébellion qui a imprégné les murs à force d’être criée. Il y a la fin de mon enfance, il y a mes dernières années de prison, il y a les fantômes de celui que j’étais. Ca va faire bientôt dix ans. Et j’ai vieilli. Pas grandi. Juste vieilli. « Ça fera bientôt dix ans, oui... Tu avais juré qu'à tes dix huit ans, tu mettrais les voiles. Tu n'as même pas attendu ton anniversaire pour ça. » J’hausse les épaules. Bien sûr que je n’ai pas attendu mes dix-huit ans. J’ai un petit rire. « Vous n’aviez qu’à pas me faire sauter de classe. M’enfin… » M’enfin, pourquoi est ce que je me soucie de tout ça, finalement ? Qu’est ce que ça peut bien me faire ? « Je crois bien que la seule pièce qui n'a pas changé ici, c'est ta chambre. Tout y est, même cette photo de moi accrochée sur ta porte et dans laquelle tu t'es amusé à planter des fléchettes. Rien que du bon goût... »

Là, j’explose véritablement de rire, en secouant la tête pour me sortir et m’extirper de cette nostalgie sobre dans laquelle je me suis laissé engluer. Ça ne sert à rien de regarder le passé, ça ne sert à rien de regretter. « En même temps, tu me cherchais constamment, si tu savais le nombre de fois où j’ai eu envie de te les envoyer vraiment en pleine tronche, ces fléchettes, tu ne dormirais pas tranquille, Papa. Heureusement que ça m’est un peu passé, tout ça, tu ne penses pas ? » Je dis ça d’un ton léger, en franchissant symboliquement le pas du salon pour investir les lieux et observer plus en détails la décoration de la pièce, des tableaux toujours aussi nombreux, toujours aussi chers, toujours aussi omniprésents et préservés avec soin. Il y en a un que je ne connais pas, mais je le trouve sacrément déplacé dans un salon et pourtant parfaitement à sa place chez les Caesar. « C'est ta mère qui l'a offerte. Il y a un peu plus d'un an. Pas étonnant que tu ne la connaisses pas. Mais j'imagine que tu me parles de ce tableau pour faire la conversation, et que tu te fiches de savoir qui l'a peint... » Je pouffe, en faisant un deuxième et très courageux pas en avant. Je reste encore prudent, près à m’enfuir à la première attaque d’un souvenir malvenu. « Bien sûr que je n’en ai rien à foutre, il n’y a vraiment que toi pour te soucier davantage de ces croûtes que de tes propres enfants, tu sais. » Je suis peut être pétri de mauvaise foi, mais il ne peut pas mal le prendre, voyons : je dis ça en riant et avec une étincelle, voire un brasier, un bûcher, un feu de forêt d’humour dans les yeux. Noyé dans un océan d’une détresse refoulée par l’alcool. « Pourquoi restes-tu planté dans l'entrée ? Tu as peur d'entrer ? Personne ne va te mordre, à part peut-être Duchesse si tu la traites comme les autres... » Duchesse ? Je fais encore un pas en avant. Je suis débile d’avoir peur, bon sang, il ne va rien m’arriver et, comme déjà dit, « Bouarf, je ne compte rien lui faire si elle ne m’approche pas, ta serpillère. », serpillère que j’ai déjà eu l’occasion de croiser à de nombreuses reprises pendant la convalescence de mon père, d’ailleurs. « Entre, au lieu de rester planté là comme un idiot... Et prends donc un verre, que je ne sois pas le seul à boire... » Mes défenses et ma peur enfantine cèdent totalement sous cette deuxième invitation et surtout sous l’appel de l’alcool, je me glisse définitivement dans le salon, en laissant mes doigts glisser contre le mur, sur un meuble, sur un tableau, sur la table, comme pour m’imprégner vraiment. Je murmure, un « Home sweet home » avec un accent exagérément français en me laissant tomber sur le fauteuil le plus proche et en attrapant le verre qu’il me tend. « Merci », la politesse m’échappe avant que je ne puisse la retenir. Merde. A ce rythme là, c’est mon père qui va finir par faire un infarctus.

Je regarde l’alcool et sa couleur ambré se refléter dans le verre, avec une attention toute particulière. Un, deux glaçons, le troisième est parti se sacrifier pour dénoncer le réchauffement climatique dans une représentation dramatique de la fonte des glaces sur le parquet. Je me demande s’il ne faudrait pas que je lui balance d’autres glaçons pour le soutenir. « Alors ? » Je relève la tête, dans un sourire malicieux. « Alors quoi ? » Je me laisse aller contre le dossier du fauteuil en étirant les jambes devant moi pour les poser sur la table basse, enlever mes chaussures de la pointe des pieds, pour leur faire faire quelques petits saltos et les regarder retomber par terre en accompagnant leur rencontre avec le sol d’un « Pof ! Pof ! », dans un sourire. Je suis très fier de moi. « Je pense que j’ai un sacré avenir dans les doublages, moi. » J’avale une gorgée d’alcool. « Alors quoi, Papa ? J’ai plus le droit de venir te voir, c’est ça ? Parce que tu n’es plus en prison ? Tu sais, c’était un peu le but, en te faisant sortir de prison, qu’on passe un peu plus de temps ensemble. Tu sais, comme les gens normaux. Autour d’un bon litre de whisky, et putain que le tien est bon. Il vient direct d’Irlande ? » Il y a une légèreté dans mes propos que je sais totalement factice. Jamais, en temps normal, je ne serais capable de mettre à ce point de côté ma rancœur et mes reproches. Mais là, je ne sais pas, mes limites tombent, mes murailles s’effritent, mon enfance s’efface et seule subsiste cette admiration sans limite que j’ai toujours eue pour lui et que rien n’a réussi à véritablement entamer. « Tu peux mettre un fond de musique ? T’sais, genre du Linkin Park ou la danse des canards ? »

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeLun 7 Nov 2016 - 16:30

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Hippolyte n’était pas le plus attentionné des pères ni le plus présent, loin de là, mais il avait vu Marius dans bien des situations, en 27 ans. Il l’avait vu nourrisson, minuscule et tout potelé, l’avait soutenu pendant sa rééducation, l’avait supporté pendant son effroyable adolescence, et tolérait depuis des mois ses reproches, ses insultes et ses hurlements. Mais s’il y avait bien une chose qu’Hippolyte n’avait encore jamais vu, c’était son fils, soûl. Ça, c’était une nouveauté dont il se serait bien passé. A vrai dire, nul besoin d’être devin pour comprendre qu’Hippolyte était aussi ravi de voir son fils sur le pas de sa porte qu’un gros cancrelat qu’il aurait trouvé dans sa soupe. Rien ne semblait pouvoir vexer Marius, à tel point que la remarque acide de son père ne parvint qu’à le faire rire. Parce que c’était drôle, peut-être, l’idée de refaire un infarctus ? D’un geste rageur, il repoussa la main de Marius qui lui tapotait l’épaule comme si… Comme s’ils étaient de simples « potes ».

« Un peu de tenue, Marius… »

Mais Marius ne semblait pas vraiment savoir ce qu’il faisait là, ni ce qu’il cherchait. Il était là, c’était tout. Ses pas l’avaient mené ici, et Hippolyte doutait d’avoir une réponse claire et précise avant la fin de la soirée. De toute manière, il était lui-même éméché, et sentait que l’alcool amoindrissait ses capacités intellectuelles, le réduisant à la triste condition d’être humain ordinaire et non plus surdoué. Il avait envie de dire à Marius que boire dans son état n’étais pas responsable, qu’il mettait sa santé en jeu, mais il savait pertinemment que sa remarque entrerait par une oreille et ressortirait par l’autre, sans passer par la case analyse et compréhension de sa cervelle de moineau. Car après tout, ce n’était pas le destin qui dictait la conduite de Marius, c’était Marius qui insultait copieusement le destin et marchait en sens inverse.

En détail ce grand nigaud qui se tenait maladroitement dans l’entrée en tentant de ne pas tomber, Hippolyte se souvint de la dernière fois où ils s’étaient trouvés tous les deux dans ce salon. Des cris, des reproches, une barrière infranchissable qu’ils avaient érigée entre eux, tout ça les avait conduits au départ de Marius. Jamais Hippolyte n’avait eu l’intention de s’excuser ou de tenter de se faire pardonner, il était bien trop orgueilleux pour ça. Le départ de son fils ne l’avait pas blessé dans sa condition de père mais bien dans son ego de grand spécialiste du contrôle. Marius lui avait résisté, Marius avait échappé à son contrôle, Marius était devenu en quelque sorte la personne qu’il voulait être, et non celle que son père voulait qu’il soit. Il avait finalement fallu dix ans, un silence total et des événements qu’il aurait préféré oublier pour comprendre qu’il n’avait pas façonné Marius d’une quelconque manière, il l’avait brisé. Il l’avait détruit et malgré tout, le jeune homme revenait à la charge, infatigable combattant qui refusait de s’avouer vaincu alors même qu’Hippolyte ignorait ce qui le retenait de fuir. Peut-être le terme de lâche, qu’il ne voulait plus entendre prononcer à son encontre.

Il n’avait pas envie de réfléchir, par envie de se triturer une fois de plus les méninges… A l’origine, il avait prévu de boire suffisamment pour être trop mal en point pour penser, mais avec Marius dans l’équation… Ça changeait tout. Tout dans cet appartement révulsait Hippolyte depuis trop longtemps. La fuite de Victoire, son retour avec pour seul but de le tuer, les multiples disputes qui l’avaient opposé à Marius, la disparition de Martial… Trop de fantômes hantaient les lieux, trop d’esprits blessés et en colère. L’alcool rendait Hippolyte amer, plus bougon encore que d’habitude et avait tendance à faire ressortir toutes ses idées noires, là où ses effets semblaient s’incarner sous la forme d’une joie presque hystérique chez Marius. Tout le faisait rire ! Et son vocabulaire ne souffrait plus aucune limite, à tel point que sa remarque sur les fléchettes fit à Hippolyte l’effet d’un coup de poing dans l’estomac.

« Tu m’en vois ravi, mais si tu tiens à ce point à te passer les nerfs, va donc les chercher, je ne suis pas vraiment en état de riposter… Si tant est que tu sois encore en état de viser… »

Il regarda Marius mettre enfin un pied dans le salon, comme s’il franchissait un mur invisible et particulièrement angoissant. Et les remarques s’enchaînèrent, avec une acidité et une vérité un peu trop semblables aux siennes.

« L’avantage de ces croûtes, comme tu dis, c’est qu’elles n’ont ni la parole, ni le mouvement, ce qui fait qu’elles sont bien moins susceptibles de m’emmerder que toi… »

Elle commençait à l’agacer, cette lueur d’humour dans le regard de Marius. Quelque part, il aurait aimé que l’alcool le désinhibe lui aussi, qu’il soit en mesure de rire aux remarques de son fils, qu’il soit quelqu’un d’autre l’espace d’une soirée. Mais soit il n’avait pas encore assez bu pour ça, soit il n’était définitivement pas programmé pour se sentir joyeux. A peine Duchesse fut-elle évoquée que la porte entrouverte de l’une des chambres  se mit à grincer sur ses gonds, laissant échapper une grosse boule de poil beiges, qui trottina joyeusement vers Marius. A peine celui-ci s’était-il affalé dans un fauteuil que Ravel s’approcha, les pupilles dilatées de joie, prêt à bondir sur les genoux de ce nouveau venu qui ne manquerait pas de lui grattouiller un peu le dos, n’est-ce pas ? C’est qu’il était gentil, Ravel ! Bien plus gentil que Duchesse, bien plus affectueux ! Mais alors qu’il s’apprêtait à monter sur les genoux de Marius, un claquement de langue le fit sursauter, et il se ravisa en tournant la tête vers Hippolyte. Penaud, les oreilles couchées, il lui fit son habituel regard malheureux.

« Viens là, Ravel… Monsieur n’aime pas les chats, il a la fâcheuse manie de leur tondre le poil ou de le colorer en rose… Pour les plus chanceux. »

Comme s’il avait compris le message, le sacré de Birmanie s’approcha du canapé, grimpa dessus et vint se lover entre Hippolyte et Duchesse, le tout en ronronnant comme un bienheureux. Caressant machinalement le chat qui semblait au comble du bonheur, Hippolyte haussa un sourcil en entendant Marius lui dire merci.

« Eh bien… je ne crois pas t’avoir entendu dire merci depuis presque vingt ans, j’aurais dû t’enregistrer pour me souvenir que tu as ce mot dans ton vocabulaire. »

Merci, s’il vous plaît, pardon, ces mots-là, Hippolyte et Marius ne se les échangeaient pas, ils faisaient en quelque sorte partie de leur répertoire tabou. Finalement, peut-être que les faire boire aurait le mérite de briser ces barrières qu’ils s’étaient eux-mêmes imposées ? Un instant, Hippolyte se détendit, mais lorsque Marius posa ses chaussures sales contre la table basse pour les retirer, il se crispa immédiatement, faisant miauler Ravel de protestation.

« Marius… Tes chaussures sales sur ma table basse… »

Mais il ne l’écoutait pas, ne l’écoutait plus, se fichait royalement de ce que son avait à dire, et semblait préférer s’installer confortablement dans son fauteuil, les pieds sur la table, que d’écouter son père. Alors… Alors quoi ? Alors qu’est-ce que tu fais là ? Qu’est-ce ce que tu veux ? Sans un mot, sans un rictus, sans rien, Hippolyte porta le verre à ses lèvres et en vida le contenu en deux gorgées. La remarque de Marius le mit dans un état étrange. Il était touché et à la fois peiné, contrarié et soulagé. Il laissa un long silence planer, non pas pour faire trépigner Marius, mais parce qu’il ne savait pas quoi répondre à ça. Le whisky… Voilà un sujet plus intéressant. Se penchant en avant, il remplit à nouveau son verre et poussa la bouteille vers Marius. Oui, il incitait son fils à boire, et non il n’avait pas honte. Il s’en foutait royalement.

« Il vient d’Irlande, oui… Cadeau d’un collaborateur qui avait besoin de me cirer les pompes pour un contrat… La bouteille a dû lui coûter quelques milliers d’euros, quel dommage que son projet soit tombé à l’eau… Au moins le whisky est bon. »

Tout compte fait, ça lui déliait la langue, de boire. Un verre de plus dans le gosier, un peu moins dans la bouteille qui se vidait à une vitesse alarmante et aurait pourtant tant mérité qu’on la déguste. Jetant un regard à Marius à travers son verre, lequel ressemblait donc à un gros morceau de caramel déformé, Hippolyte laissa échapper un léger rire.

« Aaah la prison… Une expérience que je n’ai pas envie de renouveler… Tu sais que je devrais te remercier de m’avoir fait sortir ? Mais tu me connais, ce serait trop simple si je me mettais à dire merci, moi aussi. Heureusement que tu n’y mettras pas les pieds, ils n’oseront pas enfermer un handicapé mourant… C’est puant, la bassesse humaine dans toute sa splendeur, on s’y ennuie et je ne suis pas certain que vivre dans 5m² toute l’année fasse réfléchir les malades qui la peuplent… Enfin… »

L’alcool lui montait à la tête et, n’ayant rien mangé, l’effet s’en retrouvait décuplé. Regardant les pieds de Marius – élégamment vêtus de deux chaussettes issues de paires distinctes – il se rendit compte qu’il s’en fichait, finalement. Au diable des convenances dont il n’avait rien à foutre à ce moment-là et qui n’avaient pas lieu d’être alors qu’ils étaient tous deux incapables de tenir debout. Il tourna alors la tête vers le tourne disque de Victoire, lequel était resté muet de musique depuis le départ de cette dernière.

« Je ne suis pas certain que ça soit le genre de chose qu’écoute ta mère, vois-tu… Tu trouveras Chopin et Debussy dans ses vinyles, pour le reste tu n’as qu’à chanter, ça égayera peut-être un peu l’ambiance… Même si de mémoire, tu chantes aussi faux que tes tantes … »

Un tintement de verre accompagna le rire qui lui échappa, et voilà qu’il resservait à nouveau. A vrai dire, si Hippolyte avait parfois mentionné ses parents à ses enfants, il n’avait en revanche jamais parlé de ses frères et sœurs. Ce devait être la première fois que Marius entendait parler de l’une de ses tantes.

« Je me suis mis à boire pour oublier que ma femme a essayé de me tuer et que mon imbécile de fils cadet va mourir dans deux ans… C’est quoi la tienne, d’excuse ? »

De justesse, Hippolyte s’était retenu d’ajouter qu’il y avait la disparition de Martial dans l’équation. Fort heureusement, il lui restait encore deux neurones entiers pour réfléchir à ce qu’il ne fallait surtout pas dire.
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeSam 26 Nov 2016 - 10:46

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r« Un peu de tenue, Marius… » J’éclate de rire. Un peu de tenue, Marius, il est sérieux, là, le padre ? Non, vraiment, il est sérieux ? « T’es trop mignon, bon sang… » Il est trop mignon, à réclamer ça de ma part. Si innocent, si candide, je ne pensais pas pouvoir un jour lui appliquer de tels adjectifs, mais, bordel, que ça lui va bien lorsqu’il me demande ce genre de conneries… Sans m’attarder davantage à l’extérieur, je redécouvre douloureusement l’intérieur de cet appartement dont j’ai claqué la porte il y a… dix ans, presque. Presque dix ans. Quand j’ai terminé mes études, quand j’ai enfin pu prendre mon indépendance de manière illusoire. Un premier pas, j’imagine vers ces six ans de silence qui nous ont séparés. Qui ont achevé de nous séparer. Un appartement que j’avais presque oublié, rayé de ma mémoire dès que possible pour m’interdire la moindre nostalgie qui aurait pu me forcer à admettre à quel point mes parents étaient une blessure sur laquelle chaque pensée avait les conséquences d’une goutte de citron ou d’une goutte d’acide chlorhydrique, au choix. Un pas, un deuxième, je m’enfonce dans le couloir, trois pas, un quatrième et des échos de cris et de hurlements s’entortillent dans mes oreilles. Les mêmes vases, les mêmes murs, les mêmes tableaux, oui, vraiment je me sens chez moi, je redeviens le fils indigne, le fils ingrat, je redeviens celui que j’ai presque choisi d’être pour ne pas me couler dans le moule, dans ce cercueil, dans cette dame de fer moyenâgeuse dans laquelle mon père voulait m’enfermer. Les mêmes vases, les mêmes murs, les mêmes tableaux, oui, mais il y a des changements de partout, des toiles que je ne connais pas, des couleurs que je ne reconnais pas, des meubles qui n’ont ni été rayés par des pointes de compas, ni tâchés par des éclaboussures de peinture (brillante idée, à la fin de ma première, ça, que de faire exploser des bombes à eau remplies de peinture phosphorescente et fluorescente dans le salon, alors que mon père était supposé y signer un contrat chiffré à plusieurs millions de dollars dans les jours qui suivaient), je me demande un instant s’il y a une seule pièce de l’appartement qui n’a pas subi les affres du temps, et un nettoyage minutieux de toute ce qui pouvait rappeler mon existence.

Ma chambre. Rien d’étonnant, finalement. Ma chambre, dans laquelle il est hors de question de retourner pour le moment, il manque quelques décilitres d’alcool dans mon sang pour briser cette barrière là. Ma chambre, le portrait de mon père, les vestiges de mes rébellions… il n’a pas idée d’à quel point j’ai pu le détester. Vraiment. Violemment. Chaque fléchette que j’ai plantée dans le mur de ma porte, je m’imagine les envoyer sur lui, pour marquer son visage de ma colère brûlante. Chaque coup que j’ai pu donner au punching-ball qu’on avait consenti à m’acheter, je m’imagine le lui asséner, avec toute la force que pouvait mobiliser un handballeur de quinze, seize, dix-sept ans. J’explose de rire, à la mention de ma chambre, même si je meurs de trouille à l’idée d’en rouvrir la porte. J’explose de rire malgré tout, devant sa tête lorsque je lui fait la remarque qu’il n’aurait peut être pas dormi aussi tranquille s’il avait pu savoir l’envie que j’avais pu avoir de mettre mes menaces à exécution. « Tu m’en vois ravi, mais si tu tiens à ce point à te passer les nerfs, va donc les chercher, je ne suis pas vraiment en état de riposter… Si tant est que tu sois encore en état de viser… » Je lève les yeux au ciel. « Roooooh… tout de suite… ça m’est passé, tout ça, voyons ! » Là encore, je tapote son épaule, presque fier de cette nouvelle trouvaille qui semble l’agacer au plus haut point : définitivement bien mieux que les fléchettes.

Lorsque j’ai bu, non seulement je deviens con, non seulement je ne connais plus aucune limite, aucune méfiance, mais en plus, je deviens peut être exagérément tactile. Dans tous les cas, pas de fléchette pour ce soir, je franchis une étape de plus dans ma prise en main des lieux en posant un pied dans le salon qui me refusait jusque là l’accès. Je pouffe, sous la remarque de mon père concernant le peu d’intérêt que je peux avoir pour ces tableaux qui coûtent la peau des fesses et qu’il collectionne, comme pour étaler son fric tout en paraissant encore plus pédant et péteux, le combo ultime pour un homme tel que lui, et je renchéris en disant tout haut, sans la moindre retenue et avec un grand sourire, agrémenté d’une lueur taquine dans le regard, ce que je peux bien en penser, de ses croûtes. C’est marrant de voir que tout parvient à me faire rire, une fois passée l’appréhension d’un retour chez soi, alors que mon père me semble encore plus grognon que d’ordinaire. J’ai presque envie de me pencher sur le côté pour voir s’il a encore un balai planté dans le cul pour être aussi coincé. « L’avantage de ces croûtes, comme tu dis, c’est qu’elles n’ont ni la parole, ni le mouvement, ce qui fait qu’elles sont bien moins susceptibles de m’emmerder que toi… » Je lève les mains, comme un coupable pris sur le fait, tout en faisant un deuxième pas courageux vers le centre du salon. « Okay, j’ai compris, je me tais, je bouge plus. » Je pince mes lèvres, mime une fermeture éclair que je fermerais, m’empresse de jeter la clé sur le côté et de faire une révérence, avec un large sourire insolent. Et voilà, muet, il est content le padre ? Parce que ça ne va pas durer. Je ne peux pas m’empêcher de rouvrir ma grande gueule lorsqu’il mentionne son stupide chat, auquel je jette un regard noir dès qu’il met une patte dans les lieux. Vas-y, approche toi, boule de poils, que je puisse mettre un but, j’aperçois d’ici un vide ordure qui ferait des cages parfaites, je t’assure.

Mais non, elle me snobe et dans un haussement d’épaule, je détourne mon attention pour me concentrer sur le verre que mon père vient de me tendre, et surtout sur ce fauteuil dans lequel je me laisse tomber sans la moindre grâce, et sans la moindre graisse non plus parce que je suis svelte et élancé, et, bon sang, je viens vraiment de lui dire merci ? Il va falloir que je finisse ce verre le plus rapidement possible parce que ça ne va plus, là. Je regarde l’alcool, whisky d’après l’odeur, et la couleur, et ma longue expérience acquise dans des cours du soir très intense. « Viens là, Ravel… Monsieur n’aime pas les chats, il a la fâcheuse manie de leur tondre le poil ou de le colorer en rose… Pour les plus chanceux. » J’arque un sourcil. « Tu sais, pour lui, je peux chercher à innover. Il a déjà fait du parachute ? » Je considère le truc poilu qui saute sur le canapé en face de moi. « Je le connais pas, celui là. Mais tu as loupé ton coup, les grands vilains, dans les dessins animés, ils ont tous un chat noir, pas un machin trempé dans du café au lait ou l’autre crétin d’albinos. Je dois avoir encore un marqueur noir dans ma chambre, tu veux que j’arrange ça ? » J’hausse les sourcils d’un air suggestive, avec un large sourire qui, comble de l’ironie, ne devrait pas lui manquer de lui rappeler celui du chat de Cheshire, avant d’exploser une nouvelle fois de rire, pour mieux enlever mes chaussures et m’étaler bien comme il faut, en enfreignant une bonne demi-douzaine des règles de savoir-vivre encore en vigueur chez les Caesar, aux dernières nouvelles.

Et encore, une demi-douzaine, c’est parce que je ne compte plus depuis longtemps celles qui concernent le respect qu’un fils doit avoir pour son père, parce que ça… « Marius… Tes chaussures sales sur ma table basse… » Je cligne des yeux, en souriant, encore et toujours, à mon père, tout en enlever mes chaussures sales pour exposer fièrement ma chaussette ponctuée de grenouilles, et celle peuplée d’elfes de maison. Rest in peace, Dobby. J’agite mes orteils dans mes chaussettes dépareillées, pour mieux m’étirer. Alors… Alors, quoi, qu’est ce qu’il veut entendre ? Ce que je fais là ? Avec un peu plus de lucidité et moins d’alcool dans l’estomac, je pourrais, éventuellement, reconnaître une légitimité à cette question et à tout ce qu’elle sous-entend. Mais en l’état actuel des choses… je ne vois qu’une seule raison à ma venue ici, et elle est pour moi la plus logique et cohérente du monde : passer du temps avec mon père, toucher du bout du doigt une complicité inexistante avant que je finisse mes jours en prison. Et savourer ce putain de bon whisky, maggle, mon père s’y connait en alcool. « Il vient d’Irlande, oui… Cadeau d’un collaborateur qui avait besoin de me cirer les pompes pour un contrat… La bouteille a dû lui coûter quelques milliers d’euros, quel dommage que son projet soit tombé à l’eau… Au moins le whisky est bon. » Je fronce les sourcils, en savourant une longue gorgée d’alcool. « Pourquoi tu te sens toujours obligé d’étaler ta surpuissance et de rabaisser voire traîner dans la boue et le mépris les autres dès que tu le peux ? Tu pouvais pas juste t’arrêter à Irlande ? Un complexe de taille à compenser, peut-être ? Ca expliquerait aussi les grosses bagnoles, tiens… »

On pourrait entendre dans ma voix un reproche voire une provocation, mais il est masqué par une voix malicieuse d’un gamin très fier de taquiner son petit camarade. Au détail près qu’il s’agit de mon père et pas d’un simple petit camarade, mais honnêtement, encore deux ou trois bouteilles de ce whisky et ce ne sera vraiment plus qu’un détail, rien de plus. « Aaah la prison… Une expérience que je n’ai pas envie de renouveler… Tu sais que je devrais te remercier de m’avoir fait sortir ? Mais tu me connais, ce serait trop simple si je me mettais à dire merci, moi aussi. Heureusement que tu n’y mettras pas les pieds, ils n’oseront pas enfermer un handicapé mourant… C’est puant, la bassesse humaine dans toute sa splendeur, on s’y ennuie et je ne suis pas certain que vivre dans 5m² toute l’année fasse réfléchir les malades qui la peuplent… Enfin… » Handicapé mourant. Une partie de moi me hurle de me lever et de me jeter sur lui pour lui foutre un poing dans la gueule de la part de l’handicapé mourant, mais cette partie de moi, elle est fermement muselée parce ce verre que je vide cul-sec, que je remplis à nouveau d’autorité et que je vide derechef, sans la moindre discrétion et sans même faire genre que c’est juste pour étancher une soif subite.

A ce rythme là, je ne vais pas le savourer très longtemps, ce whisky, mais au moins, ça me tient suffisamment occupé pour ne pas répondre tout de suite à ce qu’il vient de me dire. Et puisque c’est la débâcle dans mon foie et mon estomac pour assimiler tout ça, qu’ils en profitent pour me faire digérer aussi l’handicapé mourant, tiens. Et que mon père, au lieu de dire des conneries, me propose un petit fond musical pour que cette soirée ne tourne pas tout de suite à la catastrophe. Ou que je ne m’aperçoive pas tout de suite à quel point elle a tourné à la catastrophe à l’instant même où je me suis planté sur le palier. « Je ne suis pas certain que ça soit le genre de chose qu’écoute ta mère, vois-tu… Tu trouveras Chopin et Debussy dans ses vinyles, pour le reste tu n’as qu’à chanter, ça égayera peut-être un peu l’ambiance… Même si de mémoire, tu chantes aussi faux que tes tantes… » Je fais mine de vomir, pour lui faire comprendre que non seulement, je n’ai pas vraiment d’affinité avec ses croûtes, mais qu’en plus, je suis vraiment allergique aux goûts musicaux de ma mère. « Vous avez définitivement des goûts de merde, autant l’un que l’autre. Merde alors, ça existe pas les vinyles de Maître Gims ? Et puis, c’est snob, les vinyles, ça fait péteux, ça fait richou, ça fait con et c’est vraiment une antiquité. Tu vas bientôt me dire que tu vas guerroyer avec le vil mécréant du coin et que ce soir, tu vas rétablir le droit de cuissage pour aller voir la gueuse ? » Mes pensées filent plus vite que moi, c’est encore pire que d’habitude. Je me lève d’un bond à en faire peur aux chats, et le verre que je tiens dans la main s’agite au rythme de mes mains, en projetant les quelques gouttes qui y restaient.

Pourquoi je me suis levé, d’ailleurs ? Je ne sais même pas, et je me laisse retomber dans le fauteuil dans un même mouvement, ou presque. Je suis un hyperactif, et la station assise ne me convient pas, voilà pourquoi je me suis levé. C’est con, quand même, un Marius qui a bu. Je cligne des yeux dans un soupir. « Je me suis mis à boire pour oublier que ma femme a essayé de me tuer et que mon imbécile de fils cadet va mourir dans deux ans… C’est quoi la tienne, d’excuse ? » Mes yeux, qui menaçaient de se fermer, se rouvrent brutalement pour se diriger vers mon père. Ses mots me rattrapent avec un temps de retard, je viens à peine de capter que j’ai des tantes qui chantent aussi mal que moi. Pas étonnant qu’il ne nous les ait jamais présentées. Encore quelques secondes, et ses excuses pour boire parviennent enfin au cerveau pour mieux s’y écrouler, ivres mortes. De douleur et de fatigue après cette ascension laborieuse, et non d’alcool, mais ivres mortes, comme tout le reste de mes neurones, ce qui est franchement très marrant, et harmonieux.

Et moi, mon excuse, c’est quoi ? « Excellente question, je te donnerais bien une image, mais j’en ai pas sur moi. » Je lui fais un sourire : il faut croire que ce soir, chez moi, c’est open bar, les sourires. « Je sais pas… peut être que je vais crever en prison, peut être que mon frère n’en a plus rien à foutre de moi, peut être que maintenant, non seulement j’ai la trouille de clamser, mais plus encore de clamser dans un endroit… comment tu as dit déjà ? » Je fais semblant de chercher, tout mon visage n’est qu’un comédien prenant à cœur son rôle principal dans la pièce du Marius dépressif qui a l’alcool joyeux, tout un non-sens de l’absurde. « Ah, oui ! Un endroit puant, où la bassesse humaine est étalée dans toute sa splendeur, et je ne me souviens vraiment plus du reste. Oh, et sinon, j’ai l’impression que le monde ne tourne pas rond, je me fais agresser pour un rien, mes meilleurs amis aussi, j’ai manqué de peu mon suicide et je suis au chômage technique. » Je crois que j’ai fait le tour. C’est beau. « Ah, et j’allais oublier, j’ai enfin pris rendez-vous pour aller rédiger mon testament chez un avocat, c’est la joie la plus absolue. M’enfin… tu as raison, c’est quoi mon excuse, déjà ? » Je lui tire la langue ? « Tu me ressers un verre ? J’espère que tu as d’autres bouteilles, hein, parce que ton collaborateur, il a payé dix milles balles pour un dé à coudre, c’est dingue comme la contenance de ce machin est trompeuse, le niveau diminue vachement vite. »

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeDim 27 Nov 2016 - 20:17

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Marius avait toujours pris un malin plaisir à faire le contraire de ce que son père lui disait. « Fais tes lacets, Marius ! » se terminait généralement par un étranglement du chat avec lesdits lacets, là où « mange ta soupe, Marius ! » menait à un relooking du carrelage à grands renforts de potage aux légumes. Si ça semblait être sa façon à lui de montrer qu'il existait en tant que personne et non clone miniature de son père, ce dernier prenait cela pour de la provocation, rien d'autre. Or, ce tapotement d'épaule et l'appellation mignon donnait à Hippolyte l'envie de mettre une claque à Marius, comme lorsqu'il était enfant et refusait d'obéir. S'il n'avait pas été soûl, c'est sûrement ce qu'il aurait fait, mais non seulement son état ne le lui permettait pas, mais il craignait en plus que Marius n'en tombe et ne parvienne plus à se relever, condamné à faire la serpillière dans l'entrée. Pour autant, il avait le sentiment que vu son état, Marius n'allait pas lui hurler dessus, ni lui dire qu'il le détestait, que tout était de sa faute... Et que cette soirée ne se terminerait pas comme cette effroyable conversation, six ans plus tôt. Parce qu'après tout, comme Marius semblait le dire, ça lui était passé, tout ça... Mais tout ça quoi ? L'envie de perforer les visage son père comme une passoire avec des fléchette ? La haine qu'il jurait éprouver à son égard ? Qu'est-ce qui lui était passé, sinon l'admiration qu'il avait put avoir pour son père des années plus tôt ? Hippolyte ne savait pas si l'alcool le rendait plus lucide ou simplement défaitiste, mais la sensation était étrange. A tel point qu'envoyer bouler Marius semblait être pour lui la seule manière logique de s'exprimer, le seul élément récurent et stable de leur relation, ce qui rendait la chose encore plus alarmante. Pourtant, malgré les remarques et l'acidité naturelle dont faisait preuve Hippolyte, Marius ne réagissait pas comme il le faisait d'ordinaire. Il ne s'énervait pas, ne partait pas au quart de tour... Il se moquait. Il riait. Il s'agitait, faisait la révérence avec cet insolent sourire qui faisait chavirer les cœurs des demoiselles et sortir son père de ses gonds.

« Le jour où tu ne bougeras plus, Marius, je commencerai à m'inquiéter... Alors continue à t'agiter, mais en silence, tu raviras mes oreilles. »

De toute manière, demander à Marius de faire quoi que ce soit en silence, c'était comme prier le père Noël de bien vouloir apporter la paix dans le monde à Pâques : c'était l'impossible, une division par zéro, un trou noir. Il ne tarda d'ailleurs pas à faire une remarque au sujet de l'innocent et affectueux Ravel, qui déjà avait l'espoir de pouvoir tenter sa chance avec ce nouveau venu. Quelle déception ce fut pour lui de comprendre que Marius aurait bien plus de plaisir à le martyriser qu'à le gratter derrière les oreilles.

« Fort heureusement pour eux, Ravel et Duchesse n'ont jamais fait de parachute, ils ont eu la chasse d'être adoptés après ton départ... Ravel est le chat de ta mère. Ou était, je ne sais plus très bien comment je dois considérer tout ça. Et approche-toi ne serait-ce qu'à moitié de ces animaux, et je te jure que tu repars d'ici avec un traumatisme supplémentaire. »

La menace, toujours la menace... Et elle en resterait là, car de toute manière, avec l'alcool qu'ils ingurgitaient tous les deux, pas sûr qu'ils aient encore la force de se battre comme des chiffonniers. Après tout, le whisky était bien plus agréable à déguster que des poings dans la figure et autres coups violents. Un whisky qui semblait intriguer Marius, et alors qu'il faisait remarquer à son père qu'étaler une importance factice basée sur l'impression, la terreur et l'argent, Hippolyte resta un instant silencieux, contemplant simplement les reflets ambrés du breuvage dans son verre. Au bout de quelques instants, il releva les yeux, les plongea dans le regard bleuté de son fils et répondit avec une effroyable franchise.

« Parce que je le peux. C'est simplement une question de pouvoir, Marius. Ce n'est pas d'orgueil ni de complexe dont il est question... »

Prononcée ainsi, la phrase semblait affligeante de banalité. Pourtant, elle était le reflet d'une noirceur à faire frissonner, le reflet de ce qu'était Hippolyte, de son tempérament impitoyable, et de son habitude à s'octroyer des droits qui n'étaient pas les siens. Tout ceci était valable dans son travail, dans sa vie de famille... Dans la chasse, dans le meurtre et dans l'absence de remords qu'il éprouvait pour chaque balle qu'il avait tiré à l'exception d'une seule. La dernière. Celle qui avait touché Marius. Clairement, ça n'était pas le sujet du soir, et encore un père qui semblait se foutre de tout et le fils qui s'amusait du reste, c'était à croire que même parler de la fin du monde imminente les aurait laissés totalement indifférents. D'ailleurs, l'attaque injuste que porta Hippolyte ne fit même pas réagir Marius, ou plutôt pas de la manière qu'il attendait. Pas un mot, pas une remarque. Pas un « vas te faire foutre ! » alors que son père venait le traiter d'handicapé, rien. Décidément, cette soirée était pleine de surprises. Alors rien. Rien d'autre que le tintement de la bouteille sur le verre lorsque Marius se resservit, sous le regard non pas réprobateur mais amusé de son père. Celui-ci, considérant qu'il n'y avait pas de raison qu'il entretienne sa cirrhose en délaissant son cancer, attrapa son paquet de cigarettes et en alluma une dont il tira une grande bouffée sans se soucier le moins du monde de polluer l'air déjà chargé en vapeurs d'alcool. Ça lui déliait la langue, au Marius ! Ça lui faisait dire tout haut le peu de pensées qu'il n'avait pas encore verbalisées ! Levant les yeux au ciel, Hippolyte laissa un nuage de fumée s'écouler de ses narines avant de répondre sur le même ton :

« Une chance que tu n'aies pas vécu au Moyen-Âge, alors... On avait tendance à jeter des pierres aux simples d'esprit pour amuser le peuple. Je te dirais bien d'aller en toucher deux mots à ta mère, mais comme tu peux le voir, elle brille par son absence ! »

Et il y avait de l'acidité et de la rancœur dans ses mots, car après la culpabilité et l'abattement, Hippolyte commençait à sentir la colère, la frustration et l'incompréhension à l'égard de Victoire. Hippolyte grogna un « assieds-toi » lorsque Marius se leva, titubant sous les effets de l'alcool. Il ne su pas si c'était son ordre ou simplement l'organisme de Marius qui le poussait à agir ainsi, mais il se rassit aussi vite qu'il s'était levé, tandis que Duchesse, son pelage blanc gonflé sous la peur, battait de la queue en fixant le jeune homme de ses grands yeux verts. A moitié ivre, Hippolyte se surprit à glousser devant l'absurdité de la situation, incapable qu'il était, lui-même, de se lever ou même d'envisager de le faire. Savoir pourquoi Marius avait vu, en revanche, ça c'était une question intéressante... Mais dont la réponse fit l'effet d'une douche froide à Hippolyte. Marius allait mourir, et il ne s'y était toujours pas fait. Rien ne l'angoissait plus que de se dire qu'ils avaient perdu six années précieuses à cause de leur orgueil. Non. A cause de sa bêtise à lui, abominable surdoué qui n'était pas fichu de comprendre entre les lignes ni d'accepter ses erreurs. Ces six années manquaient au compteur, elles leur faisaient défaut, et Hippolyte pouvait bien tenter ce qu'il voulait, il était impuissant face au temps qui passe. Marius allait mourir avant même qu'il ait réalisé à quel point il aimait son fils. Marius allait mourir avant que son père n'ait réalisé le vide qu'il laisserait derrière lui. Marius allait mourir, et Hippolyte se sentait déjà perdre pied. Une chose était certaine, il ne mourrait pas en prison. Il n'irait d'ailleurs pas en prison du tout.

« Oh rassure-toi, tu n'iras pas en prison... S'ils cherchent à t'y envoyer, j'ai toujours ces copies de la vidéosurveillance de mon bureau qui te maintiendront dehors suffisamment longtemps pour que toutes les autres charges soient levées ! En revanche c'est moi qui retournerais en prison... C'est moche, mais bon... C'est toujours mieux que rien. »

Toujours ce même flegme dans l'horreur, cette même nonchalance désinvolte pour évoquer un sujet pourtant si douloureux. Mais il n'y avait pas que ça. Martial avait disparu, et Marius prenait son silence pour du désintérêt. L'alcool voulait lever les barrières du mensonge dans l'esprit de son père, mais celui-ci fit appel à ses derniers neurones survivants pour ne pas craquer, ne surtout pas admettre qu'il mentait depuis plus d'un mois au sujet de son fils aîné. Plongé dans ses pensées, Hippolyte sursauta en entendant le mot testament. Une chose que lui-même n'avait jamais rédigé, quand bien même ses avocats et notaires le pressaient de le faire « au cas où ». Une fichu papier qu'il ne voulait pas avoir à écrire, parce qu'il savait ce que cela signifiait. Silencieux, Hippolyte trouva finalement la force de se lever, ignorant Marius qui lui tirait la langue tout autant qu'il ignora la petite patte de Ravel qui tenta de le retenir. Lorsqu'il se pencha vers le bar, l'alcoolisé PDG cru bien qu'il allait finir le nez dans les verres, tant il se sentit partir en avant, mais se retint de justesse et posa lourdement sur la table basse un cognac et un bourbon, dont il ne se souvenait même plus de la provenance. Ça se buvait, c'était fort, c'était tout ce qui importait. Puis, aussi soudainement qu'il s'était tu, il se remit à parler :

« Tu sais... Je n'ai pas honte de ce que tu es, Marius... Enfin... Si, j'ai plus d'une fois eu honte de ton attitude en public. Mais je n'ai pas honte de l'homme que tu es devenu. J'ai honte de ce que j'ai fait à l'enfant que tu étais. »

Un rire nerveux lui secoua l'échine tandis qu'il se servait un verre de cognac. Il se sentait partagé entre bien trop de sentiments différents, entre la culpabilité de n'avoir pas été un bon père, la colère d'être impuissant, la lassitude de voir le temps filer trop vite à son goût, et l’écœurement face à son incapacité à faire preuve de tolérance vis à vis de Marius. Sans qu'il puisse lutter contre ça, son rire se mua en un étrange sanglot étranglé sous ce martèlement d'émotions qu'il ne contrôlait plus. C'était pour ça qu'il avait bu. Pour tenter de briser ses propres barrières, pour s'autoriser à souffler, à se relâcher, à... A faire preuve d'un semblant d'humanité qui lui manquait cruellement. C'était donc pour ça qu'il avait tant sacrifié ? Toutes ces heures passées à étudier, des années de labeur, cette place qu'il s'était fait dans un monde de requins, lui, petit provincial sans le sou ? Il avait juré de faire le bien, de faire avancer la science, d'aider son prochain et de découvrir des remèdes fabuleux. C'était un chercheur, un rat de laboratoire, un inventeur... Qui était donc ce monstre qu'il était devenu ? Comment pouvait-il avoir si longtemps cru être un homme de bien quand il terrorisait son propre fils ? Relevant vers Marius un regard embué d'une chose qu'il n'identifia pas tout de suite, Hippolyte murmura d'une vois étranglée :

« Je ne veux pas que tu meurs, Marius... Je ne veux pas admettre que tout est fini pour toi, qu'il n'y a plus rien à faire, je... Je ne veux pas... Je ne veux pas... »

Et comme chaque fois qu'il cherchait à verbaliser des sentiments trop forts pour lui, il se retrouvait à court de mots. Seule cette larme coulant sur sa joue témoignait du chagrin qui lui vrillait le cœur à lui en donner la nausée.
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeMer 7 Déc 2016 - 23:28

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



A douze ans, si on m'avait demandé pourquoi je m'amusais à dire non à mon père, pourquoi je m'obstinais dans un esprit de contradiction particulièrement débile et inutile, j'aurais répondu par un éclat de rire. Si on m'avait reposé la même question à quatorze ou quinze ans, j'aurais répondu par un doigt d'honneur et un incisif c'est un connard, c'est tout, je le déteste. Si on s'était obstiné à me la poser à mes vingt et un ans, je me serais contenté d'un haussement d'épaule et d'un putain, mais j'en ai rien à foutre de ce bâtard, pourquoi tu parles de lui ?. Maintenant... maintenant, je ne sais même pas comment je réagirais si un imbécile particulièrement têtu s'amusait à chercher une nouvelle raison à ce conflit constant qui m'oppose à mon père. Pourquoi est-ce que je me comporte comme ça contre lui ? Parce que. Voilà tout. Parce que je refuse d'un jour concéder à mon père qu'il a raison, je refuse de reconnaître avoir un jour eu tort, je refuse tout simplement de le laisser gagner. Ce n'est pas qu'une question de principe, c'est une question de survie. Et d'esprit de contradiction, oui, aussi. Dans tous les cas... ce n'est pas maintenant, clairement pas maintenant, pas à vingt-sept ans avec un demi-litre d'alcool dans le sang que je vais changer de comportement, ce n'est même pas maintenant qu'il peut espérer avoir une once de respect de ma part. Mon sourire est insolent, mon sourire est provoquant, mon attitude est tout simplement scandaleuse. Tout est simple avec moi, tout est encore plus simple lorsque mes dernières limites tombent pour laisser place à un grand terrain de jeu dans lequel je vais m'éclater comme un débile. Oh, je vais le regretter, mais pour le moment, on va éviter d'y penser. J'éclate de rire, lorsqu'il me dit que l'avantage de toutes ces croûtes qu'il expose, c'est qu'elles sont immobiles et silencieuses, j'éclate de rire comme un enfant pour lever les mains et me pousser à conquérir définitivement le salon. Okay, compris, je me la ferme : c'est une promesse que je compte bien tenir... une, deux, cinq secondes s'il est chanceux ? « Le jour où tu ne bougeras plus, Marius, je commencerai à m'inquiéter... Alors continue à t'agiter, mais en silence, tu raviras mes oreilles. » J'éclate de rire une nouvelle fois, avant de lui faire un bras d'honneur splendide tout en lui tirant la langue : j'ai dit que je me tairai, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas utiliser le peu que je connais de langage des signes pour communiquer, non ?

Maintenant que mes dernières réserves sont tombées, maintenant que j'ai mis sa raclée aux démons de mes souvenirs, maintenant que j'ai réussi à tenir loin, très loin de moi, toute cette nostalgie glaçante qu'a réveillé mon retour dans cet appartement, je me laisse tomber dans un fauteuil, je prends totalement mes aises tout en récupérant le verre que mon père me sert. Qu'il les garde à côté de lui, ses sales serpillières, lui comme moi savons qu'elles n'ont aucun intérêt à s'approcher de moi, sauf si, bien sûr, elles veulent subir un relooking. Duchesse et Ravel, rarement vu des noms aussi péteux. Bon en même temps, étant donné que je suis habitué du Biscuit de Moira... hein... voilà. Dans tous les cas, que le nouveau apprenne vite : on n'approche pas Marius. « Fort heureusement pour eux, Ravel et Duchesse n'ont jamais fait de parachute, ils ont eu la chasse d'être adoptés après ton départ... Ravel est le chat de ta mère. Ou était, je ne sais plus très bien comment je dois considérer tout ça. Et approche-toi ne serait-ce qu'à moitié de ces animaux, et je te jure que tu repars d'ici avec un traumatisme supplémentaire. » J'hausse les épaules sous la menace, sans perdre mon sourire et cette marque affichée que de ses menaces, je n'en ai plus rien à carrer. « J'ai plus quatorze ans, Papa, et je te ferais remarquer que pour rajouter des traumatismes supplémentaires à la liste que je me traîne, il va falloir que tu sois sacrément inventif. On parle du dernier en date ou bien... » A croire que ce coup de feu qui m'a réduit à néant est voué à ressortir à chacune de nos conversations, comme une piqûre de rappel que je me sens systématiquement obligé de ressortir. Je suis méchant, méchant avec mon père, et l'alcool m'aide à culpabiliser pour ça, m'aide aussi à me rendre compte que c'est vraiment très vilain de lui rappeler à chaque fois qu'il a failli me tuer.

Dans tous les cas, ça va, pas de panique, ce n'est pas cette culpabilité qui va m'empêcher de m'installer confortablement dans le fauteuil, de mettre mes pieds sur la table, d'apprécier le goût de ce whisky qu'il me sert et dont il se sent obligé de me raconter toute l'histoire, en insistant bien sur les détails financiers de l'affaire, et sur le fait que celui qui l'a acheté n'était qu'un sombre con qui n'avait rien compris à la vie. Je me demande ce qui le pousse à toujours étaler comme ça son intelligence et la connerie des autres, sa fortune et et sa toute puissante. Mon père m'a souvent donné l'impression de se prendre pour un dieu, un Zeus des temps modernes qui pouvait d'un mot, d'un geste, d'un mouvement d'humeur éternuer et réduire à néant des centaines de vie. Et il ne fait rien, jamais rien pour me démentir, en plus. Pourquoi est ce qu'il doit toujours étaler sa vie et rabaisser les autres, bordel ? « Parce que je le peux. C'est simplement une question de pouvoir, Marius. Ce n'est pas d'orgueil ni de complexe dont il est question... » Je lève les yeux au ciel dans un soupir, en m'enfonçant encore plus dans le fauteuil. « Bordel, c'que c'est con comme attitude. Je pourrais totalement chier sur le tapis, et je le fais pourtant pas. Pourquoi ? Parce que même si je le peux, je ne suis pas obligé de tout faire. C'est compliqué à comprendre comme concept ? Et oh et puis merde,... » J'éclate de rire... « merde... » Juste après ma démonstration aussi succincte que pertinente, le merde tombe vraiment à point... oh mince,... tombe à point, j'éclate une nouvelle fois de rire, en terminant mon verre, à défaut de terminer ma phrase. De toute manière, finir ses phrases, c'est très surfait. Et l'atmosphère manque sérieusement de fond musical. Je préfère me concentrer sur le fond musical, je préfère me concentrer sur tout pas plutôt que de m'attarder un peu trop longtemps sur ce que mon père vient de dire.

Handicapé mourant. Ils sont là, mes traumatismes du moment. Ils sont là, putain, ces traumatismes qui renvoient mes parents dans la cour de récré, sur le plan du pourrissage de vie. Handicapé. Mourant. Pitié, filez moi la danse des canards que je me fasse un bon lavage de cerveau.  Filez moi la danse des canards, pour que j'évite d'arracher cette clope des mains de mon père, que je me retienne de me jeter sur lui pour lui mettre un pain dans la figure, un pain que je regretterais, à n'en pas douter. Je me resserre un verre, je me concentre sur des conneries pour sauver ce qu'il y a à sauver de mon retour aux sources. Ou presque. « Une chance que tu n'aies pas vécu au Moyen-Âge, alors... On avait tendance à jeter des pierres aux simples d'esprit pour amuser le peuple. Je te dirais bien d'aller en toucher deux mots à ta mère, mais comme tu peux le voir, elle brille par son absence ! » J'éclate de rire, aidé par ce verre que je descends, un peu plus lentement que le précédent – applaudissez moi. « On n'avait pas tendance à couper la main des voleurs, aussi, non ? » Je rentre ma main droite dans ma manche, en la tirant bien comme il faut avant d'agiter mon faux moignon ainsi constitué. « Et les gauchers étaient des engeances de démons ! Putain, mon espérance de vie aurait tellement pu concurrencer celle d'un poulet entrant dans un KFC, en fait ! » J'éclate de rire, encore. Le rire est depuis toujours un  excellent moyen pour détendre l'atmosphère, c'est véridique, même si je n'ai jamais pu le prouver par l'expérience, et ce n'est pas faute d'avoir essayé. Quand j'avais huit ans, je m'amusais à partir dans un grand éclat de rire à table, pour voir combien de fou-rires j'allais réussir à déclencher. Généralement, je me limitais à un seul : le mien, et au sourire en coin de Martial qui ne voulait pas que je sois trop triste. Mais bon...

Dans tous les cas, là, ce n'est pas une expérience, c'est juste l'effet qu'à l'alcool sur mon organisme, c'est juste une envie de toute envoyer en l'air, c'est juste l'envie de boire, pour oublier que je vais crever, pour oublier que Martial n'a pas là, pour oublier la merde qu'est devenue ma vie, pour oublier que je risque la prison, que toute ma famille est peuplée d'assassins, pour oublier que mes meilleurs amis ont risqué chacun leur tour leur vie, ont failli la perdre, que j'ai failli la perdre, pour oublier toute cette merde, point. Et même mon père ne peut rivaliser avec ça. J'ai des excuses, pour boire, d'excellentes excuses. Lui aussi, hein, je ne dis pas le contraire, mais... « Oh rassure-toi, tu n'iras pas en prison... S'ils cherchent à t'y envoyer, j'ai toujours ces copies de la vidéosurveillance de mon bureau qui te maintiendront dehors suffisamment longtemps pour que toutes les autres charges soient levées ! En revanche c'est moi qui retournerais en prison... C'est moche, mais bon... C'est toujours mieux que rien. »

D'excellentes excuses pour boire, qu'est ce que je disais. Je secoue la tête, dans un éclat de rire, alors que je me sens mourir à petits feux, alors que je me sens éclater en morceaux à la seule perspective que la réelle origine de mes deux trop larges cicatrices soient révélées à tous. « C'est moche ? Si tu vas en prison, je t'assure que je me débrouillerai pour y aller et te massacrer la mâchoire pour que tu doives boire à la paille le reste de tes jours, et je te jure que j'en suis capable. Ces vidéos de surveillance, elles ne sortiront jamais, jamais tu m'entends ? Parce que si j'ai dit à personne que c'était toi le connard qui m'avait tiré dessus, c'est clairement, clairement pas pour que tu foutes tout en l'air. » Autant il a parlé avec flegme et désinvolture, autant moi, je laisse mes syllabes rebondir avec vitalité, des éclats de rire s'immiscer entre ces horreurs. J'ai un sourire, un large sourire lorsque j'évoque la prison et les dents déchaussées, j'ai un sourire lorsque je parle de tir à bout portant. Et j'ai un sourire lorsque je rajoute,  en me resservant un verre, « Papa, si je vais en prison, ce sera parce que je l'aurai mérité. De base, ça fait des années que je mérite la prison. Et puis, c'est une expérience que tu ne m'as jamais laissée faire. Tu ne refuserais tout de même pas la dernière volonté d'un handicapé mourant, non ? En plus, je te demande pas de me chanter une berceuse, tout de même, je ne suis pas cruel à ce point là. »

Pas cruel à ce point là, je n'en suis pas si sûr mais je préfère lui réserver cette surprise pour le jour où mon cœur décidera de partir définitivement à la retraite. Comme un bon petit trollage en bonne et due forme pour le hanter le rester de ses jours. Bordel, je veux le voir se réveiller en sursaut à quatre-vingt-dix ans, aaaaah, si seulement j'avais chanté à Marius la chanson de la petite patate comme il me l'a demandé sur son lit de mort, je ne serai pas rongé par tant de culpabilité. Je cligne des yeux, en sortant de mes pensées avec le sourire. Pour mieux réclamer une nouvelle bouteille, parce que les whisky, ce n'est vraiment plus ce que c'était : ils ont transformé des tonneaux en dés à coudre, ce n'est pas avec ça qu'on va refaire le monde. Et réparer des années de conflit.  « Ah ! Paaarfait, ça ! » J'attrape au hasard une des deux bouteilles que mon père a sorti de son placard et posées sur la table, pour en sentir le contenu. Bourbon, parfait, et la deuxième... « Tu sais... Je n'ai pas honte de ce que tu es, Marius... » Mon poing se crispe sur le goulot. « Enfin... Si, j'ai plus d'une fois eu honte de ton attitude en public. Mais je n'ai pas honte de l'homme que tu es devenu. J'ai honte de ce que j'ai fait à l'enfant que tu étais. » Je secoue la tête. Mais je suis incapable de faire plus. J'aimerais le traiter de menteur, très honnêtement. J'aimerais, je crève d'envie de le traiter de menteur. Mais... « Je ne veux pas que tu meurs, Marius... Je ne veux pas admettre que tout est fini pour toi, qu'il n'y a plus rien à faire, je... Je ne veux pas... Je ne veux pas... » Je me lève. Sans un mot. Je m'approche de lui et je titube un peu, je trébuche même, je lui tombe dessus pour lui faire un câlin spontané, plus ou moins volontaire, je ne sais pas trop. Je lui tapote le dos, avant de lui faire un bisou sur la joue et de me relever, un sourire aux lèvres. « C'est pas grave, tu sais. Ca va passer, je suis pas très indispensable, d'ici quelques mois, tu m'auras rayé de ta vie sans trop de souci. Maman pourra t'expliquer comment faire, elle a une sacrée expérience dans le domaine. » Je cligne des yeux. Sans me défaire de mon sourire.  « Tu sais, dans la vie, on n'a pas tout ce qu'on veut. Moi je voulais des câlins et des sourires, j'ai eu du mépris et des gifles. C'est comme ça. C'est la vie. » J'hausse les épaules, comme un petit garçon blasé et réaliste. Réaliste. Un petit garçon qui se sert un verre de bourbon sans un regard pour la quantité. Un petit garçon pas très raisonnable, donc. « Tu crois que Maman viendra à mon enterrement ? Vous essayerez de ne pas vous entretuer ? Je veux pas que vous vous disputiez, tu sais. Vous êtes beaux trop mignons, vous vous complétez dans votre façon d'être une belle paire d'enculés. Je vous ship à mort. » Je lâche mon verre comme je peux pour former un cœur avec mes doigts, placé sur mon propre cœur défaillant.

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeLun 12 Déc 2016 - 21:03

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



L'alcool lui montait à la tête et les vapeurs de whisky embaumaient l'appartement, à tel point qu'il aurait suffit d'en humer l'odeur pour se sentir vaciller. Le dos enfoncé dans le dossier du canapé de cuir et les doigts nonchalamment glissés dans la fourrure de Ravel qui en ronronnait de bonheur, Hippolyte fixait Marius sans vraiment le voir. Il avait les yeux rivés dans les yeux, mais c'était comme si son regard était ailleurs, dans un au delà indescriptible. L'alcool rendait tout plus simple, à la manière d'un voile qui serait venu occulter ses soucis, le breuvage qui lui brûlait doucement la gorge allégeait le poids pesant sur sa conscience, c'était comme un opium adoucit, âpre et capiteux, qui rendait l'illusion d'autant plus tentatrice que la réalité était devenue imbuvable. Il se fichait bien de ses vieux démons, qui ne perdraient pas une occasion de venir le tourmenter pendant la nuit. Pour l'heure, il profitait de cet instant, de ce relâchement qu'il ne s'accordait que trop rarement et surtout, il ne s'en délectait pas seul.

L'ambiance était devenue étrange, et jamais Hippolyte n'avait vu Marius dans cet état. Il se fichait de tout, rien ne lui importait, et lui-même n'arrivait pas à en vouloir à son fils de l'avoir fait sortir de prison à ses risques et périls. Nul doute que le lendemain, il regretterait amèrement de n'avoir su mieux se tenir. Les balles fusaient, mais pour mieux rebondir, non pour frapper et blesser l'adversaire. Les piques allaient bon train, mais ni l'un ni l'autre n'en prenait ombrage, comme si c'était devenu un jeu entre eux, une sorte de complicité étrange qu'ils fuyaient la plupart du temps. C'était bien là une chose ridicule qui les affligeait : Hippolyte et Marius se refusaient le droit d'être d'accord un seul instant, de rire de concert ou d'avoir l'air unis. Tous deux se sentaient bien plus à l'aise dans le rejet de l'autre, quand bien même cela les faisait-il bien plus souffrir.

Hippolyte aimait son fils à peu près autant qu'il était persuadé que ce dernier le détestait. Cette haine le faisait souffrir alors qu'il aurait préféré l'ignorer, mais il avait conscience de la mériter. C'était bien plus logique pour lui de se dire que Marius le haïssait, plutôt que d'accepter l'idée inverse. Marius ne l'aurait jamais cru si son père lui avait dit qu'à une époque, il avait une affection si profonde pour son cadet qu'il avait du mal à cacher sa préférence. Parce que Marius lui avait ressemblé, l'avait transcendé, ils avaient eu cette complicité peu commune après l'accident du petit, et Hippolyte avait rarement mis autant de cœur, autant de rage et de ténacité dans un projet. Il avait eu cette préférence inconsciente pour Marius, pour sa vivacité, sa joie de vivre, parce qu'il était futé, innocent, curieux, mais surtout parce qu'il était ce joyau rare qui avait ouvert son père à une tendresse qui semblait pourtant inexistante chez lui. Les rares câlins qu'Hippolyte avait donné à ses enfants, c'était Marius qui en avait bénéficié. Les histoires, c'était à Marius qu'il les lisait. La peluche ramenée du Japon, elle avait été pour Marius. Pour autant, dire qu'Hippolyte avait laissé Martial de côté aurait été un mensonge. Il aimait et choyait tout autant son aîné, mais celui-ci avait le calme et la retenue de sa mère, le stoïcisme et la froideur de son père. Martial ne l'avait en aucun cas poussé à changer ni à se remettre en question. Avec Marius... La remise en question était quotidienne, dure et brutale, mais avant tout nécessaire. Ce sourire dans la désinvolture, ce rire dans l'attaque... Ils faisaient plus mal qu'Hippolyte ne l'aurait cru.

« Moi qui pensais que je pourrais attendre que tu aies trente ans pour t'enfermer dans une cave humide sans boire ni manger, je vais peut-être devoir revoir mon agenda... »

Ce traumatisme dont parlait Marius, il n'était pas à sens unique. Il s'était pris la balle, il avait subit le geste et le regard de son père, mais Hippolyte revoyait la scène chaque fois qu'il fermait les yeux, toujours plus vive, toujours plus réelle. Aucune excuse, aucune main tendue ne suffirait jamais à effacer ce qu'il avait fait. Car s'il avait réussi son coup, que se serait-il passé ? Ce qui était certain, c'est que cette situation, cette soirée surréaliste n'aurait pas pu exister. Quel gâchis... Alors que Marius poursuivait avec son éternel vocabulaire plus fleurit que le balcon d'une octogénaire, Hippolyte dût se mordre l'intérieur des joues pour ne pas rire à sa plaisanterie. Et puis finalement... Qu'avait-il à perdre ? Il était soûl, Marius aussi, il n'y avait personne à impressionner. Le rire lui secoua les épaule puis il leva les yeux au ciel.

« Je n'ai pas dit que j'étais obligé de le faire, j'ai dit que je le pouvais, c'est différent. Regarde-toi, par exemple. Tu pourrais faire marcher tes neurones pour être logique trente secondes, mais tu ne le fais pas, car rien ne t'y oblige. Pas même ton déplorable instinct de survie. »

Une énième attaque quant à l'état de santé du jeune homme, mais Hippolyte était loin d'en être fatigué. Il continuerait jusqu'à la fin de lui rappeler que son cas c'était pas aussi désespéré que Marius l'affirmait, et qu'il lui aurait suffit d'un peu de bonne volonté pour changer les choses. Seulement, c'était une autre chose qui contrariait Hippolyte : avec son immense fortune, il pouvait acheter bien des choses, mais tout l'or du monde n'arracherait jamais un « oui papa, tu as raison » de la bouche de Marius. De toute manière, tout ce qu'il semblait être à même de prononcer se résumait en un mot : bêtises. Ou conneries. Ou âneries, stupidités, inepties, des synonymes il y en avait à la pelle. Posant son verre, Hippolyte se pencha en avant – et regretta ce jeune lorsqu'il sentit son estomac danser – et commença à énumérer ce qui aurait pu faire de Marius la parfaite cible des fanatiques au Moyen-Âge.

« Résumons... Cleptomane, tu aurais fini manchot. Gaucher, c'est le bras entier qu'on t'aurait coupé, adultère, nul doute qu'on t'aurait privé de ton précieux radar à demoiselles... En définitive, il ne te manque plus que les cheveu roux pour finir sur un bûcher. Qu'il fait bon vivre en 2015, n'est-ce pas ? »

Elle était invraisemblable, cette conversation, d'autant plus qu'elle était franchement macabre... Et qu'elle les faisait rire. En revanche, ce qui ne donnait pas du tout envie de rire à Hippolyte, alcool ou non, c'était la perspective de voir Marius finir les quelques mois qu'il lui restait à vivre en prison. Il haussa un sourcil, stupéfait. C'était donc pour ça que personne n'était venu le trouver pour défendre Marius, pour ça qu'il n'avait pas été inquiété, en aucune façon : personne ne savait que c'était lui, l'ingrat, l'infâme, le monstre qui avait tiré sur Marius. Pourquoi ? Ça n'avait aucune sens ! Marius le détestait, il ne cessait de le lui répéter ! Treize ans plus tôt, il avait tout orchestré pour faire jeter son père en prison, et maintenant qu'il en avait l'occasion, il faisait toujours pour l'en faire sortir... C'était illogique, plus illogique encore que tout ce dont son fils était capable. Ses poings se crispèrent, mais Hippolyte resta silencieux, car il était évident que Marius avait bu plus que lui, et qu'il était tout bonnement incapable de répondre sérieusement à toutes les questions que son père se posait. Marius aurait dû jubiler à l'idée de voir son père en prison, il aurait dû lui dire que c'était bien fait et mérité, qu'il avait sa vengeance... Il aurait dû le montrer du doigt en hurlant à qui voulait l'entendre que c'était lui ! Lui et seulement lui qui lui avait tiré dessus et manqué de le tuer. Rien de tout cela n'avait de sens, et toutes ses interrogations allaient de concert avec ce tintement de bouteilles et de verres posés sans ménagement sur la table. Ce poing crispé sur le goulot de la bouteille, Hippolyte l'ignora. Les mots qu'il prononçait, il n'avait pas eu le temps de les penser avait qu'ils ne sortent, ils étaient dit sous le coup de l'émotion, une émotion si forte qu'elle était venue le percuter dans l'estomac et lui avait arraché une larme, une unique larme qui maintenant roulait sur sa joue creusée par les années.

Hippolyte aurait presque aimé que Marius se mette à hurler, qu'il le traite de menteur, de lâche ou d'hypocrite, car alors il aurait su quoi faire, quoi dire, comment réagir... Mais une fois de plus, Marius lui prouva qu'il était plein de surprises. Hippolyte eut tout juste le temps de le rattraper lorsqu'il lui tomba dessus, faisant fuir Ravel et feuler Duchesse, qui bondit sur le fauteuil le plus proche pour s'éloigner de ce bruyant et gesticulant énergumène. Figé et surpris, Hippolyte était incapable de savoir quoi faire alors que Marius le serrait contre lui, comme un enfant, et lui claquait un bisou sur la joue. Que répondre à ça ? Hippolyte n'avait jamais été très doué avec les démonstrations d'affection. Trop froid, trop rigide, trop brutal... Il avait même toujours craint de prendre Marius ou Martial dans ses bras lorsqu'ils étaient encore des nourrissons, de peur de briser leurs si petits et fragiles squelettes dans ses grandes mains de bureaucrate. Il était fait pour l'ordre et l'autorité, pas pour la douceur et la tendresse, mais ce geste maladroit de Marius lui prouvait une chose : il en aurait eu besoin. D'une manière ou d'une autre, Marius aurait eu besoin d'un tout petit élan d'affection, d'une minuscule étincelle de tendresse de temps en temps, ne serait-ce que pour avoir le sentiment d'être aimé, d'exister. C'était une chose que Victoire lui avait refusé en l'ignorant, une chose qu'Hippolyte avait toujours trouvé futile. Qui était donc l'idiot qui avait omis de leur remettre un manuel du bon parent à leur sortie de la maternité ?

Pataud, Hippolyte commençait tout juste à envisager l'idée de répondre avec toute la maladresse du monde à l'étreinte de son fils mais déjà, celui-ci se relevait et se remettait à tituber en riant bêtement. Il aurait pu sortir une plaisanterie, ignorer les mots de son père pour lui raconter la blague du type qui rentre dans un café, mais c'est avec ce grand sourire si cruel et cette mine bien trop enjouée qu'il lâcha les pires horreurs qu'il pouvait. Hippolyte pensait souvent Marius stupide, inconscient et impulsif... Il le savait maintenant cruel. Cruel et sadique au point de se satisfaire de sa mort à venir, au point de la mettre en scène pour théâtraliser son départ, comme si son seul regret pouvait être de ne pas être là au moment où ses parents s'effondreraient sous le poids de la perte et de la culpabilité. Sa haine, elle se cristallisait dans ce besoin qu'il avait de venger des années de silence et de brimade en imposant son départ prématuré à des parents démunis.

A aucun moment Hippolyte n'envisagea les choses autrement. Il était à présent clair pour lui que Marius ne faisait tout cela que pour lui faire du mal, pas parce que sa vie n'avait pas d'importance, pas parce qu'il se jugeait dispensable, mais simplement parce qu'il le haïssait suffisamment pour vouloir foutre sa vie en l'air. Envolée, l'étrange ambiance joyeuse, Hippolyte se leva d'un bond, manqua de trébucher et saisi Marius au col avec toute la poigne qu'il lui restait. Il était en colère, en colère et blessé, ses yeux luisaient encore de ses larmes contenues et d'une rage sans commune mesure.

« Alors c'est ça, ton petit plan brillant, Marius ? C'est ça que tu mets en scène depuis des mois ? Tu veux être certain qu'une fois mort, on nous montrera du doigt en nous jetant des pierres, tu en jubiles d'avance ! Je ne t'ai jamais détesté, Marius. A bien des moments j'ai eu envie de t'arracher la langue, mais je ne t'ai jamais détesté. Jamais je n'ai été pétris de cette haine que tu éprouves à mon égard. Le fait que tu me détestes, je m'y suis fait depuis des années, mais je ne te pensais pas cruel à ce point... »

Il le lâcha aussi brutalement qu'il l'avait saisi, et tituba jusqu'à la cheminée où il s'adossa, livide de rage.

« Tu peux me haïr, tu peux t'escrimer autant que tu le veux, Marius, mais il est hors de question que je te laisse orchestrer ton suicide simplement pour satisfaire tes caprices d'enfant ! Je ne te laisserai pas mourir, tu peux faire une croix dessus, même si je dois pour ça t'y forcer, c'est bien clair ? »

D'un pas incertain, il se mit à arpenter la pièce, chercha son verre, le vida d'une traite, le posa et ne pris pas la peine de se resservir : il pris la bouteille pour être sûr de ne pas se retrouver à parler avec la gorge sèche.

« Pourquoi n'as-tu rien dit à personne ? Qu'est-ce que tu poursuis ? Pourquoi n'avoir dit à personne que c'était moi, le monstre qui t'avais tiré dessus ? Tu me hais, Marius ! Tu devrais jubiler à l'idée de le hurler sur tous les toits alors pourquoi ? »

Aussi vite qu'elle était montée, la colère fut engloutie sous une vague de lassitude. Les épaules basses, Hippolyte se pinça l'arrête du nez et revint faire face à Marius, le fixant dans les yeux sans ciller un seul instant.

« Quand vas-tu admettre que tu souhaites depuis toujours avoir un autre père que moi ? »

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeVen 30 Déc 2016 - 10:25

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Avoir une discussion avec quelqu’un de totalement torché, ça doit être une expérience fascinante. Passionnante. Palpitante. Une expérience à ne surtout pas louper dans sa vie, une des mille expériences à faire au moins une fois dans sa vie. Il faudra que je songe à avoir une conversation avec moi-même en rentrant, devant un miroir ou je ne sais pas trop quoi. Avoir une discussion avec quelqu’un de totalement torché, je n’ai jamais été suffisamment sobre moi-même pour en profiter. Même là, je commence à nager un peu trop dans l’alcool pour me rendre compte de ce qu’il se passe. Mon père, et moi, dans la même pièce. Sans s’insulter, sans crier, sans même véritablement se pourrir l’un l’autre. Mon père et moi, dans la même pièce. Dans une ambiance si étrange qu’elle ne peut se justifier que par les vapeurs d’alcool, par les verres que je me sers et que je me resers sans les compter, sans même chercher à me limiter de quelque façon qu’il soit. De toute manière, tant que j’arrive à remplir un verre sans en verser à côté, c’est que je n’ai pas encore suffisamment bu, non ? Tant que je parviens à me retenir de faire la peau aux deux boules de poil qui traînent et se traînent encore sur le même canapé que l’autre connard. Connard. Mon père. Que je ne touche pas aux serpillières si je ne veux pas souffrir d’un nouveau traumatisme ? A la seule idée qu’il ait suffisamment d’idées pour imaginer un moyen de me traumatiser plus qu’il ne l’a déjà fait, je pourrais éclater de rire si je n’étais pas plutôt du genre à n’en avoir plus rien à foutre, une fois l’alcool dans mes veines. J’ai l’alcool joyeux, certes, mais il m’aide aussi à ne plus en avoir rien à carrer de tout. Par exemple, je n’en ai plus rien à faire de ce dégoût constant que j’inspire à mon père. Je n’en ai plus rien à faire qu’il ait un jour réellement voulu se débarrasser de moi, je vais pouvoir surmonter ça un jour, tout comme je pourrai un jour surmonter mon enfance de merde et mes parents de merde. Non ? Non. Mon sourire est léger, tout comme mon ton. Mon sourire est désinvolte, tout comme mon attitude. « Moi qui pensais que je pourrais attendre que tu aies trente ans pour t'enfermer dans une cave humide sans boire ni manger, je vais peut-être devoir revoir mon agenda... » Un sourire, un ton, une attitude qui ne vont certainement pas aller en s’améliorant face à ce qu’il me répond. « On sait l’un comme l’autre que je n’aurai pas trente ans, Papa, donc dans tous les cas... » Je lui fais un clin d’oeil, complice, comme si je venais de raconter une bonne blague.

Parce que dans un sens, c’est une bonne blague, non ? Comme la perspective de foutre la danse des canards en fond musical, comme l’idée brillante de nous catapulter au Moyen-Âge, comme la perspective de me voir cumuler à peu de choses près tous les vices et les crimes les plus punis de cette époque. Voleur, simple d’esprit, gaucher… bordel, ça en fait des défauts. Ivrogne, aussi, vu que je remplis encore une fois mon verre. « Résumons... Cleptomane, tu aurais fini manchot. Gaucher, c'est le bras entier qu'on t'aurait coupé, adultère, nul doute qu'on t'aurait privé de ton précieux radar à demoiselles... En définitive, il ne te manque plus que les cheveux roux pour finir sur un bûcher. Qu'il fait bon vivre en 2015, n'est-ce pas ? » Je m’avachis un peu plus dans le fauteuil, mes pieds retrouvent la surface de la table, déplacent les bouteilles qui pourraient les gêner. Gaucher, cleptomane, adultère… J’ai une petite grimace en laissant ma main venir protéger mes si précieux bijoux de famille à la seule perspective qu’on y touche. « Niveau cheveux roux, j’imagine que tomber amoureux d’une sorcière, ça devait leur suffire pour que ce soit tout comme. Ouch alors, j’avoue, je préfère être chassé pour trois gênes défaillants. Mais dis moi, Papa... » Je trempe mes lèvres dans l’alcool, pour ne surtout pas risquer la sobriété. « Tu es gaucher, toi aussi, non ? PDG, donc un peu voleur aussi. Quant à l’adultère... » J’hausse des sourcils suggestifs, avant de lever mon verre comme pour porter un toast. « Qu’il fait bon vivre en 2015, en effet ! » Qu’il fait bon vivre… et qu’il fait bon mourir. La discussion est d’un macabre, c’est à ressusciter Jack O’Lantern, des conversations comme celle là, franchement.

Il suffit de voir les excuses qu’on brandit pour justifier notre alcoolémie qui explose tous les records, et qui ne s’arrête pas de grimper. Mes éclats de rire sont les échos de ce que je bois, sont les larmes cristallisées par les vapeurs d’alcool. Hors de question qu’il retourne en prison, en voilà une certitude bâtie sur de la roche. Hors de question que les vidéos dont il parle ne sortent un jour, hors de question que quiconque ne touche à mon père, hors de question que quiconque sache que mon propre père a tenté de me tuer. Un traumatisme, un réel traumatisme qui reste dans mes pensées, malgré tous mes efforts pour l’ignorer. Mais, contrairement à ce que ma mère a dû croire pendant des années, ignorer quelque chose ou quelqu’un ne le fait pas disparaître et ne l’a jamais fait disparaître, bien au contraire. Mon père ne retournera pas en prison, pas pour ça. Jamais. Jamais. Et j’ai beau le dire en riant, j’ai beau le dire d’une voix sautillant, en faisant claquer mes syllabes sur mes dents, en faisant rebondir mes voyelles sur ma langue, je suis sérieux, au fond de moi. D’un sérieux déformé par l’alcool, d’un sérieux qu’on peut ignorer, mais d’un sérieux qui est là et qui ne disparaît pas. Je me resserre un verre. Je ne suis pas cruel à ce point, l’handicapé mourant n’est pas cruel à ce point, bien au contraire, je me trouve plutôt magnanime. Mes propos vont commencer à perdre en cohérence, j’hésite un instant entre vider mon verre cul-sec et le siroter tout doucement. Le choix se fait rapidement quand de nouvelles bouteilles apparaissent miraculeusement devant moi. Et mon mouvement, pour sentir l’alcool et devenir la forme qu’il prend, se font soudain hasardeux. Je n’ai pas honte de toi. Il est bien le seul. Je n’ai pas honte de ce que tu es. Les mots franchir le brouillard alcoolique qui m’enveloppe et me protège. Avant d’avoir pu comprendre le fil de mes pensées désordonnées, je suis debout. Sans un mot, je titube, je trébuche et je m’étale sur mon père, comme pour lui faire un câlin que je nierais avec force et ferveur dans quelques heures.

Je me relève d’un bond, d’un bond oscillant, je me relève et je titube derechef, en tentant de rester sur mes guibolles. Pas de mal de tête, pas encore, mais une oreille interne qui danse la java. Avec un vertige qui me hurle encore, encore!, alors que mon cerveau me supplie d’éviter de récidiver les mouvements aussi rapides et rapprochés. Il ne veut pas que je meure ? C’est trop mignon. Mais c’est pas grave, la mort. Plus de cohérence, plus de réflexion dans ce que je raconte. Plus de maîtrise, ou du moins encore moi qu’à mon habitude. Je cligne des yeux, j’attrape à nouveau un verre – plein, parfait – délaissé sur la table pour en regarder la couleur. Je suis réaliste, au final, je veux me croire réaliste, du moins. Moi non plus, je n’ai pas trop envie de mourir. Mais c’est pas grave, mais c’est comme ça, mais c’est pour le mieux, n’est-ce pas ? « Hééééé ! »

Visiblement, je suis le seul à partager mon avis. Je trouve que mon père n’a pas d’humour. Il m’attrape au col, tout ce que je trouve à faire, c’est éclater de rire et tenter d’en profiter pour lui faire un deuxième câlin. « Alors c'est ça, ton petit plan brillant, Marius ? C'est ça que tu mets en scène depuis des mois ? Tu veux être certain qu'une fois mort, on nous montrera du doigt en nous jetant des pierres, tu en jubiles d'avance ! Je ne t'ai jamais détesté, Marius. A bien des moments j'ai eu envie de t'arracher la langue, mais je ne t'ai jamais détesté. Jamais je n'ai été pétris de cette haine que tu éprouves à mon égard. Le fait que tu me détestes, je m'y suis fait depuis des années, mais je ne te pensais pas cruel à ce point... » Il me lâche avant que je n’ai pu finir mon accolade, je fais deux trois pas en arrière, sans grande coordination. J’éclate de rire, sans trop de raison, en le pointant du doigt. « Parce que tu crois que je te déteste ? » Je secoue la tête. Mais quelle drôle d’idée, je me demande bien d’où il me sort des conneries pareilles. Peut être des centaines je te déteste que je lui ai lancés, depuis des années ? Non… tout de même pas, mon père est pas du genre à garder ça, non ? « Tu peux me haïr, tu peux t'escrimer autant que tu le veux, Marius, mais il est hors de question que je te laisse orchestrer ton suicide simplement pour satisfaire tes caprices d'enfant ! Je ne te laisserai pas mourir, tu peux faire une croix dessus, même si je dois pour ça t'y forcer, c'est bien clair ? » Je le suis du regard, mon hilarité soudainement douchée. Pas effacée, elle est maintenant ineffaçable, au plus forme d’une ivresse peut être malvenue, mais… « Mais geeeeenre, tu vas me forcer à vivre ? Tu vas faire quoi ? » Mon index s’agite de droite à gauche, pour lui signaler une interdiction. « Tututut, Papa, on ne corrompt pas la mort, c’est paaaas bien de corrompre les gens ! » Je termine mon verre de bourbon sans ciller, sans respirer, tout en continuant à le suivre du regard. Lui aussi, il boit, ce qui prouve que j’ai raison de boire, ou qu’on a tous les deux tort de le faire. Dans tous les cas… « Pourquoi n'as-tu rien dit à personne ? Qu'est-ce que tu poursuis ? Pourquoi n'avoir dit à personne que c'était moi, le monstre qui t'avais tiré dessus ? Tu me hais, Marius ! Tu devrais jubiler à l'idée de le hurler sur tous les toits alors pourquoi ? » Je ne le hais pas. Je fronce les sourcils, devant ce qu’il me raconte, sans être capable de comprendre totalement ce qu’il essaye de me dire. Il revient face à moi, je me dandine sur mes deux jambes sans le vouloir, comme un culbuto. Talons en arrière, talons en avant, talons vers le côté, talons vers l’autre côté. « Quand vas-tu admettre que tu souhaites depuis toujours avoir un autre père que moi ? » Je cligne des yeux. Dans un grand sourire.

« J’ai toujours voulu un autre père que celui que tu m’as donné. Je ne vois pas pourquoi tu veux que je l’admette : lorsque quelque chose est évident, ça ne sert à rien de le dire non ? » J’éclate de rire devant ce qui me semble si logique. Après tout, j’ai toujours voulu d’un père qui me fasse des câlins, qui s’ébouriffe les cheveux pour me féliciter. J’ai toujours voulu d’un père qui me prenne dans ses bras, qui me porte sur ses épaules après une victoire en match, j’ai toujours voulu d’un père qui m’offre une sucette ou un kinder, comme dans les publicités. Pas d’un père froid comme la glace, distant comme la Lune, con comme un balai et monstrueux comme la créature de Frankeinstein. A moins qu’il ne soit le docteur, et moi le monstre. « Bien sûr que tu n’es pas le père que je voulais, qu’est-ce que tu crois ? Mais c’est pas pour autant que je te hais, non. Je ne te déteste pas, Papa, je… je déteste tout ça... » Mon bras brasse le salon me fait perdre l’équilibre, j’esquisse quelques pas de danse pour ne pas m’étaler comme une crêpe. « Je les déteste eux » Je désigne les deux chats. « Je déteste tous les souvenirs que je peux avoir d’ici, tous les souvenirs qui me rattachent à toi, à vous, aux Caesar. Mais je suis incapable de vous détester. Ni Martial, ni Maman, ni toi. Je ne te déteste pas. » J’ai un grand sourire, mon pas digne d’un gamin d’un an marchant tout juste sur ses deux pattes, me guide un peu partout pour me faire effleurer des plats, me faire rencontrer les tableaux, me donner envie de les massacrer. D’y foutre le feu. De tout détruire. Mais tout ce que je fais, c’est prendre, reposer, reculer, jouer. « J’ai rien dit parce que j’ai pas envie de dire. J’ai envie d’oublier, t’sais. T’es pas un monstre, c’est moi le monstre, le mutant, le dégénéré... » Je lui tournais le dos… je fais volte-face brusquement. « AHAH ! Je suis le Hulk ! » Je me frappe la poitrine, tel un King Kong. « Je suis l’aberration des Caesar, la honte des Caesar ! » Je fais un pas en avant, un pas qui s’apparente à une chute rattrapée de justesse. « Je te déteste pas, t’sais. Je me déteste moi, nuance ! Alors peut être que ce que tu appelles mon suicide est un caprice de gosse, mais tu sais quoi ? J’en ai rien à faire ! Je suis un gosse, je suis un gosse qui n’a jamais grandi, je suis un gosse qui ne veut pas grandir, je suis un gosse qui est terrifié à l’idée de mourir, mais qui sait qu’il n’a pas le choix s’il veut s’obstiner dans son syndrome de Peter Pan ! » J’en arrive à crier d’une voix éraillée. J’en arrive à beugler comme un porc, j’en arrive à saisir le premier bibelot sur un meuble, un vase, du baccara très certainement, j’en arrive à le jeter au sol pour ponctuer ma phrase. Et j’en arrive à écarter les bras, pour mieux m’exposer. « Mais qu’est ce que tu veux faire à ça, Papa ? Quoique je fasse, je ne te mériterai jamais, je ne serai jamais digne d’être ton fils, jamais digne d’être un Caesar ! »

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeJeu 5 Jan 2017 - 17:56

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Son petit cœur de pierre atrophié par des années d'intransigeance, de dureté et de décisions difficiles à prendre battait à tout rompre dans sa poitrine. Il en était pathétique, le Caesar, pathétique, le soit disant chef d'entreprise respecté, pathétique, le père indigne qui n'avait jamais su que dispenser morale et jugement sur ses enfants, pathétique, l'homme qui désormais se trouvait dépourvu face à sa propre faiblesse. Il entendait les rires mérités d'un public imaginaire qui se serait empressé de lui jeter tomates et œufs pourris à la figure pour n'avoir su qu'engendrer le chaos dans l'esprit d'un jeune homme qui, désormais, ne cherchait plus que l'autodestruction, comme si son propre embrasement pouvait être un énième doigt d'honneur brandit à la face de tous ceux qui avaient cherché à le faire entrer dans un moule trop petit ou trop grand pour lui. Pauvre Marius, voilà ce que l'histoire retiendrait. Pauvre enfant dont les hurlements et les caprices n'auront jamais su faire comprendre à ses parents qu'il ne voulait rien qu'un regard bienveillant, un sourire, une main tendue pour l'aider à se relever. Pauvre Marius, qui allait mourir et s'enfermer dans un silence qui lui faisait horreur. Pauvre Marius, à qui l'on aurait dû pardonner les caprices, les sautes d'humeur et l'irresponsabilité, rien que pour panser ses trop nombreuses blessures. On ne pouvait d'ailleurs parler de cicatrices, tant elles étaient à vif, attaquant sa peau et son esprit à chaque fois que son cruel paternel ouvrait la bouche. Mais qu'il se taise, bon sang ! Qu'il se taise et donne à son fils ce qu'il désirait tant ! Qu'il cesse de réfléchir, qu'il abandonne cette satanée image de lui-même qui n'était qu'un reflet honteusement déformé de la réalité, qu'il aille au diable, le Caesar !

L'alcool parvenait à peine à le dérider, ou seulement pour mieux l'entraîner un peu plus loin dans l’abîme de tristesse qui lui broyait la poitrine. Marius, c'était l'exemple même de celui qui a l'alcool joyeux, de l'imbécile heureux qui rit de tout, crache les pires ignominies en souriant. Son père... C'était la tristesse, la mauvaise humeur, un alcool toxique qui le rendait pathétique, à la limite du déprimant. S'il n'était déjà pas drôle en temps normal, il en devenait morbide, avec ses quelques verres ingurgités. Les poings serrés, il plongea son regard dans celui de son fils, hilare.

« Tu es persuadé que tu ne vivras pas jusqu'à trente ans. Pour ma part, je demande à voir... »

Car Hippolyte avait compris avec le temps que pour amadouer Marius, il fallait lui concéder certaines choses, lui céder du terrain, répondre à certains de ses caprices... Mais cette volonté ridicule et désespérée d'en finir, c'était bien la dernière chose qu'il était prêt à lui laisser. Il s'était tout deux faire une promesse, mais celle-ci n'incluait en aucun cas qu'Hippolyte aille tapoter la tête de Marius lorsque celui-ci déciderait d'enfoncer ses doigts dans une prise électrique. Pourtant, à l'entendre répondre du tac au tac à ses remarques acerbes, le père était bien obligé d'admettre que son fils avait une répartie aussi mordante que la sienne.

« Que veux-tu, le bûcher doit être une histoire de famille... Il ne manquerait plus que je crache sur l'Eglise en allant affirmer que la Terre est ronde et on me vouerait à l'enfer, tu ne crois pas ? »

Hippolyte n'avait jamais cru en quoi que ce soit d'autre que la science, les chiffres et les faits concrets. Il avait vu le jour dans une famille ni totalement athée, ni vraiment pieuse, mais ils avaient vite compris qu'emmener à l'église un enfant qui n'hésitait pas à hurler tout fort que ce que le prête avait à dire était un ramassis d’inepties, ce n'était pas l'idée du siècle si l'on tenait à garder de bonnes relations avec les gens du village. C'était plus fort que lui, il ne parvenait à voir quoi que ce soit de divin en ce monde, et le regrettait souvent. Quelque part, croire c'était mieux que savoir, parfois. Il ne croyait pas en la volonté de vivre de Marius, il savait que celui-ci voulait mourir, et c'était autrement plus pessimiste que d'imaginer une lueur d'espoir dans cette histoire. Alors non, Hippolyte ne croyait en rien, et même plus en lui-même à cette heure avancée de la soirée. Il ne voulait pas non plus croire qu'au fond, Marius n'avait pas très envie de mourir mais se sentait suffisamment dispensable pour que sa mort n'est aucune importance. Il ne pouvait tolérer que l'on se sente si insignifiant, ni... Négligeable. Il existait peu de personnes qu'Hippolyte ait un jour haït. La plupart du temps, il se contentait d'un mépris clairement affiché. Pourtant, il avait la certitude que même le plus médiocre des hommes avait sa pierre à apporter à l'édifice. Qu'importe que personne ne se souvienne de lui ou de Marius dix ans après leur mort ! Ils auraient marqué leur propre histoire et c'est tout ce qui importait.

Le poing tremblant enserrant le col de Marius, Hippolyte repoussa sans ménagement la main de ce dernier lorsqu'il tenta à nouveau de lui faire un câlin. Les débordements d'affection, ce serait pour plus tard. Pour l'heure, il y avait des comptes à régler. Alors que Marius semblait surpris que son père soit persuadé de sa haine envers lui, Hippolyte leva les yeux au ciel.

« Fiche-toi de moi, Marius ! Tu m'as répété presque quotidiennement que tu me détestais, et ce depuis l'adolescence. Ton mantra, je le connais, ta haine, je la subis, et n'essaye pas de prétendre le contraire. »

Il y croyait dur comme fer, à la haine de Marius, tout comme il était persuadé que, quelque part, le jeune homme prenait plaisir à voir un tel désarrois s'emparer de son père. Enfermé dans son incompréhension, le PDG fatigué était incapable de voir l'évidence : l'admiration et l'amour d'un fils pour son père, mis si haut sur un piédestal qu'il en paraissait inaccessible. Hippolyte était incapable de voir ça ou de s'en délecter, car il s'en savait indigne. Même la haine de Marius, il n'était pas certain de pouvoir encore la mériter. Pourtant, la gifle partit d'elle-même. Cinglante, elle claqua contre la joue de Marius et alla se répercuter en écho contre les murs de l'appartement. Elle était partie sans prévenir, dans un geste de rage et d'incompréhension de la part du père, mais peut-être cela aurait-il le mérite de réveiller l'enfant hilare.

« Si la mort était un individu, crois-moi je lui aurais graissé la patte à ton sujet depuis longtemps... Mais j'ai bien plus de ressources que tu ne l'imagines pour éviter que tu n'aies à la rencontrer. »

Allons bon... Voilà qu'il se mettait à parler de la mort comme d'une... Personne. La mort, c'était un état, en aucun cas une entité, et il se le répéta une dizaine de fois jusqu'à avoir l'impression d'être fou. Au fond, peut-être l'était-il, non ? Fou... Fou de se sentir étranger à une espèce qu'il comprenait à peine, fou de toujours tout comprendre plus vite que la moyenne, fou de n'être à l'inverse pas capable de comprendre de simples sentiments, fou d'avoir le sentiment d'être plus une machine qu'un homme, et d'être incapable de composer avec. Il était las, le chasseur, il aurait voulu que, pour une fois, toutes ses pensées se taisent et le laisse en paix, rien qu'un instant, pour qu'il puisse enfin goûter au silence dont ses méninges en ébullition le privait depuis si longtemps. De toute manière, elles étaient plus rapide que sa langue, et avant qu'il ait pu se retenir de parler, l'horrible question fut posée. Et la réponse lui glaça les sangs, tout autant que le rire de Marius attisa sa colère. Comment pouvait-il encore rire de tout ça ? Pourtant, le père resta silencieux, se contentant d'arracher des mains de son fils la bouteille de Cognac dont il s'empressa de boire une gorgée. Plus d'alcool, c'était moins de souvenirs douloureux à affronter en même temps que la gueule de bois le lendemain.

« Si tu détestes tous ces souvenirs, si tu détestes cet appartement, Marius, c'est que tu nous détestes nous aussi. Tu as toujours été un très bon menteur, mais ça ne marche plus avec moi. J'ai saisis depuis longtemps que ces « je te déteste » d'enfant n'étaient pas un caprice mais l'expression de que tu ressentais. Je ne te demande pas de te justifier, simplement d'admettre l'évidence ! Si tu as toujours voulu un autre père, alors pourquoi t'évertuer à venir me voir ? Tu sais très bien que je suis incapable de t'offrir ce dont tu as besoin... »

Une étreinte chaleureux au lieu d'un regard glacial, la douceur d'un foyer aimant au lieu d'une prison humide, l'amour tangible d'un père pour son fils et non un ersatz de relation bancale basée sur des mensonges, de la colère et du mépris. A mesure que Marius parlait, Hippolyte sentait à nouveau son cœur se serrer dans sa poitrine. C'était sa faute et celle de Victoire, s'il se détestait à ce point, c'était leur échec en tant que parents et leur réussite en tant que monstre qui avait provoqué tout ça. Hippolyte savait, et ça le rendait amer, que même s'il avait eu la possibilité de remonter le temps, il aurait été incapable de changer son attitude. Parce qu'elle était inscrite dans ses gênes, cette froideur inhumaine qui le caractérisait. Aussi, lorsque Marius s'empara d'un vase de cristal sculpté à plusieurs milliers de dollars pour l'envoyer se fracasser en des centaines de petits éclats scintillants, il resta de marbre, trop obnubilé par les absurdités que débitait ce grand imbécile. Les voisins devaient probablement se demander ce qu'il se passait, entre les objets brisés et les cris, mais Hippolyte s'en fichait bien, et c'est sans la moindre délicatesse qu'il jeta sa bouteille de cognac pratiquement vide en direction de Marius, bouteille qui alla se fracasser sur le mur.

« Mais je m'en contrefiche, que tu veuilles être digne des Caesar ! Tu sais ce que c'est, la dignité d'un Caesar ? De la merde ! Ni plus, ni moins ! C'est un ramassis de connerie, une famille menée par des connards qui se pavanent dans leur fric ! Il n'y a rien d'élégant à se sentir digne de tout ça... Je ne sais même pas ce que tu appelles être digne de moi, Marius. Commence par être digne de toi-même, par arrêter de te rouler dans ta propre merde, sois digne de l'homme que tu pourrais être si tu arrêtais cinq minutes d'être un enfant ! »

Hippolyte était prêt à concéder bien des choses à Marius, mais certainement pas son absence de combativité.

« Si tu as si peur de mourir, alors pourquoi te laisses-tu aller à petit feu ? Tu n'as pas encore compris ? Quand on meurt, on est seul. J'ai failli mourir, tu as failli mourir, et toi comme moi, nous avions quelqu'un à nos côtés à ce moment-là. Mais quand tu rends ton dernier soupir, tu es seul, et il n'y rien après. Strictement rien d'autre que le silence et un corps qui se décompose. Tu t'attends à quoi ? A une éloge funèbre digne de celle d'un roi ? Laisse-moi te dire une chose... Si tu te laisses crever avant tes trente ans, ne compte pas sur moi pour mener le cortège qui t'enverra six pieds sous terre. Je ferai partie de ceux qui viendront cracher sur ta tombe pour avoir été trop lâche pour te battre. »

En temps normal, et surtout sans alcool pour le désinhiber, Hippolyte aurait été un peu plus mesuré, et n'aurait certainement pas avoué à Marius qu'il comptait le conspuer jusqu'à la fin de sa vie s'il osait partir avant lui.

« Peut-être Crescentia et Astrid auront-elles pitié pour Samuel et Adaline, peut-être leur diront-elles que leur père était un héros qui n'a pas eu de chance... Mais compte sur moi pour rétablir la vérité, pour leur dire que leur père n'est rien d'autre qu'un couard, un pleutre et un enfant geignard... »

La respiration courte, Hippolyte se tut et le silence revint. Sous un meuble, on voyait briller les yeux de Ravel et Duchesse, du cognac imbibait le parquet, et des éclats de verre se mêlaient au cristal du vase aux pieds de Marius. Hippolyte soupira et, lorsqu'il repris la parole, sa voix était plus posée, presque comme un murmure.

« J'aurais dû faire plus d'efforts... J'aurais dû être un meilleur. J'aurais... J'aurais même dû accepter que tu me colles l'une de tes stupides manettes de jeu dans les mains, pour que tu puisses te moquer de ton vieux père en le battant à l'un de tes stupides jeux de courses... »

Oh c'était certain, il aurait été bien mauvais à ce genre de jeu ! Mais au moins auraient-ils eu un moment de complicité autrement plus sain que cette étrange soirée imprégnée d'alcool. Titubant, Hippolyte se laissa à nouveau tomber dans le canapé et désigna le fauteuil à Marius.

« Reviens t'asseoir, avant de te casser la figure dans les morceaux de verre... Je nettoierai ça plus tard. »

Posant les coudes sur ses genoux, Hippolyte se pris la tête entre les mains, murmurant d'une voix à moitié étouffée.

« Bon sang... Comment en est-on arrivés là ? »
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeLun 16 Jan 2017 - 23:45

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Une part de mon cerveau répète en boucle la même chose depuis vingt minutes. Ca fait un joli bruit de fond, un peu répétition, mais c’est toujours mieux que le vide intersidéral. Pourvu que je ne m’en souvienne pas, pourvu que je ne m’en souvienne pas demain. Ca doit être la part de moi qui est encore sobre, celle qui garde l’espoir stupide de voir cette soirée ne pas se terminer trop mal. Ca doit être la part de moi qui croise les doigts pour qu’il n’y ait, au final, pas trop de casse. Dommage, aussi, que ce soit la part de moi raisonnable, celle qui est écrasée depuis… toujours, celle qui n’a pas le droit à la parole, celle qui agonise sous l’énorme fessier de l’hippopotame qui représente ma connerie. Pourvu que je ne m’en souvienne pas, pourvu que je ne me souvienne pas de mes clins d’œil, de mes éclats de rire, pourvu que je ne me souvienne pas de ces chats, que je ne me souviennes pas de mes mots, pas de mes attaques et encore moins de les siennes. Pourvu que j’oublie tout, pourvu que je ne me souvienne de rien. Strictement rien. C’est affligeant de voir que j’ai l’alcool joyeux, que mon père a l’alcool déprimé et que la rencontre entre les deux transforme la moindre de mes répliques en agression acide, la moindre de ses phrases en blague à l’humour aussi douteux que génial. Tous ce qu’il me dit prête à rire, à mes oreilles alcoolisées. Tout ce que je peux répondre… tout ce que je peux répondre n’est que cruauté à ses yeux. Et je ne m’en rends pas compte. Parce que je ris. Je ris, tout simplement, je rejette le moindre sérieux, je me vautre dans l’ivresse, je noie la sobriété sous des verres que je m’enfile de plus en plus vite, parce que je ne savoure plus aucun goût. Je ris. Et lui, et lui il pleure. « Tu es persuadé que tu ne vivras pas jusqu'à trente ans. Pour ma part, je demande à voir... » Je ris, je ris encore. J’hausse les sourcils d’un air suggestif, comme pour mieux accepter le défi, prendre les paris. « Et tu vas voir ce que tu vas voir, mon brave ! » Plus ça va et plus, je ne le sais que trop bien, je vais perdre en mesure, je vais gagner en légèreté et insolence, je vais enfler en impertinence. Plus ça va aller, et plus je vais regretter. Et plus je vais vouloir oublier. Pourvu que je ne me souvienne de rien. J’étais encore à peu près lucide en entrant dans l’appartement.

Mais là… il n’y a qu’à voir la direction que prend la conversation, il n’y a qu’à voir le rythme de nos mots, il n’y a qu’à voir mes répliques acerbes, il n’y a qu’à écouter ce que je réponds au tac-au-tac sans même chercher à respirer ; Déjà que de base, je ne respire pas, je ne réfléchis pas et certainement pas face à lui, mais là… en même temps, j’ai envie de dire, il faut bien l’avouer : à nous deux, on cumule, on combine, on partage tous les torts qui nous auraient foutu au bûcher plutôt deux, trois, quatre, cinq fois qu’une seule, si on avait eu la chance de vivre au Moyen-Âge. « Que veux-tu, le bûcher doit être une histoire de famille... Il ne manquerait plus que je crache sur l'Eglise en allant affirmer que la Terre est ronde et on me vouerait à l'enfer, tu ne crois pas ? » J’éclate de rire, encore une fois. Une bonne blague. Bordel, mon père a un humour à s’en fendre la poire, et pour une fois, je le pense réellement. Dommage que tout le potentiel humoristique de ses répliques soit porté par l’alcool qui remplace progressivement mon sang. Mais bon. On n’a pas rien sans rien. Non ? Et puis, qu’on se le dise, c’est quand même sacrément plus marrant de rire que de pleurer, ça oui. Tout comme il vaut mieux boire de l’alcool que de l’eau quand tout va mal, c’est plus efficace. A condition d’oublier, après. A condition, aussi, de ne pas trop vomir, après. A condition, enfin… de terminer son verre. Mes verres. Les bouteilles. La conversation tourne, revient sur nos querelles, revient sur ma mort prochaine, revient sur une larme dans les yeux de mon père, revient dans un aveu dit dans un éclat de rire, celui qui me pousse à lui dire que je ne veux pas mourir mais que, bon, ce n’est pas grave au final. On m’oubliera vite, tout comme on oubliera cette soirée.

On oubliera vite le fils raté, celui qui n’a même pas su avoir un cœur en bon état, celui qui est mutant, celui qui n’est pas chasseur, celui qui n’est pas intelligent, pas connu, celui qui n’a rien inventé, celui qui n’aura rien fait de sa vie, au final. Rien d’autre que se reproduire, hein, parce que quitte à être le mec le plus con de l’univers, autant faire perdurer la race, non ? J’hausse les épaule, je souris, je me resserre un verre et lorsque mon père me saisit au niveau du col, tout ce que je me retrouve capable de faire, c’est tenter de lui faire un câlin. L’alcool ne fait visiblement pas que me rendre joyeux, il ne se contente pas de me faire planer dans la stratosphère, il légitimise aussi un âge mental digne d’un gosse de cinq ans. Le gosse que je ne me suis jamais arrêté d’être, au final. Le gosse qu’il repousse sans ménagement, le gosse qui manque de fondre en larmes. Impulsivement. Le gosse qui éclate de rire en faisant aussi trois pas en arrière, en se heurtant à un buffet. Il croit vraiment que je le déteste ? Vraiment ? « Fiche-toi de moi, Marius ! Tu m'as répété presque quotidiennement que tu me détestais, et ce depuis l'adolescence. Ton mantra, je le connais, ta haine, je la subis, et n'essaye pas de prétendre le contraire. » J’éclate à nouveau de rire. J’éclate de rire à en faire couler des larmes de détresse contenues depuis des semaines, j’éclate de rire à m’en faire mal aux côtes et au côté. « Parce que tu m’as cru ? Oh putain, c’est trop bon, ça ! Tu me crois, tu me crois vraiment ? » Ma main vient cueillir mes larmes mais ne parvient ni à les faire disparaître, ni à les faire tarir. Il croit quoi, que je le hais ? Il croit quoi, qu’il a vraiment le pouvoir de m’empêcher de mourir ? Je secoue la tête de gauche à droite, en cessant de rire pour mieux puiser dans ce qu’il me reste de lucidité afin de déterminer s’il est réellement sérieux ou s’il est, lui aussi, totalement manipulé par l’alcool qu’il continue d’ingérer. Je plisse les yeux, je les plisse tant et si bien que j’en viens à ne pas voir venir la gifle.

Une gifle efficace pourtant, puisque j’en lâche mon verre qui explose à mes pieds, répand le reste du bourbon au sol et me laisse la bouche entrouverte de stupeur. « Si la mort était un individu, crois-moi je lui aurais graissé la patte à ton sujet depuis longtemps... Mais j'ai bien plus de ressources que tu ne l'imagines pour éviter que tu n'aies à la rencontrer. » Je cille. Je papillonne des yeux, même. « Mais… mais… mais c’est méchant ! » Je ne parle bien évidemment en aucun cas de l’idée de m’éviter une rencontre avec la mort, parce que ça, ce serait plutôt gentil, mais plutôt de sa gifle. « C’est pas gentil, ça, Papa… » Ah ça… ce n’est pas gentil, c’est même plutôt méchant. Et j’ai beau savoir que dans la vie, il n’y a pas que des gens gentils, qu’il y a même des gens méchants, et bien… Je le regarde avec désespoir, pendant une éternité. Au moins… au moins trente secondes. Avant qu’il ne reprenne, avant que je ne me resserve un verre, après avoir récupéré le sien puisque de toute manière, il vient de récupérer la bouteille pour commencer à se passer de contenant intermédiaire.

Si j’ai toujours voulu un autre père que lui ? Bien sûr. Je ne vois pas quel intérêt je pourrais avoir à lui mentir à ce sujet. Bien sûr que j’ai toujours voulu un autre père que lui. Qui, de toute manière, voudrait d’un père tel que lui ? Mais, pour autant, je ne le déteste pas. Sa gifle reste marquée dans ma joue, permet à ma sobriété – relative, illusoire, éphémère – de refaire surface le temps de quelques mots esquissés, de quelques aveux gribouillés, de quelques pas posés maladroitement. Des pas de danse, qui fixent un à un tout ce que je peux détester dans ce qui m’entoure. « Si tu détestes tous ces souvenirs, si tu détestes cet appartement, Marius, c'est que tu nous détestes nous aussi. Tu as toujours été un très bon menteur, mais ça ne marche plus avec moi. J'ai saisis depuis longtemps que ces « je te déteste » d'enfant n'étaient pas un caprice mais l'expression de que tu ressentais. Je ne te demande pas de te justifier, simplement d'admettre l'évidence ! Si tu as toujours voulu un autre père, alors pourquoi t'évertuer à venir me voir ? Tu sais très bien que je suis incapable de t'offrir ce dont tu as besoin... » Je secoue la tête, à la façon d’un gosse, pour sentir mes cheveux s’agiter sur mon crâne. Pourquoi m’évertuer à venir le voir, lui ? Alors qu’il est incapable de m’offrir ce dont j’ai besoin ? Mais il ne comprend pas qu’il a fait bien plus pour moi en quelques mois qu’en toute une vie, qu’il comble, petit à petit ce vide, ce vide qui m’a torturé pendant deux décennies ? L’alcool transforme mes mots, me rends incapable de dire ça, ne fait que me pousser à me donner en spectacle dans de grands sourires, dans de grands éclats de rire.

Merde. J’en viens à regretter d’avoir déjà autant but. Je prends, je regarde, je pose, je parle. Je parle. Et si je ne détruis pas ce que je prends, si je ne détruis pas ce que je pose, je détruis par mes mots. J’ai envie d’oublier. Forcément. J’ai envie d’oublier. Pourquoi est ce que je n’ai rien dit ? Parce que je n’ai pas envie que ce soit vrai. Parce qu’admettre qu’il m’a tiré dessus, c’est admettre que je suis, vraiment, un monstre à ses yeux. Que je suis, vraiment, un monstre aux yeux de mon frère. De ma mère. L’alcool a un effet dramatique sur mon être. Il me désinhibe complètement. Il détruit, lui aussi, il détruit mes limites. Il fait ressortir ce qu’il y a de mieux en moi. Mais il fait aussi ressortir ce qu’il y a de pire. Je ne le déteste pas, mon père. Celui que je déteste, c’est moi. Et ce dégoût que je me porte, commence à se muer en violence, sous les souffles pervers des whisky, vodka, bourbons, cognacs ingérés les uns sur les autres sans aucun respect. Une violence qui me fait hurler, crier d’une voix éraillée, une violence qui détruit, détruit, piétine et massacre tout. Absolument tout. Pourvu que je ne me souvienne de rien, agonise ma conscience. Pourvu, putain, pourvu que tout s’efface. Comme le souvenir du vase aux milliers de dollars qui explosent en mille morceaux à mes pieds, comme une provocation. Comme le souvenir de cette bouteille, que j’esquive – inutilement puisque ni mon père, ni moi avons le moindre sens des distances maintenant – et qui explose à son tour sur le mur. Comme la voix de mon père. Qui explose. Eux aussi. « Mais je m'en contrefiche, que tu veuilles être digne des Caesar ! Tu sais ce que c'est, la dignité d'un Caesar ? De la merde ! Ni plus, ni moins ! C'est un ramassis de connerie, une famille menée par des connards qui se pavanent dans leur fric ! Il n'y a rien d'élégant à se sentir digne de tout ça... Je ne sais même pas ce que tu appelles être digne de moi, Marius. Commence par être digne de toi-même, par arrêter de te rouler dans ta propre merde, sois digne de l'homme que tu pourrais être si tu arrêtais cinq minutes d'être un enfant ! » Je hurle en même temps que lui. Je ne peux pas le laisser dire ça. « MAIS JE VEUX ÊTRE UN ENFANT ! » « …rir, alors pourquoi te laisses-tu aller à petit feu ? » « JE SAIS PAS ! » « …core compris ? Quand on meurt, on est seul. J'ai failli mourir, tu as failli mourir, et toi comme moi, nous avions quelqu'un à nos côtés à ce moment-là. Mais quand tu rends ton dernier soupir, tu es seul, et il n'y rien après. Strictement rien d'autre que le silence et un corps qui se décompose. Tu t'attends à quoi ? A une éloge funèbre digne de celle d'un roi ? Laisse-moi te dire une chose... Si tu te laisses crever avant tes trente ans, ne compte pas sur moi pour mener le cortège qui t'enverra six pieds sous terre. Je ferai partie de ceux qui viendront cracher sur ta tombe pour avoir été trop lâche pour te battre. » Je tremble. Je tremble en le regardant. Je tremble en le fixant. Je tremble en rivant mes rétines dans les siennes. En cherchant à rire. Trop lâche. « Peut-être Crescentia et Astrid auront-elles pitié pour Samuel et Adaline, peut-être leur diront-elles que leur père était un héros qui n'a pas eu de chance... Mais compte sur moi pour rétablir la vérité, pour leur dire que leur père n'est rien d'autre qu'un couard, un pleutre et un enfant geignard... » Je tremble, je reste tétanisé et mes hurlements, eux, sont lovés dans ma gorge en attendant leur heure. Ou un sursaut d’intelligence. Qui ne viendra pas. Qui ne viendra plus. D’une petite voix, je souffle un « Je suis pas lâche » qui sonne faux, même à mes oreilles. Surtout à mes oreilles. Le silence retombe. Ma respiration tonne à mes oreilles. La discussion n’a plus rien de drôle. Vraiment plus rien de drôle.

Des débris marquent le parquet à nos pieds. Au baccara se mêle les éclats de verre. Du diamant dans la fange du cochon. Je relève la tête vers mon père. Je la fais redescendre en direction des débris. Puis remonter. Puis redescendre. Puis son soupir et mes yeux se rivent à nouveau dans les siens. « J'aurais dû faire plus d'efforts... J'aurais dû être un meilleur. J'aurais... J'aurais même dû accepter que tu me colles l'une de tes stupides manettes de jeu dans les mains, pour que tu puisses te moquer de ton vieux père en le battant à l'un de tes stupides jeux de courses... Reviens t'asseoir, avant de te casser la figure dans les morceaux de verre... Je nettoierai ça plus tard. » Inutile de préciser que je ne bouge pas. Je l’observe. Je le regarde s’asseoir. Je l’écoute murmurer. Dommage que je comprenne encore ce qu’il dit. « Bon sang... Comment en est-on arrivés là ? » Je me mords la lèvre. Comment on en est arrivé là ? Vraiment ?

« Tu es vraiment pas gentil, ce soir, Papa. Tu m’as giflé. Et tu dis que je suis lâche. Et tu parles d’aller faire pipi sur ma tombe. Et tu as cassé la bouteille. » Il est où mon rire ? Elle est où, au juste, mon hilarité ? Je ne sais pas trop. Parce qu’à l’idée de voir du cognac perdu sur le parquet… « Y’a plus d’cognac, Papa… c’est vraiment trop méchant ça… » J’en pleure. C’est bien plus dramatique que de savoir que mon père regrette. Vraiment. « En plus tu dis n’importe quoi. Quand j’ai acheté ma première console, on se parlait déjà plus beaucoup, et Martial me traînait aux repas du dimanche sous prétexte que tu serais content de voir que j’avais survécu une semaine de plus sans te foutre la honte et dans la merde. » Ma franchise est inversement proportionnelle à ma capacité, actuellement, à contrôler ce que je dis. Et inversement proportionnelle à mon âge mental. Je me détache du buffet, je repousse du bout du pied, du bout de mes chaussettes, quelques morceaux. « La dignité d’un Caesar… » Je relève les yeux dans sa direction. « La dignité d’un Caesar, c’est d’avoir ce qu’on veut, quand on le veut, parce qu’on le mérite et qu’on a sué sang et eau pour le mériter. » C’est ce qu’il m’a dit, au mot près, quand j’avais neuf ans et que je lui demandais pourquoi il était aussi con et comment il en était venu à avoir un balai dans le cul. « La dignité des Caesar, c’est ce que tu n’auras jamais, Marius, parce que tant que tu te comporteras comme ça, tu ne seras pas digne d’avoir mon nom. » Ca aussi, c’est une phrase qu’il m’a dite. J’avais douze ans. Je crois. « Je savais pas que j’étais capable d’être… d’être… de pleurer, tout en étant aussi torché, Papa. Je crois que tu viens de réaliser un exploit. » Je fais un pas, j’enjambe, très, très, trop maladroitement les restes du carnage – de toute manière, il y en a un peu partout… - pour me laisser tomber dans un fauteuil. Et fondre en larmes. Vraiment. Pour… la… troisième fois ? Je me prends la tête entre les mains, en écho avec les gestes de mon père un peu plus tôt. Et je fonds en larmes. Encore. « Je veux pas mourir, Papa. Mais le problème, c’est que je ne veux pas vivre non plus. Je sais pas ce que je veux, je ne veux pas avoir à choisir, je veux juste que… que les choses se fassent, et qu’on n’en parle plus. Je suis fatigué d’y penser. Je veux juste… »

Je ne sais pas ce que je veux.
Et c’est bien ça le problème.
« Il n’y a plus rien qui ait du sens dans ma vie. Et la seule chose que je vais transmettre à Sam et à Ada… bah… c’est mon nom. Je veux qu’être un Caesar, ça ait du sens. Je veux qu’ils soient fiers d’être des Caesar. Je veux qu’ils… ils pourront pas être fiers de moi. Alors au moins, si je peux leur transmettre un nom… ça sera déjà ça, non ? » J’éclate en sanglots, encore une fois. Je me recroqueville sur le canapé, je serre mes genoux contre ma poitrine. « J’ai jamais réussi à ne plus être un Caesar, Papa. J’ai essayé, j’ai voulu, j’ai tout rejeté, mais au final, c’est la seule chose stable dans ma vie… je mérite pas d’être un Caesar, mais, bordel, tu peux pas m’enlever ça. Dis pas que c’est de la merde. S’il te plait. Je veux pas que ce soit de la merde. Sinon ça veut dire que je pourchasse de la merde depuis… depuis toujours… »

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeMer 18 Jan 2017 - 22:20

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Hippolyte perdait pied, et ce n'était pas seulement à cause de la fatigue ou de l'alcool. Il lui était devenu difficile sinon impossible d'expliquer comment et et pourquoi il était aussi dur avec Marius, à la limite de la torture pure et simple, alors qu'il affirmait aimer sincèrement son fils. Il y tenait, à ce grand imbécile, tout autant qu'il avait envie de lui donner des claques chaque fois qu'il dénigrait son existence. S'affirmer comme étant dispensable et inutile, c'était clamer haut et fort que son père avait échoué dans un des aspects de sa vie, à savoir la paternité. La plupart du temps, Hippolyte voyait la vie comme une succession ininterrompue de défis, qu'il se sentait obligé de relever pour prouver que tout lui réussissait. Mais être père, ce n'était ni un jeu, ni une énigme. C'était une chose complexe et merveilleuse qui lui échappait toujours, mais qu'il ne pouvait considérer comme un échec pour autant. Ce n'était pourtant pas si compliqué de montrer à Marius qu'il était aimé, qu'il avait été désiré et qu'il lui prêtait attention. Il aurait suffit d'un père dans les tribunes pour l'encourager, un père fier de son brillant avenir de sportif, un père qui l'aurait immédiatement pris par la main pour l'empêcher de sombrer à l'annonce de sa pathologie cardiaque, un père qui aurait toujours été là, comme un parfait pilier entre l'indifférence totale et l'omniprésence étouffante.

Pourquoi s'étonner que Marius affirme n'avoir jamais voulu d'un père pareil ? C'était bien là ce qui les opposait le plus : Hippolyte avait toujours souhaité que son fils entre dans un moule, mais Marius n'était guère mieux, il attendait de son père quelque chose qu'il n'était pas en mesure de lui donner. Hippolyte avait grandit dans une incompréhension totale du monde qui l'entourait, subissant des interactions sociales plus qu'il ne les provoquait, et toujours plus enclin à écraser ses congénères de son savoir plutôt qu'à le partager. Il s'était cru capable de tout comprendre et de décrypter tous ceux qui l'entouraient, pour la simple et bonne raison que l'on revenait rarement à la charge pour tenter de contredire Hippolyte Caesar. Soit par lassitude, soit par peur des représailles. Marius, lui, était l'être humain le plus singulier, le plus incompréhensible et le plus tenace qu'Hippolyte ait jamais rencontré. Il revenait à la charge quand on lui disait non, insister quand il aurait fallu rendre les armes, et hurlait quand on implorait le silence. Mais il hurlait dans une langue que son père avait refusé d'apprendre : celle d'un fils hurlant à son géniteur « regarde-moi, j'existe et je ne réclame qu'un peu de fierté dans tes yeux ». C'est peut-être pour ça qu'il avait tant pris au pied de la lettre ces incessants « je te déteste ». Peut-être pour cela, aussi, qu'il regardait à présent Marius avec une lueur de défi dans les yeux. Ces larmes qui coulaient sur le visage de son fils ne ressemblaient pas à celles qu'aurait versé un individu mort de rire, mais plutôt celles d'un enfant mort de peur.

« Pendant des années, tu m'as demandé de te croire et t'écouter... Aujourd'hui tu me dis que je n'aurais pas dû ? Sois un peu logique pour une fois, Marius... », soupira-t-il avec lassitude.

Les moqueries l'atteignaient de moins en moins, remplacées par un indescriptible ras-le-bol de tout et une envie irrésistible que l'alcool détruise les derniers neurones et traces de conscience qu'il lui restait. Hippolyte aurait aimé pouvoir dire que de toute manière, le lendemain il ne s'en souviendrait pas, mais il ne se voilait pas la face. Il s'était dit des choses trop dures, trop importantes et trop déroutantes ce soir-là pour que son cerveau accepte d'évacuer les souvenirs en même temps que l'alcool de son organisme. Il garderait cette soirée un goût amer et une extraordinaire gueule de bois, laquelle le rendrait plus irascible encore que d'habitude. Nul doute que ses employés allaient adorer cet aspect de sa si généreuse et compréhensive personnalité.

Et puis la colère monta à nouveau, enfla telle un monstre assoiffé de douleur et de sang, elle déversa son ire sur un Marius trop hébété par l'alcool pour répondre avec sa hargne habituelle, puis elle se cristallisa dans cette gifle aussi cinglante qu'inattendue. « C’est pas gentil, ça, Papa… » C'était ça, la répartie d'un Marius alcoolisé ? Des remarques à la bêtises palpable ?

« Je n'ai jamais prétendu être le gentil de l'histoire, Marius, il serait peut-être temps que tu t'en rendes compte. »

Dans tous les aspects de sa vie, Hippolyte Caesar était loin d'être « le gentil ». C'était un brillant homme de sciences qui ne tolérait ni l'échec, ni l'approximation, un chef d'entreprise qui avait compris depuis longtemps que pour diriger un empire tel que le sien, il fallait oublier l'idée d'être amical avec son personnel, un homme qui ne prenait même pas le temps de tendre la main à une personne qu'il aurait bousculé dans la rue. Ce n'était pas le gentil mais il n'avait jamais prétendu l'être. Et comment mieux le prouver qu'en hurlant à Marius qu'il ne pouvait que se mettre le nez dans sa propre merde, désormais ? Il voulait être un enfant ? Trop tard ! Ce temps était révolu, envolé, et jamais il ne reviendrait. L'enfance était souvent bien trop courte pour qui souhaitait rester innocent et fuir les responsabilités, mais il était grand temps que Marius affronte ses propres démons au lieu de les fuir ou de copiner avec. Le souffle court, il restait là, ses prunelles noires fichées dans le regard azur de son fils, à se demander comment il pouvait être aussi proche de lui et loin à la fois, à se dire qu'il était ridicule d'être capable de lui mettre si facilement une gifle quand il n'osait le prendre dans ses bras de peur de le briser à nouveau et d'être incapable de recoller les morceaux. Avec une détermination qu'aucun vibrato ni aucune hésitation ne vint faire trembler la voix, il lâcha :

« Bien sûr que si, tu es un lâche. »

Pas un faible, non, simplement un lâche. Il resterait un lâche tant qu'il refuserait d'affronter la réalité. Lassé, fatigué, il s'était laissé tomber dans le canapé, regrettant que l'alcool ne le rende pas plus « cool » ou décontracté, regrettant presque d'être ce qu'il était et non ce que Marius aurait voulu qu'il soit. Quand Marius répondit, avec des phrases dignes d'un enfant de quatre ans, son père leva les yeux au ciel.

« Oh, je t'en prie... J'ai parlé d'aller cracher sur ta tombe, non d'y pisser... Révise donc ta littérature, et la référence te semblera évidente... »

Y a plus de cognac... Non, il n'y avait plus de cognac, plus de whisky, et il n'y aurait bientôt plus de Marius s'il continuait à parler ainsi. Seulement, Hippolyte n'avait pas prévu que son fils fondrait en larmes, purement et simplement. Il le fixa, les yeux ronds, incapable de comprendre ce qu'il se passait. Pourquoi pleurer pour du cognac ?

« Arrête de pleurer, Marius, tu es ridicule ! Et tu racontes n'importe quoi ! J'étais content de te voir, quand tu venais le dimanche... Je... J'ai demandé plus d'une fois à Martial de te convaincre de venir, car en ne nous voyant qu'une fois par semaine... Les choses allaient mieux. »

C'était malheureusement on ne peut plus vrai. Deux Caesar aux tempéraments aussi radicalement différents qu'Hippolyte et Marius n'étaient pas faits pour cohabiter, aussi triste cela soit-il. C'était l'éloignement qui les avait rapprochés, avant qu'une brutale rupture ne vienne tout foutre en l'air. A 27 ans, Hippolyte avait l'impression de réapprendre à connaître son fils, comme s'il rencontrait un étranger. Poussant un profond soupir, Hippolyte se pris la tête dans les mains, priant qui voudrait bien l'entendre pour que Marius se taise.

« La dignité d’un Caesar, c’est d’avoir ce qu’on veut, quand on le veut, parce qu’on le mérite et qu’on a sué sang et eau pour le mériter. »

Il grinça des dents. Il avait l'impression de s'entendre, quinze ans plus tôt. La même intonation, la même acidité, la même intransigeance dans la voix. Marius était loin d'être idiot. Il rejetait délibérément l'autorité, mais il entendait, écoutait et retenait. Chaque mot, chaque syllabe, chaque inflexion de la voix avait été minutieusement gravée dans son esprit.

« La ferme cesse de faire le perroquet... », grogna-t-il, menaçant.

« La dignité des Caesar, c’est ce que tu n’auras jamais, Marius, parce que tant que tu te comporteras comme ça, tu ne seras pas digne d’avoir mon nom. »

« LA FERME !! » Hurla-t-il à en faire fuir la pauvre Duchesse qui avait profité d'une accalmie pour tenter un retour triomphal sur le canapé.

Qu'il se taise, bon sang qu'il se taise... Que Marius cesse de parler, qu'il cesse de pleurer, qu'il cesse de geindre, qu'il cesse simplement d'exister le temps que les pensées de son père se mettent en ordre... Non. Qu'il ne cesse pas d'exister. Car alors, tous les efforts auraient été vains, les discussions n'auraient servi à rien, et l'avenir n'aurait plus cette saveur épicée. Il serait amer, fade et sans goût. Mais qu'il se taise, par pitié qu'il se taise, au lieu de citer à la lettre le monstre qui avait ruiné son enfance ! Grimaçant en se massant les tempes, Hippolyte jeta un regard dégoûté à Marius lorsque celui-ci s'écroula dans un fauteuil pour s'y recroqueviller et pleurer de plus belle. Des larmes, toujours des larmes... Quoi de mieux pour attirer l'attention et la pitié, après tout ? Hippolyte les avait toujours détesté, ces larmes. Du caprice, voilà ce que c'était ! Il les avait toléré les premières années, acceptant l'idée qu'un bébé ou un tout jeune enfant était plus sujet aux humeurs, puis il avait cessé des les considérer comme un phénomène normal. Il n'y avait vu que faiblesse ou volonté de se faire remarquer. Elles l'avait mis en colère, ces larmes, les premiers temps ! Puis il les avait ignoré, purement et simplement. A chaque colère, à chaque caprice, à chaque simple expression naturelle de la fatigue d'un enfant, Hippolyte avait purement et simplement ignoré Marius, le laissant seul dans l'incompréhension, seul face à un sentiment d'indifférence qui avait laissé bien plus de séquelles et cicatrices que n'importe quelle gifle.

Hippolyte avait ignoré les larmes pour ne pas avoir à en comprendre le sens. Fixant un Marius au désespoir palpable et à la détresse évidente, il commença à réaliser à quel point il s'était fourvoyé. A 27 ans, on ne faisait plus de caprices comme à 6, à 27 ans, on ne pleurait pas... A 27 ans, Marius pleurait parce qu'il souffrait, parce qu'il était perdu, et parce qu'il était rongé par un mal que personne ne semblait vouloir ou pouvoir comprendre. A 27 ans, Marius mettait ses bourreaux sur un piédestal en refusant que quiconque ne s'en approche pour les déchoir. Hippolyte se leva, le regretta immédiatement quand la pièce se mit à tanguer, puis s'avança d'un pas maladroit vers le fauteuil où Marius était recroquevillé, des larmes rougissant son visage d'enfant. Les mains du père tremblèrent, ses poings se serrèrent, et on aurait pu croire, pendant un instant, qu'il frapperait son fils pour lui donner une vraie raison de pleurer. Mais Hippolyte avait toujours eu la violence au sein du foyer en horreur, et ce n'est pas l'alcool qui allait changer ça. Il posa une main sur l'épaule de Marius, l'aida à se redresser, et se laissa tomber dans le fauteuil qui était de toute manière si large qu'on pouvait y tenir à deux. Sans un mot, son bras vint entourer les épaules de son fils, tandis que l'autre l'attirait contre son épaule dans une étreinte aussi maladroite que lourde de sens. Les larmes lui brûlaient les paupières, et s'il se retenait de pleurer à son tour, c'était uniquement parce qu'il estimait qu'il était de son devoir de ne pas craquer et d'offrir à Marius un soutien qu'il n'avait jamais su lui donner. La main d'Hippolyte se glissa dans les cheveux de Marius, tandis qu'il le berçait avec douceur, comme il l'avait fait à maintes reprises quand son fils faisait des cauchemars étant petit. L'ennui, c'est que ce cauchemar là n'avait pas de fin, pas de réveil possible, rien. Ce cauchemar, c'était la réalité, la triste, dure et cruelle réalité.

« Tu sais... Je ne suis pas certain de savoir ce que c'est aujourd'hui, la dignité d'un Caesar. Ta mère a tenté de me tuer, j'ai moi-même assassiné plus d'hommes et de femmes qu'il n'en faut pour annihiler une conscience, j'ai entraîné Martial dans ma folie meurtrière et... Et j'ai fait de ta vie un enfer. Si tu meurs, Marius, ça ne sera ni un accident, ni la maladie. Ce sera un meurtre. Car je n'aurais pas été là pour te soutenir, j'aurais provoqué ta chute et t'aurais privé de toutes les armes qui auraient pu te permettre de te battre. Si tu meurs, Marius, tu seras le premier mutant, le premier homme que je regretterais d'avoir tué, et cette pensée me terrifie pour tout ce qu'elle implique. »

Une absence cruelle de conscience et de regrets, mais aussi une peur panique de perdre cet enfant qu'il aimait à ne pas savoir comment le lui dire.

« Je ne veux pas que ce soit ça, la dignité d'un Caesar. Je ne veux pas que ça se résume à piétiner le monde et à se croire tout puissant au point d'arracher des vies par dizaine. Je veux qu'être un Caesar, ce soit faire quelque chose de bien... J'ai tenté d’œuvrer pour le bien, Marius, je te le jure... »

Il se mordit la lèvre tandis que les larmes coulaient malgré lui sur son visage. Si l'échec faisait habituellement mal à son orgueil, celui-ci lui faisait mal au cœur, à tel point qu'il aurait voulu se l'arracher de la poitrine.

« Ce que j'ai fait de notre nom, c'est une horreur, un massacre, une boucherie... Je veux qu'une laisse à Samuel et Adaline quelque chose de plus positif. Je ne veux pas que tu réitères mes erreurs, par pitié ! Si c'est à ce nom que tu te raccroches, alors donne-lui un sens honorable, un sens que tu auras décidé. Nous sommes différents, Marius. Jamais je ne serai toi, jamais tu ne seras moi. C'est pour ça que nous ne pouvons pas donner à ce nom qui est le nôtre la même valeur. »

Pathétique. Le spectacle était pathétique. Des dizaines d'années de conflit ouvert, et il aura suffit de quelques litres d'alcool pour en arriver là ? Si Hippolyte s'en était douté, il en serait probablement devenu alcoolique.

« J'ai commis trop d'erreurs avec toi pour qu'elles soient réparables ou pardonnables. J'aimerais simplement... Tenter de faire de tes dernières années un fardeau un peu moins lourd à porter. Ta vie a du sens, Marius, tu ne l'as simplement pas encore trouvé. »

Son étreinte se resserra autour des épaules de Marius, comme s'il craignait que celui-ci ne disparaisse brusquement.

« Je te demande pardon, Marius... », murmura-t-il d'une voix étranglée.

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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeVen 3 Fév 2017 - 23:52

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Hippolyte & Marius



Ainsi, mon père pense que je le déteste. L’idée me semble si absurde que j’en ris. Vraiment. Porté par l’alcool, porté par cette légèreté qui me fait perdre pied, j’éclate de rire devant ce tissu d’absurdité qu’il me balance à la tronche. Bien sûr que je lui ai hurlé à la gueule pendant des années que je le détestais, mais, sérieusement… sérieusement, il m’a cru ? « Pendant des années, tu m'as demandé de te croire et t'écouter... Aujourd'hui tu me dis que je n'aurais pas dû ? Sois un peu logique pour une fois, Marius... » J’éclate de rire, j’en ai des larmes qui dégoulinent sur mes joues en cascade, des larmes qui fleurissent, des larmes intarissables. Des larmes contenues des années, des larmes de rage, des larmes de détresse, des larmes de joie aussi, si peu déversées, si longtemps réservées pour une volonté farouche de ne pas, surtout pas flancher, pas devant lui. Je ris, et lorsque je me calme, c’est pour secouer la tête de gauche à droite, le démentir, lorsque mon rire s’éteint, c’est pour que dans ma poitrine une main étreigne mon cœur et l’enserre à m’en tuer. A quoi est-ce qu’il joue, à soudainement prêter attention à toutes ces conneries que j’ai pu lui balancer parce que j’étais un gosse mal dans ma peau et que j’avais besoin de trouver des explications au dégoût que j’inspirais à mes parents ? A quoi est ce qu’il joue, aussi, lorsqu’il me gifle pour mieux me faire taire.

Sa gifle me surprend, sa gifle a cette efficacité qu’elle a toujours eu, dans un élan de stupeur qui termine en un verre explosé sur le parquet, des multiples éclats que va rejoindre sous peu une bouteille, que va rejoindre après ça un vase hors de prix, qui rejoignent déjà d’autres débris, déjà d’autres désastres, d’autres fragments de vie réduit à des éclats coupants. Et au milieu d’eux, l’odeur dispersée d’un bourbon perdu, le geignement d’un enfant dans un corps bien trop grand pour lui, vieux de bien trop d’années, d’un enfant réveillé par l’alcool ingurgité, traumatisé par une simple gifle, sorti de sa léthargie par cette même gifle. C’est méchant, ça, Papa. « Je n'ai jamais prétendu être le gentil de l'histoire, Marius, il serait peut-être temps que tu t'en rendes compte. » Je secoue la tête, avec encore plus de conviction qu’un peu plus tôt. Je serre même les poings, très fort, suffisamment fort pour que mes ongles marquent ma paume, pour que mes phalanges blanchissent. Pour que l’adulte combatte l’enfant. Pour que les questions qu’il me pose, pour que cette colère qui fait vibrer les murs et hurler nos pensées, ce soit le Marius de vingt-sept ans et non celui de six ans qui se les prenne dans la gueule. Mais j’oscille. Je hurle, lui aussi ; tout dérape : de nos responsabilités à nos accusations, de nos culpabilités à nos respirations, de la futilité de notre relation à la vacuité de nos revendications. Tout, absolument tout échappe à notre contrôle. Le parquet s’imbibe de cognac, de nouveaux diamants, éclats d’un verre brisé, se retrouvent à nos pieds, et nos yeux se heurtent dans une colère et une détresse entremêlées d’errance. La violence est presque plus coupante que les fragments de baccara, je perds l’équilibre, je titube mais comme toujours dans ma vie, je reste désespérément droit, je reste désespérément debout, à la limite de la rupture mais maintenu par un filin de volonté pure, de détermination et d’esprit de contradiction. Contradiction. Je les déteste, je déteste tout de cette pièce, mais eux, eux les Caesar, je ne les déteste pas. Contradiction. Adulte jusque dans les gosses que j’ai conçus, mais enfant, désespérément enfant. Je veux être un enfant, je veux le rester, je veux me battre pour le rester et c’est quand je me bats pour le rester que je suis adulte, parfois. Contradiction. Pourquoi est-ce que je me laisse partir ? Parce que la vie me terrifie. Pourquoi est-ce que je veux vivre ? Parce que la mort me terrifie. Contradiction. Encore une fois, encore une contradiction. Contradiction, comme la dernière phrase que je lâche, pour me battre contre ce qu’il vient de m’asséner avec violence. Ma voix est une supplique, ma voix est un geignement. Une petite voix. Tenue, suppliante, putain qu’elle est suppliante ma voix. Je ne suis pas un lâche. « Bien sûr que si, tu es un lâche. » Je me mords la lèvre en relevant les yeux. « NON ! » Tout l’air présent dans ma cage thoracique est expulsé avec violence, avec l’énergie du désespoir, avec la conviction embrumée qu’il a raison, que je suis un lâche, un foutu lâche, que je me terre derrière mes cauchemars et que… je suis lâche, putain. Et même mes je-ne-sais-plus-combien de millilitres d’alcool dans le sang ne parviennent pas à m’en faire rire.

Je suis lâche, et l’enfant s’en désolé. L’enfant prend le pas. L’enfant… l’enfant se mord la lèvre lorsqu’il regarde son père s’asseoir, lorsqu’il entend son père s’interroger. Comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Je ne sais pas vraiment et pourtant, pourtant… ça a quelque chose de logique. Tu es vraiment pas gentil, ce soir, Papa, c’est un constat, un constat que l’enfant fait parce qu’il ne sait pas quoi dire d’autre. Je suis lâche. Je ne veux pas grandir parce que j’ai peur de voir ce que me réserve l’avenir. Parce que j’ai peur d’admettre que lorsque je serai grand, je ne serai ni pompier, ni astronaute, ni footballer, ni tout ce dont rêvent les petits garçons. Quand je serai grand, je serai mort. Et quand je serai grand, je n’aurai plus besoin de mes parents, plus besoin de mon frère. Je serai seul. Je suis un gosse, un gosse de quatre ans lorsque je fais remarquer à mon père qu’il est méchant. Mes pensées éparses se reconstruisent, désordonnées par l’alcool, selon le schéma le plus rassurant qu’il soit : celui de l’infantilité. Il est méchant, méchant. « Oh, je t'en prie... J'ai parlé d'aller cracher sur ta tombe, non d'y pisser... Révise donc ta littérature, et la référence te semblera évidente... » Je secoue la tête. Plus de cognac, on parle d’uriner sur les tombes et lui, et lui il me fait une leçon de français ? « J’aime pas les livres » je rétorque, parce que je n’aime pas rester silencieux, parce que je ne tarde pas à fondre en larmes. Pour rien. Juste parce que…

Juste parce que, finalement, j’ai les nerfs à fleur de peau. J’ai l’alcool joyeux, j’ai l’alcool léger, j’ai l’alcool rieur mais je pleure parce que même les plus souriants des petits garçons, même les plus vifs et heureux des petits garçons, peuvent être détruits par une enfance injuste. « Arrête de pleurer, Marius, tu es ridicule ! Et tu racontes n'importe quoi ! J'étais content de te voir, quand tu venais le dimanche... Je... J'ai demandé plus d'une fois à Martial de te convaincre de venir, car en ne nous voyant qu'une fois par semaine... Les choses allaient mieux. » Je secoue la tête. Arrête de pleurer, Marius, tu es ridicule ! Je ne pleure plus, parce que cette simple phrase réveille l’adulte. J’oscille, j’oscille entre le gosse et l’adulte, j’oscille entre l’ivresse et la lucidité, j’oscille entre le rire et les pleurs, j’oscille, j’oscille entre la vie et la mort. Je suis un funambule, portant à bouts de bras une longue perche pour m’offrir un peu de stabilité, un peu d’équilibre dans mes doutes et mes incertitudes. Un peu de stabilité que me procure des buts inatteignables, comme cette dignité sur laquelle il vient de cracher et qui, pourtant, a martelé mon âme. Indigne d’être un Caesar, un objectif inaccessible, quelque chose vers quoi tendre, à qui tourner le dos… La dignité des Caesar, très certainement la seule chose que je vais léguer à mes gosses, putain. Un nom, un souvenir et une dignité inexistante, un héritage, du fric et des comptes en banque, et deux mères différentes. Putain. Je titube, je me recroqueville sur le canapé, sourd aux La ferme ! de mon père qui auraient plus de place dans la gueule que dans la sienne. Foutu alcool, foutue soirée, foutue vie de merde. Je me recroqueville dans des sanglots, je me recroqueville dans des aveux, je me recroqueville sur moi-même parce que je ne sais plus ce que je veux, que je n’ai plus aucune défense, aucune armure derrière laquelle me réfugier, parce que j’ai les émotions à vif, parce que j’ai la chair exposée à tout ce que mon cœur peut ressentir, à tout ce qu’il peut hurler de douleur.  

Je me recroqueville, parce que cette distance qui nous sépare, lui dans son fauteuil, moi sur cet îlot de canapé, est un gouffre dans lequel je crève d’envie de me jeter, ne serait-ce que pour me rapprocher de lui quelques secondes, quelques minutes, me rapprocher d’un père inaccessible, intouchable, d’un père qui ne me mérite pas, que je ne mérite pas, parce que je me sens brutalement seul, parce que… Je me recroqueville davantage sur moi-même lorsqu’il pose sa main sur mon épaule. Un long frisson dégringole ma colonne vertébrale et se transforme sans attendre en tremblements. Je me redresse en fermant les yeux, parce que j’ai trop honte de me laisser aller comme ça pour le regarder dans les yeux. Je me redresse, je me ramasse sur moi-même lorsque sa main se transforme en bras, lorsque le bras vient entourer mes épaules dans plus d’affection que tout ce qu’il a pu me donner en vingt-et-un ans. Ses doigts se glissent dans mes cheveux, je me pelotonne contre son torse sans plus rien penser, en me mordant la lèvre pour calmer mes sanglots. J’ai cinq ans, je viens de faire un cauchemar et je dois apprendre à être plus courageux. J’ai six ans et je me réveille en pleine nuit, mes jambes refusant de me porter pour aller me réfugier dans les bras d’une mère pour laquelle je n’existe plus. J’ai neuf ans et mon père n’est pas venu à mon match de handball. J’ai onze ans et je lis dans son regard une déception sans nom. J’ai douze ans et le mépris s’additionne à la déception. J’ai quatorze ans et la haine complète la ronde du mépris et de la déception. J’ai seize ans et le dégoût vient s’ajouter à tout cela. J’ai vingt-et-un ans, et une colère sans égal balaye tout sur son chemin pour ne laisser que des ruines. J’ai vingt-et-six ans, et il est là. J’ai vingt-sept ans, et il m’enlace pour me consoler, me rassurer, pour éloigner les monstres qu’il y a sous mon lit et dans les moindres recoins de mes pensées. Pour une fois, je n’ai pas peur du silence. Parce que je suis dans les bras de mon père.

Je n’ai pas peur du silence, mais lorsqu’il reprend, ses mots perdraient presque de leur sens pour n’être que des sons rassurants. Presque. Les pires s’incrustent dans ma chair, s’impriment comme des tatouages, s’infiltrent sous ma peau, vont rejoindre les dizaines autres maximes de mon père. J'ai fait de ta vie un enfer. Si tu meurs, Marius, ça ne sera ni un accident, ni la maladie. Ce sera un meurtre. Je secoue la tête.  Un meurtre. Un de plus, un de moins hurle un battement de cœur. Pas un meurtre, un suicide, crache un deuxième battement. Une disparition, un soupir éphémère renchérit un troisième. Le quatrième, quant à lui, se tait. Tout comme moi. Je me pelotonne davantage contre mon père, ma tête calée contre sa poitrine. Je garde obstinément les yeux loin des siens. Je ne veux pas que ce soit ça, la dignité d'un Caesar. Je veux qu'être un Caesar, ce soit faire quelque chose de bien... J’inscris les pires de ses mots dans ma chair, mais je garde les plus beaux précieusement dans ma poitrine, scellés dans ces perles qui glissent encore de mes yeux, d’une source qui refuse de se tarir malgré tous mes efforts. « Ce que j'ai fait de notre nom, c'est une horreur, un massacre, une boucherie... » Mes mains se libèrent mes bras, montent à mes oreilles, pour les boucher, inutilement. « Je veux qu'on laisse à Samuel et Adaline quelque chose de plus positif. Je ne veux pas que tu réitères mes erreurs, par pitié ! Si c'est à ce nom que tu te raccroches, alors donne-lui un sens honorable, un sens que tu auras décidé. Nous sommes différents, Marius. Jamais je ne serai toi, jamais tu ne seras moi. C'est pour ça que nous ne pouvons pas donner à ce nom qui est le nôtre la même valeur. » Une nouvelle fois, mes mains s’agitent, quittent mes oreilles et leur action inutile pour se poser devant mes yeux, pour en essuyer mes larmes. Pour se croiser sur mes genoux et y enfouir mon visage. « Tais-toi… » je souffle d’une voix si rauque qu’elle en devient inaudible. « J'ai commis trop d'erreurs avec toi pour qu'elles soient réparables ou pardonnables. J'aimerais simplement... Tenter de faire de tes dernières années un fardeau un peu moins lourd à porter. Ta vie a du sens, Marius, tu ne l'as simplement pas encore trouvé. » D’un couteau, impardonnables s’inscrit dans mes poumons. « Je te demande pardon, Marius... » Et ces cinq mots-là, eux…

Ces cinq mots-là sont une bouffée d’oxygène. Brutale. Une longue respiration qui dénoue ma cage thoracique, qui distend les coupures entre mes côtes, qui déforment l’impardonnable tant et si bien qu’il n’a plus la moindre signification. Une respiration que suit sans tarder une expiration tout aussi difficile mais tout aussi posée. Et le silence. Le silence. Je m’écoute respirer, je l’écoute respirer. Et je n’ai pas peur de ce silence, encore une fois. « C’est injuste, n’est-ce pas ? » J’articule lentement, lorsque je cesse de compter mes battements de cœur, lorsque je viens de dépasser la cinquantaine, lorsque mes larmes se sont enfin taries, abreuvées d’apaisement. Je délie mes muscles, lentement, pour tituber, quitter l’étreinte protectrice de mon père, pour chanceler jusqu’à un buffet, m’accroupir et sortir deux nouveaux verres puisque les précédents sont dispersés au sol, et revenir vers mon père. Que je regarde enfin. « C’est injuste qu’il faille que je… » Le mot s’étrangle dans ma gorge. Je ne cherche pas à le forcer. « … pour qu’on se retrouve. Pour qu’on se trouve plus tôt. Et c’est… » Cette fois, ce n’est pas qu’il refuse de sortir, c’est que je ne trouve pas celui qui convient. « con… » Autant dire les choses telles qu’elles sont. « … qu’il faille qu’on décime tes réserves d’alcool pour le faire. » Je me sens lucide. Et pourtant, pourtant, je suis loin, très loin, d’être sobre. Sobre, jamais je ne pourrais m’adresser à mon père de manière aussi… simple. Sobre, jamais mes réactions ne pourraient être aussi éclectiques en un laps de temps aussi court. « Papa. Je ne te déteste pas. » Et ma voix vibre de sérieux, emprunte à mon jumeau, à mon père cette inflexion de certitude et d’assurance posée. « Il te reste quelque chose à boire, à propos ? » Je ferme les yeux quand le sol s’amuse à jouer au tango sous mes pieds. « Tu te trompes, Papa, je ne te déteste pas. Tu te trompes, crois-moi, sinon on n’serait pas là. Je n’ai jamais tendu qu’à me différencier de toi, de tes semblables, de Maman, de Martial, juste parce que je mourrais, je crevais même d’envie, de tous vous ressembler, de tous vous imiter. Et toi, Papa, et toi, modèle inaccessible, tu étais devant moi, mon ambition secrète, une ambition lointaine, une déception prochaine, une déception certaine, un amour indicible. Tu te trompes, Papa, je ne te déteste pas ; tu te trompes, crois-moi, car tout le contraire est là. » Les verres glissent sur la table basse, mes pupilles se heurtent à celui auquel j’aurais tant aimer ressembler. « Tu as raison, tu sais, nous sommes si différents. Pourquoi s’étonner donc de ne pas se comprendre. Vingt-sept ans c’est trop peu pour que deux étrangers s’apprivoisent et se parlent comme un père et un fils devraient le faire pourtant. C’est injuste, c’est dommage, il nous manque du temps. »

Je le regarde dans les yeux. Et répète en écho. « Il nous manque du temps. » Je secoue la tête. « Alors autant ne pas le gaspiller à pleurer et à hurler, non ? » Je me laisse tomber sur son fauteuil. Places échangées, mais rien ne change. Finalement. « Autant apprendre à… se connaître. » Mes yeux se fixent sur les verres toujours vides. « A se connaître vraiment. Genre… »… Genre… « savoir lequel tient le mieux l’alcool. Tu as des verres à shot et de quoi les remplir ? » Histoire de vraiment, vraiment, vraiment oublier cette soirée.

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Hippolyte Caesar
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MessageSujet: Re: (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose   (Hipporius) | We live each day like there's nothing to lose Icon_minitimeDim 12 Fév 2017 - 15:04

We live each day like there's nothing to lose
Hippolyte & Marius



Lorsque, en début de soirée, Hippolyte avait ouvert la petite porte vernie du bar, il avait eu envie de rire de sa propre médiocrité. Un coup d'oeil sur sa personne et sa carrière suffisait à le ranger dans la case des hommes indécemment riches, ces hommes de pouvoir ayant réussi leur vie, ces hommes dont le nom resterait gravé aussi bien dans les mémoires que sur des boîtes de médicaments des décennies après leur mort... Ces hommes qui n'étaient jamais pleinement satisfaits de ce qu'il avaient. Car là où Hippolyte avait réussi, il demeurait des domaines dans lesquels il avait lamentablement échoué. Sa dernière consommation d'alcool à outrance remontait à si loin qu'il aurait été incapable de dire avec précision à quand elle remontait. Après tout, il n'avait toujours que des souvenirs flous de ces moments, car s'il buvait autant, c'était pour oublier des choses dont il avait honte. Alors à bien y réfléchir, la dernière fois qu'il avait bu à ce point devait remonter au jour où tout avait dérapé avec Marius, ce jour où il lui avait craché au visage qu'il aurait préféré le voir mort que d'assumer d'avoir un fils aussi médiocre. A peine les mots avaient-il franchi la barrière de ses lèvres qu'il les avait regretté, mais son orgueil l'avait empêché de s'excuser ou de tenter de recoller les morceaux. Alors il avait bu, bu, tant et si bien qu'à la fin, il avait fini par trouver le sommeil et avait vu ses souvenirs s'enfoncer dans des vapeurs d'alcool et une migraine insoutenable. Quelques années plus tôt, il y avait eu l'affaire malaria, qui avait manqué de mettre un terme à sa carrière et sa réputation. Et puis il y avait eu cette fois où, après avoir trompé son épouse, il s'était sentit indigne du regard empli d'amour et de confiance qu'elle posait sur lui. Quant à remonter plus loin encore... Hippolyte n'avait rien d'un alcoolique, c'était simplement un lâche qui noyait sa culpabilité dans l'alcool plutôt que de l'affronter fièrement, une autruche qui ne buvait jamais pour s'amuser ou se désinhiber mais uniquement pour oublier ses erreurs. Cette soirée n'aurait pas dû être si différente, s'il n'y avait pas eu Marius dans l'équation. Si Marius n'était pas venu le trouver, dans le même état, pour des raisons pas si différentes, finalement. C'était comme la rencontre de deux aimants chargés cherchant à se rapprocher alors qu'ils ne pouvaient que se repousser. D'ordinaire, chaque mot était choisi avec soin pour repousser l'autre, le rejeter le plus loin possible, une distance que l'alcool, les remords et le chagrin venaient brutalement de rompre.

A vingt-sept ans, on ne pleurait pas comme un enfant. A cinquante-six ans non plus. Encore moins, même. On ne pleurait pas en énumérant des regrets, on agissait. Mais voilà qu'ils se retrouvaient tous deux avachis dans un fauteuil, se serrant maladroitement l'un à l'autre. Le destin devait bien rire de tout ça ! Tant de hurlements et de rancoeur pour finalement en arriver à ce pathétique spectacle. Alors qu'il le serrait contre lui, Hippolyte sentait quelque chose le brûler dans sa poitrine, comme si la glace entourant son cœur fondait au contact de cet enfant bien trop grand pour son âge. Il en avait raté, des occasions de le prendre dans ses bras, de lui ébouriffer les cheveux ou simplement de poser sa main sur son épaule. Il avait raté tant d'occasions de le faire qu'à présent, en sachant qu'il n'y avait plus de temps, il refusait de le lâcher. En serrant ainsi Marius contre lui, il sentait son souffle saccadé, ses tremblements, mais surtout son cœur. Il le sentait battre, il l'entendait battre, et c'était probablement le son le plus doux et rassurant qu'il ait jamais entendu. Le jour où ce cœur cesserait de battre et où, le teint pâle et les lèvres bleutés, Marius se retrouverait allongé entre quatre planches, dans un costume ridicule et entouré de fleurs bien trop vivaces pour que ça n'en devienne pas insultant, Hippolyte savait qu'il s'effondrerait. Il s'effondrerait et ne s'en relèverait pas, parce qu'il n'en aurait ni la force, ni la volonté.

Aussi, lorsque Marius rompit ce moment de silence en s'écartant de son père pour aller chercher deux autres verres, celui-ci tenta de le retenir, sans succès. Combien de temps étaient-ils restés ainsi ? Trente secondes ? Deux minutes ? Cinq ? Qu'importe les minutes ou les heures, c'était trop court et déjà fini. Alors il baissa les yeux et se contenta de hocher la tête. Oui. C'était injuste. Injuste que leur fichu caractère de cochon ne les éloigne l'un de l'autre, injuste qu'il faille de l'alcool pour les faire parler, et tout aussi injuste qu'un cœur défectueux ne vienne leur interdire de construire quelque chose sur le long terme. Car il n'y avait rien à reconstruire, seules les fondations avaient été posées, 21 ans plus tôt, et elles avaient été rapidement mises à sac, brûlées, vandalisées, jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un immense cratère stérile qu'ils commençaient tout juste à refermer pour tenter d'y reposer des bases solides.

« C'est injuste que ton cœur te fasse défaut... C'est injuste parce que sans ça, nous... Tu aurais réalisé ton rêve, et tu n'en serais pas là aujourd'hui. »

Ils ne se seraient certainement jamais rapproché à ce point, auraient finalement basculé dans une entente cordiale teintée d'indifférence, mais ils n'auraient pas eu à courir après le temps qui passe. C'était le cœur de Marius qui les avait éloigné, c'était maintenant lui qui les rapprochait, pour mieux cruellement les arracher l'un à l'autre dans... Quoi... Dix mois ? Un an et demi ? Peut-être moins encore ?

« Si tu ne me détestes pas... Si je ne te déteste pas...  Alors pourquoi est-ce qu'on... Nous sommes deux cons, hin ? » Lâcha-t-il dans un ricanement résigné.

Une haine mutuelle aurait justifié leur comportement, une haine mutuelle aurait rendu le tout logique, mais si elle n'existait pas, c'était que tout leur raisonnement, tout leur comportement n'avait rien de rationnel. Pour deux esprit mathématiques comme les leurs, c'était un paradoxe à en faire tourner la Terre à l'envers. Las, Hippolyte tendit la main vers son paquet de cigarette et son briquet, lesquels étaient allés s'échouer sur la table basse un peu plus tôt dans la cigarette. « Tu finiras avec un cancer ! » lui avait dit sa mère en le voyant commencer à fumer, « tu seras bientôt incapable de mettre un pied devant l'autre », lui disait souvent Victoire, « tu fais chier avec ta putain d'addiction », lui avait répété Marius, mais rien n'y faisait. La nicotine avec ce pouvoir relaxant que rien ni personne n'était encore parvenu à synthétiser. Sa cigarette allumée entre les doigts, Hippolyte haussa les sourcils en fixant Marius avec de grands yeux. Au delà d'un hurlement déchirant, cette déclaration était faite de parfaits...

« Des alexandrins ? Tu ne veux pas non plus en faire un slam, tant qu'on y est ? Pourquoi est-ce que tu me dis ça maintenant, Marius ? Pourquoi est-ce que tu m'as laissé croire que tout ce qui s'apparentait de près ou de loin à moi te répugnait ? »

La vraie question c'était surtout « pourquoi n'était-il parvenu à comprendre que Marius faisait tout ça pour lui prouver le contraire ? ». Hippolyte était perplexe et, plus que tout, se sentait indigne que l'admiration que Marius semblait éprouve à son égard. Le défendait-il quand quelqu'un lui disait, à raison, que son père était un connard ? Incapable de répondre quoi que ce soit d'autre, Hippolyte resta là, silencieux, fixant Marius avec des yeux encore humides et rougis par les larmes. « Il nous manque du temps »... Son coeur se serra de chagrin et d'angoisse. Il n'avait même pas envie de penser à ça, alors il se leva, titubant sous l'effet de l'alcool, et manqua de se trébucher dans les éclats de verre. Il se dirigea vers le bar et se mit à fouiller au milieu des bouteilles de rhum et calvados qui avaient survécu à l'ouragan Caesar.

« Tu est conscient qu'en apprenant à me connaître... Tu risques d'être déçu ? »

Ne l'était-il pas déjà, quelque part ? Hippolyte aurait voulu être comme tous les pères et faire la fierté de ses enfants, mais cette admiration démesurée qu'il venait à peine d'effleurer du bout des doigts, il s'en sentait indigne. Ses yeux se posèrent alors sur une grande bouteille qui avait connu des jours meilleurs, et sur laquelle une étiquette jaunie par les années avait été collée. En plissant les yeux, on pouvait y lire « eau de vie mirabelle », tracé d'une belle écriture penchée, semblable à celle des écoliers d'antan. Cette bouteille avait traversé l'Atlantique et les années, vieillissant au rythme de son propriétaire. La liqueur en était devenue plus amère, et le taux d'alcool contenu dedans devait certainement dépasser le maximum autorisé sur le territoire, mais qu'importe. Avec un sourire nostalgique, Hippolyte la sortit, la posa sur la table basse et s'empara d'un vieux service à liqueur dont les petits verres étaient ornés de papillons stylisés. Il avait ces verres en horreur, les trouvait laid à faire peur, mais Victoire avait insisté pour les garder, alors il se contenta de les poser sur la table avant d'aller se rasseoir en titubant. Portant un verre au niveau des yeux, il pouffa de rire.

« C'est ma sœur aînée, Blandine, qui nous a offert ça pour notre mariage... Je les ai toujours trouvé laid à faire peur... »

Il y avait comme une note de mélancolie dans sa voix, et de la tendresse dans son sourire. Il les avait maintes fois dénigrés, ses frères et sœurs, et il persistait à dire que la pauvre Blandine était certainement la plus simplette de la fratrie... Mais c'était aussi la plus gentille. Celle qui avait su s'accommoder d'un moindre intellect en faisant preuve de gentillesse et de compréhension, chose que son cadet avait oublié.

« Et ça, »dit-il en désignant la bouteille, « ça vient de ta grand-mère paternelle. Il y a toujours eu d'énormes plants de mirabelle dans le jardin, alors elle nous a offert cette bouteille la dernière fois que nous sommes aller à Montpellier... Ça devait être l'année de ta naissance. »

En règle générale, Hippolyte ne parlait pas de sa famille. Martial et Marius n'avaient jamais rencontré leurs oncles et tantes, et ne se souvenaient pas de la seule fois où ils avaient vu leurs grands-parents. Il avait fait le choix égoïste de les couper d'une médiocrité dont il avait honte, médiocrité qui n'en était pourtant pas. Tout ce passé qu'il rejetait en bloc l'avait forgé tel qu'il était, et la nostalgie qui teintait sa voix était l'expression même de ses regrets. Se tournant à nouveau vers Marius, Hippolyte posa les dix petits verres devant eux et commença à les remplir. A nouveau, le rire lui secoua les épaules.

« J'étais ivre, le jour où ta mère et moi avons annoncé à son père qu'elle était enceinte. Je lui avais dit que je ne voulais pas d'enfants, et... Disons les choses franchement, ça nous est tombé dessus sans crier gare. Ce n'est pas que je n'aimais pas les enfants, c'est... C'est que je savais déjà que je serais un mauvais père. »

Victoire s'était attendue à ce qu'il saute de joie, il l'avait regardée avec des yeux ronds et avait pâlit. Jamais il ne se serait imaginé père, et il avait alors réalisé qu'il n'avait aucune idée de la manière dont on s'y prenait pour élever un enfant, et encore moins deux d'un coup. Le père De Langlois n'avait pas apprécié de voir son gendre alcoolisé pour lui annoncer une telle nouvelle, et si Victoire et Hippolyte n'avaient pas été déjà mariés à ce moment-là, ils auraient probablement été reniés dans la foulée. Mais dans son état normal, Hippolyte aurait été si stressé qu'il aurait certainement vomi sur les chaussures de son beau-père. A défaut, il avait enchaîné les vannes graveleuses et de mauvais goût au sujet de l'état de santé du vieil homme. Encore une soirée dont il avait bien peu de souvenirs.

« Trêve de bavardages, passons aux choses sérieuses... Tu dois connaître ce jeu, non ? Le « je n'ai jamais »... Si tu n'as jamais fait une chose, tu ne bois pas. Si au contraire tu l'as fais... Tu bois. Par exemple : je n'ai jamais trompé une femme. »

Avec un sourire goguenard qui ne reflétait absolument pas ce qu'il éprouvait, Hippolyte attrapa un verre, le vida cul sec, le retourna et attendit que Marius fasse de même. S'il ignorait bien des choses au sujet de son fils, il était suffisamment lucide pour savoir que ce dernier avait trompé plus de femmes qu'il n'y avait de continents sur Terre. Commencer par une affirmation simple et sans surprise, c'était une chose. Quand sortiraient leurs petits secrets, en revanche... Marius ne savait pas par exemple que son père avait une peur morbide de l'eau, pas plus qu'il ne savait qu'il avait tenté de mettre fin à ses jours en se croyant mutant. L'inverse était réciproque, Hippolyte ignorait nombre de choses au sujet de Marius, mais il se sentait étrangement léger, comme libéré d'un poids. A moins que ça ne soit la liqueur qui ne le fasse planer ?

© Grey WIND.
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