« Selwyn, ne regarde pas la voisine comme ça. » Il leva les yeux vers sa mère. Il ne savait pas pourquoi, mais elle avait l'air fâché. Elle n'aimait pas les Quinn. Elle n'aimait pas leur manière de voir le monde, de penser, peut-être même de vivre. C'était absurde, pensait-il souvent. Pourtant, il obéissait sans broncher. Il n'avait pas envie de chercher pourquoi ses parents avaient une dent contre ses gens qui, mise à part avoir un pasteur dans leur famille, n'avaient sans doute rien fait de mal. Elle ouvrit la portière de la voiture familiale et Selwyn descendit. Premier jour de collège. Aucun stress. Il avait appris à canaliser son stress très jeune. Il grimpa les marches de l'établissement quatre à quatre et s'installer finalement dans sa classe. Alors, quelle serait la nouveauté cette année ? La nouveauté ne tarda pas à se faire connaître. Mini Quinn se pointa. « Ne pars pas avec un mauvais sentiment... » D'accord. Meredith Quinn arriva et il en déduit que cette année, ils seraient dans la même classe. Il trouva ironique ce coup de sort, quand on savait que leurs parents avaient toujours tout fait pour ne pas qu'ils soient amis. Il resta poli, et la salua d'un geste de la main avant de sortir ses affaires. Il n'était pas obligé d'aller la voir après tout. Il n'était pas que deux dans leur classe. Il devait respecter la volonté de ses parents de toujours rester à l'écart des Quinn.

Il ne le fit pas. Non, en réalité, il fit tout le contraire. Il se rendit bien compte d'une chose, c'était que Meredith et lui partageaient de nombreux points communs et pouvaient s'entendre à merveille. Alors il franchit le pas, brisant la glace et se fixa comme objectif de devenir amie avec la fille Quinn. Tout allait pour le mieux. Selwyn se disait même qu'il avait réussi, dans ce vaste monde à trouver la personne qui lui comprenait le mieux. Elle était douée, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Elle était douée, et ils s'entraidaient. Ils faisaient des projets, l'avenir leur tendait les bras avec un sourire radieux. Ce fut à elle en premier qu'il confia son envie de devenir médecin. Il se surprit même à penser à elle d'une manière différente, mais n’en fit rien. Elle était de loin la meilleure amie qu'il n'avait jamais eue et ne voulait pas tout faire voler en éclats. « Ça va finir mal tout ça, mon fils » disait sa mère. Ou son père. Mais il s'en fichait. Pour le moment, la vie lui souriait, il n'allait pas tout arrêter pour le bon plaisir de Monsieur et Madame Spiegelman. Et un beau jour, elle s'envola. Peu de temps après la perte tragique que sa famille eue à endurer. Pas une nouvelle, rien pendant des mois. Il le prit mal. Il commença à se demander si tout compte fait, ses parents n'avaient pas eu raison depuis le début. Tous les films qu'il s’était faits avec elle, tous les projets qu'ils avaient eu... il en voulait à la terre entière de lui avoir enlevé une des personnes les plus précieuses à ses yeux.

Il avait l'impression que sa vie s'était brutalement arrêtée. Tous ses projets étaient partis en fumée. Quant à sa famille, sa cadette allait au plus mal. Il sentait que sa présence la réconfortait, mais il resta sur cette impression qu'autour de lui, le monde semblait s'écrouler. Rien ne valait la peine de se battre. Il tourna volontairement le dos à sa carrière de médecin et se lança dans une voix plus facile d'accès, plus courte. Il envisagea de quitter la ville fût un temps, mais recula quand il découvrit son don. Il eut bien du mal à comprendre ce qui lui arrivait. Il se demandait alors pourquoi le ciel l'avait choisis lui alors... Il nota l'ironie de ses pouvoirs vis-à-vis du métier dont il avait toujours rêvé. Il découvrit tout simplement ce don de contrôle de la douleur lors d'une visite médicale. Chargé de transférer une petite fille de huit ans malade d'un bloc à un autre, Selwyn lui avait pris la main pour la réconforter. Arrivé au bloc, la douleur semblait s'être apaisé chez elle. Il n'avait pas tout de suite compris. Il avait joué au chirurgien fou. Il avait fait des tests. Il tenta de reproduire cela chez un autre client en souffrance. Quand il apprit (à ses dépens) qu'il pouvait aussi faire l'inverse, il se fit peur. Il comprit alors que le don dont l'avait doté mère nature était à double tranchant. Il pouvait faire le bien, comme le mal. Il pouvait choisir de quel côté il se situait. Pour Selwyn le choix était déjà fait, quand il se rendit compte qu'il souffrait en utilisant son don de la pire manière qu'il soit, il se jura de limiter son utilisation.

« Merry,
Je ne sais même pas à quoi ça serve que j'écrive cette lettre, tu ne la liras probablement jamais. Je voudrais juste que tu m'expliques pourquoi. Pourquoi m'as-tu abandonné. Tu sais que, parfois, je rêve que tu es là, juste à mes côtés ? Je te vois me parler et je te réponds. On pourrait me prendre pour un dingue Merry. Je t'en voudrais toujours, je suppose. Ça, c'est ce que je te dirais. Mais je n'aurais jamais le courage de te dire en face ce que je ressens et je... » Il rougit, déchira sa lettre en quatre, roula les bouts en boule et les jeta dans sa corbeille. Ce fut au moins la vingtième lettre que Meredith ne recevrait jamais.

Il se passa trois ans avant que Merry refît surface. Il n'y avait pas cru en la revoyant et pourtant, elle était bel et bien là. Il partit du principe que la jeune femme devrait apprendre à re gagner son cœur, tentant dans un premier temps de la bouder comme il se fallait. Mais il n'y arriva pas, la jeune femme restant tout de même une des personnes les plus importantes à ses yeux. Longtemps, il hésita à se confier à elle vis-à-vis de ses pouvoirs, de ce qu'il était devenu. Mais c'était comme si ses nouveaux instincts lui soufflaient de rester prudents et il ne lui avoua pas. Il fallait dire qu'il avait aussi rejoint l'Uprising. Il avait l'impression de ne pas connaître une part de la jeune femme. Que pensait-elle de tout ça ? Du maire ? Des transmutants ? De l'Uprinsing ? Il joua la carte de la prudence, ne lui révélant pas ses activités. Il avait horreur de ça, lui cacher une chose aussi importe. Il avait l'impression de la trahir. Mais pour son propre bien, et le siens, il sentait que tout était mieux ainsi.

Sa mère était morte. La nouvelle tomba comme ça. Il ne s'y attendait pas. Sur le coup, il avait même cru qu'on lui mentait. Sa mère ne pouvait pas être morte. Pas elle. Elle ne pouvait tout simplement pas mourir comme ça. Elle était trop gentille, trop aimable... Ce monde n'avait pas de place pour les gens aussi bons qu'elles. S'en fut trop pour Slewyn qui s’affirma au sein du groupuscule. Cette fois-ci, il serait sur le terrain. Sa sœur aussi en souffrirait, mais d'une autre manière. C'était de sa faute si elle était morte, il refusait de voir sa cadette souffrir par sa faute, ils devaient limiter leur contact. Tout serait mieux pour elle, son enfant à naître. Il ne pouvait pas se permettre de la mettre elle aussi en danger. Et quand il tomba en face d'un Hunter durant l'une de ses missions sur le terrain, Selwyn laissa éclater sa rage. C'était si rare, ces moments où il était en colère. Mais là, sa main ne quitta pas celle de l'homme qu'il avait en face. Il la sentait aussi, sa douleur. Mais il en voulait plus. Il voulait qu'il souffre comme sa mère avait souffert, comme lui souffrait encore. « Arrête... Arrête... » et ce n'était pas les supplications d'un homme comme lui qui allait tout arrêter. Il avait toujours tout refoulé, il avait toujours su se montrer gentil, patient... Il ne ferait pas comme sa mère cette fois-ci. Le Hunters s'écroula, et tomba dans les vapes. Selwyn tituba. Lui aussi se sentait secoué. Et c'est là qu’il le vit. Au début, encore un peu sonné, il crut rêver, mais l'autre Hunter était là, et avait bien tout vu. À ce moment-là, il su que sa vie en liberté était terminée. Il fut résigné à rester au QG. Impossible de communiquer avec l’extérieur. Avec Meredith.