Le soleil cogne mais je ne le sens pas. Le soleil cogne et il devrait brûler ma peau, l’irradier. Je devrais sentir chacun de ses rayons s’écraser sur ma peau presque diaphane. Je devrais le sentir réchauffer mon cœur, me réchauffer de l’intérieur. Mais la seule sensation sur laquelle toute mon attention est focalisée est celle qui étreint mes poumons, étourdi l’esprit. Oui, la suffocation. Je suffoque et mes poumons s’emplissent d’eau. J’ai 6 ans et je manque de mourir noyé. Mais rien n’y fait, je suis encore là, je me débats. Je n’ai pas le choix. Il me faut prouver que je suis apte, que je suis capable. J’ai 6 ans et j’ai une conscience bien trop accrue des choses, de la vie, de ce que j’ai à faire. J’ai 6 ans mais, pour autant, je n’ai pas grandi trop vite. Pas du tout. J’ai 6 ans et je sais quand il me faut m’amuser et quand il me faut redoubler d’efforts. Présentement, c’est le cas. Il faut que je prouve qu’ils peuvent avoir confiance en moi. J’ai cette hargne qui pulse dans mes veines et qui me donne une volonté doublée de force que soupçonnais à peine. Les mains liées, le dos plaqué contre un rondin de bois, je coule. L’océan me submerge et me recouvre car intermittence. Je trouve par moment ma respiration. Je suis calme, presque serein. Peut-être trop. Coincé au fond de l’étendue bleutée, je dois me détacher, me défaire, par moi-même des liens qui me retiennent. Travail de l’esprit et du physique. On me regarde je le sais. On m’observe et guette chacun de mes mouvements. Je sais aussi qu’on interviendra si je n’y parviens pas. Mais, je ne veux pas. Je veux réussir par moi-même. Et ils le savent, ils le savent…

Je m’arrête soudainement. Silencieusement. Un sillon glacial effleure mon visage poupin. La brise hivernale dissipe les parfums dans l’air. Je lève doucement le visage vers le ciel qui pleure encore de sa faible lumière. J’inspire doucement. C’est mon cadeau, ma chance. Je traque. Décidé, j’aligne les pas dans la poudreuse. On me fait confiance. Je suis les empreintes dans la  neige. Proie facile, probablement apeurée voire terrifiée, évidemment blessée ou au moins affaiblie. Mes chances de l’abattre sont au moins supérieures à 95%. Je n’ai pas besoin d’être rassuré, je sais déjà comment ça va se passer. Alors, je ne me presse pas, je marche. Car même en marchant j’irais toujours plus vite que la Chose. Les perles de sang impur qui souillent l’immaculé de la neige me servent de boussole. J’ai tiré une fois, je l’ai raté de peu. J’ai encore dans l’oreille le bruit de la balle qui fuse, qui s’enfonce dans la chair, le cri de douleur… La prochaine fois sera la bonne. Je serre l’arme dans le creux de ma main et m’aventure dans les bois. Animé par cet esprit purificateur et protecteur, je ne ferais pas demi-tour. Je ne reviendrai pas tant que mon devoir n’aura pas été accompli. Cette chose s’est beaucoup trop approchée de nous pour me permettre de la laisser filer. C’est l’unique solution. « Pas de pitié, fils » Règle numéro 1. Ils ne sont pas humains. Des erreurs et horreurs de la nature. La Terre n’a jamais voulu créer des êtres aussi déviants. Une abomination à éliminer. Ils menacent notre espèce. Les traits fermés, l’esprit résigné. La détermination personnifiée. Un angle parfait. Une inspiration butée. Une ouverture. Je vise. Aucune hésitation, une détonation…  

« On t’a jamais appris qu’il fallait voyager léger ? » je râle, le ton moqueur, en jaugeant le poids de la valise qu’elle dépose lourdement à mes pieds. Evidemment, elle aura compris que je critique son éducation, sa façon de faire. Aussi, je ne m’étonne pas lorsqu’elle me lance son regard de tueuse à gage qui m’arrache un sourire de connard. Elle m’indique avec son sourire de peste qu’il me faudra la lui porter. Etre galant, la blague du siècle. J’échappe un rire mesquin. Et, je crois que la réplique faussement cinglante qui suit lui témoigne bien du fond de ma pensée. Puis, un haussement d’épaules plus tard, je me cale contre un mur, bras croisés, et la regarde s’affairer, suivant, comme obnubilé, cette chevelure blonde platine onduler de mes prunelles azurs, cette silhouette frêle et gracile s’agiter tandis que nos parents discutent encore des détails et formalités. Ce que l’on prépare ? Un déménagement ponctuel, une mission d’importance capitale. L’un comme l’autre savons pourquoi nous partons, ce à quoi nous nous engageons. Et, pourtant, j’ai presque l’impression de partir en vacances. Ambiance les bronzés font du ski. Je suis détendu, mon acolyte aussi.  Sauf peut-être la peur d’oublier sa lime à ongle ou une connerie du genre. Je soupire lorsque l’heure approche. L’heure du départ. Je les presse. Pas de ma faute, je suis d’une impatience qui rendrait dingue n’importe qui. Des au revoir polis, pudiques, respectueux et surtout rapides suivent. L’exaltation des sentiments est bien loin d’être notre fort, au moins, chez moi. Un regard entendu avec mon père, les douces et aimantes lèvres de ma mère contre ma joue. Le souvenir que je garde. Je me recule légèrement. « Je prendrai soin de la gosse, pas d’inquiétude à avoir  » j’assure, l’air faussement solennel, le clin d’œil en prime avant de l’attraper en passant un bras autour de ses épaules et la rapprochant de moi sans lui demander son avis, comme elle déteste. Vous voyez, ça marche déjà. Aller, détente d’atmosphère faite, je la lâche et on se casse.