Michigan, 1990
La vie est une équation encore irrésolue de nos jours. Chaque jour renferme un lot de statistiques imprévisibles. Y être confronté est à la fois frustrant et affriolant. Tenter de les dénouer représente une véritable partie de plaisir. Une passion. Une obsession. « Vous avez trente minutes pour rédiger ce que vous avez fait pendant vos vacances de pâques. » En bruit de fond, la voix de l’institutrice résonne tel un écho lointain dans mon âme égarée. Seul le grattement de mon fusain sur une feuille de papier déjà bien entamée retenait mon attention. La mine charbonnée traçait sur l’amas de fibres cellulosiques ce que mon esprit déversait dans mon cerveau tel un puissant raz de marée. « Adam ? » Soubresaut. Je claque ma langue d’un tic nerveux contre mon palais et contracte la mâchoire. Ma main demeure figée au-dessus du torchon qui me servait de feuille. La regarder ? Dieu m’en garde, je ne tiens pas à croiser les yeux de cette vieille renarde. « Comme demandé, tu es prié de rédiger ce que tu as fait pendant tes vacances. Je reprends les copies dans vingt cinq minutes, hâte toi.  »Soupire l’adulte d’un air ennuyé avant de s’emparer de ma feuille d’un geste prompt puis de regagner son bureau de sa démarche dodelinant. Frustré, je ne peux que lui tirer la langue dans un royal élan de maturité. Finalement, lorsque la colère finit par se dissiper, je porte un regard vers la feuille blanche qui tapissait mon bureau. Mes vacances ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Pas grand-chose. Bouquiner, c’est tout. Voilà, une phrase écrite. Était-ce suffisant ? Perplexe, je lève un regard curieux vers le professeur installé derrière son bureau au fond de la classe et qui semblait jeter un coup d’œil à mon torchon. Finalement, elle soulève son visage boudiné encadré par des lianes blondes indomptables pour l'aligner perpendiculairement à l'horizontale et me jeter un regard dubitatif. Quoi encore ?


Michigan, 2001


Le bourdonnement des machines vibraient dans la pièce exigüe telle une mélodie platonique. Du matin au soir, ce bruit régulier résonnait un peu comme une voix familière au creux de mes tympans. Par moment, il arrivait que des voix humaines m’arrachent à cette bulle qui m’est propre. Un havre inaccessible au commun des mortels. Un lieu protégé par de solides remparts. Les forts de mon esprit. Campé derrière mon écran d’ordinateur relié à diverses machines par d’innombrables câbles emmêlés entre eux, mes yeux étaient rivés sur l’écran sur lequel s’affichaient les résultats de la dernière expérience. Cet essai était déjà bien meilleur que les précédents tests, mais il y avait encore des progrès à réaliser. M’humectant les lèvres sous le coup d’une frustration passagère, je m’extirpai de mon siège sur lequel mon postérieur avait eut tout le loisir de s’aplatir durant l’heure pendant laquelle je suis resté assis. Une pause café serait la bienvenue. Tel un chat épousant les meubles, je rejoignis le coin de la pièce côté ouest, tout en prenant soin de ne pas m’empâter dans les fils qui reposaient à même le sol. De quoi se tordre le pied et entraîner quelques machines dans une chute maladroite. Ce qui serait malheureux. Embêtant aussi. Rejoignant donc le coin de la pièce où une cafetière à piston était soigneusement rangé à quelques centimètres du coin anguleux, je remplis ma tasse déjà bien noircie par les quelques cafés avalés plus tôt dans la journée, et la remplis avec le peu qui restait de café préparé préparé au matin. Heureusement, la journée touchait à sa fin, cette dernière tasse suffirait amplement à me faire tenir le coup jusqu’à mon retour à l’appartement. Adossé contre la table vacillante sur lequel reposaient quelques babioles m’appartenant, je sirotai le liquide brunâtre et tiède non sans contempler le laboratoire. Petite pièce, mais amplement suffisant pour mener à bien ma thèse.  Une thèse ? Moi qui n’ai que vingt ans tout juste ? Point de surprise pour un génie qui a sauté quelques classes. Mes chevilles ? Elles se portent à merveille. Avoir un ordinateur à la place d’un cerveau présente bien des avantages…ainsi que des inconvénients majeurs. Ma vie sociale en est l’illustre exemple. Tout simplement parce que je n’en ai pas.  En contrepartie, mon salaire ainsi que ma curiosité personnelle sont hautement comblées. C’est donc plongé dans ces moroses pensées que je savourai mon café. Moka Harrar d’Ethiopie, mon préféré. Ses saveurs épicées de cannelle et de rhubarbe ainsi que son arôme boisé avait de quoi de mettre l’eau à la bouche. Preuve en est, je ne jure que par ce café depuis un peu plus d’un an, lorsque par hasard lors d’un stage passé à l’étranger, une connaissance me fit découvrir ce café pour le moins singulier et fort appétissant.  

Dans le couloir, je pouvais entendre des bruits de pas résonner. Se rapprocher inexorablement. Sans doute un égaré. Ou plusieurs en vue du méli-mélo de paroles qui s’accordaient dans une cacophonie affreuse. Un mélange mathématique en totale discordance. Affreux, j'en grimacerai presque. Les pas s’arrêtèrent devant ma porte car je pouvais voir les ombres filtrer depuis l’ouverture sous-jacente de la porte qui me sépare du monde. J’attendis. Que pouvais-je faire d’autre ? La poignée finit par s'abaisser, je ne peux dès lors m’empêcher de plisser les yeux devant la lumière éblouissante en provenance du couloir suite à l’ouverture de la porte. Voilà ce qu’il en est de vivre au quotidien dans un environnement sombre. Quand ma vue s’accommoda à cette caprice lumineuse, je peux discerner le visage de mon patron. Le grand manitou du centre de recherche universitaire où je travaillais depuis tout juste six mois. Mais il n’était pas seul. Devant les deux autres hommes qui se tenaient derrière lui, chiquement habillés dans leurs costards lisses et noir, je ne peux retenir un froncement de sourcil. « Adam, ces messieurs souhaitent te parler » Hum…

Un mois après cette rencontre, je travaillais pour le compte du gouvernement. Mes capacités ne sont point passées inaperçues et les hauts placés ont sitôt fait de me mettre le grappin dessus. Aurais-je du refuser? Travailler pour le gouvernement était une proposition en or que je ne pouvais refuser. Un moyen de se hisser toujours plus haut, une manière de flatter mon ego et nourrir ma curiosité dévorante. Et ce, même pour un dégénéré comme moi. Ah! Cette intelligence surdimensionnée n'est point le fruit d'une normalité rare. Cela fait maintenant quelques temps que j'en ai compris la déficience génétique. Enfin, déficience...au moins cela m'a permis de me hisser là où je le souhaitais. Au-dessus des autres. Être parmi l'élite. Que rêver de mieux?

C'est sans compter les complications futures...

Radcliff, 2013

 
La mort ou la vie. On m’avait laissé le choix. Ah ! Tu parles ! Radcliff, cette ville ne m’apporte décidément que des bricoles. Voilà quelques semaines que j’ai déménagé dans cette ville à mes yeux austère afin d’y assurer mon nouveau post. Être responsable d’un centre de dépistage devait forcément m’entraîner dans ce genre de plan foireux. Celui où les hunters empestent à des kilomètres à la ronde. Des menaces, deux choix : vie ou mort. La première me conduit à une forme de trahison. Un sentiment infect qui embellit une culpabilité croissante. La seconde arrête mon chemin brutalement. Je ne suis pas héros. Je ne le serais jamais. C’est pourquoi j’ai choisi l’option qui m’offrirait quelques jours supplémentaires, parce que je veux vivre. Malgré ma différence, qu’importe ma réputation sociable et ma lâcheté évidente, je souhaitai vivre et non mourir dans un élan patriotique. Alors j’ai cédé devant leurs menaces et accepté, lorsque le moment arrivera, de leur transmettre les dossiers des dégénérés. En tant que responsable du centre de dépistage de la ville et dégénéré moi-même, j’étais le mieux à même d'être placé sous le joug d’une menace venant de ce groupe d’excités illuminés. Devoir mourir pour ce que l’on est, c’est assez frustrant. A croire que les erreurs du passé s’oublient dans maintes mémoires. Alors oui, pour sauver ma peau, j’offrirai celles des autres en contrepartie. Tout en essayant d’éteindre cette culpabilité qui me ronge. Qui me rends chaque jour d’autant plus instable, car je sais pertinemment que ce que je fais est mal. Comme avoir pactisé avec le Diable…