Un soupire passa les lèvres du jeune homme. Ils étaient partis sans se retourner. Sa propre famille. Rester en place, ce n’était pas leur truc, il fallait qu’ils bougent, encore et toujours, au gré de leurs envies. Lui, il en avait marre. Il les aimait et pendant longtemps, il avait aimé cette vie de nomade, la caravane dans laquelle ils faisaient leurs vies. Mais il ne pouvait plus continuer comme ça. Il avait besoin de rester quelque part pour une fois. Il ne voulait pas dire encore au revoir à ses amis. Il ne voulait pas avoir à quitter Nissa. Mais qu’est-ce qu’il allait faire maintenant qu’il était tout seul ? Il n’était qu’un pauvre adolescent, il avait bien son boulot au café, mais il n’était pas sûr que ça l’aide à vivre bien longtemps et puis ça ne résolvait pas le problème le plus important : il n’avait pas de toit pour vivre. Il avait bien sa vieille voiture, peut-être que ça ferait l’affaire. Au pire ils étaient en Arizona, il faisait chaud dans le coin, même dormir à la belle étoile, ça ne devrait pas être bien horrible. Il avait l’habitude en plus. Il s’en fichait dans le fond, tout ce qu’il voulait, c’était rester ici, parce qu’il était fatigué de tout le temps s’en aller. Il en avait vu du paysage et il ne regrettait en rien les nombreux voyages qu’il avait faits en compagnie de sa famille, mais c’était terminé maintenant et c’était mieux comme ça. Au moins, il allait pouvoir terminer ses années de lycée dans le même établissement. Peut-être qu’il irait à l’université même. Pour faire quoi, il ne savait pas vraiment, il n’y avait que le sport qui l’intéressait vraiment. Une chose était sûre, il n’aurait pas la même vie que ses parents. Pas qu’il ne l’avait pas aimée, juste qu’il avait envie de changer. Allongée sur la banquette de sa voiture, il laissa échapper un nouveau soupire. La voiture c’était bien pour le moment. Il sursauta en entendant quelques coups frappés contre la vitre. Merde. Il n’était pas garé à un endroit où il ne devrait pas, qui est-ce qui venait le faire chier ? D’un geste las, il ouvrit la portière. Il fut soulagé de voir que ce n’était pas la police, juste Nissa. « Qu’est-ce que tu fous là ? » Il haussa les épaules. Il n’avait pas encore eu l’occasion de lui dire que ses parents s’étaient barrés sans lui. Au fond, il aurait préféré ne pas avoir à le dire. Ni à elle, ni à personne d’autre. « J’essayais de dormir. » Sur la banquette arrière de sa voiture. Normal quoi. Il n’avait techniquement jamais eu de maison de toute façon. Juste une caravane qu’il partageait avec ses parents et sa sœur cadette. « Dans ta voiture ? » Il soupira légèrement. « Mes parents ont jamais été du genre à rester longtemps au même endroit. Ils sont partis. » Dieu seul savait où ils étaient à l’heure actuelle, ils n’avaient même pas de téléphone, c’était plutôt le genre un peu hippies, complètement déconnectés de la civilisation. « Sans toi ? » Il haussa les épaules comme si c’était normal. « C’est moi qui a choisi de rester. » Ce n’était pas qu’ils l’avaient complètement abandonné, c’était juste qu’il avait refusé de venir, ça pouvait paraitre horrible d’un certain point de vu, mais dans sa famille, c’était normal. Et puis, il jugeait qu’il était assez grand pour s’occuper de lui-même. D’ici quelques mois, il serait majeur après tout. « C’est débile. Tu vas pas rester ici. » Et pourquoi pas ? C’était bien cette voiture, y avait pire. « Tu as qu’à venir chez moi. » C’était gentil, mais il n’était pas sûr que ce soit la meilleure idée du siècle. « J’crois pas que ça va plaire à tes parents. » Elle haussa les épaules à son tour. « Suffira de pas leur dire. » C’était un très mauvais plan, presque qu’autant que celui de rester dans sa voiture. Mais, il attrapa ses affaires, juste un vieux sac, avant de suivre la jeune femme. Qu’advienne que pourra, de toute façon lui, il n’était clairement plus à ça près.

Il était mort. Ce n’était qu’un enfant pourtant et il aurait dû avoir la vie devant lui et pourtant on le leur avait arraché. Leur fils, leur bébé. Leur raison de vivre dans le fond. Maudits transmutants. Jamais Benjamin n’avait imaginé qu’ils puissent vraiment être dangereux, parce qu’il s’en fichait dans le fond. C’était à peine s’il avait prêté attention à cette population de personne dont tout le monde parlait à présent. Ça n’avait pas vraiment d’importance pour lui, il n’avait pas pensé qu’ils puissent être si dangereux que ça. Il s’était trompé. Quel idiot il avait été. Il aurait dû écouter ce qu’on disait, il aurait du se méfier et peut-être que comme ça il aurait pu sauver son fils. Mais c’était trop tard maintenant et c’était tout un pan de sa vie qui s’effondrait. Il avait été un homme heureux pourtant. Jusqu’à présent, il avait semblé que tout lui réussissait parfaitement. Il avait une belle carrière, joueur de hockey professionnel, il avait réussi un de ses rêves en perçant dans le domaine, il avait encore du chemin à faire, des choses à réaliser de ce côté-là. Du moins, il en avait eues. Maintenant, ça n’avait clairement plus d’importance, il n’avait pas envie de continuer, il n’en voyait pas l’intérêt. Il avait tout perdu en perdant son fils. Sa carrière avait beau être à son apogée, il s’en fichait. En plus de ça, il avait eu un beau mariage. Nissa, cette histoire qui durait depuis le lycée, cette fille pour qui il était restait à Phoenix quand ses parents eux étaient partis. Cette fille à qui il avait fait une promesse avant qu’elle ne s’engage dans l’armée. Il l’attendrait qu’il avait dit et qu’importait les filles qu’il pouvait rencontré alors que le succès de sa carrière commençait à avoir des répercussions dans sa vie, il avait tenu sa promesse. Il l’avait attendue, sans jamais s’occuper avec les autres filles qui pouvaient passer dans le coin. Elle était revenue et ils avaient fini par se marier. Un beau mariage dont les souvenirs restaient graver dans sa mémoire. Ils avaient tout eu. La belle maison à la pelouse bien tondue, le cliché américain par excellence. Une maison, c’était presque bizarre pour un type comme lui. Il avait grandi dans une caravane, puis il avait passé plusieurs semaines planqué dans la maison de sa petite amie avant de finalement se retrouver quelque temps à pioncer dans sa voiture. Mais il avait fini par avoir sa maison à lui, nouvel accomplissement dans sa vie. Puis il y avait eu leur fils. Il était de loin la plus belle chose qui lui soit arrivée. Sa plus grande réussite, son plus grand bonheur. Ils avaient été heureux tous les trois. Mais c’était fini maintenant. Il était mort et qu’est-ce qu’il leur restait ? Une fichue maison affreusement vide et pleine de souvenirs dont ils se seraient bien passés. Il avait envie de la cramer cette fichue baraque, parce que chaque parcelle lui rappelait son fils. Fichues transmutants qui lui avaient tout pris. Maintenant, il les détestait plus que tout au monde. Ils n’étaient que des êtres infâmes, des erreurs de la nature. Des monstres. Il avait cette envie folle de le retrouver celui qui avait fait ça. Il voulait l’attraper et le tuer de ses propres mains, parce qu’il ne méritait pas mieux. Il avait cette rage complètement folle en lui, une envie de vengeance qui pourtant n’avait pas de sens. Il pouvait bien faire ce qu’il voulait, son fils n’allait pas revenir à la vie. Il était mort, c’était terminé. Se venger c’était débile, mais rester le cul posé sur le canapé, ça n’allait rien arranger non plus. Il pouvait bien passer ses journées à traquer la personne qui avait détruit sa vie, au pire, ce serait toujours mieux que de rester là à broyer du noir, à constaté qu’il avait tout perdu, à se demander si son mariage allait survivre à tout ça. L’un ou l’autre de toute façon, ça ne changerait rien à ce qui s’était passé. Son fils était mort. Mais sa mort n’était pas obligée de rester impunie.
Et après ?
Après on verra.

Il ne pouvait pas la perdre. Pas elle aussi. Pas à cause d’un autre transmutant. Mais qu’est-ce qu’il lui avait pris bon dieu ? Il connaissait le même désespoir que son épouse, la même tristesse, mais jamais ça ne l’aurait poussé à faire confiance au premier transmutant qui prétendait pouvoir ramener leur fils à la vie. Aaron était mort et personne ne pouvait le ramener à la vie. C’était impossible. Avec les transmutants, c’était presque devenu facile de croire en l’impossible. Il fallait croire qu’ils étaient capable de tout et n’importe quoi, mais ramener les morts à la vie ? Il n’y croyait pas une seule seconde. Nissa elle, elle y avait cru et maintenant elle était dans un sale état. Elle ne pouvait pas mourir à son tour, il serait incapable de le supporter. Il soupira avant de quitter le fauteuil dans lequel il était assis depuis un moment, là juste à côté du lit dans lequel sa femme était allongée, endormie, pour quitter la chambre d’hôpital. Il allait revenir bien vite, mais il avait besoin de prendre l’air, de marcher un peu, de souffler. Il était à bout de nerfs avec toutes leurs conneries. Ces transmutants, ils étaient clairement dangereux, des monstres, dont il fallait se débarrasser avant qu’il ne soit trop tard. Il les détestait de tout son être à présent et dire que quelques mois plus tôt, il s’en fichait comme de sa première chemise de ces gens là. Il marchait sans savoir où il allait, il avait juste besoin de bouger, il aurait presque eu envie de courir, comme pour s’enfuir de toute cette merde qui lui tombait dessus, mais les rues étaient pleine de monde, des gens de partout, il en bousculer sans s’en soucier, il avait l’impression d’étouffer alors même qu’il était à l’extérieur. Soudain, il percuta ce type dont la main un peu trop baladeuse s’aventura jusqu’à sa poche. Il l’avait bien senti, ce petit con venait de lui piquer son portefeuille. Il n’allait pas s’en tirer comme ça ce connard. Il n’allait pas le laisser s’en tirer comme ça. Cette fois, il courrait et tant pis pour ceux qui avaient le malheur de croiser sa route, il les poussait pour pouvoir passer. Il avait suivit ce type jusque dans une ruelle pourrie. Et ce type, il avait commit l’erreur de trop, il avait sorti un briquet et la petite flamme s’était transformée en une boule de feu qu’il avait évité in extremis. Le pickpocket était un transmutant. Y avait pas de pouvoir qui pouvait rivaliser avec la rage qui s’était emparée de Benjamin à ce moment, alors il s’était précipité sur le type il avait envoyé son petit briquet valser plus loin et il avait frappé de toutes ses forces, encore et encore contre le visage de cet homme. Il ignorait le sang qui giclait sur ses vêtements, sur son visage, sur ses doigts. Ça n’avait pas d’importance, il continuait de frapper. Combien d’innocents il avait pu bruler ce type ? Combien de gamins qui n’avaient rien demandé à personne, combien d’épouses ? Combien de famille est-ce qu’il avait pu briser ? Il avait continué à frapper alors même que le type le respirait déjà plus. Il lui avait fallu du temps pour se calmer, lâcher le cadavre qu’il tenait encore par le col. Et merde, qu’est-ce qu’il avait fait ? Il se releva rapidement, fixant ses mains ensanglantées. Il venait de le tuer. La panique faisait trembler ses mains, il recula d’un pas et senti quelque chose sous le talon de sa chaussure. Son regard se posa sur le briquet qu’il venait de piétiner.  Putain de transmutant. Dans le fond il ne méritait pas mieux. Il referma sa veste, baissa la tête et quitta la ruelle, il faisait nuit, il pouvait passer inaperçu, aller nettoyer tout ce sang avant de retrouver sa femme à l’hôpital, comme s’il ne s’était rien passé, parce que ça n’avait pas d’importance, ce n’était qu’une pourriture de moins sur la planète.

Encore un verre. Il n’était plus à un verre près de toute façon. Il pouvait bien finir complètement bourré, qu’est-ce que ça pouvait bien changer hein ? S’il pouvait crever d’un coma éthylique tiens, ce serait plutôt cool. Mais même crever, il semblait que ça devenait difficile. Qu’est-ce qu’il avait fait pour mériter ça ? Pourquoi est-ce que la vie semblait s’acharner comme ça contre lui hein ? Bordel. On lui avait tout pris. Même son humanité maintenant. Il avait vu son corps s’assombrir alors qu’on lui tirait dessus, une armure qui se formait sur sa peau, solide et impénétrable. Il n’avait aucune idée de ce que c’était, de comment est-ce que ça pouvait fonctionner et il ne voulait pas savoir, il voulait juste que ça parte. Bordel de merde. Il était un putain de transmutant et même pas moyen de s’enfoncer une putain d’aiguille dans la peau, cette fichue armure revenait. Il ne pouvait pas compter sur le NH25 pour le tirer de là. Il était complètement perdu. Et puis Nissa était partie. Evidemment. Il était devenu ce qu’elle détestait le plus au monde. Un putain de mutant. Un monstre. Comme celui qui avait tué leur fils, comme celui qui l’avait presque tué elle. Comme tous ceux qu’ils avaient tués au cours de la dernière année, assoiffés par la vengeance. Mais est-ce que ça avait un sens de tuer chaque mutant qu’ils trouvaient ? Ça n’allait pas ramener Aaron. Ça les avait aidé sans doute, à se défaire de cette rage qu’ils avaient en eux, mais après ? La rage, elle revenait, la frustration aussi et la tristesse elle, elle ne partait jamais. Ça n’avait peut-être aucun sens ce qu’ils faisaient. Mais c’était tout ce qui leur restait. C’était peut-être ce qu’il fallait faire pour éviter à d’autres gens de souffrir comme eux ils souffraient. Un verre de trop et voilà qu’il ne savait plus comment penser convenablement, qu’il ne savait définitivement plus quoi faire de sa vie mais qu’il pouvait même pas se flinguer pour en finir avec tout ce bordel. Il n’avait pas le choix, il fallait continuer et pour aller où ? Bonne question. Il n’avait pas la réponse, il n’en voulait pas de la réponse, alors, bien que déjà complètement cuit, il poussa son verre en direction du barman. Encore un. Les conséquences n’avaient de toute façon plus d’importance.