Un coup de feu, un hurlement lupique, une plainte animale qui déchira la nuit. Ezekiel plaqua sa paume sur le tronc d'un arbre, freinant brutalement sa course tout en sentant son souffle se couper. Les pas piétinaient le sol autour de lui, remuant la terre, sans se soucier du médecin qui peinait à reprendre le contrôle de lui même. Les hunters avaient certainement abattu l'une de leur cible, plus que deux pour ce soir. L'homme agrippa le tissu de son T-shirt noir, le tordant dans sa main tout en tentant de reprendre ses esprits, des lumières clignotant dans l'air qui l'entourait. Ses pieds reprirent leur chemin avec difficulté, buttant et trébuchant tandis que ses oreilles sifflaient. Il apercevait deux silhouettes au loin, reprenant leur trot tandis qu'une masse sombre restait au sol. Les hurlements de la louve perdaient déjà en intensité lorsque le champ de vision du chasseur s'éclaircit, lui laissant tout le loisir de contempler l'animal blessé à mort.


La faiblesse, était-ce de ne pas avoir détourné les yeux, et d’avoir donné de l’importance à cette vie ? De ne pas avoir eu le cran de la laisser crever comme un animal ? De ne pas en avoir eu dans le froc, comme eux, eux qui chassaient sans relâche et qui n’avaient pas d’états d’âme envers une dégénérée ? Ou la faiblesse était-elle justement de ne pas s’éloigner du troupeau, de ne pas contrer leurs convictions tout en reniant férocement les siennes ? De regarder ailleurs en passant à côté d’une mutante en proie à une lente agonie, oubliant ses serments et tout ce que son métier avait pu lui apprendre. S’oubliant lui-même. Ces pensées tourmentaient Ezekiel depuis près d’une heure, jaugeant le bien et le mal de sa conduite des derniers jours, évaluant la situation pénible et inconfortable dans laquelle il s’était placé. Inutile de passer par quatre chemins, il était clairement dans la merde. L'homme ouvrit le robinet du lavabo de la salle de bain de l'étage, s'aspergeant le visage d'eau glacée comme si cela pouvait remettre ses idées en ordre. Il remonta ses mains jusqu'à son front, celles ci finissant leur course en tirant ses cheveux vers l'arrière, tandis qu'il jetait un oeil au reflet que lui renvoyait le miroir. Il allait encore être crédible au boulot, entre les nuances violacées qui décoraient sa pommette et les entailles dispersées un peu partout sur son visage. Sur les commodes étaient encore empilées diverses poudres et autres artifices de maquillage auxquels il ne comprenait rien, appartenant évidemment à Constance. Un jour, il avait eu le malheur d'utiliser l'une de ses crèmes par inadvertance, après s'être rasé. Il se souvenait encore de son ton hystérique en le prenant sur le fait, les mains et le visage recouverts d'un enduit blanchâtre visiblement très coûteux et dont il faisait un usage totalement inapproprié. Cela avait l'air tellement important pour elle, que ses affaires étaient toujours disposées telles qu'elle les avait laissées pour la dernière fois, neuf mois plus tôt, sans qu'il n'ait osé les ranger dans un carton. Il songea un instant à utiliser l'espèce de truc orange dont il ne se rappelait plus le nom, et qu'elle utilisait parfois pour dissimuler les ecchymoses sur son visage. Il faudrait qu'il demande à Merry de l'aider avec ça, pour camoufler un maximum de dégâts avant de partir pour les urgences. Oui, Merry devait certainement savoir comment faire ça elle. Ezekiel sentit ses mains se mettre à trembler, et les frotta l'une contre l'autre.


« Merde ! » L'ugentiste coupa le gaz de la plaque de cuisson, l'eau giclant de tout côté en dehors de la casserole. La cuisine, vraiment pas son truc. Même cuire des pâtes sans foutre le feu à la maison semblait hors de ses compétences. Il tendit l'oreille, guettant un quelconque bruit dans la maison. L'avait-elle entendu jurer ? Ezekiel était rentré depuis peu, et n'était pas allé la voir. Son estomac se tordait déjà assez d'angoisse comme ça lorsqu'il se souvenait qu'elle était chez lui, alors lui faire face relevait carrément de la torture. Il se savait injuste, se doutant que la jeune femme était sûrement aussi exaspérée que lui par la situation. Après tout, elle était contrainte de vivre cachée chez lui, par sa faute, lui qu'elle ne connaissait ni d'Eve, ni d'Adam, aussi sociable qu'un ours, et qui ne lui avait toujours pas expliqué pourquoi il l'avait recueillie ici. Ses mains s'affairaient dans les placards, sortant une assiette assortie de couverts, y déversant les spaghettis fumants, prenant le soin de les recouvrir de sauce tomate - en boîte, fallait pas déconner. Machinalement, Zeke jeta un regard vers l'escalier qu'il apercevait dans l'embrasure de la porte, avec appréhension. Les marches étaient encore parsemées de taches désormais brunâtres qu'il n'était parvenu à faire disparaître, même avec toute la bonne volonté du monde. La rouquine s'était presque vidée de son sang, ce soir là. S'emparant de l'assiette et d'une petite bouteille d'eau, le médecin prit son courage à deux mains, et se dirigea vers la chambre d'amis.

Malgré la porte déjà entrouverte, il prit le soin de frapper, prit d'une pudeur soudaine. « C'est moi. » Super. "C'est moi". Génial. Il se mordit la lèvre inférieure en levant les yeux au ciel, se trouvant idiot de s'annoncer avec une phrase aussi bateau, comme s'il pouvait s'agir de quelqu'un d'autre. Et puis, ce n'était pas comme si elle le connaissait, ... Bref. L'homme pénétra dans la chambre, balayant rapidement la pièce du regard. Il se doutait bien qu'elle devait se déplacer à l'intérieur de la maison lorsqu'il n'était pas là, mais ne s'était pourtant pas décidé à la laisser prendre ses repas en bas. Tout cela le mettait mal à l'aise, la maison regorgeait de souvenirs qu'il ne pouvait pas partager, ne sachant toujours pas où il allait avec cette mutante. Il avait suivi une impulsion, et devait désormais vivre avec, trouver comment s'en sortir sans encombre avec elle sous son toit. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'étudier avec minutie son état de santé, ravi de constater qu'elle récupérait petit à petit. « Voilà, c'est... des pâtes. » Il esquissa une moue désolée en lui tendant l'assiette. Des pâtes, comme tous les jours, en fait. C'était à peu près la seule chose qu'il savait préparer, et la jeune femme avait du le remarquer. Il allait tourner les talons, comme à son habitude, leurs échanges restant très limités, mais se ravisa subitement. « Je m'appelle Ezekiel. Je me suis rendu compte toute à l'heure que je ne m'étais pas encore présenté. » Il se sentait terriblement con à cet instant précis.  « Si vous vous ennuyez, je peux peut être vous prêter quelques livres, si vous voulez. » Son regard perçant sondait la jeune femme, qui demeurait une énigme à ses yeux.

Ezekiel & Skylar ❧ Guts over fear

©clever love.

Le pelage de la louve à l'agonie perdait de son éclat, et un instant son regard s'arrêta sur lui. C'était quelque chose d'incontrôlable, de viscéral, une fascination qu'il ne saurait certainement plus jamais décrire une fois le moment passé. Sous la lune pleine, lentement la fourrure s'était résorbée, les crocs s'étaient rétractés, et l'humaine était réapparue. Jamais l'homme n'avait assisté à une telle scène, et il ne pensait d'ailleurs ne jamais avoir affaire à un pareil spectacle. La chevelure d'un roux éblouissant avant regagné sa place, cascadant dans le dos de la mutante désormais femme. Un regard à gauche, un à droite, et Ezekiel se défaisait de sa veste, se précipitant à ses côtés, évaluant d'un regard la gravité de sa blessure. Déchirant un pan de son T-shirt pour en faire sommairement un garrot, enveloppant l'inconnue dans la chaleur de sa veste, avant de la hisser dans ses bras, et de disparaître dans la pénombre de la nuit. Il n'avait pas réfléchi une minute, se laissant guider par son instinct, sans perdre l'espoir de sauver cette vie, cette nuit. Il l'avait déposée dans la chambre d'amis, la plus neutre de la maison, et dans un rythme mécanique, il s'était affairé à suturer chaque plaie, à contrôler l'hémorragie, à rétablir l'équilibre des fluides de son corps en perfusant ses veines, des gestes qu'il avait répété des milliers de fois auparavant, et qu'il exécutait tel un automate. Il ne devait pas penser, pas pour l'instant. Seul son but importait.

Il n'avait pas fermé l’œil de la nuit. Et lorsque les constantes de la jeune femme étaient redevenues acceptables, il s'était résolu à la laisser seule, allant s'asseoir dans la grande bibliothèque juste à côté. Il commençait tout juste à se demander ce qu'il adviendrait de lui si l'on trouvait la mutante chez lui, lorsqu'une plainte de douleur s'éleva de l'autre côté du mur. Il n’avait pas réfléchi un seul instant à ce qu’il pourrait bien lui dire à son réveil, et désormais que ses pas le menaient dans la direction de la chambre, son cœur se mettait à tambouriner dans sa cage thoracique. Allait-elle lui sauter à la gorge, de nouveau animale, et le vider de son sang sans qu’il n’ait pu prononcer un mot ? Ezekiel poussa la porte grinçante, observant la jeune femme visiblement perdue. Il lui avait passé un long T-shirt à lui, incapable de piocher dans les affaires de Constance pour lui donner des habits non maculés de sang. A quoi tu joues, Ezekiel ? La voix du fantôme de Constance soufflait dans son esprit, tandis qu’aucun mot ne daignait sortir de sa bouche. Maladroitement, et sans bouger d’un poil, il tenta tout de même une approche, en la voyant esquisser un mouvement. « Je vous conseille de rester allongée pour le moment. Vous avez perdu énormément de sang, laissez le temps à votre organisme de récupérer. » Après tout, que pouvait il lui dire qui ne sonnerait pas comme les paroles d'un ravisseur envers sa victime ? Son regard était sombre, les mots de Constance embrouillant son esprit, représentant en somme sa propre conscience, sa loyauté envers elle et les hunters. « Il va falloir que je m'absente. Je vous déconseille fortement de quitter cette pièce, pour votre bien. » D'une part, pour la cicatrisation de ses blessures. Mais sous entendu d'autre part qu'elle mettrait non seulement sa santé, mais également sa sécurité en jeu, si elle osait s'échapper. Le visage fermé, Ezekiel tourna le dos à la rouquine, refermant la porte derrière lui dans un claquement sinistre.


Certes, après cette première approche, quelques jours plus tôt, Ezekiel peinait légèrement à trouver des mots qui ne le feraient pas passer pour le mec dérangé du quartier. Il ne voulait pas compromettre sa survie pour une simple mutante ramassée lors d'un moment de faiblesse. C'était en tout cas ce qu'il se disait, ce qui l'aidait à rester fort et à ne pas trop s'inquiéter pour la rouquine. Pourtant, aujourd'hui, il se laissait aller à lui parler. Et le voile se levait petit à petit sur cette étrangère plus si inconnue. Lorsqu'Ezekiel l'avait vue trier la viande dans son assiette, il avait compris qu'il ne pourrait plus la dé-personnifier très longtemps. Observer les habitudes d'une personne la rendait trop familière pour qu'il parvienne à s'en détacher, à ne faire d'elle qu'une chose, finalement. Il était beaucoup trop humain pour se comporter de la sorte. Beaucoup trop attentionné. « Moi c'est Skylar » Il hocha la tête en guise d'acquiescement. Il faillit lui dire qu'il trouvait ce prénom joli, mais s'abstint à temps, se giflant mentalement. Il ne devait pas trop s'impliquer. « Je veux bien... Je n'ai pas grand-chose à faire ici... » Un sourire coupable se dessina au coin de sa bouche en entendant les mots de la jeune femme. « Je vous montrerai ce que j'ai dans ma bibliothèque. » " Je vous montrerai ce que j'ai dans ma bibliothèque ?! ". On aurait presque cru une réplique d'un film porno à deux balles. Encore une fois, gifle mentale, et Constance, tais toi.

Il ne parvenait pas à se détendre, et tout ce qu'il disait lui semblait déplacé. Il fallait vraiment qu'il parvienne à se sortir de la place du ravisseur dans laquelle il s'était placé, sans quoi jamais il ne parviendrait à lui parler normalement. Il risquait de lui faire encore plus peur que ce qu'il ne l'effrayait déjà. Tout du moins était-ce ce qu'il pensait. L'homme se racla la gorge pour se donner une contenance, reportant son regard sur la mutante lorsque celle ci reprit la parole. « Si vous voulez je pourrais préparer à manger... Je ne me débrouillais pas trop mal avant... Ça vous éviterais de le faire en rentrant... Et ça changera des pâtes » Nouveau sourire gêné de la part d'Ezekiel. Il se passa la main sur la nuque en acquiesçant. C'était de bonne guerre. Et qu'entendait elle par "avant" ? La curiosité de Zeke était piquée au vif, mais encore une fois, il se retint de poser une question déplacée. Il garderait cela pour plus tard. « Oui, je suis désolé, je n'ai jamais été un cordon bleu.. D'ailleurs, je n'ai pas l'habitude de cuisiner, c'est toujours ma... » Le médecin se tut instantanément, une ombre passant devant son visage. Sa femme. Comment pouvait il se risquer à aborder un sujet aussi intime avec une inconnue ? Nouveau raclement de gorge gêné. « J'apprécie la proposition, en tout cas. On en reparlera, d'abord, nous allons trouver de quoi vous occuper. Tenez. » Zeke s'empara de la paire de béquilles qui avait visiblement changé de place - il n'était pas dupe, et se doutait fortement de ses déambulations dans la maison, mais se tut - et s'approcha du lit. « Qu'est ce que vous aimez comme livres ? J'ai aussi pas mal de films, si vous préférez. » Même s'il se sentait désespérément gnan gnan, il finissait par se détendre légèrement, en voyant que la jeune femme n'avait nullement l'intention de lui planter sa fourchette dans l'oeil avant de détaler en courant. Il attendit qu'elle s'empare des béquilles, prêt à la soutenir en cas de besoin, pour que tous deux se rendent dans la grande bibliothèque, sa pièce préférée de la maison.

Ezekiel & Skylar ❧ Guts over fear

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Son oeil de médecin l'avait observée se lever, notant la force retrouvée dans ses bras et le côté toujours un peu chancelant de sa position debout. Il aurait presque sourit, de la voir ainsi requinquée, mais étant donné qu'il accompagnait les chasseurs lancés à ses trousses, certainement n'avait-il aucun mérite dans sa guérison. Il avait été dans la peau du traqueur avant d'endosse celle du sauveur. Restant à proximité au cas où les forces de la dénommée Skylar viendraient à la lâcher, ils avaient avancé doucement vers la porte de la chambre. Elle préférait le fantastique. A ses mots, Ezekiel ne put retenir un sourire en coin. A leur époque, désormais que mutants et humains se côtoyaient allègrement, pouvait-on toujours parler de registre fantastique, ou bien est ce que l'on pouvait qualifier ça de réaliste ? L'homme ne put d'ailleurs réprimer une remarque à ce propos. « Je m'en serais douté. Pour une femme capable de se transformer en louve, les romans classiques doivent sembler bien en deça de la réalité, n'est ce pas ? » Et toujours cet air amusé qui tranchait avec les traits d'ordinaire impassibles de son visage. Et déjà, la rouquine qui lui passait devant, empruntant le chemin de la bibliothèque tandis qu'il marquait un sourcil dans son dos. Eh bien, visiblement on ne faisait même plus semblant de respecter les règles. Enfin, ce n'était pas comme si son regard du premier jour ne lui avait pas fait comprendre qu'elle n'avait que faire de ses ordres. Le médecin ne broncha pas, et la suivit donc comme un invité dans sa propre maison.

D’un bref geste de main vers l’interrupteur, il alluma la lumière, et la vaste pièce s’éclaira d’une lumière un peu plus sombre que dans le reste de la maison. Encore une idée de Constance, pour donner au lieu une ambiance particulière, tandis qu’à côté des fauteuils se trouvaient des lampes plus lumineuses, comme dans un vieux film. Des étagères remplies à craquer, un peu dans chaque coin. A droite, tous ses livres médicaux, amassés depuis sa toute première année, et auxquels les ouvrages de droit de Constance faisaient concurrence un étage en dessous. Des livres de tous genres, fantastiques, classiques, récupérés ci et là, certains d’occasions, d’autres reçus en cadeau et jamais ouverts. Parti dans ses pensées, le médecin reporta son attention sur Skylar lorsque cette dernière lui demanda quel était son genre littéraire favori. « C’est-à-dire que je n’ai vraiment pas eu le temps de lire ces derniers temps.. »  Petit passage de la main dans sa nuque, gêné. « Mais, j’aimais bien le fantastique. Un bon moyen de s’évader. Même si évidemment, on ne voit plus les choses de la même manière depuis que l’on sait pour l’existence des mutants. »  Était-ce maladroit de lui dire ça ? Seule sa réaction le lui dirait. Fatigué par sa journée, le médecin se laissa mollement tombé dans l’un des fauteuils, venant frotter son front entre ses doigts, le crâne douloureux. Par pitié, que l’on ne l’appelle pas ce soir. Il n’avait vraiment pas la tête à ça. Relevant les yeux vers elle, il l’observa un instant. Cela faisait des jours et des jours qu’il cherchait comment s’y prendre avec la jeune femme. Que lui dire, que faire à son sujet. L’atmosphère semblait plus détendue ce soir, et il était peut-être temps de se lancer. « J’imagine que vous devez avoir des questions. Des questions bien plus urgentes que me demander mon style de bouquin préféré. »  Abrupt, direct. Mais n’était-ce pas la réalité ? Quelle situation absurde, de lui faire la conversation en lui proposant des bouquins, sans même lui expliquer pourquoi il la gardait ainsi enfermée. Et la jeune femme qui visiblement rentrait dans son jeu, sans doute peu à l’aise quant aux autres questions qu’elle pouvait avoir à lui poser. Qui était-il ? Pourquoi l’avoir aidée ? Il ne pouvait qu’imaginer tout ce qui avait du lui passer par la tête, lorsqu’elle était coincée là, dans cette chambre d’une maison inconnue, entendant Zeke se promener un étage plus bas sans même le connaître. Il fit craquer les articulations endolories de ses doigts, avant de reprendre la parole. « Alors, je vous écoute. Posez-moi toutes les questions que vous voulez. Je verrai si je peux y répondre. »